BD, Tome III, Conjectures sur le nom antique d’Essalois et celui de Monsupt. – Les dunum du Forez, comniunication de M. Vincent Durand, pages 384 à 394, Montbrison, 1886.

 

Conjectures sur le nom antique d’Essalois et celui de Monsupt. – Les dunum du Forez, communication de M. Vincent Durand.

 

M.Vincent Durand conserve la parole pour faire la communication suivante :

J’ai déjà eu l’occasion d’entretenir la Société des protocoles des Petri, notaires à Saint-Hilaire-Cussori-la-Valmitte. Ces protocoles, conservés dans nos archives, forment plusieurs volumes in-folio qui renferment de curieux détails sur les familles, les coutumes et la topographie de cette partie du Forez. Je vous demande la permission d’en extraire, et de mettre sous vos yeux plusieurs textes où apparaît le nom d’Essalois, l’importante station gauloise fouillée par notre regretté confrère M. Philip Thiollière.

Protocole de François Petri, notaire de Saint-Hilaire, folio 82 :

Matrimonium Benedicti filii Johannis de Tardivier, et Beatricis filie Mathei Berthollet loci d’Essalloen. – Fiant lictere matrimoniales, etc., quod cum ad Dei omnipotentis laudem, etc., tractaretur et jamque tractatum fuerit de felice matrimonjo, etc., per et inter Benedictum filium Johannis de Tardivier, perrochie de Merle, Aniciensis diocesis, sponsum futurum ex una parte, et Beatricem filiam Mathei Bertholeti, loci de Essolleyn, perrochie Chamblie, Lugdunensis diocesis, sponsam futuram, ex altera parte, mediante amicabili tractatu, etc., hinc vero fuit et est quod anno Incarnationis Domini millesimo iiijc nonagesimo quinto, et die duodecima mensis januarii (12 janvier 1496 n. st.), etc…. (Suivent les clauses du contrat). – Acta, data et passata fuerunt hec omnia in eodem loco d’Essaloyen, domi dicti Bertholet, anno et die quibus supra, presentibus viro discreto Bertrando Murati notario Sancti Regnalberti,… Glaudio Tronelli do Meynitz, perrochie de Merle,… et Benedicto Berthollet dicti loci d’Essolleyn, pluribus aliis testibus, et me notario, PETRI.

Même protocole, folio 83 verso :

Quictantia bonorum paternorum, etc., Jacobi filii Johannis de Tardivier. – Item, fiat litera quod deinde constitutus personaliter Jacobus filius dicti Johannis de Tardivier, qui actendens et considerans quod prefatus Johannes de Tardivier ejus pater ipsum hodie date presentium in legitimum collocavit matrimonium cum Benedicta filia Benedicti Bertholleti, loci d’Essalloyn, perrochie Chamblie… (Suivent les clauses). – Actum ubi et presentihus quibus supra.

Même protocole, folio 135 verso :

Pro Andrea filio Johannis de Tardivier. – Quod anno quo retro (1496, 1497 n. st.) et die veneris xxiiijta mensis febroarii, etc.,….ad presentiam mei notarji… venit Andreas filius Johannis de Tardivier, perrochie de Merle,… dicens et exponens quod in contractu matrimonii olim inhiti et consommati, nunc vero dissoluti, inter ipsum Andream exponentem ex una parte, et Benedictam filiam Benedicti Berthollet, loci d’Esolleyn, perrochie Chamblie,… ex alia parte (Suivent les clauses de l’acte).
Vous avez remarqué la désinence nasale de ces diverses formes du nom que nous prononçons aujourd’hui Essalois et que la carte de l’Etat-Major, si souvent fautive dans sa toponymie, travestit en Essaloir. Il y a même une tendance à écrire Essaloire, parce que l’on est porté à faire dériver le nom de cette localité du site qu’elle occupe auprès du fleuve.

Pourrait-on néanmoins penser que l’orthographe de notre vieux tabellion lui était personnelle, qu’elle représentait une prononciation inexacte, même de son temps? Un autre registre de nos archives nous permet de répondre à ce doute.

Dans ce registre, qui est une copie authentique du terrier de la châtellenie de Saint-Victor-sur-Loire, reçu Conchon et Ginot, de l’an 1456, on lit au folio 342:

MANDAMENTUM CHAMBLIAE. – Joannes Bertholleti d’Essaloeni, parrochiae et mandamenti Chambliae… Quedam montagia, que quomdam fuerunt Joannis d’Essaloenni, sita apud Grangias (Grangent?), juxta lo Chastilliard ex mane.

Folio 343 :

In territorio Podii d’Essaloen, juxta terras Petri d’Essaloen ex mane.
– In territorio de Mala Valle, juxta… iter publicum tendens d’Essaloem apud Sanctum Ragnebertum ex sero, et juxta Costam de 1’Esmolour ex borea.

