BD, Tome III, Découvertes archéo1ogiques à Moind, communication de M. Rochigneux, pages 308 à 317, Montbrison, 1886.

 

Découvertes archéo1ogiques à Moind, communication de M. Rochigneux.

 

Deux propriétaires, dit M. Rochigneux, ont fait récemment des découvertes archéologiques intéressantes sur l’emplacement et dans le voisinage de l’enceinte féodale de Moind.

Dans la parcelle, portant le n° 72 de la section A du plan cadastral, sur laquelle s’élevait jadis une partie de la courtine reliant la tour actuelle du beffroi à celle commandant au sud la place dite du Château, le creusement d’une cave a fait rencontrer des vestiges assez considérables de deux souterrains en partie obstrués, appartenant probablement au système défensif établi au moyen-âge.

L’une de ces galeries, qui servait de chemin de ronde, paraît avoir longé à l’intérieur le pied du rempart : elle est bâtie en excellents matériaux et mesure 1m 60 de largeur sur environ 2m de hauteur à la voûte, qui affecte la forme cintrée.

L’autre galerie, dont le plafond est effondré, forme un étroit couloir perpendiculaire au chemin de ronde : elle servait apparemment de passage secret et devait aboutir de la place dans le fossé ou peut-être dans la campagne. .Au point de jonction de ces deux ouvrages, on a trouvé parmi des ossements d’adulte, un chaton de bague en argent d’un faible intérêt artistique : il est huit pans et porte en guise de gemme une table de cristal biseautée.

Mais la découverte de beaucoup la plus importante, est celle faite au cours d’un défoncement de terrain exécuté, en vue d’une plantation de vigne, dans la vaste clôture de M.Vissaguet, figurant au plan cadastral sous les n° 370, 370 bis, 371 et 372 de la section A.

Cette propriété connue déjà, paraît-il, par des trouvailles monétaires antérieures, s’étend en glacis au nord et à l’est des fossés du château, peut-être creusés eux-mêmes sur l’emplacement de constructions antiques : elle est limitée au nord par l’ancien chemin dit de Saint-Maurice qui la sépare d’un terrain occupé autrefois par l’église et le cimetière du même nom, dont M. Durand vous a entretenus dans la dernière séance.

Le défoncement, très superficiel, a porté sur une aire d’environ douze mille mètres carrés : il a mis à jour sur presque toute cette étendue de vastes substructions gallo-romaines.

Les constructions des parties centrale et occidentale du champ, moins bien conservées ou peut-être sur certains points enfouies plus profondément, semblent d’après les restes trouvés épars entre leurs murailles, avoir possédé un pavement en mosaïque révélé par des cubes en basalte et d’autres en verre bleu de plusieurs nuances. Des débris d’enduit peint de diverses couleurs, des marbres moulurés, des briques d’hypocauste, de grandes tuiles, des fragments de poteries fines et de verroterie concourent à faire supposer que là s’élevaient des habitations d’un certain luxe.

Toutefois, le groupe constructions le pus digne de remarque est celui rencontré plus à l’est. D’après les sondages, elles s’étendraient sur une grande surface, dont environ quatre mille mètres carrés seulement ont été fouillés. Suivant nos constatations malheureusement trop sommaires, ce groupe affecterait la forme d’un vaste parallélogramme occupé à son centre par une grande cour , et sur trois côtés, par des salles carrées ou rectangulaires.

Les murailles intérieures de ce vaste édifice, d’une épaisseur d’environ cinquante centimètres, sont d’un travail peu soigné ; celle du pourtour, au contraire, sont d’une épaisseur parfois considérable et construites en moëllons de granit appareillés assez régulièrement.

A en juger par de très nombreux débris recueillis dans leur voisinage immédiat, la paroi intérieure de ces murs aurait été revêtue d’une couche de stuc peint, chargé de dessins de couleurs variées et parfaitement conservées malgré un séjour de plus de seize siècles dans un sol cultivé : quelques échantillons figurent des futs de colonnes, d’autres des tiges d’iris et de plantes palustres.

Des marbres de placage et à moulures entraient aussi dans la décoration murale, mais en proportion moindre, il faut le reconnaître que dans les autres édifices explorés jusqu’à ce jour.

L’aire des bâtiments était formée le plus généralement d’un pavement en opus signinum composé de chaux vive, granit et brique pilés ; cependant, dans quelques pièces, ce béton était mélangé, à la surface surtout, de fragments assez volumineux de plaques de marbre provenant peut-être d’un édifice plus ancien ; dans d’autres, il était recouvert d’un dallage en carreaux noirs, blancs ou couleur brique, de schiste ou de calcaire dit lithographique.

