BD, Tome III, Fouilles sur l’emplacement de l’ancien cimetière de Saint-Clément, commune de Montverdun, pages 99 à 109, Montbrison, 1885.

 

Fouilles sur l’emplacement de l’ancien cimetière de Saint-Clément, commune de Montverdun

 

Les premiers mois de cette année, continue M. Vincent Durand, ont été féconds en découvertes d’antiquités sépulcrales, et j’ai à vous signaler des fouilles extrêmement intéressantes qui se pratiquent en ce moment sur l’emplacement de l’ancien cimetière de Saint-Clément, commune de Montverdun.

Saint-Clément était une fort vieille paroisse, peut-être même la paroisse primitive de Montverdun. Elle est mentionnée, à l’exclusion de cette dernière, dans une pancarte des droits de cire et d’encens dûs à l’église de Lyon, dont la rédaction primitive doit remonter aux premiers temps de l’organisation des archiprêtrês. Auguste Bernard a publié ce document à la suite des cartulaires de Savigny et d’Ainay, d’après un des nombreux exemplaires qui nous en ont été conservés, lequel est signé de Pierre d’Epinac, archevêque de 1569 à 1599 (1); mais il est hors de doute qu’à cette époque l’existence paroissiale do Saint-Clément n’était plus qu’un souvenir. En effet, Si Saint-Clément est encore compté au nombre des paroisses de l’archiprètré de Forez dans un pouillé du XlIIe siècle édité par le mème auteur (2), il disparaît complètement des pouillés postérieurs, à partir de celui attribué au XIVe siècle.

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(1) Cartulaire de Savigny et d’Ainay, p. 1055.
(2) Ibid. p. 906.

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Aucun vestige apparent de l’église ne subsiste plus, mais depuis longtemps un cimetière était signalé près du village actuel de Saint-Clément, au lieu dit le Coterat, dans la partie orientale d’un territoire de forme triangulaire compris entre le chemin de Montverdun à Poncins de nord, le ruisseau de Saint-Clément de matin déclinant à midi, la chaussée de l’étang de la Goutte et un fossé faisant le prolongement de cette chaussée, de soir déclinant à midi. Des cercueils de pierre y avaient été rencontrés, et l’on parlait d’apparitions nocturnes dont ce lieu était le théâtre.

Un défoncement entrepris cet hiver dans une partie de ce terrain appartenant naguères à M. Verdollin, et aujourd’hui à M. Juste, est venu confirmer l’existence d’un cimetière en cet endroit, mais il a amené en même temps d’autres découvertes fort inattendues.

Les fouilles commencées à l’est dans la partie la plus déclive du champ, immédiatement au dessus do la prairie qui longe le ruisseau, et poursuivies dans la direction du nord, ont mis au jour des substructions assez importantes et dont quelques-unes devaient appartenir à des murs d’une élévation considérable, car leur épaisseur atteignait jusqu’à 0m 90. Ces substructions, en moellon relié par un mortier d’excellente qualité, ne présentaient pas, à ce qu’il parait, d’appareil bien caractérisé ; sur certains points, elles semblaient avoir été bouleversées pour en extraire des matériaux ; j’ai remarqué parmi ceux provenant de leur démolition quelques pierres de petit appareil, mais il est évident qu’elles n’entraient que par accident dans la maçonnerie.

Au milieu de ces substructions et à une faible profondeur, 0m 25 à 0m 30 au dessous du sol, on a relevé de nombreux lambeaux d’une aire établie sur un lit de béton et formée de très petits fragments de pierre dure noyés dans le mortier ; c’est absolument le mode de parquetage si usité aujourd’hui pour les vestibules et les salles à manger et que l’on désigne parfois improprement sous le nom de mosaique. Cette aire s’est présentée sous forme d’une bande allongée et assez étroite courant du nord au sud. En contact immédiat avec elle, gisaient des plaques de ciment finement dressées et colorées on blanc ou en rouge, le côté peint on dessous, évidemment des portions d’enduit provenant d’un mur renversé. On a vu de ces plaques qui étaient ornées d’une suite de petits ronds.

Eu descendant au-dessous de l’aire en des points ou celle-ci avait été trouvée intacte on a rencontré un certain nombre de squelettes, que nul objet n’accompagnait. Ces squelettes avaient la tète au nord et les pieds au midi. J’insiste sur la circonstance, bien établie, semble-t-il, que l’aire en cailloutage n’avait pas été crevée pour pratiquer ces sépultures, d’ou cette conséquence, qu’elles étaient antérieures à la construction de l’aire elle-mème.