Folio 343 verso :

Retro Podium d’Essaloeni, juxta iter tendens de Boieri apud Essalonem ex sero, et juxta terras dicti respondentis et Petri d’Essaloeni ex mane.

Folio 345 verso :

In territorio d’Essaloem, juxta Parvum Fontem d’Essaloem ex borea.

Folio 360 verso :

In Ruppis, juxta terram… Petri de Saycieu et Joannis Bertolleti d’Essalloeni ex borea.

Ce n’est pas tout : un autre terrier de Saint-Victor-sur-Loire et Grangent, de l’an 1337, antérieur par conséquent de plus d’un siècle, donne les formes Eysaluyn et Heysaluyn (1). La prononciation ancienne de ce mot semble donc bien établie : c’était Essaloyen, Essalloen, Essalloyn, Eyssaluyn ou Essolleyn.

Je vous prie d’excuser l’aridité de ces préliminaires : ils étaient indispensables pour justifier la tentative que je vais faire pour en déduire le nom antique d’Essalois.

Je crois qu’on peut conjecturer avec une certaine vraisemblance que ce nom était Uxellodunum , le même que celui du fameux oppidum des Cadurques dont le siège fut le dernier acte de la guerre des Gaules.

Les noms de lieu gaulois terminés en dunum ont donné naissance, comme l’a fait observer Jules Quicherat (2), à deux catégories de dérivés français.

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(1) Archives de la Loire. Fonds de la chambre des comptes de Montbrison. Terrier de la châtellenie de Saint-Victor-sur-Loire et Grangent reçu Etienne Esperonis et Mathieu de Bosco Alto, 1337, n. st.. M. Aug. Chaverondier a bien voulu relever à mon intention, sur ce document, les formes qu’y revêt le nom d’Essalois.
(2) De la formation française des anciens noms de lieu, 1867, p. 48.

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Dans les uns, la dentale a persisté : c’est le cas d’Exoldunum, Issoudun, Verodunum ou Virodunum, Verdun (Meuse)et Mont-Verdun (Loire), Minnodunum, Moudon, Aredunum, Ardin, etc. Chez les autres, elle est tombée et le mot a subi le plus souvent une contraction : tels Augustodunum, Autun, Acitodunum, Ahun, Meledunum,.Melun, Lugdunum, Lyon et Laon, Sedunum, Sion (Valais) et Suin, (Saône-et-Loire), etc.

C’est à cette dernière classe que nous paraît appartenir le nom d’Essaluyn ou Essolleyn. Je n’ai pas besoin de vous faire remarquer la ressemblance qu’il offre avec celui de Puy d’Issolu (1) que porte aujourd’hui l’Uxellodunum des Cadurques ; et il peut être, je pense, rapporté au même thème primitif.

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(1) C’est l’orthographe moderne de ce nom, que je trouve écrit Pech d’Ussolun ou d’Usselou, dans le Dictionnaire des noms latins de la géographie ancienne et moderne de Chaudon, 1777. D’Expilly, Dictionnaire des Gaules, écrit Puech d’Issoulu.
Les voyelles u, o et i, i et e, se substituent fréquemment l’une à l’autre quand elles précèdent une double sifflante. Nous venons de voir Uxellodunum (Lot) produire Issolu. D’autre part, Yssoia (Aube) a donné Essoyes, Yssolmus (Aisne), Essomes ; et dans le voisinage immédiat d’Essalois, Issument, commune de Saint-Victor-sur-Loire, ainsi appelé dans une charte du Châtelet de Sainte-Foy de l’an 1252 (notes de la Mure), porte aujourd’hui le nom d’Essumin. Il serait possible que la forme Essolleyn ait été précédée de la forme intermédiaire Yssolleyn ou Yssolluyn. Mais cette hypothèse même n’est pas nécessaire, car le terrier de Saint-Victor de 1337, déjà allégué, fournit simultanément les noms d’Ussiminet et d’Essiminet, pour désigner un hameau proche d’Essumin, qui est, je pense, celui appelé à présent Queyrel. On peut citer encore, comme exemples appropriés au cas qui nous occupe, Uxima ou Oxma et Oximoe, devenus respectivement Huesme, Yesme, aujourd’hui Villiers-le-Morhier (Eure-et-Loir), et Exmes (Orne).
Avant de quitter cette grande station gauloise d’Essalois, je ferai remarquer l’identité. du nom de la paroisse dont elle dépend, Chambles, avec celui que produirait, en passant du latin en français, celui de Camulus, divinité qui. a été assimilée au Mars des Latins. Y aurait-il là un souvenir de son culte? En tout. cas, on peut. supposer avec une grande vraisemblance que celui de Mercure était pratiqué sur un autre point de la même commune, au territoire et mont de Mercuer (appelé aussi Mercuet, Melcuet et Melcuer dans le terrier Conchon et Ginot de 1456), à peu de distance en soir de Chambles.

