BD, Tome III, Rapport sur la 52e session du Congrès archéologique de France tenue à Montbrison en 1885, page 195 à 253, Montbrison, 1885.

 

RAPPORT

Sur la 52e session

DU CONGRES ARCHEOLOGIQUE

DE FRANCE

Tenue à Montbrison en 1885,

PRESENTE A LA SOCIETE DE LA DIANA

 

PAR

MM. V. DURAND, E. JEANNEZ et T. ROCHIGNEUX.

 

Le Congrès archéologique de France a tenu cette année sa 52e session on Forez, et a fait à notre Compagnie l’honneur de choisir la salle de la Diana pour siège de ses réunions.

Ces grandes assises scientifiques ont duré huit jours, du 25 juin au 2 juillet 1885. Par les soins de la Société française d’Archéologie. les procès-verbaux des séances et les mémoires produits par divers auteurs seront réunis en un volume enrichi de nombreuses gravures. Mais la tenue du Congrès archéologique de France est un évènement trop considérable, et qui touche de trop près la Société de la Diana, pour que celle-ci n’ait pas désiré en consigner le souvenir dans ses propres annales. Nous venons donc remplir un devoir envers elle, non moins qu’envers nos aimables et érudits visiteurs, en retraçant en quelques pages les conférences et les excursions dont le Forez vient d’être le sujet et le théatre.

De nombreux savants, tant étrangers que Français, avaient répondu à l’appel de la Société Française d’Archéologie et de son éminent directeur, M.le comte de Marsy. Parmi les hôtes distingués qui ont bien voulu favoriser notre pays de leur présence, pendant ces quelques jours trop vite écoulés, nous citerons M. Bourbon, architecte à Lyon, M. Bulliot, président de la Société Eduenne, à Autun, M. Castonnet des Fosses, à Paris, M. Raymond Chevallier; au Bois de Lihus-Moyvilliers, par Estrées-Saint-Denis (Oise), M. le comte de Dion, à Montfort-l’Amaury, Madame la comtesse de Dion, à Paris, M. Paul de Fontenilles, à Cahors, M. Matheus Fournereau, peintre, à Lyon, MM. Francart et Hambye, à Mons (Belgique), M. Gaugain, trésorier de la Société française d’Archéologie, à Caen, M. H.-N. Godfray et M. le colonel S.-F. Wilson, représentants de la Société Jersiaise d’histoire et d’archéologie, dont la Société française a reçu en 1883 la plus gracieuse liospitalité, M. Jamot, architecte, à Lyon, M. le comte Lair, à Blou, par Longué (Maine-et-Loire), M. le comte de Lambertye, à Compiègne, M. La Perche, à Saint-Cyr (Indre-et-Loire), M. Jules de Laurière, secrétaire-général de la Société française d’Archéologie, à Paris, M. Philippe Lauzun, à Agen, M. Bélisaire Ledain, ancien président de la Société des Antiquaires de l’Ouest, à Poitiers, M. Mougin-Rusand, imprimeur, à Lyon, M.Henry Nodet, architecte, à Paris, M. Louis Noguier, bibliothécaire de la Société archéologique de Béziers. , M. Léon Palustre, directeur honoraire de la Société française d’Archéologie, à Tours, M. Piet-Lataudrie, à Niort, M. le docteur Plicque, à Lezoux, (Puy-de-Dôme), M. Anatole de Rouméjoux, au château de Rossignol, par Bordas (Dordogne), M. Georges Tholin, archiviste de Lot-et-garonne, à Agen, M. Emile Travers, à Caen, etc.

Le Congrès comptait en outre beaucoup de membres de la Diana et de Foréziens, parmi lesquels MM. d’Avaize, Barban, vicomte de Becdelièvre, Lucien Bégule, de Billy, Antony Blanc, Maurice de Boissieu, Charles Boy, Eleuthère Brassart, Chaize, vice-président du tribunal de Montbrison, abbé Charnay, Chassain de la Plasse, Auguste Chaverondier, G. Chetard, C. Coignet, E. Coudour, CrozetBarban, E. Déchelette, J. Déchelette – Despierres, J. Desjoyaux, F. Dollîat, P. Donot, J.-B. Dulac, docteur P. Dulac, Alban Durand, Vincent Durand, L. Dusser, J.-J. Epitalon, Ferran, H. Forissier, H. Gonnard, P. Granger, G. Grenot, A. Huguet, C. Jacquet, E. Jeannez, P. Joulin, O. Lafay, abbé Langlois, E. Le Conte, J. Le Conte, C. Maillon, G. de Marcilly, abbé Marsanne, vicomte de Meaux, Miolane, L. Monery, E. Morel, G. Morel, A. de Montrouge, abbé Nesme, comte J. de Neufbourg, L. de Neufbourg, docteur Noêlas, J. Palluat de Besset, E. de Paszkowicz, baron H. des Périchons, Périer, abbé Peurière, abbé Peyron, Philip-Thiollière, A. de la Plagne, Th. de la Plagne, W. Poidebard, J. Poinat, comte L. de Poncins, O. Puy de la Bastie, Révérend du Mesnil, docteur E. Rey, docteur Rimaud, A. Robert, Th. Rochigneux, J. Rony, L. Rony, baron E. de Rostaing, abbé de Saint-Pulgent, chanoine de la Primatiale, délégué de S. Em. le cardinal Caverot, A. de Saint-Pulgent, E. du Sauzey, Soliniac, comte Georges de Soultrait, Testenoire-Lafayette, F. Thiollier, abbé Trabucco, H. de Turge, A. Vachez, Varin, Veilleux Verchère, du Verne, abbé Versanne, wolf, etc.

I.

Séance d’ouverture à Montbrison.

Le 25 juin 1885.

Le jeudi 25 juin 1885, à 3 heures du soir, devant une brillante assemblée qui remplit notre vaste salle, M. le comte de Poncins, entouré du bureau de la Diana, reçoit au pied de l’estrade les membres du Congrès conduits par M. le comte de Marsy, et leur adresse les paroles suivantes :

Messieurs,
En vous souhaitant la bienvenue, notre première pensée sera un remerciement. Vous avez bien voulu, en 18S5, accepter ]e Forez comme but de votre excursion annuelle, la Diana comme siège de vos séances. De ce double choix, nous devons être et nous sommes reconnaissants.
Le Forez n’est qu’une petite province, entourée à toute époque par de puissants voisins ; il a dans l’histoire un rôle plus intéressant qu’éclatant, plus honnète que glorieux. Cependant, placé à l’extrémité du plateau central, au point du plus grand rapprochement de la vallée du Rhône, route de la Méditerranée et de l’Italie, et de celle de la Loire, conduisant dans le coeur des Gaules et de la France, sillonné jadis par les voies romaines, plus tard limite du Royaume nous rappellent la grande patrie, la France, aussi bien que la petite patrie, le Forez. et de l’Empire, tenant à des régions diverses par son climat, ses relations, ses usages, son idiome et ses monuments, le Forez, par ce caractère même de transition entre le Nord et le Midi, vous assurera, nous l’espérons, quelques sujets d’étude dignes de vous.
Notre vieille salle héraldique a déjà reçu de nombreux et de nobles hôtes depuis le jour où le comte Jean 1er, conseiller et ami du roi Philippe le Bel, l’a construite pour y recevoir les Etats de Forez, jusqu’à celui où vous y appelez les Etats-généraux de la science archéologique. Bien des assemblées politiques et religieuses se sont tenues, bien des réceptions et des fêtes ont eu lieu sous cette voute, dont les blasons nous rappellent la grande patrie, la France, aussi bien que la petite patrie, le Forez.
Parmi les honneurs échus à la Diana, nos annales conserveront le précieux souvenir de celui que vous lui faites aujourd’hui.
Mais, nous ne devons pas l’oublier, nous ne sommes pas ici pour vous parler, nous y sommes venus pour vous entendre.
Veuillez prendre possession de notre salle et croire qu’en nous mettant tous avec elle à votre disposition, nous ne regrettons qu’une chose, la brièveté du temps qui ne nous a pas permis de nous mieux préparer à vous recevoir.

Après avoir pris possession de la salle, et désigné le bureau qui doit l’assister, M. le comte de Marsy remercie d’abord ses collègues du Comité permanent de l’avoir élevé à la première dignité de leur compagnie. Il n’a d’autre ambition que de chercher à maintenir la Société française dans la voie ouverte par son illustre fondateur. Succéder à M. de Caumont sera toujours un grand, mais périlleux honneur : il compte, pour lui aider à en supporter le poids, sur l’expérience et le concours amical de M. Léon Palustre, qui a cru devoir résigner ses fonctions de directeur pour se livrer sans partage à son grand travail sur la Renaissance; il compte aussi sur les confrères dévoués qui lui ont été donnés pour collaborateurs: au risque de blesser leur modestie, il en est deux auxquels il tient à rendre un public hommage, ce sont M. Jules de Laurière, secrétaire général de la Société française, et M. Gaugain, qui depuis cinquante ans, remplit les fonctions délicates de trésorier.

M. de Marsy paye tribut de regrets aux membres de la Société française archéologie décédés depuis la dernière session, puis il continue en ces termes :

Mais, messieurs, pardonnez-moi de m’être aussi longtemps étendu sur ces souvenirs. Depuis vingt-cinq ans bientôt, j’ai assisté à un grand nombre de congrès, et les membres que j ‘y ai rencontrés étaient presque tous devenus pour moi des amis.
N’en est-il pas un peu, et, surtout, n’en sera-t-il pas de même pour ceux que nous rencontrons aujourd’hui pour la première fois sur cette terre du Forez, si intéressante pour nos études, si riche en souvenirs historiques et en monuments, si hospitalière enfin, permettez-moi d’ajouter ?
Si, comme je vous le disais en commençant, c’était pour moi, au début, une tâche difficile d’inaugurer ma direction, mes hésitations se sont en grande partie dissipées, lorsque j’ai eu la certitude que nous pourrions nous réunir cette année à Montbrison, et que nous aurions pour hôtes et pour associés dans nos travaux les membres de cette Société archéologique du Forez, qui occupe un rang si élevé parmi les compagnies savantes de nos provinces de France et que tous connaissent sous le nom qu’elle a pris du lieu de notre réunion, la Diana.
La Diana, messieurs, je n’ai pas mission de vous en rappeler l’histoire ; l’un de nos plus savants confrères voudra bien tout à l’heure résumer à votre intention le beau travail qu’il a consacré à cette salle historique, en quelque sorte unique en France. Seulement, laissez-moi vous rappeler que l’étudiant qui, à peine au sortir du collège. appela, il y a plus de quarante ans, sur ce monument, l’attention des lecteurs du Bulletin monumental, n’est autre que M. Anatole de Barthélemy, le savant archéologue dont tous vous avez mis à l’épreuve l’érudition et la complaisance.
Vingt ans plus tard, un homme, dont je n’ai pas à apprécier la vie politique, mais qui fut un des enfants les plus dévoués du Forez, le duc de Persigny, prit à coeur l’oeuvre de la restauration de la Diana, et c’est grâce à ses soins, à son patriotisme forézien, que fut fondée votre Société et qu’elle fut appelée à devenir usufruitière de la salle dans laquelle nous sommes aujourd’hui réunis et à laquelle vous venez de joindre, comme annexe, ce musée lapidaire que vous nous conviez à inaugurer.
Je n’ai pas à rappeler les vicissitudes de la Diana, dont les débuts furent des plus brillants, mais qui, à la suite de tristes événements de notre histoire, fut à la veille de se dissoudre. Le nombre de ses membres était réduit à moins de vingt, je crois, lorsqu’un courageux érudit essaya de redonner la vie à ce corps mourant.
Si nous arrivons a nous retrouver cinquante, notre existence est assurée, disait-il. On dépassa deux cents, et c’est alors que M. Testenoire-Lafayette père remit, avec une rare modestie, ses pouvoirs au comité et demanda que M. le comte de Poncins, l’auteur de ces belles études sur l’histoire des Etats-généraux, voulut bien lui succéder. Il était rassure sur le sort de la Diana et savait que l’oeuvre ne péricliterait pas dans les mains de son successeur.
Il ne m’appartient pas, Messieurs, de vous entretenir des travaux historiques publiés depuis quelques années dans le Forez. L’un de vos confrères a bien voulu accepter de nous présenter ce résumé, et vous savez avec quel soin et en mème temps, quel talent littéraire, il s’acquittera de cette mission.
Cependant, je ne voudrais pas passer sous silence cette oeuvre magistrale, dans laquelle se trouve exposée votre histoire pendant tout le moyen-âge. Nous devons tous des remerciements à M. Régis de Chantelauze, pour la mise au jour de l’ouvrage de la Mure et pour les savants commentaires qui l’accompagnent et qui en font une véritable encyclopédie forézienne.
Si je me permets d’insister sur ce point, c’est que votre rapporteur, M. Steyert, a été l’un des collaborateurs les plus actifs de M. de Chantelauze et que je crains qu’à ce titre il ne s’étende pas assez sur ce monument, dont le manuscrit est conservé dans cette bibliothèque.
C’est la première fois que la Société française d’archéologie tient un Congrès dans le département de la Loire, mais déjà, en 1862, M. de Caumont y avait réuni ses amis dans ces vastes assises appelées Congrès scientifiques et qui groupaient toutes les branches des connaissances humaines. Cette oeuvre, il fallait pour la diriger la puissance créatrice et le savoir presque universel de M. de Caumont : aussi ne lui a-t-elle que peu survécu, mais les deux volumes qui nous restent des travaux de la session de Saint-Etienne méritent d’être consultés.
L’archéologie et l’histoire y formaient une section, et Montbrison fut le but d’une de ses excursions.
Le président de cette section, j’ai été heureux, Messieurs, de l’avoir cet hiver comme compagnon et comme guide dans le premier voyage que j‘ai fat parmi vous, et c’est avec grand plaisir que nous le voyons tous reprendre aujourd’hui la place qu’il occupait si souvent dans les Congrès de notre fondateur. M. le comte de Soultrait n’est pas un inconnu pour les Foréziens Elevé dans cette ville, il n’a jamais cessé de s’intéresser à I‘histoire d’une province longtemps unie au Bourbonnais, sur lequel il a publié de si importants travaux.
A la première séance tenue à Saint-Etienne en 1862, l’un des membres du Congrès lut une étude sur le Forez, qui restera comme le meilleur résumé de l’histoire de cette province.
L’auteur de ce travail, Messieurs, qui faisait alors presque ses débuts comme écrivain, est devenu un de nos orateurs politiques les plus estimés, dont on regrette de ne plus entendre la voix dans le Parlement. Ma1gré les hautes charges dont il a été revêtu, il est resté fidèle au souvenir de M. de Caumont. et il a bien voulu conserver depuis vingt-cinq ans le titre d’inspecteur de la Société française d’Archéologie dans la Loire. Vous voudrez bien lui en témoigner publiquement votre reconnaissance, et je suis sûr d’être le fidèle interprète de vos sentiments en lui demandant de prendre cette place et de présider la séance d’ouverture.
Permettez-moi cependant, avant de remettre la présidence à M. le vicomte de Meaux, de remercier les secrétaires généraux du Congrès, le trésorier et les membres du comité d’organisation, du soin et de l’intelligence avec lesquels ils ont préparé nos travaux et organisé nos réunions.
Merci aussi à vous, Messieurs, qui êtes venus de nos différentes provinces nous apporter le concours de votre science et de votre expérience, pour nous aider à élucider les questions de notre programme.
Merci également à nos confrères étrangers qui veulent bien, chaque année, ne pas reculer devant un long voyage pour venir passer en France une semaine, à la fin de laquelle on ne quitte que des amis et où l’on se sépare en se disant au revoir, à l’an prochain.
Je prie M. le vicomte de Meaux de vouloir bien prendre la présidence.