D’autres massifs de maçonnerie, provenant aussi de parquets, ont été mis au jour par les fouilles : dans ceux-ci les éclats de pierre sont remplacés par des fragments de briques ; c’est 1’opus signinum antique. A l’intérieur de ces ruines et dans tout le terrain environnant, les débris céramiques abondent. Ce sont des briques demi-circulaires, de 0m 22, 0m 23, et 0m 27 de diamètre, sur 0m 05 d’épaisseur, ayant appartenu à des colonnes; des carreaux d’hypocauste ; des tuyaux carrés de chaleur, aux parois minces et striées extérieurement pour retenir les enduits ; des tuiles à rebords dont quelques unes presque intactes ; des tuiles creuses, imbrices, dont plusieurs aussi presque entières, chose assez rare ; des vases de toute forme et de toute dimension, terrines, unies, coquelles à trois pieds, olloe, écuelles, etc., d’une excellente fabrication et qui, à en juger par leur pate et leur forme, doivent provenir de la poterie gallo-romaine découverte à deux kilomètres de là dans le clos de M. Messant, à Montverdun (1). Quelques pièces sont bronzées à la poussière de mica, d’autres sont d’une couleur cendrée, plusieurs ont été décorées à la roulette. On remarque des fragments de bols à zones blanches et rouges. A la poterie rouge, dite samienne, appartiennent un certain nombre de vases d’un beau galbe : les uns sont unis, d’autres paraissent avoir été ornés de chasses en relief ; une jolie coupe porte une suite de médaillons dont chacun est rempli par une ciste garnie de rubans. Une anse on terre jaunâtre, malheureusement séparée du vase auquel elle adhérait, possède à sa partie supérieure les deux oreilles d’une charnière à laquelle un couvercle mobile était fixé par une goupille en métal, et un crochet saillant destiné à soutenir ce couvercle lorsqu’il était relevé.

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(1) Recueil de mémoires et documents publiés par la Diana. T. IV p . 240.

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C’est la disposition que présente l’oenochoé en bronze de Limes. Mentionnons encore un objet passablement suspect et dans lequel il est difficile de reconnaître autre chose qu’une représentation grossière du phallus.

Un fragment d’amphore fournit l’estampille VR…(VR s(i) ou VR b(ani) ?). Le nom est précédé d’une palme.

Un autre fragment d’un grand vase, probablement un dolium, porte le graffite, TE.

Sur un point de la partie orientale du champ, une amphore haute d’environ 0m 80, sur 0m 42 de diamètre, de la variété appelée seria par le Dictionnaire d’Antony Rich, c’est-à-dire à anses courtes et plates, ventre rebondi et pointe peu effilée, était enfouie debout. (Pl. II, fig. 1). Elle renfermait des cendres probablement humaines, que les ouvriers ont jetées, faute d’en soupçonner la nature ; au dessous, étaient des cailloux du volume d’un oeuf de poule ou de pigeon, au dessus, de petits ossements qui ont été conservés et parmi lesquels on reconnaît parfaitement deux tibias de coq encore munis de leurs ergots. Cette particularité a son importance; ce n’est pas la première fois que l’on rencontre, dans notre pays, des ossements de coq accompagnant des sépultures par incinération. Duplessy, dans son Essai statistique sur le département de la Loire, cite en effet, p. 199, de  » grandes urnes cinéraires  » , découvertes en 1802, dans un lieu que malheureusement il ne précise pas, et dont l’une renfermait des cendres sur lesquelles deux tibias de coq avaient été arrangés on forme de croix. »

A la limite même du champ, en midi, et au bord de la chaussée de l’étang, une autre urne funéraire a été mise au jour, mais les ouvriers, avertis dans une précédente visite, s’étaient abstenus de la vider et nous avons pu, M. l’abbé Lasseigne, curé de Montverdun, M. Eleuthère Brassart et moi, en examiner le contenu. Elle renfermait des cendres à l’état pâteux, mêlées de fines esquilles d’ossements calcinés. Un petit bronze romain, offrande destinée à Caron, était caché au milieu; mais le feu du bûcher et la potasse des cendres l’avaient altéré au point d’en rendre la détermination presque impossible. Toutefois, une vague ressemblance de profil me porterait à l’attribuer à Antonin-le-Pieux. Le vase, du genre olla, a 0m 30 de hauteur sur 0m 235 de diamètre à la panse et seulement 0m 09 à la base; il est de terre commune, mais bien cuite, et d’un profil élégant. Une tuile à rebord, posée à plat, en recouvrait l’orifice. (P1. II, fig. 2).