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D’après les celtistes, uxello-s signifié élevé. C’est un mot qu’on est porté à rapprocher du grec « ?????? » qui a le même sens. Quant au mot dunum, Il veut dire, comme on sait, colline et, par extension, forteresse, la plupart des places fortes ayant été construites sur des hauteurs. Quelle que soit celle de ces deux significations qu’on adopte, le nom d’Uxellodunum convient merveilleusement à Essalois, position presque inexpugnable qui domine de haut le débouché de la Loire dans la plaine forézienne.

Puisque je me suis aventuré sur ce terrain, je voudrais, si ce n’est pas trop abuser de votre patience, vous soumettre une deuxième conjecture relative au nom ancien d’un autre château qui eut une importance considérable au moyen âge, je veux parler de celui de Monsupt, assis sur la voie Bolène.

Le nom qu’on lui assigne ordinairement est Monseu, Monseut. Ces formes remontent à une antiquité respectable, car on lit dans le fief rendu à Louis VII par Guy II, comte de Lyonnais et de Forez, en 1167: Guigo, comes Lugdunensis et Forensis…. accepit a nobis castella que nunquam de domino habuerat, scilicet Montembrisonis et Montem Seu (1).

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(1) Archives nat. K. 24, n° 14. – Huillard-Bréholles, n° 10.

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Un autre fief, fait en 1316 par le comte Jean 1er au roi Philippe-le-Long, porte : Videlicet homagium de castellis Montisbrisonis, Montisseuti, etc (1). Beaucoup d’autres titres fournissent des exemples de l’une et l’autre manière d’écrire ce mot.

Mais à côté de ces titres, il y en est d’autres, qui ne leur cèdent guère en ancienneté, où le nom de Montsupt apparaît sous une forme notablement différente et qui peut mettre sur la voie de sa véritable étymologie.

C’est d’abord une charte du Cartulaire des Francs Fiefs, de l’an 1202, contenant une vente par Aymar de Montsehun tseltuit et sa femme à Marie Benerie, religieuse de Jourcey (2).

En juin 1262, d’après un titre des archives de Beauvoir, Jobannin de Monseun, damoiseau, cède pour quinze ans à Guillaume Ronini, chevalier, son fidéjusseur, pour lui tenir lieu d’une somme de 75 livres viennois payée en son acquit, la perception de certains cens et notamment ce que lui doit annuellement Pons de Monseun, pro duobus cellariis sitis in castro de Monseun Au mois de décembre 1279, le même Jean de Monseun, damoiseau, et sa femme vendent au prieur de l’Hôpital, pour la maison du Palais de Moind, des redevances assises sur les moulin et tènement de Pierre-Haute et relevant en fief de l’abbaye de la Chaise-Dieu (3). Je citerai encore le fief fait, le 17 septembre 1378, à Louis II, duc de Bourbon et comte de Forez, par Jean Rognini, damoiseau, pour sa censive dans les château et mandement de Montsupt : Item, omnes census et quartus quos habet in mandamento et castro de Monseuyn (4).

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(1) Archives Nationales, P 13712 côte 2001. – Huill. – Bréh., n°1420.
(2) Cart .des Francs-fiefs,. n° LXXI.
(3) Titre jadis conservé aux archives de la Chaise-Dieu et obligeamment signalé par M. Auguste Chaverondier.
(4) Archives du château de Beauvoir.

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Il est difficile, en présence de l’accord de ces textes, empruntés à des sources diverses, de ne pas reconnaître une prononciation forte et nasale de la fin du mot que nous examinons, prononciation très ancienne selon toute apparence et qui nous autorise à conjecturer que le nom de Montsupt recouvre aussi un vocable gaulois. Ce nom primitif serait Sedunum. On a vu que tel était Jadis le nom de Suin (Saône-et-Loire), identique lui-même à la deuxième partie du mot Montsehun, Monseun, Monseuyn, composé de deux éléments, l’un latin, l’autre celtique. On aura dit Mons Sedunum, comme on a dit Mons Verdunum.

L’hypothèse que je vous soumets ici a peut-être en sa faveur mieux que des vraisemblances étymologiques, s’il faut regarder comme un commencement de preuve écrite un curieux passage d’une charte du Grand Cartulaire d’Ainay publié par nos savants collègues MM. le comte de Charpin et M.-C. Guigue. Cette charte, en date du 27 mars 1250, est une ordonnance des cardinaux visiteurs délégués par le Saint-Siège et de Philippe de Savoie, archevêque de Lyon, pour la réforme du monastère. On y voit qu’un moine appelé Silvio de Monte Seduni est envoyé faire pénitence pondant trois ans à l’abbaye de la Chaise-Dieu, pour être sorti nuitamment avec deux autres moines qui avaient saisi le fils d’un certain Etienne Gros et l’avaient privé de la vue (1). Il me semble d’autant plus légitime de traduire Silvio de Monte Seduni par Silvion de Montsupt ou mieux de Montseun, que la charte nomme plusieurs autres moines appartenant à des familles foréziennes.