M. de Meaux remercie M. le comte de Marsy et le bureau du Congrès de l’honneur qui lui est fait : il l’accepte, parce qu’il reconnaît que ce qu’on veut honorer en lui, c’est le disciple et l’ami de M. de Caumont.

M. Henry Gonnard ouvre la série des communications faites au Congrès par une notice sur la salle héraldique de la Diana, siège de ses réunions.

M. Brassart, au nom de M. Steyert, lit un travail sur le mouvement des études historiques et archéologiques dans la région, depuis le commencement du siècle.

La séance est close par la lecture, donnée par M. Brassart, du procès-verbal de la reconnaissance, faite en 1686, des reliques de saint Porcaire, abbé de Lérins, qui furent à cette époque transférées d’un très ancien autel, que l’on voit encore à Montverdun, dans la chasse d’argent où elles sont aujourd’hui et dont Son Eminence le cardinal archevêque do Lyon veut bien autoriser l’ouverture à l’occasion du Congrès.

Le reste de la soirée est consacré à étudier une belle suite de photographies des monuments du Forez, exposée par M. Félix Thiollier dans les vitrines de la bibliothèque de la Diana, et le musée lapidaire et d’antiques inauguré le jour même dans une salle voisine. Plusieurs amateurs ont bien voulu contribuer à remplir les vides encore trop nombreux de cette collection naissante, en dépouillant temporairement .leurs propres cabinets de quelques-unes de leurs pièces les plus précieuses. Nous citerons parmi les objets ainsi exposés :

Par M. Eleuthère Brassart, une suite d’instruments de pierre, trouvés dans l’arrondissement de Montbrison, et des poteries et autres objets provenant des fouilles par lui exécutées au Châtelard de Lijay, commune des Débats-Rivière-d’Orpras.

Par M. Rougier, une collection d’objets retirés du lac du Bourget, poteries noires et rouges quelques-unes très élégantes, outils de pierre, armes et instruments de bronze, dont une magnifique lame d’épée, objets de parure, parmi 1esquels de nombreuses aiguilles à cheveux et un bien curieux pendant d’oreille, en pierre, d’un travail des plus délicats. Une pièce hors ligne est un fragment de terrine en terre noire, avec application d’étain ou d’argent représentant un village préhistorique.

Par MM. Auguste Chaverondier et Vincent Durand, des plans de l’oppidum gaulois du Crêt-Chatelard, commune de Saint-Marcel de Félines ; échantillons des fiches de fer retirées des murailles de cet oppidum ; objets de pierre et de métal, poteries noires et suite de poteries peintes recueillis dans les fouilles pratiquées à l’intérieur.

Par M. Vincent Durand , un plan de l’oppidum du Châtelard de Chazi, commune de Saint-Georges de Baroille, avec fiches de fer provenant de ses remparts ; spécimens de cartes communales au dix-millième portant 1’indication de tous les lieux-dits du cadastre.

Par M. le docteur Plicque, une suite. de vases à couverture rouge, noire, bronzée, décorés de figures en relief obtenues par le moulage, d’ornements posés à la barbotine, ou incus ; poinçons originaux de potiers, etc., le tout provenant des établissements céramiques de Lezoux. Entre ces admirables poteries, une grande terrine rouge et un superbe vase plissé, couleur de bronze, attirent surtout les regards.

Par madame Léon de Saint-Pulgent, plusieurs statuettes antiques de bronze, provenant, croit-on, du mont Isoure.

Par M. Coiffet fils, négociant à Leignieu, le trésor de vaisselle romaine, au nom de Sextus Julius Basilus, trouvé en 1884 à Limes, commune de Saint-Sixte; des vases, des médailles et une cuiller d’argent inscrite, aussi de l’époque romaine, découverts sur l’emplacement du nouveau cimetière de Trelins.

M. le Président du tribunal de Montbrison a bien voulu mettre très gracieusement à la disposition de la Société de la Diana, pour contribuer à la dêcoration de la salle du musée, plusieurs belles tentures d’Aubusson.

Le soir, à 9 heures, dans la salle de la Chevalerie, un punch réunit de nouveau les membres des deux Sociétés.

II.

Deuxième et troisième séances. – Visite de Notre-Dame de Montbrison. – Excursion à Moind.

Le 26 Juin 1885.

La séance du matin s’ouvre sous la présidence de M. le comte de Marsy, qui dépose sur le bureau plusieurs ouvrages offerts au Congrès par leurs auteurs : ce sont la Monographie de la Diana, par M. Henry Gonnard ; le Cartulaire de Saint-Sauveur-en-Rue, celui des Francs-Fiefs du Forez et le Grand Cartulaire d’Ainay, par M le comte de Charpin-Feugerolles, vice-président de la Diana ; la Monographie de Notre-Dame de Montbrison, par M. le docteur Rey ; le Roannais illustré, publié sous la direction de M. Chassain de la Plasse, etc.

M. de Laurière donne lecture d’une lettre de M. le chevalier da Silva, architecte de S. M. le roi de Portugal, qui exprime ses regrets de ne pouvoir assister au Congrès, et annonce que l’archéologie a officiellement pris place dans l’enseignement en Portugal.

M. Brassart lit un mémoire sur les découvertes d’outils de pierre faites dans l’arrondissement de Montbrison. Sa conclusion est que les silex taillés en usage dans notre région se retrouvent avec des formes identiques depuis les âges les plus reculés jusqu’à l’époque romaine inclusivement.

A l’occasion de cette lecture, M. le docteur Plicque tient à faire observer que, selon lui, il n’existe pas d’age de la pierre proprement dit, cet age ne reconnaissant pas de point de départ susceptible d’ètre déterminé., et d’ailleurs n’étant pas clos encore, comme en témoignent les constatations faites de nos jours chez diverses peuplades peu civilisées.

M. Vincent Durand fait une communication verbale sur les monuments mégalithiques du Forez. Les dolmens y sont fort rares. Jusqu’à ces derniers temps, on ne connaissait avec une entière certitude que celui de Balbigny, aujourd’hui détruit, mais dont il reste un excellent dessin. M. Morel a signalé, près de la croix de l’Homme-mort, sur le chemin de Montbrison à Saint-Anthème, un groupe de pierres qui pourrait avoir eu la mème destination. Plus récemment encore, M. Durand a visité et décrit la Pierre-Cubertelle, près Luriec, énorme table de pierre portée sur plusieurs autres pierres debout. On ne doit qualifier qu’à bon escient de dolmens certains assemblages fortuits ou mème intentionnels de grands blocs de pierre brute : il est tel abri rustique, construit de nos jours, qui pourrait être aisément rapporté par un observateur non averti à l’époque préhistorique.

Les menhirs proprement dits sont aussi assez malaisés à distinguer parmi la multitude de blocs dressés plus ou moins verticalement, que l’on rencontre dans certaines parties de nos montagnes. Les textes anciens font connaitre néanmoins un certain nombre de Pierres Fittes. Le Forez est surtout riche en pierres à bassins, cavités naturelles ou artificielles appropriées à un usage religieux. M. Durand cite comme exemples les Pïerres de Saint-Martin, communes de Saint-Georges-sur-Cousan et de Bussy.

Passant ensuite aux centres de population antérieurs à l’époque romaine, M. Durand, au nom de M. Chaverondier et au sien propre, rend compte des fouilles par eux exécutées au Crèt-Chàtelard, commune de Saint Marcel de Félines. Ces fouilles ont amené la découverte des remparts d’un ancien oppidum gaulois, remparts batis en moèlIons non taillés, avec pièces de bois noyées dans le massif du mur et assemblées par de grandes fiches de fer. C’est le mode de construction décrit par César et rencontré au mont Beuvray par M. Bulliot, à Murceint par M. Castagnié et, sur d’autres points encore, par divers observateurs. Dans l’intérieur de cette enceinte, une trentaine de puits ont été vidés; ils ont rendu dee nombreuses antiquités, poteries, meules de moulin en basalte, instruments de fer, et jusqu’à des objets de bois et à des fruits, conservés à l’abri du contact de l’air par l’eau ambiante. Quelques médailles romaines et d’abondants débris céramiques prouvent que le Crèt-Chatelard a continué d’être habité après la conquète.

M. Durand signale à Chazi, commune de Saint-Georges de Baroille, un autre oppidum défendu par un rempart qui parait avoir été construit d’après le mème système. Il décrit ensuite rapidement une troisième et importante station gauloise, celle d’Essalois, commune de Chambles. Cette station, explorée par M. Philip-ThioIlière, qui a libéralement offert au musée de la Diana les objets recueillis dans ses fouilles (1), n’était pas seulement une formidable position militaire : il est permis de croire, si prodigieux est le nombre des poteries et particulièrement des amphores dont on y rencontre les débris, qu’elle était, à l’époque de l’indépendance gauloise, un grand centre d’échanges, où affluaient les produits des vignes de l’Italie et de la vallée du Rhône, importés dans celle de la Loire. Essalois était en effet à peu de distance de la frontière romaine, et la presqu’île du Châtelet, située au pied de l’établissement gaulois, est, de tout le cours de la Loire, le point géographiquement le plus rapproché du Rhône.