Près des fondations d’un mur, dans la région occidentale du champ, une seconde monnaie romaine a été recueillie par les ouvriers. C’est un grand bronze d’Alexandre Sévère (222-235), bien conservé : IMP SEV ALEXANDER AVG; sa tête laurée à droite. R. IVSTITIA AVGVSTI; la Justice assise à gauche. En exergue, S C.

Vers l’angle sud-est du champ, en se rapprochant du ruisseau, les débris céramiques se sont montrés si abondants, qu’on a pu croire que là était, à l’époque romaine, un dépôt ou l’on jetait les vases cassés. Il paraît que les substructions se prolongent de l’autre côté du ruisseau, ainsi que dans le champ situé au delà du fossé qui limite au sud-ouest le territoire exploré et qui porte le nom de terre des Sarrasins (sur le cadastre, la Noyerie). Ce nom de Sarrasins s’applique aussi aux prés situés à la téte de l’étang et même, dit-on, à l’emplacement sur lequel ont porté les fouilles.

J’ai remarqué, parmi les matériaux de construction retirés du sol, quelques fragments d’un calcaire blanc étranger au pays et un morceau de marbre appartenant à la variété des brèches rouges et débité en plaque de 0m 045 d’épaisseur.

Un objet assez curieux est une meule en pierre grise, ayant 1m 00 de diamètre, 0m 07 d’épaisseur au centre, et seulement 0m 05 sur les bords. Elle a du appartenir à un moulin à eau.

De longs clous de fer, un ciseau à pierre et diverses ferrailles très oxydées ont été recueillis, mais on ne peut dire avec une entière certitude que ces objets sont antiques. En effet, et c’est la ce qui double l’intérèt des découvertes faites par M Juste, aux antiquités gallo-romaines qui viennent d’ètre décrites, se superposent, ou plutôt se mêlent intimement de nombreuses sépultures chrétiennes d’une époque déjà reculée et provenant de l’ancien cimetière de Saint-Clément.

Ce cimetière était nettement délimité à l’est par un mur dont on a retrouvé les fondations à quelque distance du ruisseau. Son étendue au nord et à l’ouest reste provisoirement indéterminée, le défoncement n’ayant pas encore atteint ces parties.

Le nombre des corps relevés est déjà extrèmement considérable. Les sépultures sont de trois sortes ; les unes dans des auges de pierre ; les autres dans des fosses revètues de dalles ; Ies autres enfin en pleine terre. Les premières et les secondes occupent au nord-est du champ, un quartier distinct, dont l’exploration est à peine commencée et n’a été poussée qu’a une faible profondeur. .Les tombes y apparaissent pressées les unes contre les autres; les sarcophages monolithes y sont mélés aux fosses revêtues qui ne s en distinguent pas à première vue, tant les dalles minces dont elles se composent sont bien ajustées. On se demande si les cercueils de la première espèce, en apparence plus anciens, ne proviennent point des couches profondes du cimetière, d’où ils auraient été retirés pour servir à des inhumations nouvelles. Ils sont en grès gris, de forme quadrangulaire à l’extérieur et à l’intérieur, avec évasement latéral sensible et rétrécissement notable aux pieds. L’un des mieux conservés a présenté ces dimensions : longueur 2m; largeur à la tête 0m 65, aux pieds, 0m 31; hauteur, à la tête 0m 56, aux pieds 0m. 40; le tout extérieurement; creux, à la tête 0m 45, aux pieds 0m 27 ; épaisseur des parois, 0m 05, et 0m 06; ces parois sont taillées à la broche, en arêtes de poisson. Une de ces cuves affleurait presque le sol. Les fosses revêtues sont exactement de la mème forme, si ce n’est qu’elles semblent un peu moins profondes, environ 0m 30 au milieu, et que leurs parois, qui à l’origine avaient dû être montées d’aplomb, se sont inclinées à l’intérieur sous la pression des terres ambiantes. Le fond en est dallé, et les grands côtés sont formés de 2, 3 ou 4 dalles brutes de 6 à 8 centimètres d’épaisseur, posées sur champ. Parfois la pierre est remplacée par des morceaux r de grandes dalles en terre cuite ayant servi à recouvrir un hypocauste. J’ai remarqué deux fosses jumelles présentant une paroi commune. Les couvercles sont des dalles non taillées épaisses de 0m 08 à 0m 10 seulement. La plupart des cuves et fosses revêtues paraissaient avoir reçu successivement plusieurs corps; l’une d’elles ne contenait pas moins de cinq crânes. Elles n’ont rendu d’autre objet que des fragments assez détériorés de poterie du moyen-âge.