Les salles étaient chauffées par des tuyaux d’hypocauste dont on trouve de nombreux spécimens ; elles étaient assainies par un conduit-égout d’un parcours irrégulier, qui a été rencontré intact sur une certaine longueur.

Toutes ces constructions étaient recouvertes de tuiles à rebords de grandes dimensions ; les unes sont rectangulaires, les autres de forme franchement trapézoïdale, particularité rarement constatée en Forez.

On a trouvé tout autour des substructions une quantité assez considérable d’ossements d’animaux tels que chevaux, bœufs, sangliers, porcs et moutons appartenant, ce semble, pour la plupart, à des variétés qui ont disparu de nos pays ; on a recueilli surtout d’abondants débris de poteries de toute nature dont un certain nombre ont pu être reconstituées en partie : leurs fragments, grâce à une culture séculairement superficielle, n’ayant subi qu’un faible éparpillement. Cette double constatation tendrait à démontrer qu’il s’élevait sur cet emplacement, non point un édifice public dans le genre de ceux explorés au nord-ouest de Moind, mais une vaste habitation privée ou peut-être une hôtellerie.

Les spécimens de céramique comprennent notamment des fragments d’énormes vases à panse rebondie, de rares amphores, des coquelles à trois pieds, des vases en forme de buires au col étroit et aux lèvres curieusement plissées, dont un échantillon paraît avoir été muni d’un couvercle à charnière, des cruches aux anses couvertes de feuillages palmés ou pennés, de fleurs radiées, etc., imprimées à l’aide de poinçons, d’élégantes terrines, des urnes à couverte micacée, des coupes à reflet métallique ornées d’enroulements végétaux ou de dessins à la roulette. Les poteries dites samiennes y sont représentées par des bols, des tasses et des assiettes ; plusieurs sont décorées de sujets en relief, tels que personnages, rinceaux, chasses, etc.

Trois de ces terres sigillées portent les estampilles, OF CALVS (officinator Calvus), OF PRIMI (officina primi), SIINIIX F (Senex fecit) (1).

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(1) Au sujet de deux de ces estampilles, notre savant confrère M. le docteur Plicque a bien voulu écrire à M. Vincent Durand : « J’ai observé ici un grand nombre de SENEX-F et des analogues. Ce nom est absent des catalogues du Corpus I.L.. et de celui de Schuermans. Mais je ne connais pas la forme SIINIIX F. que vous me signalez. Mon SENEX est un habile potier tourneur. du temps d’Antonin-le-Pieux. qui faisait des céramiques d’un beau rouge cire à cacheter.
Schuermans cite OF CALVS, pour OF CALVVS sans doute, et, dans ce cas, OF correspondrait à officinator. Je possède aussi de nombreuses variétés des noms CATVSSA, et CARVSSÂ. Il est encore possible que CALVS soit une abréviation d’une forme analogue aux deux noms précédents. Le général Creuly dans sa liste de noms gaulois, cite CALVA fille de Cassilus, femme d’Annius, nière d’Andere (musée de Toulouse). Ce CALVS serait donc un nom gaulois n’ayant aucun rapport avec CALVVS (le Chauve), et comme ces noms, celtiques sont généralement composés et très longs, ce serait une probabilité de plus pour admettre que OF CALVS cache une abréviation, par exemple OF (ficina) CALVS(SAI).
 » Quoique CALVS ait été trouvé un peu partout. on ne sait où gît son officine. – Dans les fabriques de ma connaissance, l’abréviation OF précède le nom du fabricant jusqu’à la fin du règne de Trajan. Plus tard, elle le suit. C’est une règle qui jusqu’ici ne souffre pas d’exception. « 

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Un énorme vase de terre commune, espèce d’amphore à col et anses très courtes, présente la marque OIMN, qui doit peut-être se lire en la renversant, NVNIO.

Le graffite, IVLITTA, se lit sous le fond d’un vase en terre sigillée.

Parmi d’autres objets curieux, signalons encore une portion de grand vase couleur d’or, au bec latéral surmonté d’un poisson, une petite lampe en terre fine portant à la face supérieure la représentation en relief d’une barque montée et marquée en dessous de l’estampille, A, avec la barre pendante en forme de virgule entre les branches de la lettre, des fragments d’un superbe plateau mouluré en porphyre rose, des débris de très jolies ampulla en verre fort mince et des grains de collier également en verroterie.

Les plus intéressantes de ces reliques archéologiques ont été gracieusement cédées par M. .Vissaguet au musée de la Diana.