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(1) Il nous est impossible, en citant ici le nom de M. Philip-Thiollière, de ne pas exprimer tous nos regrets de la perte récente de cet homme de bien, de cet aimable et dévoué confrère. En le voyant au milieu de nous pendant le Congrès, nul n’aurait prévu qu’il dût être enlevé sitôt à notre affection.

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M. Bélisaire Ledain demande si les puits fouillés au Crèt-Chatelard ne seraient point des puits funéraires. M. V. Durand répond que les belles fouilles de M. l’abbé Baudry les ont beaucoup préoccupés, M. Chaverondier et lui : mais que l’examen le plus attentif n’a pu leur faire reconnaître rien d’analogue aux faits constatés par ce savant explorateur.

D’ailleurs, les puits vidés se remplissent aussitôt d’une eau excellente : ils semblent donc avoir été creusés uniquement en vue de l’alimentation.

M. Durand, continuant sa communication, dit que le Forez possède plusieurs beaux exemples de ces singulières constructions vitrifiées signalées sur plusieurs autres points de la France, en Ecosse et en Irlande : il cite notamment les enceintes de Saint-Alban et de Château-Brûlè, près Villerest.

En ce qui touche les routes gauloises, il exprime l’opinion que, dans l’état actuel de la science, il est difficile d’établir avec certitude le tracé de la plupart d’entre elles. Plusieurs des principales voies romaines du Forez sont cotoyées et comme doublées par des chemins qui paraissent ètre aussi d’une haute antiquité : on peut supposer que quelques-uns au moins de ces derniers représentent des tracés primitifs remontant à l’époque de l’indépendance.

A une heure du soir, visite de l’ancienne collégiale de Notre-Dame d’Espérance, où le Congrès est introduit par M. l’abbé Peurière, curé-archiprètre, au son des orgues tenues par M. Lachmann. Les membres étrangers admirent les belles proportions de cet édifice, son style sévère, mais plein de noblesse, et constatent de nombreux traits de ressemblance avec les cathédrales de Lyon et de Vienne. Ils sont guidés par M. Jamot, architecte de l’église, et M. le docteur Rey ; celui-ci fait l’historique de Notre-Dame et signale les dégâts qui y ont été commis par les religionnaires du XVI e siècle et les iconoclastes de 1793.

La pierre commémorative de la fondation de l’église, posée en 1226 par le comte Guy V, encore enfant, par l’ordre et du vivant de son père Guy IV, et le tombeau de ce dernier, au fond du collatéral nord, attirent d’une manière particulière l’attention des visiteurs. M. Léon Palustre fait remarquer les charmants détails de sculpture que présentent la statue couchée du comte et les anges placés à sa tète et à ses pieds.

Un membre dit que des sculptures de la Renaissance, identiques à celles que l’on voit dans le passage reliant le choeur au collatéral droit, se retrouvent dans d’autres édifices du midi et de l’ouest de la France : cette constatation lui suggère l’idée qu’il devait exister, au XVI e siècle, un équivalent quelconque de nos publications artistiques actuelles, servant d’organe à une école et permettant à des artistes disséminés sur tout le territoire de reproduire simultanément les mêmes détails d’ornementation.

La visite de Notre-Dame se termine par l’examen du trésor de l’église, qui possède notamment deux belles chasubles des XVIIe et XVIIIe siècles. A la sortie de l’édifice, M. de Laurière appelle l’attention des membres du Congrès sur les arceaux appliqués extérieurement à la partie haute des murs du choeur, de manière à accroitre notablement leur épaisseur au couronnement : système qui a pour but de contrebalancer la poussée des voutes, en chargeant les contreforts d’un poids supérieur à la résultante de cette poussée.

Au début de la séance de deux heures, présidée par M. Palustre, M. le docteur Rey donne de nouveaux renseignements historiques et archéologiques sur l’église de Notre-Dame. Il cite un passage du chanoine de la Mure, historien du Forez, d’où il lui semble résulter que la statue couchée du comte Guy IV était jadis supportée par six figures isolées. M. Léon Palustre émet des doutes sur l’exactitude de ce détail:: il est porté à croire que les figures dont il s’agit étaient plutôt sculptées dans des arcatures sur les côtés du tombeau, et fait à ce sujet d’intéressantes remarques sur les représentations du même genre qu’on observe sur les tombeaux du moyen-age. Il résulte de l’étude de ces monuments, et de textes contemporains explicites, que les statuettes ainsi disposées sur les soubassements des sarcophages sont généralement celles des parents. ou amis du défunt.

MM. de Soultrait, de Laurière et Bulliot prennent aussi part à cette discussion.

M. de Marsy communique, au nom de Mgr Barbier de Montault, le texte de l’épitaphe de Claude Eléonore de Lorraine, duchesse de Roannès (sic) morte en 1654, enterrée à Oiron (Deux-Sèvres).

M.Rochigneux lit un rapport sur les découvertes faites depuis 1876 à Moind, sur l’emplacement présumé d’Aquae Segetae. Il regrette de n’avoir pu, faute de temps, joindre à sa description un plan dont il a tous les matériaux ; mais il signale dès à présent l’analogie que les vastes substructions reconnues à Moind semblent offrir avec celles de Sanxay. Malheureusement, la présence de nombreuses bâtisses modernes n’a pas permis, sur bien des points, de pratiquer des fouilles régulières. L’avenir se chargera de combler les lacunes forcées de son travail.

M. de Laurière donne l’analyse d’un mémoire adressé par M. Maire sur des fouilles faites à Saint-Ours (Puy-de-Dôme).

M. le comte de Marsy dépose sur le bureau des dessins faits par M. le lieutenant Espérandieu, d’après divers monuments romains de la Tunisie.

M. Vincent Durand lit un mémoire sur plusieurs anciens autels à rebords qu’il a observés en Forez, ce qui donne à M. Noguier l’occasion d’établir d’intéressantes comparaisons entre ces autels et les monuments du même genre qui existent dans le midi.

M. Rochigneux produit un deuxième rapport sur les découvertes d’antiquités romaines faites depuis 1864, à Chaysieu, entre Moind et Saint-Romain le-Puy.

M. Vincent Durand donne quelques indications sur les monuments que le Congrès doit visiter le lendemain, et lui présente un résumé de la légende de saint Domnin, martyr d’Avrillé (Vendée), dans l’ancien pays d’Herbauge : les reliques de ce saint, successivement transférées à Nouaillé et à Mazerolles (Vienne), puis en 889, à Manglieu (Puy-de-Dôme), abbaye dont relevait le prieuré forézien de Chandieu, paraissent avoir été divisées en deux parts, l’une qui était vénérée dans la cathédrale du Puy, l’autre qui fut apportée à Chandieu; le Congrès verra les restes de la chasse où elles étaient renfermées.

A l’issue de la séance, le Congrès se dirige pédestrement vers Moind. Chemin faisant, on lui indique l’emplacement présumé d’un cimetière antique près de la source Romaine. Il fait une première station devant l’élégant portail de l’ancienne église conventuelle du Palais, ou de Sainte-Eugénie, établie dans les ruines des thermes romains (1). Il visite le jardin de M. Bernaud, où la Société de la Diana a mis à découvert, il y a quelques années, d’importantes substructions, restes d’un édifice dont la splendeur est attestée par les nombreux débris de marbre et de porphyre encore épars sur le sol. Il s’arrête un instant à la maison d’école, bâtie sur l’emplacement de l’église de Saint-Jean, et arrive enfin au château de Moind, dans lequel Il pénètre par une porte du moyen-âge, flanquée d’une haute tour ronde qui sert aujourd’hui de beffroi à l’horloge. L’église de Saint-Julien, située à l’intérieur de l’enceinte, le retient peu de temps, mais le clocher du XIe siècle qui surmonte le transept, et dont des portions sont en appareil réticulé, est examiné avec intérêt.

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(1)D’après la Mure (Manuscrits à la bibliothèque de Montbrison, t. 1er, p. 34), l’église du Palais aurait été dédiée au Saint-Esprit, sous l’invocation de Sainte-Eugénie.

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Le Congrès se rend ensuite dans les vignes situées à l’ouest du village. Là s’élèvent les ruines d’un vaste théâtre, où la Société de la Diana, avec le concours financier de l’Etat et de la Société française d’Archéologie, a fait exécuter en 1883 des fouilles considérables, qui ont permis d’en lever un plan presque complet. Ce plan, dressé avec beaucoup de soin et d’intelligence par M. C. Rochigneux, conducteur des ponts et chaussées, est mis sous les yeux du Congrès et commenté par M. de Laurière, qui, entre autres particularités, fait ressortir l’analogie qui existe entre une petite construction quadrangulaire adossée extérieurement au mur de la scène, et une construction pareille qui occupe la même place dans le théâtre de Sanxay.

La Société de la Diana a trouvé à Moind un précieux auxiliaire en M. Bufferne, instituteur, officier d’Académie : il reçoit les félicitations de M. le directeur de la Société française.

III.

Excursion à Chandieu, Cousan et Montverdun.

Le 27 Juin 1885.

Le lendemain, environ 55 excursionnistes partent on voiture pour Chandieu, où ils pénètrent comme il convient à des archéologues, par la porte munie de créneaux et de machicoulis qui s’ouvre au nord et encadre, d’une manière si pittoresque, les hautes murailles du prieuré et la façade de l’église.

Ces deux édifices formaient jadis ensemble un quadrilatère assez régulier, dont le côté oriental a été démoli en grande partie. Les membres du Congrès remarquent tout spécialement les grandes arcades-machicoulis, retombant sur des contreforts, qui couronnent les murs d’enceinte. Ce système de défense est rare en Forez et dans le centre de la France; il rappelle les murailles du château des Papes à Avignon, et mieux encore les fortifications de l’ancienne cathédrale d’Agde.

La visite de l’église, construite en style roman auvergnat (le prieuré de Chandieu relevait, comme nous l’avons dit plus haut, de l’abbaye de Manglieu on Auvergne), donne lieu à un instructif échange d’observations.

M. Palustre fait remarquer que la disposition insolite des piliers, se projetant en saillie sur la nef centrale, sous forme d’un corps carré qui n’atteint pas la naissance de la voûte, prouve que celle-ci a remplacé une charpente apparente. M Jeannez propose une autre explication. Selon lui, cette saillie rectangulaire des piliers correspondrait aux arcs doubleaux d’une voûte en berceau détruite et remplacée par la voûte actuelle.

Plusieurs membres du Congrès partagent cet avis, et M. le comte de Dion ajoute que l’existence, qui lui semble probable, de ces arcs doubleaux en pierre ne serait pas incompatible avec un berceau en charpente lambrissée, système mixte dont le nord de la France et surtout la Normandie ont possédé de nombreux exemples.

Des trompillons d’un genre original occupent les angles de la coupole centrale; Ils étaient masqués naguères par des planches découpées sur lesquelles étaient peints, en trompe l’oeil, les quatre animaux évangéliques et qui ont été déposées, à l’occasion du Congrès, par les soins de M. l’abbé Marsanne, curé de Chandieu. Celui-ci est vivement félicité d’avoir fait disparaître ces prétendus ornements.

La crypte, dont plusieurs chapiteaux, dessinés par M. Henry Gonnard, ont été reproduits par M. de Caumont dans son Abécédaire d’Archéologie, est l’objet d’une étude particulièrement attentive. MM. Palustre et de Soultrait croient pouvoir affirmer qu’elle est contemporaine de l’église, ou du moins de bien peu antérieure à celle-ci : on ne peut la faire remonter plus haut que l’an 1050.

La visite, trop courte au gré de tous, des monuments de Chandieu, est complétée par l’examen des débris de la châsse en bois sculpté, oeuvre de la fin du XVe siècle, qui renfermait jadis les reliques de saint Domnin.

A huit heures, l’on remonte en voiture et, après avoir passé sous les jeunes fortifications du chateau de Marcilly, qui obtiennent un succès…. d’étonnement, traversé Boên et longé le coquet village de Leignieu, ancien prieuré de bénédictines, puis abbaye do chanoinesses nobles, on arrive en vue du château de Cousan. Sur la plus haute tour flotte la bannière des Damas, d’or à la croix ancrée de gueules. Des salves d’artillerie retentissent en l’honneur du Congrès, qui s’achemine d’abord vers l’église paroissiale, jadis siège d’un prieuré clunisien, puis gravit, par un chemin à lacets, la colline escarpée dont le château de Cousan occupe le sommet.

