BD, Tome IV, Excursion archéologique à Paray-le-Monial, Autun et Bibracte, pages 51 à 133, Montbrison, 1887.

 

EXCURSION ARCHEOLOGIQUE

DE LA SOCIÉTÉ

DE LA DIANA

A PARAY-LE –MONIAL, .AUTUN ET BlBRACTE

Les 24, 25 et 26 juin 1884.

 

COMPTE – RENDU

Par ED. JANNEZ (1)

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AVANT-PROPOS.

Les grands noms d’Augustodunum, l’Athènes des Gaules, de Bibracte, le puissant oppidum Gaulois exhumé par M.Bulliot, suffisaient sans doute pour promettre un intérêt exceptionnel à l’excursion votée par notre Société dans sa séance du 21 février 1884. Mais nous savions aussi que les Eduens préparaient une cordiale réception à leurs confrères Ségusiaves, et, disons le tout de suite, la distinction et la courtoisie de cet accueil, qui ont dépassé tout ce que nous étions en droit d’attendre, nous ont laissés pénétrés de gratitude pour nos aimables et hospitaliers voisins.

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(1) Pour rédiger, ainsi que nous en avions été chargé, le compte-rendu de cette excursion si importante, il nous avait paru indispensable d’accomplir un second voyage à Paray et à Autun. Le congrès archéologique de Montbrison en 1885 et quelques empêchements personnels nous ont obligé à retarder ce voyage, qui n’a pu se réaliser qu’au milieu de cette année 1886. C’est ce qui explique le retard si considérable qu’a subi ce rapport. Nous en adressons à tous nos collègues nos sincères et humbles excuses, et osons faire appel à leur amicale indulgence. Il nous souvient d’ailleurs que tous déclaraient avoir amassé durant les trois journées d’excursion des souvenirs impérissables. A ce titre, peut-être trouveront-ils qu’ils ne sera jamais trop tard pour préciser et coordonner tant d’impressions neuves et charmantes, tant de doctes et fécondes leçons recueillies par eux sur la terre Eduenne.

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Notre secrétaire, M. Vincent Durand, répondant en notre nom aux paroles de bienvenue que daignait nous adresser Sa Grandeur Mgr Perraud, membre d’honneur de la Société Eduenne, disait que nous venions chercher auprès de nos collègues d’Autun des leçons et des exemples. Nous avons fait ample moisson des unes et des autres, et cette excursion, qui fera époque dans les annales de la Diana, aura noué des liens de charmante confraternité que resserrera bientôt, nous l’espérons, la visite dont nous avons rapporté la promesse.

 

PREMIERE JOURNÉE

MARCIGNY. – PARAY-LE-MONIAL.

CATHÉDRALE D’AUTUN.

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I. De Roanne à Paray.

VOUGY. – Le chemin de fer, après avoir quitté Roanne, nous fait suivre, sur la rive droite de la Loire, l’itinéraire décrit à la fin du XVIe siècle par notre compatriote Papire Masson, dans sa Descriptio fluminum Gallioe. Nous passons devant l’ancien bourg fortifié de Perreux, jadis une des quatre prévôtés de la baronnie de Beaujolais, et qui, fièrement campé sur une falaise à pic, rappelle les castelli de la campagne de Rome. Un peu plus loin sur la même colline, voici d’abord Villeneuve, dont le prieuré relevait de la sacristie de Cluny; puis Vougy et son église récemment réédifiée par l’habile architecte parisien M.Corroyer, qui dirige depuis plusieurs années les travaux de restauration de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Cette nouvelle église de Vougy, placée sous le vocable de saint Bonnet, est une oeuvre absolument fantaisiste, de style lombard mêlé d’inspirations orientales et du XIIIe siècle français. Il y règne un parti pris général de polychromie ; et pour la bâtisse, d’ailleurs très soignée, l’emploi de deux sortes de pierres de tons très tranchés, noir et blanc, rappelle tout à fait l’aspect si étrange de San-Lorenzo de Gènes et de la cathédrale de Sienne. Les trois nefs sont séparées par deux rangs de colonnes trapues, à fûts monolithes, que réunissent des archivoltes en tiers-point dont l’intrados est garni d’un volumineux festonnage : ornementation assez peu recommandable d’ailleurs, car elle voile trop la pureté des lignes. Les voûtes sont remplacées par un berceau brisé en charpente lambrissée et peinte. Quant aux collatéraux, fort étroits et d’un effet perspectif très réussi, ils sont couverts par un plancher plat, que divisent en compartiments rectangulaires de massifs arcs doubleaux, dont la buttée semble imparfaitement maintenue par des contreforts d’une saillie minuscule et d’un mauvais effet extérieur. L’architecte a fait preuve de grande intelligence artistique en consentant à conserver sur le flanc droit de l’abside une ancienne chapelle de la fin du XVe siècle, qui vient d’être enrichie de verrières plus savantes qu’harmonieuses sorties des ateliers de Didron. Elle est garnie de nombreux objets d’art dus au zèle du prêtre distingué qui administre la paroisse, M l’abbé Bernard, et à la munificence du très regretté comte J. de Vougy, dont la belle demeure eut en 1874 la visite de la Diana.