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(1) Grand Cartulaire d’Ainay, t. 1er, p.153.

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Personne ne s’étonnera d’ailleurs que Montsupt ait des origines très reculées: c’est plutôt le contraire qui serait surprenant. La position de ce château, à cheval sur la grande route du Velay, est de celles qui ont du attirer de tout temps l’attention des hommes de guerre.

Il est intéressant de récapituler les lieux du Forez qui ont porté le nom de dunum. Le nombre de ceux connus avec quelque certitude est bien restreint. On peut citer :

Arthun, nommé Artidunus, en 943, dans la charte 642 de Cluny ; – in villa Arteuno, en 981 ou 982, dans la charte 1578 ; – Artadunum, en 994, dans la charte 2255; – in fine Arteduno, en 996 ou 997, dans la charte 2309; – Artedunum, en 998 dans la charte 2465 ; – in finibus Arteduni, vers 1080, dans la charte 791 de Savigny.

Bouthéon, ecclesia de Botedono, dans la pancarte des droits de cire et d’encens dus à l’église de Lyon, publiée par Aug. Bernard à la suite des cartulaires de Savigny et d’Ainay et dont la rédaction primitive parait à cet auteur contemporaine de l’organisation des archiprêtrés.

Candedunum ou Candedunus mons, in agro Forensi. Ce lieu, cité dans la charte 73 de Savigny, de l’an 950 environ (juxta latus montis Candeduni), y paraît avec la Varenne (Salt-en-Donzy), et Noailly, qui est sans doute le hameau de ce nom indiqué par Cassini sur le territoire de la commune de Jas ; j’ignore sa situation précise et son nom moderne.

Chambéon, in fine de Cambechono, en 965, charte 314 de Savigny ; – in fine de Cambetdoni, en 970, charte 332, et vers 1000, charte 558 ; – Cambetdonus, vers 980, charte 279; – in villa de Cambedono, vers 1020, charte 721.

Montverdun, Mons Verdunus en 970, chartes 105 et 330 de Savigny; vers 1010, charte 931 ; vers 1020, charte 663. La forme masculine de ce nom, comme celle de plusieurs des noms précédents, ne doit pas surprendre : la substitution du masculin au neutre est un des phénomènes qui ont accompagné la décomposition du latin classique et la formation des langues modernes.

Il faut peut-être joindre à ces localités les Embruns, lieu entre Saint Haon-le-Vieux et Ambierle, qu’un titre, malheureusement de date un peu récente, puisqu’il n’est guère que du milieu du XVl e siècle, appelle Ambrodunum, peut-être par voie de fausse traduction latine d’un vocable français. M. Noëlas, s’appuyant sur une tradition locale, a conjecturé que ce nom d’Ambrodunum pourrait représenter le nom primitif de Saint-Haon.

Le même savant a émis l’ingénieuse hypothèse que la goutte Lourdon, ruisseau qui coule au pied de l’enceinte vitrifiée de Château-Brûlé, commune de Villeret, pourrait nous avoir conservé le nom ancien de ce lieu fortifié, de ce dunum.

On pourrait faire des suppositions analogues au sujet de plusieurs autres noms de lieu du Forez ; mais c’est là un terrain trop mouvant, surtout quand on n’est pas en mesure de s’appuyer sur des textes anciens, pour que je me hasarde à m’y engager.

Je ne puis résister pourtant à la tentation de vous signaler Lyaont, Lahont, Lyont, ancienne possession des Templiers en la commune de Saint-Maurice-en-Gourgois, près de Gourgois même, Gorgodesium, dont le nom a une saveur si gauloise. J’ignore la forme latine de ce nom de Lyaont (bizarrement travesti en Gland sur la carte de l’Etat-major) et si le t final est étymologique. S’il ne l’est pas, on ne peut se défendre de penser au primitif Lugdunum. Comme les bords de la Saône, ceux de la Loire auraient eu leur Colline des Corbeaux. Mais je me hâte de dire que je n’ai pas l’intention de préjuger une étymologie dont le mot nous sera donné, il faut l’espérer, par le Cartulaire des Templiers et des Hospitaliers de la province lyonnaise, que prépare notre infatigable vice-président.

La séance est levée.

Le président,

Comte de poncins.

Le membre faisant fonction de secrétaire,

Eleuthère Brassart.

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