Le Congrès parcourt ces vastes ruines, où l’on reconnaît des constructions successives du XII e au XVI e siècle, depuis la tour centrale carrée, aux angles arrondis, élevée en maçonnerie grossière qui rappelle de loin l’appareil en arêtes de poisson, jusqu’aux ouvrages percés d’embrasures pour l’artillerie qui défendent le côté de l’ouest. On visite en redescendant la chapelle de Saint-Saturnin, bâtie en dehors de l’enceinte, et l’on se réunit enfin à l’hôtel des Roches, où un repas bien gagné, et surtout bien servi, attend les excursionnistes. Il leur fournit l’occasion de faire connaissance avec les eaux minérales de Cousan, connues des Romains et retrouvées en 1612 par le médecin Claude de la Roue, qui retira quantité de médailles antiques du bassin où elles jaillissaient. Plusieurs autres sources ont été captées depuis, et le Congrès est mis à même d’en comparer les divers crûs.

Au dessert, M. le comte de Marsy remercie les habitants du Sail de Cousan et leur maire, M. Mervillon, de la réception si cordialement empressée que le Congrès a trouvée parmi eux.

Cependant on remonte en voiture et, après avoir traversé Boèn une seconde fois, on descend au pied du cône basaltique qui porte l’ancien prieuré fortifié de Montverdun, aujourd’hui église paroissiale, presbytère et maison d’école. Du haut de la butte, l’oeil embrasse un vaste horizon. A l’est, et à une faible distance, on distingue Saint-Clément.dont le vieux cimetière vient de reparaître au jour ; au midi, le mont Isoure et la Strata Charreteri venant de Montbrison; au soir, le hameau d’Urfé, qui posséda à l’époque romaine un établissement céramique. Au nord, assis près du Lignon et à demi caché par les arbres, apparaît le château de la Bastie, où, sans le vandalisme qui l’a naguères dépouillé de ses plus rares merveilles, les Foréziens auraient été si fiers de conduire le Congrès.

L’église de Montverdun appartient au XII e siècle par ses trois absides et son transept coiffé d’une tour sur coupole, au XVe, par sa nef et son unique collatéral. Elle renferme un précieux autel à rebords, ou furent autrefois conservées les reliques de saint Porcaire, et plusieurs pierres tombales parmi lesquelles le Congrès distingue celle de Renaud de Bourbon, évêque de Laon, puis archevêque de Narbonne, prieur de Montverdun, mort en 1482. Il émet le voeu que cette dalle soit relevée et placée en un lieu où sa conservation soit mieux assurée.

La pièce la plus riche du trésor de l’église est la châsse en argent, don de Mgr Camille de Neuville, archevêque de Lyon, qui contient les reliques de saint Porcaire. Cette châsse est ouverte par M. le chanoine Alexis de saint-Pulgent, délégué de Son Eminence le cardinal archevêque. Il en retire un certain nombre d’ossements, un lemnisque de parchemin portant le nom de saint Porcaire, abbé de Lérins, des portions d’étoffes ayant dû servir à envelopper les reliques, une lance à lame en feuille de saule et munie d’une traverse à sa partie inférieure, qu’une tradition constante désigne comme l’instrument du supplice du saint, une étoffe de velours bleu brodée de fleurs de lys d’or, à la cotice de gueules, dans laquelle cette lance était enveloppée, etc. Les membres du Congrès sont admis à étudier et à photographier ces objets, qui sont ensuite replacés dans la chasse, que M. le chanoine de Saint-Pulgent scelle de nouveau du sceau archiépiscopal.

L’ancien autel placé au rond de l’abside majeure est aussi examiné. La dalle mobile qui lui sert de table est enlevée, et de l’intérieur de la cuve située au dessous sont retirés une curieuse cassette en bois peint, munie d’un manche, et plusieurs fragments d’étoffes; l’un de ces derniers, en soie brochée, d’un dessin fort ancien, a peut-être servi de bourse à reliques.

M. l’abbé Lassaigne, curé de Montverdun, introduit les membres du Congrès dans la partie de l’ancien prieuré qui lui sert de presbytère. Ils y remarquent la galerie extérieure en charpente appuyée au mur du nord, et une belle cheminée aux armes de l’archevêque Renaud de Bourbon, d’argent à la bande d’azur semée de France et chargée d’une cotice de gueules.

L’heure avancée oblige les excursionnistes à renoncer à la visite de Chalain d’Uzore ; ils rentrent à Montbrison à 10 heures du soir.

IV.

Quatrième et cinquième séances. – Visite du musée d’Allard et de la commanderie de Saint-Jean des Prés. – Banquet.

Le 28 Juin 1885.

Le programme n’indiquait ni séance, ni excursion pour la matinée du dimanche. Chacun des membres du Congrès l’emploie donc à son gré. Quelques-uns en profitent pour faire à Chalain d’Uzore la visite qui n’a pu avoir lieu la veille Ils sont reçus avec une exquise bienveillance par madame Rombau dans l’ancien château, qui était aux seigneurs de Cousan ce que la Bastie était à ceux d’Urfé, une maison de plaisance où le luxe des arts remplaçait l’appareil militaire de leur vieux manoir. On admire la salle des fêtes et sa cheminée monumentale, ainsi que les élégants détails d’architecture de la cour d’honneur. Un coup d’oeil est aussi donné à la vieille église romane, ou la table d’un autel à rebords est incrustée dans le pavé.

A une heure du soir, séance présidée par M. le comte de Soultrait, inspecteur général de la Société française d’Archéologie.

M. le baron de Rostaing donne lecture d’un mémoire sur les stations de Mediolanum et Aquae Segetae de la Table Peutingérienne. S’appuyant sur les distances fournies par ce document, il place Mediolanum à Moind, Aquae Segetae à Saint-Galmier et Saint-Galmier gare, et le Forum Segusiavorum à Saint-Symphorien-le-Chateau, d’où il aurait été transféré plus tard à Feurs. M. de Rostaing fait ressortir les avantages de ce système, qui permet d’employer les chiffres de la Table sans leur faire subir de corrections.

M. Vincent Durand reconnait la grande valeur du document connu sous le nom de Table de Peutinger, mais il ne croit pas qu on en doive accepter sans critique toutes les indications ; des erreurs de chiffres ont été constatées : elles doivent d’autant moins nous étonner, que ce précieux monument géographique nous est parvenu à l’état de manuscrit unique, et que ce manuscrit remonte au XIIIe siècle seulement. Ces réserves faites, M.Durand conteste que le système exposé par M. le baron de Rostaing rétablisse l’accord entre les chiffres de la Table et les distances vraies. Il reprend l’examen de la question, et conclut que le nom de Forum Segusiavorum doit être exclusivement réservé à la ville qui s’élevait sur l’emplacement de Feurs ; il pense aussi que la station d’eaux d’Aquae Segetae est mieux placée à Moind qu’à Saint-Galmier.

Sur la même question du programme, M. Brassart lit au nom de M. le docteur Noêlas, une étude sur les anciennes stations romaines de la région. Dans ce travail, qui abonde en détails sur les lieux où des antiquités ont été rencontrées, l’auteur propose de placer Forum Segusiavorum dans la commune de Saint-Clément des Places (Rhone) ; Mediolanum dans la région entre Roanne, Lyon et Feurs, où sont situés Miolan, commune d’Amplepuis (Rhône), et Mollon, commune de Pinay (Loire); Ariolica, à la Roullière, commune de Chenay-le-Châtel (Saône-et-Loire) ; Aquae Segetae à Saint-Galmier; et enfin. Icidmagus à Cusson, commune de Saint-Hilaire-Cusson-la-Valmitte.

M. le docteur Rimaud, après avoir rappelé au souvenir des membres du Congrès un ancien étalon de mesures, en pierre, qu’il ont vu la veille à Cousan, demande qu’un voeu soit émis par le Congrès pour assurer la conservation des ruines de ce château.

M.Palustre dit que, pour le moment, la seule mesure préservatrice pratique est d’empêcher les visiteurs de dégrader intentionnellement ces beaux restes, que le propriétaire, M. Thy de Milly, est lui-même jaloux de faire respecter. Cousan est à l’état de ruine assez bien conservée depuis de longues années ; il peut, si la main des hommes ne s’acharne pas à sa destruction, rester debout plusieurs siècles encore.

M.Vachez signale, dans la chapelle du cimetière de Néronde, une inscription antique au nom de la famille Messala.

M. Travers lit une note de MM. le colonel Gazan et Mougins de Roquefort sur trois autels païens trouvés à Antibes et transformés en autels chrétiens.

M. de Rouméjoux parle d’un Mercure du musée de Périgueux, et d’un autre trouvé à Luchon.

Au nom de M. le lieutenant Espérandieu, M. le comte Lair propose au Congrès de s’associer au voeu émis par la Société des Antiquaires de France et l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, en faveur de la conservation des monuments historiques dans nos colonies.

M. le comte de Marsy revendique pour la Société française et pour son fondateur, M. de Caumont, l’honneur d’avoir pris l’initiative d’une semblable démarche auprès du gouvernement en ce qui touche les monuments de l’Algérie. Il importe d’insister de nouveau, en particulier pour la conservation des monuments épigraphiques, qui serait si peu couteuse, car ils ne demandent qu’un simple abri.

La discussion et le vote de ce voeu sont renvoyés à une séance ultérieure.

M. Vachez lit un mémoire sur les echea ou vases acoustiques Il en étudie l’emploi chez les Grecs et les Romains et dans les édifices du moyen-âge, tant en France qu’à l’étranger. Il signale à cette occasion et met sous les yeux du Congrès des vases acoustiques récemment découverts dans la voûte des anciennes églises de Néronde et de Saint-Thomas-la-Garde. Les églises conventuelles de la Bénisson-Dieu et de Pommiers possèdent aussi des echea. M. Vachez cite un texte formel, tiré de la Chronique des Célestins de Metz, où il est question de poteries placées dans une église en vue d’en accroître la sonorité.

M. Léon Palustre fait observer qu’au moyen-âge, on a construit des voûtes en poterie pour les rendre plus légères.

M. de Laurière ajoute que des amphores ont été disposées sous le sol ou dans les murailles de certains édifices antiques, dans le but de préserver ceux-ci de l’humidité. Il en est ainsi à la maison des vestales à Rome.

MM. Bulliot, de Fontenilles, de Rouméjoux et comte Lair signalent respectivement l’existence de poteries, analogues à celles décrites par M. Vachez, dans des églises des départements de Saône-etLoire, du Lot, de la Dordogne, de la Vienne, et en Touraine.

MM. le comte de Marsy, le comte de Soultrait et Jeannez apportent aussi leur contingent de remarques à cette intéressante discussion.

A l’issue de la séance, le Congrès se rend au musée d’Allard, dont il parcourt rapidement les salles d’histoire naturelle. Il s’arrête plus longuement dans la salle consacrée aux objets de curiosité et d’antiquité, où il remarque particulièrement quelques vases et statuettes de bronze, des armes anciennes, un beau plat émaillé de Limoges, des carreaux émaillés provenant de la Bénisson-Dieu et de précieux fragments de bas-reliefs en marbre venant de Charlieu.

Quelques poteries dites samiennes sont soumises à l’examen de M. le docteur Plicque : il n’y reconnaît pas des produits de la fabrique de Lezoux, mais les croit plutôt sorties des fours de l’Aveyron.

Le Congrès visite ensuite l’ancienne commanderie de Saint-Jean des Prés, dont l’église des XII e et XVe siècles est encore debout, quoique coupée à l’intérieur par des murs et des planchers, et possède de belles inscriptions tumulaires.