Après avoir traversé la rivière de Sornin, l’antique Somna, près de son embouchure dans la Loire, où se trouvait ce port si fréquenté que Papire Masson mentionne à deux reprises, nous faisons notre entrée en Bourgogne par le joli village d’Ygrande, couronné jusqu’à la révolution par le castel de Troncy, qui appartint à N. Chappuis de la Salle, seigneur de Nervieu en Forez (1).

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(1) Probablement de la famille des Chappuis anciennement possessionnée à la Bouteresse, à Montverdun, à la Bruyère, etc., dans le Bailliage de Forez.

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MARCIGNY. – A Marcigny, première cité importante que nous traversons en entrant dans le diocèse d’Autun, se pressent les souvenirs du glorieux prieuré de dames érigé au milieu du XIe siècle par saint Hugues le Grand et qui, à peine établi, s’acquit une telle réputation de régularité, qu’aucun autre monastère, pas même Fontevrault, n’a réuni autant de personnes illustres des maisons souveraines d’Europe. Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, en est prieure (1) en 1107 (2). La soeur de saint Anselme de Cantorbéry, des filles des rois d’Angleterre, d’Espagne, de toutes les plus puissantes familles de France, de Bourgogne, d’Italie, viennent s’y ensevelir dans l’humilité, et Pierre le Vénérable écrit à Héloise ses regrets de la voir religieuse au Paraclet plutôt que dans la « douce prison « de Marcigny (3). Quand le Prince Noir, fils d’Edouard III d’AngIeterre, un des champions de la guerre de Cent ans, vint en 1366 ravager le Charollais et la Bourgogne, il passa la Loire sur le pont de Marcigny (1b);

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(1) Les supérieures de Marcigny ne portèrent jamais le titre d’abbesse. Saint Hugues avait fait sa fondation pour cent religieuses et il n’y en eut jamais que 99 (Voir la Bibliotheca Clun., col. 1751) ; la vierge sous le titre de Notre Dame Abbesse était la centième, nostra centesima, dit un titre du XIVe siècle mentionné par M. l’abbé Cucherat. Tous les jours on distribuait aux pauvres la prébende de la Vierge, dont l’antique statue crossée et voilée fut détruite par le Hugenot forézien Poncenat, lors du sac de 1562. (Courtépée. Description du d. de B., p.129 et 132).
(2) En 1095, suivant Courtépée.
(3) S..Petri Venerabilis….Epistolarum lib. IV . Epistola XXI. Biblioth. Cl. Col., 852, c. : « … Dilectae scrori Eloyssae Abbatissae …. Utinam te jocundus Marciniaci carcer, cum caeteris Christi ancillis libertatem inde coelestem expectantibus, inclusisset ! »
(1b) Le pont, qui était en bois, fut détruit au XVe siècle par une inondation et n’a pas été rétabli.