Les corps déposés en pleine terre ont la tète protégée par deux pierres brutes, placées de part et d’autre de manière à former un angle dont elle occupe l’intérieur. On a trouvé jusqu’à trois et quatre squelettes superposés à différentes profondeurs et tous intacts, le dernier confié à la terre étant recouvert d’un blocage on maçonnerie qui scellait ces inhumations successives. Cette disposition s’explique par le respect très grand dont les sépultures étaient entourées au commencement du moyen-age. On n’inhumait pas deux fois à la même pince, ou du moins, si l’on renouvelait les inhumations, c’était à des niveaux différents et, naturellement de moins en moins profonds, de manière à ne pas troubler les sépultures antérieures, M. le docteur Noèlas a déjà signalé, il y a longtemps, un autre exemple très remarquable de cette pratique, dans le cimetière abandonné de Maroille, commune de Saint-Romain-Ia-Motte, en Roannais; dans ce dernier cimetière. on observe même plusieurs lits de béton séparant autant de couches de sépultures.

Quelques squelettes se sont montrés dans l’intervalle de certains murs parallèles et assez rapprochés; les ouvriers étaient disposés à y voir des caveaux ou fosses murées. Toutefois, la longueur de ces murs, leur écartement, supérieur à celui qu’auraient exigé de simples fosses, enfin l’absence de cloisons transversales, me portent à croire qu’ils dépendaient plutôt d’un édifice préexistant, peut-ètre de quelque portique. Du reste, il a été bien constaté qu’en divers points les substructions rencontrées dans le champ avaient été entamées pour y creuser des rosses; preuve évidente d’antériorité.

J’ai à peine besoin d’ajouter que sarcophages. fosses revêtues et sépultures en pleine terre sont régulièrement orientés selon la coutume chrétienne. Les corps sont accompagnés fréquemment de vases, un seul d’ordinaire, placés près de la tête. Ces vases, qui accusent nettement le moyen-age, sont en terre noire assez grossière; la forme est trapue et peu élégante, le fond large, l’orifice très large aussi et parfois tréflé. Plusieurs, retirés entiers ou presque entiers, laissaient voir sur leurs flancs des trous percés après la cuisson et

contenaient encore du charbon. Ils avaient évidemment servi à faire brûler de l’encens autour du corps, selon une coutume bien connue. Quelques-uns pouvaient aussi avoir contenu de l’eau bénite. Leurs dimensions sont variables; j’en ai mesuré deux qui avaient 0m 13 et 0m 16 de hauteur. (P1. II, fig. 3).

On signale peu d’autres objets relevés à côté des squelettes. Plusieurs possédaient parait-Il, un couteau, mais aucun de ces couteaux, altérés et désagrégés par la rouille, n’a été conservé. Une rondelle do bronze, d’un diamètre de 15 centimètres est sortie des couches profondes du cimetière. Elle porte, exécutée au repoussé, une décoration d’un caractère assez barbare qui m’engage à la reproduire dans le Bulletin ; des trous, qui durent être originairement, au nombre de six, disposés deux à deux, montrent que cette plaque était fixée assez grossièrement, sur du bois ou du cuir, par des clous. Le centre conserve des traces de soudure ayant servi à fixer une pièce aujourd’hui perdue; une pointe peut-être:;aurions-nous affaire à l’umbo d’un bouclier ou à une pièce du harnachement d’un cheval ? Au témoignage de M. Poyet, le contre-maître qui a dirigé le défoncement, à l’endroit où la plaque en question a été recueillie, gisait un squelette qui avait à son côté un grand couteau. (P1. Il, fig. 4).

Un mort avait emporté dans son tombeau plusieurs coquilles; c’était évidemment un pèlerin.

Je ne puis quitter les fouilles de Saint-clément. dit en terminant M. Durand, sans rendre un hommage mérité. à M. Juste, qui a bien voulu donner des ordres pour qu’elles fussent conduites de manière à permettre toutes les constatations utiles. M. l’abbé Lasseigne, curé de Montverdun, n’a pas rendu un moindre service à la science, en suivant assiduement les travaux, et en levant le plan des substructions découvertes. Lorsque ce plan sera terminé et complété par les résultats des fouilles ultérieures, ce sera un document très précieux et qui permettra peut-être de se faire une idée plus précise du plan général et de la destination de l’édifice, ou des édifices, dont on retrouve les restes. L’ancienne église de Saint-Clément était, selon toute probabilité, voisine du cimetière : faisons des voeux pour que ses vestiges, qu’il serait si intéressant d’étudier, revoient aussi le jour.

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