A 6 heures et demie du soir, un banquet de plus de soixante couverts réunit les membres du Congrès à l’hôtel Chomer. Au dessert, M. le comte de Marsy prend la parole pour remercier, dans les termes les plus gracieux, la Société de la Diana du cordial empressement avec lequel elle a fait à ses hôtes les honneurs du Forez. « Je bois à la Diana, dit-il, elle se porte si bien, que je n’ai pas besoin d’ajouter, à sa santé. «

Au nom de M. le comte de Poncins, président de la Diana, empêché, M. le vicomte de Meaux répond en ces termes :

Messieurs,
Déjà, à l’ouverture de ce Congrès, le Président de la Société forézienne de la Diana a remercié, comme il convenait, le Président de la Société française d’Archéologie. La petite patrie a salué la grande. Aujourd’hui, je voudrais porter la santé des hôtes nombreux et divers amenés on Forez, grâce à la décision prise, en notre faveur, par la Société française que préside si bien – il vient de faire ici ses preuves – M. le comte de Marsy. Si je ne puis, comme je le souhaiterais, les nommer tons, à tous s’adresse pourtant notre gratitude.
Et d’abord, en notre qualité de Ségusiaves, nous devons nous incliner devant le grand Eduen, l’ambassadeur de la puissante Bibracte, venu pour visiter de lointains alliés, de modestes clients. Habitué comme il l’est à découvrir des trésors dans son opulente capitale, M. Bulliot aurait trouvé, je le crains, notre pays bien pauvre, si du moins il n’avait rencontré, pour lui en faire les honneurs, un autre savant homme, j’allais dire un druide, qui n’est pas indigne de lui.
L’amitié des Eduens n’a pas toujours été pour nous sans inconvénient elle nous a valu l’inimitié de nos redoutables voisins les Arvernes. Heureusement, depuis César, nous avons eu le temps de nous réconcilier. Froissard a raconté comment les chevaliers d’Auvergne et les chevaliers de Forez, chevauchant sur la limite de leur territoire respectif, ont eu en face d’eux les Anglais ; ils les ont fraternellement combattus et peu après a été traité « le mariage du gentil dauphin d’Auvergne avec la fille du gentil comte de Forez. » Arvernes, Ségusiaves, Eduens, nous pouvons désormais choquer nos verres et nous serrer la main.
Mais quel souvenir je viens de rappeler ! Nous avons combattu les Anglais ! Que M. le colonel Wilson nous le pardonne. Il nous le pardonnera, j’en suis sûr, en songeant à la guerre de Crimée ; il s’est lui-même trop bien battu à côté des Français pour leur avoir gardé rancune.
Au surplus, s’il en était besoin, pour nous réconcilier, j’invoquerais la médiation de ses bons voisins, de nos bons amis de Normandie. Que les compatriotes de M. de Caumont me permettent de leur donner ce titre : c’est la seconde fois que ces infatigables investigateurs se sont tournés vers notre province. J’espère que nos anciens hôtes apprendront aux nouveaux à se montrer indulgents pour l’hospitalité forézienne.
Cette hospitalité doit, j’en ai peur, inspirer quelque défiance à un autre visiteur venu aussi d’au-delà la frontière, à M.Francart. Son compatriote, le sire de Baurain, envoyé de Gand à Montbrison par l’empereur Charles-Quint, n’a pu se montrer ici au grand jour ; il est entré la nuit, déguisé, pour aller là-haut, dans une des salles les plus reculées de notre chàteau-fort, traiter de la trahison du connétable. Baurain faisait aux Monthrisonnais l’honneur de redouter d’eux quelque mauvais coup. Mais que M. Francart se rassure : depuis l’époque ou les Belges servaient si vaillamment d’ailleurs et si efficacement Charles-Quint, ils ont acquis en France et jusqu’en Forez, il me sera permis de le rappeler, des alliés, des parents, fiers d’appartenir par quelque côté à cet honnête et noble, sage et libre pays, heureux des occasions qui les en rapprochent. Il faudra seulement qu’en dépit du sire de Baurain, M. Francart laisse M. Palustre prendre possession du Forez au nom du roi François 1er.. Vous savez, Messieurs, que ce prince a chargé M. Palustre de dresser l’inventaire, de donner la description des monuments, des objets d’art de son royaume. M. le comte de Soultrait doit l’introduire à travers les domaines de la maison de Bourbon.
Enfin, Messieurs, vous avez visité hier le pays de l’Astrée. Je ne sais trop si vous avez retrouvé
« Sur les bords ou Lignon paisiblement serpente »
les bergères que célébrait Honoré d’Urfé. Je n’ose vous le demander. Si elles ont disparu, consolez-vous. La plupart étaient « volages « ; c’est Honoré qui nous le révèle et nous avertit que quiconque se fie à l’une d’elles « ne doit point être cru sage « , ajoutant :
« A la fin celui l’aura,
Qui dernier la servira »
Or, tel n’est point, croyez-moi, le vrai caractère du Forézien. Fiez-vous a lui, au contraire : il est constant et tenace ; il sait ne point oublier qui lui témoigne bienveillance. C’est vous dire, Messieurs, la trace profonde que laissera ici votre passage, le souvenir reconnaissant que nous garderons tous de l’honneur fait par vous à notre pays.
Je bois à la santé des hôtes du Forez.

M. Bulliot, président de la Société Eduenne, exprime sa gratitude pour les paroles bienveillantes qui viennent de lui être adressées. « M. de Meaux, dit-il, a voulu me faire un piédestal : je n’en ai point d’autre que le rocher de Bibracte, et je vous y convie tous ».

Plusieurs autres toasts sont portés successivement par M. le chanoine de Saint-Pulgent, délégué de S.Em. le cardinal-archevèque ; par M. Palustre, directeur honoraire de la Société française d’archéologie, qui rappelle ces paroles de l’auteur de l’Astrée : Nous devons cela au lieu de notre naissance et de notre demeure, de le rendre plus honoré et renommé qu’il nous est possible ; par M. Francart, au nom des archéologues belges ; et par M. Godfray, au nom des archéologues anglais.

Le soir, à 8 heures et demie, séance de nuit, sous la présidence de M. le comte de Poncins.

M. le docteur Plicque rend compte des fouilles si intéressantes exécutées par lui à Lezoux et qui ont amené la découverte d’une multitude de fours antiques de potiers et d’une quantité immense d’échantillons céramiques. Il rapporte l’établissement de ce grand centre de fabrication à une époque voisine de l’an 70 de J.-C. Les ateliers de Lezoux devinrent promptement très importants et leurs produits se répandirent dans tout le monde romain. Cette prospérité aurait duré environ deux siècles : une destruction violente et radicale y mit fin, probablement en l’année 269.

M. Bulliot indique les caractères qui distinguent les poteries gauloises qu’il a découvertes au mont Beuvray.

Sur l’invitation du président, et à défaut de M. R. du Mesnil, qui se récuse, M. Vincent Durand donne quelques renseignements sur les monuments qui doivent être visités le lendemain. Il expose, sans prendre parti dans la question, le système développé par M. de Saint-Andéol sur la construction, par parties successives, de l’église de Saint-Rambert-sur-Loire : le Congrès aura à examiner le bien fondé des assertions de cet archéologue.

M. Léon Palustre dit que, contrairement à l’opinion de M. de Saint-Andéol, le clocher occidental de Saint-Rambert parait être plus ancien que la nef qu’il précède.

V.

Excursion à Saint-Romain-le-Puy, Sury-le-Comtal et Saint-Rambert-sur-Loire. – Séance de clôture. Récompenses et allocations votées par la Société française d’Archéologie.

Le 29 Juin 1885.

Le lundi 29 juin, environ cinquante excursionnistes partent de bonne heure pour Saint-Romain-le-Puy, où ils passent à leur arrivée sous un arc de feuillage élevé en leur honneur et sont salués par MM. Portier, maire, et l’abbé Forestier, curé. Une courte visite est faite à l’église paroissiale de Saint-Martin, récemment reconstruite presque en entier, mais qui conserve deux pierres tombales anciennes, l’une qui parait avoir abrité les restes de Jacques de Bouthéon, prieur de Saint-Romain, mort en 1481, elle est en partie fruste; l’autre, en fort bon état, rappelant la mémoire de Balthazar de Rivoire, mort jeune en 1592. On remarque aussi la croix qui s’élève sur la place publique du village. Un cippe romain lui sert de piédestal; malheureusement la face inscrite a été repiquée. Le Congrès s’engage ensuite dans le chemin étroit et grimpant qui conduit à la butte basaltique sur laquelle est bati le vieux prieuré. A mi-hauteur, il fait une courte station devant les ruines de l’ancienne église de Saint-Pierre. Il parvient enfin au sommet, où l’attendent des rafraîchissements préparés par les soins de M. le Maire dans l’avant – nef de l’église de Saint-Romain. Cet édifice, depuis longtemps fermé au culte, et malheureusement trop délabré, est étudié avec un extrême intérêt. La disposition originale du plan, les matériaux antiques employés dans la construction, la crypte, les sculptures des chapiteaux et les vestiges de décoration peinte que conservent les murailles, la ceinture de bas-reliefs qui se développe à l’extérieur, etc., donnent lieu à un échange animé de remarques entre les membres du Congrès.

M Léon Palustre signale comme une chose fort rare la traverse de pierre, souvenir de la poutre de bois primitive, qui sépare le choeur de la nef.

M.Bulliot fait remarquer la singulière analogie qui existe entre un des animaux représentés sur la frise extérieure et le taureau cornupète des monnaies éduennes.

Mais le temps presse, et l’on quitte à regret Saint-Romain pour se rendre à Sury-le-Comtal, où d’autres monuments appellent les congressistes. Après avoir visité l’église, dont le style accuse la fin du XIVe siècle, ils pénètrent dans le château jadis comtal, puis royal, de Sury, passé au XVIIe siècle entre les mains des d’Escoubleau de Sourdis, qui le firent décorer magnifiquement. Une douloureuse circonstance empèche le propriétaire, M. Jordan de Sury, d’en faire lui-mème les honneurs, mais il a donné des ordres pour que toutes les portes s’ouvrent devant le Congrès. Celui-ci se disperse dans ces appartements princiers : il en admire longuement les cheminées monumentales, les boiseries sculptées et les superbes lambris. Plusieurs membres établissent un rapprochement entre ce bel intérieur et celui du château de Montjeu près d’Autun.

Dans une salle du premier étage, que l’on a supposé avoir été le théâtre du tragique évènement connu sous le nom de Danse de Forez (1), une curieuse décoration murale du XlIle ou XIVe siècle fut découverte il y a une trentaine d’années : on y voyait des heaumes alternés avec des écussons aux armes de Forez. Un panneau peint en conserve le souvenir. La mème salle possède un beau triptyque exécuté en 1512 pour Falconnet de Bouthéon, prieur de Saint-Romain-le-Puy.

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(1) Le plancher de la salle des fêtes du château de Sury-le-Comtal s’écroula au milieu d’un bal donné par le comte de Forez à la noblesse du pays. Les chroniqueurs ne sont pas d’accord sur la date de cette catastrophe : le dominicain Claude de Bourbon la rapporte aux temps de Guy IV, vers 1239; le chanoine de la Mure la place sous Jean 1er, en 1313.

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Après le dîner, où M. Portier, maire de Saint-Romain, porte la santé du Congrès, les excursionnistes se remettent en route pour Saint-Rambert, bravant un gros orage qui semble se préparer. Mais le ciel est clément pour les archéologues, et tout se borne à quelques gouttes de pluie, qui ramènent dans l’air une agréable fraîcheur.

Le Congrès se rend directement à l’église jadis conventuelle, aujourd’hui paroissiale de Saint- -Rambert, où il est reçu par M. l’abbé Subtil, curé-archiprêtre. Plus vaste que celle de Saint-Romain, cette église, d’une ampleur austère, n’est pas examinée avec moins de soin dans toutes ses parties.

M. Vincent Durand indique plusieurs débris antiques mis en oeuvre dans la construction : deux inscriptions, malheureusement trop frustes, dont l’une porte les sigles V S L M, et une portion de bas-relief représentant un trophée de boucliers, encastrées dans le mur de façade ; plusieurs cippes ou autels employés comme supports dans le narthex et la sacristie; à quoi il faut ajouter une base de colonne déposée dans le collatéral droit.

M. Bulliot incline à reconnaître aussi une origine antique au bloc de marbre dans lequel est creusé le bénitier placé dans le même collatéral.

Plusieurs membres font remarquer que les énormes arcs-boutants des bas-côtés sont une addition relativement moderne : à l’origine, la nef centrale devait être recouverte en charpente.

L’appareil réticulé qui se montre dans quelques parties de l’édifice, les bas-reliefs d’un style fort barbare, débris peut-être d’une église plus ancienne, qui décorent extérieurement la tour du porche, du côté de l’ouest, et font retour à l’intérieur du côté du sud, enfin l’ordonnance originale des fenêtres de la tour centrale provoquent tour à tour l’attention de nos savants visiteurs.

L’église de Saint-Rambert possède une précieuse chasuble qui a été plusieurs fois décrite, notamment par M. de Caumont. M. l’archiprêtre veut bien la placer sous les yeux du Congrès. Elle est de soie, brochée d’or, et porte des aigles et des lions affrontés; des caractères d’apparence arabe interviennent dans son ornementation.

M. le comte de Marsy pense que ce tissu, difficile à dater et qu’on peut faire descendre jusqu’à la fin du XIe siècle, a été fabriqué en Sicile par des ouvriers chrétiens, mais obéissant à une tradition arabe.

Le Congrès visite ensuite la petite église romane bâtie au nord de l’église principale, et parcourt rapidement les rues de la ville, qui conserve encore plusieurs constructions intéressantes du moyen-âge et de la Renaissance.