Le seul objet de métal qu’on ait découvert est un vase en bronze de forme élégante, primitivement pourvu de deux anses dont l’une est perdue (1) ;

il gisait dans les terres obstruant 1’égout d’assainissement où sans doute il avait été intentionnellement caché. Ce vase renfermait, outre une bague en or, d’un travail médiocre, ornée d’une petite intaille représentant un chien, la tête contournée (2),

1328 deniers romains d’argent, généralement d’une belle conservation, quoique recouverts d’une forte couche d’oxyde de cuivre : ces monnaies dont, grâce à la complaisance de M. Vissaguet, un inventaire complet a pu être dressé, datent toutes du IIIe siècle. Sauf quelques restitutions, elles portent l’effigie d’empereurs et impératrices appartenant à la suite des princes, le plus souvent éphémères, qui ont régné depuis Caracalla jusqu’à Gallien.

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(1) Les dimensions de ce vase, qui rappelle beaucoup celui de Limes (V. Bulletin, t.II, p.440), sont 0m 23 de hauteur, 0m 07 de diamètre à l’orifice, 0m 659 à la gorge, 0m 13 à la panse et 0m 06 à la base qui est évidée au tour en dessous,. Les anses, terminées en feuille d’eau, avaient 0m 105 de hauteur. La surface est revêtue d’une gangue épaisse qui n’a pas permis de reconnaître si elle porte des inscriptions.
(2) Cette intaille est figurée au double de sa grandeur réelle.

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Voici cet inventaire, tel qu’il a été établi par notre savant confrère, M. Philippe Testenoire :

 

Nombre de pièces

Caracalla, empereur (211-227)

3

Elagabale (218-222)

2

Julia Moesa, grand’mère d’Elagabale

2

Pupien (238)

1

Gordien III, empereur (238-244)

259

Philippe père (244-249)

204

Otacilie, femme de Philippe père

42

Philippe fils

44

Trajan Dèce (249-251)

81

Etruscille, femme de Trajan Dèce

28

Herennius Etruscus, César, fils de Dèce

14

Hostilien, César, fils de Dèce

4

Trébonien Galle (251-254)

70

Volusien, fils de Trébonien Galle

74

Emilien (253-254)

7

Valérien père (253-260)

101

Mariniane, supposée femme de Valérien

3

Gallien (253-268)

185

Salonine, femme de Gallien

80

Salonin, César (253-259)

56

Valérien jeune, frère de Gallien

40

Pièces de restitution frappées à l’époque de Gallien à l’effigie des empereurs suivants :

Vespasien

2

Titus

1

Trajan

1

Antonin le Pieux

1

Alexandre Sévère

2

Pièces représentées hors du classement, mais qui se répartissent dans les catégories

ci-dessus

19

Pièces restées adhérentes à l’urne

2

Total

1.328

Il y a tout lieu de croire que cette curieuse collection, qui rappelle la découverte monétaire faite à Boisset-les-Montrond en 1864 (1), a été enfouie précipitamment à l’approche d’un péril imminent, d’une invasion sans doute. La date connue de la première incursion des Barbares dans nos régions, celle qui eut lieu en 269, précisément vers .la fin du règne de Gallien auquel s’arrête la suite de nos pièces, permet de tenter avec ce fait historique un rapprochement que la présence de nombreux ossements humains, trouvés au dessous des débris sur le pavé même des salles, viendrait corroborer. Ces restes humains, en effet, étaient disposés indifféremment dans tous les sens et semblaient témoigner d’une mort violente suivie ou causée par la destruction de l’édifice lui-même, tandis que ceux rencontrés à l’ouest de 1a clôture, à une faible profondeur dans les terres, mais non sous les décombres, indiquent par leur orientation normale de véritables sépultures que I’on peut supposer chrétiennes.

Il est fort regrettable que la rapidité extrême des travaux de défoncement et l’exiguité des ressources de la Diana n’aient pas permis de procéder à des fouilles régulières. Dans ce sol à peine bouleversé, des découvertes d’un haut intérêt auraient certainement été faites. IL ressort toutefois de nos constatations que la station romaine sur les ruines de laquelle s’élève le bourg’ de Moind, s’étendait au sud-est beaucoup plus qu’on ne l’avait soupçonné jusqu’à ce jour ; de plus, la trouvaille monétaire apporte une contribution précieuse à I’histoire, en permettant de faire une hypothèse sur la cause et la date probables de la destruction de cette antique localité.

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(1) V. Revue Forézienne, t. 1er, p. 275

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Nous devons remercier, pour ces résultas historiques, les propriétaires des terrains explorés : MM. Chaux et Vissaguet, qui ont mis le plus grand empressement à nous montrer leurs moindres découvertes ; nous adressons particulièrement de notre gratitude à MM. Bufferne, instituteur, et Berger, entrepreneur de maçonnerie, pour le zèle désintéressé. qu’ils apportent à nous signaler toute fouille nouvelle : les uns et les autres ont bien mérité de l’archéologie.

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