Le soir, à 9 heures, séance de clôture du Congrès, présidée par M. le comte de Marsy.

Au début, M. Vincent Durand constate que les objections faites la veille par M. Léon Palustre contre la théorie de M. de Saint-Andéol étaient parfaitement fondées : l’analyse de la construction de l’église de Saint-Rambert semble bien prouver que la tour de l’ouest est plus ancienne que le reste de l’édifice.

M. Palustre décrit sommairement les fresques de Saint-Bonnet-le-Château et indique les principales curiosités de cette ville, que le Congrès doit visiter le lendemain.

M. le président analyse un mémoire de M. Bruguier-Roure, sur les plafonds peints du XVe siècle, dans la vallée du Rhone, et fait ressortir l’intérèt des nombreux dessins qui l’accompagnent.

M. Emile Travers rend compte d’un travail envoyé par M. A. de Florival, sur les représentations de musiciens, au moyen-âge, dans divers monuments du département de l’Aisne. Il y joint l’exposé de ses recherches personnelles, et exprime le voeu que cette question soit plus complètement traitée dans un prochain Congrès.

Plusieurs membres signalent des figures de musiciens ou d’anges musiciens, peintes ou sculptées sur des édifices du moyen~âge : il en existe notamment dans la crypte de Saint-Bonnet-le-Chàteau.

La question du programme relative à Mélusine, la femme moitié serpent, épouse prétendue de Rayrnondin de Forez, seigneur de Marcilly, donne lieu à diverses observations présentées par MM. de Marsy, de Soultrait, etc. Deux questions sont posées au Congrès : Peut-on signaler des représentations de ce personnage fabuleux antérieures au roman de Mélusine, composé an XlVe siècle par Jean d’Arras? Existe-t-il en Forez quelques-unes de ces représentations ?

Aucun des membres présents n’est en mesure de répondre affirmativement à l’une ou l’autre de ces questions.

M. le comte de Marsy fait observer qu’il faut soigneusement distinguer les représentations de Mélusine de celles des Sirènes.

M. Palustre présente un rapport sur l’état des ruines de Sanxay, et les démarches faites pour en assurer la conservation : il a la satisfaction d’annoncer que ces démarches ont abouti, et que les ruines de Sanxay vont prochainement devenir la propriété de l’Etat.

M. le comte Lair donne connaissance d’une délibération du Conseil administratif de la Société française, en date du 28 juin, attribuant, à titre d’encouragement pour la conservation des monuments, plusieurs allocations, parmi lesquelles les suivantes en faveur du Forez :

Pour le placement, dans le vestibule de la mairie de Feurs, d’inscriptions romaines et de bornes itinéraires, par les soins de M. le comte de Poncins …………………… 100fr.

Pour fouilles sur l’emplacement présumé du cimetière de Moind, par les soins de la Société de la Diana, . ………………………………………………………. 100 fr.

Pour relever la dalle tumulaire de Renaud de Bourbon, archevêque de Narbonne, dans l’église de Montverdun ……………………………………………………….. 50 fr.

Pour moulage de bas-reliefs à l’extérieur de l’église de Saint-Romain-le-Puy, dont les épreuves seront déposées dans le musée de la Diana, par les soins de M. Gonnard, . … 100 fr.

Le conseil décerne ensuite les médailles suivantes, en récompense de travaux archéologiques :

Grandes médailles de Vermeil.

1° A M. Léon Palustre, directeur honoraire de la Société française, pour sa publication, la Renaissance en France.

2° A M. Vincent Durand, pour ses travaux archéologiques sur le Forez.

3° A M. Jeannez, à Roanne, pour les résultats obtenus dans la conservation des monuments du Forez.

4° A M. Henry Gonnard, à Saint-Etienne, pour sa Monographie de la Diana et ses travaux sur le Forez.

5° A M. le docteur Plicque, à Lezoux, pour ses découvertes sur la céramique romaine.

Médailles d’argent.

1° A M. Félix Thiollier, à Saint-Germain-Laval, pour ses photographies des monuments anciens du Forez.

2° A M. Rochigneux, pour l’exploration des ruines de Moind et de Chaysieu.

3° A M. l’abbé Bouthillier, vice-président de la Société nivernaise, pour ses travaux sur les arts industriels en Nivernais.

4° A M. Henry Nodet, architecte, pour ses relevés des ruines du château de Najeac (Aveyron).

5°A MM. le colonel Gazan et le docteur Mougins de Roquefort, pour leurs travaux archéologiques sur la Provence.

6° A M. Espérandieu, lieutenant au 17e de ligne, à Béziers, pour ses travaux épigraphiques sur la Tunisie.

Médailles de bronze.

1°A M. Bufferne, instituteur à Moind, pour son concours dans les fouilles de Moind.

2° A. M. Dolliat, à Charlieu, pour la conservation de l’ancien cloître des Cordeliers de cette ville.

3° A M. Servajean, à Ambierle, pour son concours dans la restauration de l’église d’Ambierle.

4° A M. l’abbé Lassaigne, curé de Montverdun, pour la part qu’il a prise à l’exploration de l’établissement céramique de Montverdun et ses constatations archéologiques dans l’ancien cimetière de Saint-Clément.

Avant de lever la séance, qui sera la dernière du Congrès, M le comte de Marsy remercie tous ceux qui ont apporté leur concours à la Société française d’Archéologie. « Quand nous arrivons, dit-il, dans une ville pour y tenir un Congrès, nous y trouvons des confrères ; quand nous partons, nous y laissons des amis. « Ainsi en sera-t-Il de Montbrison et des autres villes du Forez.

M. de Marsy remercie S. Em. le cardinal Caverot d’avoir Introduit dans ses séminaires l’enseignement de l’archéologie : cet enseignement a produit les plus heureux fruits, et c’est à lui sans doute qu’est dû le zèle des ecclésiastiques du diocèse pour la conservation et la restauration intelligente de leurs églises. Ce zèle et ces preuves de bon goût iront toujours en augmentant et on ne verra plus de ces restaurations mal comprises, qui sont parfois plus fatales que des mutilations.

Enfin, il félicite les maires, les instituteurs et les particuliers de notre département qui, jaloux de conserver intact notre patrimoine artistique et archéologique, veillent sur les monuments que nous ont légués nos devanciers et s’efforcent d’arrêter l’oeuvre du temps et malheureusement, il faut bien le dire, l’oeuvre de l’homme, souvent plus nuisible encore que celle du temps.

VI.

Excursion à Saint-Bonnet-le-Château.

Le 30 Juin 1885.

Le 30 juin au matin, les membres du Congrès quittent définitivement Montbrison pour se rendre à Saint-Bonnet-le-Chàteau. Jusqu’à présent, ils n’avaient visité que des localités situées au coeur ou sur les marges de la plaine forézienne ; aujourd’hui, c’est en pleine montagne que les emporte un chemin de fer aux pentes rapides, aux courbes multipliées. Ils saluent en passant la station préhistorique du Pic de la Violette, tout près de la gare de Pérignieu, et quelques kilomètres plus loin, au bord même de la voie ferrée, le dolmen présumé de Pierre-Cubertelle. Bientôt surgit devant eux une petite cité pittoresquement assise sur une haute colline qui commande un immense horizon : c’est Saint-Bonnet-Ie-Château.

La ville est pavoisée. Les joyeuses volées des cloches annoncent l’arrivée du Congrès, qui est reçu à la gare par M. Bouchetal-Laroche, maire, M M l’abbé Langlois, curé archiprètre, et le chanoine James Condamin, professeur à la Faculté catholique des lettres de Lyon, auteurs d’une Histoire de Sant-Bonnet-le-Chateau. Plusieurs membres du Congrès, partis de grand matin de Montbrison, se réunissent à leurs confrères et tous ensemble commencent immédiatement la visite de la Ville.

Nulle en Forez n’a plus fortement retenu l’empreinte du passé. Saint-Bonnet, avec son église haut perchée, ses remparts, ses rues étroites, grimpantes, sinueuses, bordées de vieilles maisons, apparait à l’antiquaire comme une ville de la fin du moyen-âge : on pourrait se croire revenu aux temps de Louis Xl ou de François 1er, si les costumes d’autrefois ne manquaient pas au tableau.

Le Congrès est d’abord conduit à l’Hôtel-Dieu, qui possède un autel attribué au sculpteur Vaneau, un riche rétable, des grilles de fer forgé, d’un excellent travail, une curieuse statue assise de la Vierge et des toiles et tentures anciennes. Il se rend ensuite à l’église, dont la crypte, entièrement peinte à fresque au XVe siècle, I’arrète longtemps. Les principaux événements de la vie du Sauveur et de celle de sa Mère y sont représentés dans une suite de belles compositions, où la naïveté du moyen-âge s’unit à une science déjà avancée du dessin, qui laisse pressentir l’approche de la Renaissance. Le Congrès distingue particulièrement l’Assomption de la Vierge, enlevée au ciel au milieu d’un choeur d’anges musiciens ; son Couronnement dans la Jérusalem céleste; et surtout la grande page, si dramatique et si fortement conçue, du Calcaire.

M. Auguste Chaverondier dit qu’il existe dans le fonds de la Chambre des comptes de Forez, aux archives de la Loire, un titre mentionnant un peintre appelé Louis Vobis, qui habitait Saint-Bonnet en 1416, c’est à dire à l’époque où les fresques de la crypte ont été exécutées : il en est peut-être l’auteur.

Dans l’église supérieure, le Congrès examine un curieux tableau de saint EIoi, qui orne le rétable d’une chapelle latérale, une dalle tumulaire où deux époux sont figurés en bas-relîef, enfin l’élégant portail de la Renaissance qui s’ouvre à l’ouest sur une haute terrasse.

Le caveau sépulcral contenant des corps momifiés est aussi visité, ainsi que la sacristie qui conserve quelques pièces d’orfèvrerie et ornements anciens, mais dont la principale richesse consiste dans la précieuse collection de titres d’archives, manuscrits et incunables, provenant de la congrégation des Prètres sociétaires de Saint-Bonnet.

Cette exploration trop rapide des reliques archéologiques de Saint-Bonnet se termine par un coup d’oeil jeté sur la Porte Châtelaine, au balcon si curieusement surmonté d’une chapelle aérienne de la Vierge, et par une promenade dans les rues, qui permet au Congrès de voir les plus remarquables des façades du moyen-âge et de la Renaissance dont elles sont bordées. Malheureusement, le temps manque pour pénétrer à l’intérieur des maisons, et le Congrès doit se borner à visiter, dans l’ancien hôtel d’Apinac, une salle recouverte d’un superbe lambris à caissons.

A quatre heures, l’on part pour Roanne, en disant adieu à l’arrondissement de Montbrison.

VII.

Excursion à Charlieu et la Bénisson-Dieu.

Le 1er Juillet 1885.

Le 1er Juillet, les excursionnistes, plus nombreux que jamais, partent à la première heure pour Charlieu et franchissent bientôt la ligne idéale qui sépare le midi du nord de la France, les pays de droit écrit de ceux de droit coutumier, la région des toits plats à tuiles creuses de celle des combles aigus. Nous entrons dons une contrée directement soumise à l’influence artistique de Cluny et descendons de voiture devant le porche de l’antique abbaye, puis prieuré bénédictin de Charlieu, dont le portail est un des plus élégants et plus riches monuments élevés sous cette influence au XIIe siècle. Bien que cette magnifique page de sculpture ornementale leur soit amplement connue par les dessins de Viollet-Le-Duc et des archives des Monuments historiques, les membres du Congrès passent plus d’une heure à l’examiner en détail. Des échelles sont dressées contre la muraille et il n’est pas un trait de cet ensemble historié, pas une note iconographique, pas une inscription qui ne soient l’objet d’une scrupuleuse étude.

Le narthex est ensuite visité dans toutes ses parties. On admire les élégantes proportions des arcades du rez-de-chaussée et des fenêtres de l’étage supérieur. M. Jeannez, qui sert de guide au Congrès, appelle l’attention sur les ages respectifs du porche et de l’église, plus ancienne, à laquelle il fut accolé et dont une seule travée encore debout a pu être récemment sauvée d’une ruine totale et imminente. Il explique qu’en 1791, lors de la mise à l’encan des bâtiments de cette primitive église, le portail en avait été muré pour faire du porche un lot distinct : c’est à cette circonstance qu’est du le parfait état de conservation des bas-reliefs du tympan et du linteau.

Plusieurs membres font remarquer l’élégance et l’étonnante finesse de travail des chapiteaux de la nef, qualité qui se rencontre rarement à un pareil degré dans la sculpture d’ornement du Xle siècle.

De l’église, le Congrès passe dans le cloitre, œuvre de la fin du XVe siècle, aujourd’hui privé d’une de ses quatre galeries et qui réclame pour les autres d’urgentes réparations. M. Jeannez, en signalant les six arcades géminées encore existantes du cloître roman primitif, explique que les projets de restauration comportent la réouverture de ces arcades aujourd’hui murées, ce qui mettra le cloître en communication directe avec la vaste salle capitulaire. Celle-ci possède une rareté archéologique : un pupitre en pierre faisant corps avec la colonne centrale qui soutient les retombées des voûtes.

Après avoir visité la demeure des prieurs précédée de son haut portail à machicoulis et protégée par des combles aigus dont la charpente est une véritable forêt, après avoir contemplé sur une des parois de l’ancien réfectoire ce qui reste des peintures murales du XIIIe siècle, dont plusieurs fragments ont été heureusement installés au musée de Cluny, il y a trente ans, par les soins de Mérimée, les congressistes pénètrent dans l’antique donjon roman. Grâce aux efforts d’un des membres de la Diana, ce donjon vient d’être sauvé d’une destruction votée, à deux reprises successives, par la municipalité de Charlieu, et a été classé comme les autres dépendances de l’abbaye au nombre des monuments historiques de France.

Dans l’église paroissiale, le Congrès étudie longuement la suite des 24 stalles peintes qui garnissent les parois du sanctuaire. Suivant quelques excursionnistes, elles sembleraient contemporaines des fresques de Saint-Bonnet-le-Chateau ; opinion qui, soit dit en passant, rencontre de très nombreux contradicteurs. Mais l’heure nous presse, et c’est à la hâte que le Congrès voit, à 1’hotel de ville, une série médiocrement intéressante de tapisseries du XVIIe siècle ; dans la chapelle de l’hôtel-Dieu, un rétable Louis XIV en bois sculpté ; la vaste cheminée crénelée qui orne une des salles de la maison gothique dite des Anglais ; de nombreuses constructions civiles des XIIIe, XIVe et XVe siècles et enfin la porte sculptée, si élégante et si pure de style, du logis des Dupont – Dinechin,, précieuse oeuvre d’art du meilleur temps de la Renaissance.

Au diner, plein d’entrain et fort bien servi, M. le curé de Charlieu et M. le maire ont été invités à prendre place près de M. le comte de Marsy. De nombreux toasts sont portés. M. le comte de Soultrait félicite chaleureusement la Diana et les habitants de Charlieu de la conservation du beau et si curieux donjon abbatial, et il boit à sa prompte restauration, d’ailleurs peu couteuse. M. Jeannez, en remerciant son savant collègue de cette sympathique déclaration, explique que le devis de cette restauration a été établi par l’architecte de l’Etat dans son rapport à M. le Ministre de Beaux-Arts ; il s’élève à la somme d’environ 1.600 francs, et on y pourvoira au moyen de souscriptions pour lesquelles il sera fait appel à toutes les bonnes volontés.

Le Président de la Société française s’associe pleinement aux appréciations et souhaits de M. le comte de Soultrait. Il applaudit à l’idée d’une souscription, en tête de laquelle il inscrit d’office la Société dont il est directeur, pour la somme de cinquante francs, regrettant que la clôture du budget ne permette pas une allocation plus en rapport avec l’importance et l’urgence du sauvetage à opérer.

Le dîner terminé, le Congrès s’achemine rapidement vers le cloitre des Cordeliers, situé en dehors de la ville et où il est courtoisement introduit par M. Dolliat, son intelligent et heureux propriétaire. L’étonnement est général en présence de ces élégantes galeries ajourées, absolument intactes, et d’unanimes félicitations sont adressées à M. Dolliat, dont les soins d’ailleurs viennent d’être publiquement reconnus par la médaille que lui a décernée la Société française d’Archéologie dans la présente session du Congrès. Les archéologues s’arrêtent devant les chapiteaux historiés de l’une des galeries; mais leur attention est surtout captivées par quatre curieux et élégants contreforts d’angle, qui ont mission de contre-buter de grands arcs très surbaissés supportant des nones en pierre. De l’avis unanime, on ne connaît pas en France d’autre exemple de ce détail de construction. Seul, M. de Laurière signale l’existence de contreforts analogues dans le cloître de Bélem en Portugal.

Mais il faut quitter à regret ce délicieux monument et, après une heure de route, nous apparaît la haute flèche du clocher de la Bénisson-Dieu, émergeant du fond d’une plantureuse vallée. Du célèbre monastère b6nédlctin, fondé par saint Bernard, il ne reste que l’église, privée d’ailleurs de son transept et de son abside, dont la destruction paraît remonter à la fin du XVIe siècle.

Ce monument, à trois nefs, est un spécimen très pur du style cistercien, sobre et solide, de la fin du XIIe siècle. Il a été l’objet, l’année dernière, d’importants travaux d’assainissement et de restauration exécutés par le ministère des Beaux-Arts, grâce aux démarches d’un membre de la Diana et sous l’intelligente direction de M. Selmersheim, architecte de la commission des monuments historiques. Il est enfin débarrassé de toutes les adjonctions déplorables dont l’avait affublé le XVIIe siècle ; et il ne reste à réparer que la splendide toiture en tuiles de couleur, tant admirée par Mérimée et Montalembert et qui a pu résister depuis trois cents ans à toutes les chances de destruction, soutenue qu’elle est par. une charpente incomparable, dont tous les chevrons portent ferme avec une inclinaison de plus de 65 degrés !

Le sol de l’église était pavé en carreaux à deux tons, jaune et rouge, incrustés, très variés de dessin : il en reste quelques vestiges près de l’autel du collatéral nord. Les musées de Roanne et de Montbrison possèdent plusieurs de ces beaux carreaux du XVe siècle, aux armes du dernier abbé régulier, Pierre de la Fin, avec la légende : Laus Deo (1).

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(1) C’est à tort qu’à Montbrison, on a coté comme provenant de Charlieu les deux carreaux que le musée d’Allard possède.

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La vitrerie primitive du XIIe siècle, en verres incolores, est encore heureusement représentée par quelques fragments dans les hautes fenêtres de la nef. C’était une simple mise en plomb, mais d’un beau caractère décoratif, en parfaite harmonie d’ailleurs avec l’austérité cistercienne primitive qui proscrivait l’emploi des vitraux peints (1). Trois cents ans plus tard, les fenêtres des collatéraux furent garnies de vitres de moins bon style comme dispositions et chargées de l’écusson polychrome d’Antoine de Lévis, baron de Châteaumorand, deuxième abbé commendataire de notre monastère. Ces armoiries existent encore sur quatre fenêtres du bas-côté nord.

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(1) « Vitreoe alboe fiant, sine crucibus et picturis. » Art. 82 des capitulaires du chapitre de 1134.

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A l’intérieur de 1’êglise, l’attention du Congrès est surtout attirée : par la belIe plate-tombe gravée et absolument intacte représentant Humbert de l’Espinasse, chevalier, mort en 1303, et sa femme, abrités tous deux sous des arcs trilobés ; par une chaire abbatiale à cinq compartiments étagés, avec dais et dossiers en bois, d’un beau travail du XVe siècle ; par un autel roman en pierre sculptée et un autre autel, fort intéressant, qui appartient au XII e siècle par son ornementation à peine visible sous des remaniements et des additions postérieures qu’il convient de supprimer. C’est l’avis que formulent nos plus éminents archéologues.

Après avoir visité dans tons ses détails la chapelle dite des Nérestang, consacrée à Notre-Dame et dont les marbres, les stucs et les peintures, quoiqu’en plein désaccord avec le style général du monument, forment un ensemble d’une réelle valeur artistique et demanderaient de minutieuses et très urgentes réparations, les membres du Congrès sont admis à examiner dans la sacristie plusieurs objets précieux. M. le curé leur montre des parements d’autel du temps de Louis XIII, en broderie sur satin d’un remarquable travail, une pyxide aux armes d’un des abbés, Antoine de Saint-Nectaire, évèque de Clermont, et trois reliquaires en vermeil de formes et d’âges divers. L’un d’eux, très curieux, très ancien, est en forme d’étui cylindrique, avec volet s’ouvrant à charnière pour permettre de voir à l’intérieur la relique protégée par une feuille de mica. Il est orné de cabochons, et contient un doigt de sainte Marguerite, avec l’inscription, SCA MARGARETA, gravée en bons caractères du XIIIe siècle. Enfin, détail intéressant, il est à son extrémité supérieure muni d’un anneau, ce qui permettait de le porter suspendu au cou comme les encolpia de l’antiquité chrétienne.

Pour quelques-uns des visiteurs, il semble résulter de l’examen des lieux qu’un porche abritait l’entrée principale de l’église, ce qui pourrait expliquer l’implantation bizarre, en sens diagonal sur l’angle de la façade, de la haute et élégante tour du clocher, édifiée dans la seconde moitié du XVe siècle. A l’encontre de cette remarque, M.Jeannez explique qu’aucun document ne signale l’existence ancienne d’un véritable narthex, et que le chevronnage de faible équarrissage, dont les trous d’appui dans la muraille sont visibles au dessus du portail, n’abritait très probablement que le prolongement d’un corridor régnant sur toute la facade des bâtiments abbatiaux : simple communication couverte entre ces bâtiments et les logements ou salles d’archives situés dans la tour.

M. Jeannez est chaudement félicité par M. de Marsy et les membres de la Société française, pour le zèle qu’il a déployé durant cinq années, afin d’arriver à la réintégration de l’église de la Bénisson-Dieu au nombre des monuments historiques, à son assainissement et à sa restauration architecturale extérieure. A l’intérieur, tout est encore à faire. La vitrerie, la chapelle des Nérestang, les autels romans, la chaire abbatiale, etc., demanderaient des réparations urgentes, difficiles et coûteuses. Le Congrès confie la réalisation de ces voeux au zèle de la Diana et au patriotisme des Foréziens.

De retour a Roanne, les excursionnistes se réunissent dans la bibliothèque de M. Jeannez jusqu’à une heure très avancée de la soirée.

VIII.

Excursion à 1’Espinasse, Ambierle, Boisy et Saint-André-d’Apchon. – Fin du Congrès.

Le 2 Juillet 1885.

Départ matinal pour Ambierle, en passant par 1’Espinasse, ancienne baronnie située sur les limites des pays de Bourgogne et de Forez, où notre érudit collègue M. le docteur Noelas veut bien se faire notre cicerone.

Une haute et massive tour carrée aux angles arrondis (1), isolée et assise sur une motte artificielle d’un faible relief, est le dernier témoin subsistant de la puissance des seigneurs de l’Espinasse au moyen-âge. Ce donjon, remanié dans ses parties hautes, semble à la plupart des membres de la Société française ne pas remonter au-delà des dernières années du XI e siècle, peut-être même du commencement du commencement du XII e siècle, malgré la présence d’un chaînage en poutres de chêne noyées longitudinalement dans l’épaisseur des murailles qui sont construites en maçonnerie ordinaire à parements grossiers, où M.Noêlas nous fait remarquer de nombreux débris de tuiles à rebords. Plusieurs excursionnistes font en effet observer que les chaînages en bois, si fréquemment usités dans les constructions mérovingiennes et carlovingiennes, ne sauraient faire date, car leur emploi s’est continué jusqu’a la fin du XII e siècle, époque où le fer remplaça le bois.

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(1) La tour centrale de Cousan présente, comme on l’a vu plus haut, le même plan quadrangulaire à angles arrondis : son analogie avec le donjon de l’Espinasse a été signalée au Congrès par M. V. Durand.

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A une très petite distance du donjon s’élève un ensemble de constructions fort endommagées, datant de la fin du XVI e siècle, et qui furent peut-être édifiées pour remplacer l’ancien château détruit durant les guerres de religion. Elles présentent quelques profils et quelques détails intéressants et d’un bon style de la Renaissance ; mais elles sont soumises en ce moment à des essais de restauration qui n’ont pas paru très heureux.

Nous nous hâtons de reprendre la route, qui nous conduit au pied du coteau couronné par l’église du monastère bénédictin d’Ambierle, l’un des plus anciens établissements religieux de notre province, car l’histoire nous le montre déjà richement possessionné au commencement du Xe siècle.

L’église actuelle est une construction de la deuxième moitié du XV e siècle, à la fois sévère et gracieuse, qui fut édifiée d’un seul jet, sans tâtonnements et avec un grand luxe de matériaux. Ses trois nefs sont étroites, mais leur profondeur et leur élévation font illusion sur les dimensions réelles de l’ensemble. C’est, d’un avis unanime, le monument gothique le plus complet et le plus intact qu’ait visité le Congrès dans notre pays de Forez.

L’attention ou plutôt l’admiration des visiteurs est captivée tout d’abord par une splendide et imposante vitrerie, composée de douze verrières anciennes qui garnissent le collatéral nord et les cinq immenses baies de l’abside polygonale. Commandées par le prieur Antoine de Balzac, fondateur de l’église, et toutes timbrées de ses armes, d’azur à trois flanchis d’argent, au chef d’or chargé de trois flanchis d’azur, elles offrent le très rare et peut-être unique exemple d’une décoration aussi importante exécutée à une même date et dans un même atelier. Les membres du Congrès font une étude minutieuse de cette oeuvre aussi puissamment conçue que largement exécutée, oeuvre tout à la fois de grand art et d’art décoratif, où l’harmonie de la coloration s’associe à l’intérêt archéologique qu’offrent les types et les costumes. Et ils applaudissent aux espérances dont les entretient M. Jeannez, d’une réparation nécessaire projetée par la commission des Monuments historiques ; réparation qui comprendrait une remise en plomb générale et la suppression de nombreuses restaurations modernes absolument déplorables.

Une discussion s’engage relativement à la délicieuse piscine sculptée du sanctuaire, et M. le comte Lair nous fait partager sa conviction que l’édicule n’est point intact, comme on le croirait à première vue, mais qu’il lui manque une notable partie du couronnement, en pierre travaillée à jour, qui le surmonte.

On se rend enfin dans le bras nord du transept, où vient d’être installé à demeure, sous un jour biais très favorable, mais peut-être insuffisant, le fameux rétable flamand du XVe siècle, dit tableau de la passion d’Ambierle, dont les peintures ont été l’objet d’une réparation aussi sobre que patiente et consciencieuse, accomplie sur place durant ces cinq dernières années par un peintre lyonnais, M. Odier, qu’avait agréé la commission des Monuments historiques. Grâce aux dons de nombreux souscripteurs foréziens, sollicités par le mandataire de la Diana, initiateur et surveillant de cette délicate entreprise, ce travail fort dispendieux aura pu s’achever sans l’intervention financière de l’administration des Beaux-Arts; intervention promise d’abord, puis refusée, par suite de la résistance des habitants d’ Ambierle à laisser emporter leur précieux triptyque à Paris, où il devait être réparé dans les ateliers du Louvre.

La plupart de nos éminents collègues de la Société française ne connaissaient que de réputation ce chef-d’oeuvre, qui est maintenant proclamé le rival du Jugement dernier de l’hôpital de Beaune.

M.Jeannez explique que l’inscription qui se lit au bas des panneaux est complétée, dans les documents où on la trouve reproduite, par deux vers aujourd’hui disparus, contenant la date de la donation faite de ce monument à l’église d’Ambierle, en 1466, par un officier de la cour de Philippe-le-Bon, le conseiller Michel de Chaugy. Une double question est posée au Congrès : convient-il de rétablir ces deux derniers vers ? à quelle place serait-il préférable de les inscrire ? La grande majorité des assistants répond affirmativement à la première question. MM. de Marsy, Travers, de Soultrait, et beaucoup d’autres membres de la Société française se refusent en effet à admettre, comme le propose M. Palustre, que le vers final de l’inscription existante,

En lan que leglise tesmoigne,

fournisse la date de la donation, en traduisant par monument le mot église, qui se prend toujours à cette époque pour le corps moral, spirituel.. Il est donc entendu que M. Jeannez fera rétablir ce surplus de l’inscription :

Mil quatre cent soixante et six.

Dieu voille quen sa gloire sit.

en caractères identiques à ceux qui existent, et sur la plinthe qui sert de soubassement au rétable.

M.Jeannez expose ensuite les vicissitudes subies par la grande chapelle située à gauche de l’abside, transformée en sacristie depuis 1812 et qui avait été jusqu’à cette date, et depuis plus de quatre cents ans, le lieu de sépulture des seigneurs de Pierrefitte, fief voisin d’Ambierle. C’est une construction un peu plus récente que l’église et qui parait avoir été réédifiée sur les ruines de la chapelle primitive fondée à la fin du XlVe siècle par le cardinal de la Grange, seigneur de Pierrefitte, conseiller du roi Charles V, dont les armes sculptées au-dessus d’une porte latérale sont encore visibles, quoique passablement mutilées.

L’architecte du Ministère des Beaux-Arts officiellement délégué, en 1883, pour visiter l’église et se rendre compte des réparations urgentes, s’est préoccupé de la restitution de cette. chapelle à son état ancien : son rapport est en préparation, et le descendant des derniers seigneurs de Pierrefitte, M. le comte de Champagny, duc de Cadore, membre de la Diana, a promis de contribuer à la dépense pour une somme de quinze cents francs.

Au dîner qui a suivi cette longue visite, M. le comte de Marsy, dans un discours d’adieu, remercie une fois de plus les membres de la Diana qui ont bien voulu se faire les guides du Congrès et tous les Foréziens de leur gracieux accueil. Il les félicite de posséder dans leur province un si grand nombre de monuments intéressants, applaudit chaleureusement aux courageux efforts tentés pour leur conservation et termine son allocution en convoquant tous les archéologues au futur Congrès de 1886, qui doit tenir ses assises à Nantes.

M. Dumoulin, adjoint, au nom de la municipalité d’Ambierle, M. Chassain de la Plasse, au nom des Roannais, prennent successivement la parole pour remercier la Société française de l’honneur qu’elle vient de nous faire en visitant notre pays, et plusieurs toasts sont portés par MM. Bulliot, Jeannez, Travers, etc., à l’union des archéologues et à leurs fréquents revoirs.

On quitte Ambierle pour se rendre à Boisy, dont le puissant donjon commande au loin la plaine Roannaise depuis bientôt cinq siècles, en évoquant le souvenir, resté si populaire en ce pays, de l’argentier Jacques Coeur qui l’habita au milieu dit XVe siècle.

Les hautes constructions du château se dressent autour d’une cour rectangulaire, à laquelle on accède par un portait ogival et un pont fixe jeté sur les fossés maintenant à sec, mais intacts; et tout cet ensemble est imposant et d’un grand caractère.

Des constructions primitives, il ne reste qu’une très haute tour carrée, sans talus et garnie de machicoulis. La toiture et son chemin de ronde avec ses parapets ont disparu et ont été récemment remplacés par une plate-forme et un crénelage un peu fantaisiste. A l’intérieur, les profils des parties de voûtes encore existantes et deux cheminées en pierre, dont une très intéressante par ses claveaux à crossettes, font date pour l’édifice, qui est bien de la fin du XIV e siècle. C’est l’avis de MM. Bulliot, Palustre et de Marsy.

Les autres parties du château qui, par leur style général et leurs détails, appartiennent à la meilleure architecture du XV e siècle, n’ont dû être édifiées pourtant qu’en pleine Renaissance, entre 1500 et 1523, dates extrêmes, par celui qu’on appelait le sire de Boisy Arthus Gouffier, grand-maître de France, l’ami d’enfance de Charles VIII, le précepteur du jeune duc de Valois, depuis François 1er, qui en reçut « le goût royal de l’art et des fêtes. » L’oeuvre ne dut être commencée qu’après son mariage, en 1499, avec Hélène de Hangest, dont les armoiries se retrouvent dans toutes les parties du château et qui en continua probablement la construction après la mort de son mari, survenue en I518 ou 1519. Les travaux, en tout cas, étaient certainement achevés en 1523, époque du séjour du roi François 1er à Boisy et du départ de dame Hélène de Hangest pour. le Poitou, où elle entreprend dès 1524 les plans et construction du célèbre château d’Oiron.

Suivant M. Palustre, cette singularité qu’offre Boisy, d’ une construction gothique si tardivement réalisée, se retrouvait au moins partiellement dans ce même château d’Oiron.

Les membres du Congrès visitent en détail l’aile méridionale du château et son énorme tour d’angle, qui sont en parfait état de conservation. Ils en admirent les combles, avec leur faîtage revêtu de plombs historiés et estampés, où se reconnaît la salamandre, l’emblème donné par Arthus Gouffier à son élève François 1er, et parcourent les chemins de ronde couverts, qui dominent et protègent une ligne régulière de machicoulis ornés de trèfles et d’ogives.

Mais la journée s’avance et le Congrès se dirige vers les ruines du château des seigneurs de Saint- André, situé au pied de la montagne et presqu’en face de Boisy.

Oeuvre de Jean d’Albon, sire de Tournoèl, et de son fils Sacques, connu sous le nom de maréchal de Saint-André, cette somptueuse demeure de la Renaissance, notée par notre chroniqueur Anne d’Urfé comme une des plus magnifiques du pays de Forez, eut l’honneur d’être visitée par le roi Henri II ; et son mobilier artistique, après avoir excité l’admiration d’un fin connaisseur, le cardinal Mazarin, n’a cessé jusqu’à nos jours de solliciter la convoitise des marchands et des amateurs de curiosités.

Une moitié du corps principal reste seule debout. Les murailles en sont encore revêtues de leur parement losangé en briques de deux couleurs, dans lequel sont encastrés de nombreux médaillons-portraits en pierre sculptée, comme c’était la mode générale aux premiers temps de notre Renaissance française. Ils représentent des personnages du temps ou des héros de l’antiquité, et quelques-uns sont très-fins et d’un bon style.

Nous nous hâtons de quitter ces ruines, pour nous rendre à l’église paroissiale, où nous attend un véritable régal artistique. Il s’agit de montrer aux membres du Congrès les verrières du XV1e siècle qui ornent cet édifice, dont l’architecture en gothique de basse époque n’offre d’ailleurs qu’un médiocre intérêt.

La fenêtre centrale de l’abside contient dans sa partie supérieure une copie réduite (et même modifiée par l’adjonction d’une Sainte Madeleine franchement mauvaise) du majestueux Calvaire qui occupe à Ambierle le centre de la vitrerie du sanctuaire. En dessous, sur deux petits panneaux sont figurés : à gauche, le fondateur présumé de l’église, Jean d’Albon, père du maréchal ; à droite, un personnage en costume sacerdotal dans lequel, malgre l’absence de documents précis, M. le docteur Noëlas croit pouvoir reconnaître le curé qui administrait la paroisse au milieu du XVIe. siècle. MM. de Marsy, de Soultrait, Palustre et le comte Lair émottent les doutes les plus sérieux sur cette attribution, qui serait en contradiction avec tous les usages suivis on pareil cas. Il leur semble inadmissible que sur la maîtresse vitre du choeur, à côté du puissant seigneur son père, le maréchal de Saint-André qui commanda très probablement ces peintures, ait placé l’humble curé du village, alors surtout qu’il reléguait son propre portrait sur une fenêtre latérale.

Quoiqu’il en soit, tandis que le panneau de droite n’offre qu’un intérêt très secondaire à tous égards, celui de Jean d’Albon est une page de premier ordre, d’un coloris véritablement éblouissant, du modelé le plus savant et d’une finesse d’exécution qu’explique le concours des nouveaux procédés techniques de peinture sur verre inaugurés par les émailleurs du XVI e siècle. Pour M. Palustre en particulier, le chercheur enthousiaste et savant des oeuvres d’art de la Renaissance, la satisfaction est complète. Devant ce petit chef-d’oeuvre il oublierait volontiers les imposantes verrières décoratives d’Ambierle ! Mais il y est bien vite ramené cependant par la présence de la grande Vierge bleue du Calvaire, dont la reproduction, bien qu’imparfaite, résume la technique et l’inspiration artistique du XVe Siècle.

D’autres vitraux de cette petite église offrent encore un puissant intérêt, notamment celui qui représente le maréchal décoré du collier de saint Michel…. Mais tout cet ensemble demanderait une description détaillée, qui nous entraînerait au-delà des limites de ce compte-rendu.

Nous quittons Saint-André pour reprendre la route de Roanne, où nous nous séparons avec les plus sincères regrets de nos confrères de la Société Française.

Espérons que les membres étrangers du Congrès, qui emportent avec nos cordiales sympathies de nombreuses photographies de nos monuments, voudront bien garder un souvenir indulgent de notre chère Société et de notre petite, mais bien-aimée province. Leur séjour en Forez a été trop court, leur retour y sera une fête. Heureux de la visite dont ils nous ont honorés et pendant laquelle se sont nouées de durables affections, nous ne leur disons pas adieu, mais au revoir !

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