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et si notre prieuré n’eut pas à souffrir de cette incursion comme les châteaux et prieuré voisins de Semur et d’Anzy, il le dut sans doute à la mémoire des princesses anglaises dont les corps y reposaient depuis deux siècles. Le prieuré et la ville à laquelle il donna naissance furent fortifiés et devinrent place de guerre dès le XVe siècle; mais tous les ouvrages et bâtiments furent détruits durant les guerres de religion de la fin du XVI e, et vendus en 1791 (2). Il n’en reste aujourd’hui qu’une haute et belle tour, construction curieuse dite Tour du moulin, qui domine encore toute la petite cité brionnaise et la plaine environnante.

ANZY-LE-DUC. – En quittant Marcigny, on peut apercevoir un instant, sur la droite du chemin de fer, le sommet de la belle tour octogone d’Anzy-le-Duc. La celle bénédictine d’Anzy, édifiée en 913, cinq ans après la fondation de Cluny, par le saint moine Hugues de Poitiers, releva toujours de l’abbaye de Saint – Martin – d’Autun. L’église est un riche et très complet monument du XIe siècle, qui, malgré les incursions anglaises et les guerres du XIVe siècle, nous est parvenu dans un état de conservation remarquable (3) et figure depuis 1852 au nombre des monuments historiques.

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(2) Le château de Marcigny consistait en un donjon carré de plus de 30 mètres de hauteur, entouré d’une muraille fossoyée et flanquée de quatre tours. Il fut rasé en 1602. (Courtépée, tome III, page 134).
(3) MM. l’abbé Cucherat et G. Bulliot en ont donné de complètes monographies.

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On y voyait naguères de précieux débris d’anciennes peintures murales (du XIIIe siècle, dit-on), relatives à la vie de saint Jean-Baptiste et de saint Hugues. Elles sont désormais invisibles, ayant subi, il y a quelque trente ans, une complète restauration comme dessin et comme couleurs, c’est-à-dire une réelle transformation! Il serait Intéressant de savoir si l’artiste chargé de ce travail a gardé des calques de l’oeuvre originale.

II. Paray-le-Monial.

Notre voyage n’offre plus d’intérêt jusqu’à la gare de Paray-le-Monial, où la bienvenue nous est courtoisement souhaitée par plusieurs de nos collègues de la Société Eduenne, accourus à l’appel de M. l’abbé Cucherat. Par une insigne bonne fortune, le savant historien de Cluny au XIe siècle veut bien se faire notre cicérone dans sa chère ville de Paray et, en notre nom à tous, nous lui en renouvelons ici nos remerciements.

Tout a été dit, et par des voix plus autorisées que la nôtre, sur ce plantureux Val d’Or que dominent d’une façon si pittoresque les nombreux campaniles et les antiques tours de la petite cité monastique. Asile bénédictin durant tout le moyen-âge, il est devenu, depuis l’installation au XVIIe . siècle des filles de sainte ChantaI, le foyer de la virile dévotion au Sacré-Coeur et le théâtre d’imposantes et populaires manifestations religieuses.

LA BASILIQUE DE PARAY. – Tout a été dit pareillement sur la perle architecturale de Paray, sur cette grandiose église romane où nous nous rendons tout d’abord : merveilleux édifice, comme l’appelait en 1853 M. de Montalembert, qui contribua grandement à en faire décider la restauration.

Les travaux entrepris en 1860 par la commission des Monuments Historiques sous la direction du savant et regretté M. Millet, ont eu notamment pour objet : la reprise des fondations ; la démolition d’un deuxième étage de style ogival ainsi que d’un dôme déplorable qui surmontaient le clocher central, et leur remplacement par une couronne de baies géminées du XII e siècle, surmontée d’une flèche en pierre ; enfin la reconstruction audacieuse des piliers de support du porche et l’établissement de toitures pyramidales sur les deux clochers de façade, qui se terminaient par des combles plats couverts en tuiles creuses lyonnaises.

L’étendue à donner à ce rapport ne saurait comporter une description détaillée, pour laquelle nous renvoyons aux monographies très complètes de Mgr Crosnier et de M. Cucherat. Nous nous contenterons de signaler dans cet ensemble monumental quelques combinaisons architecturales ou décoratives particulièrement neuves et savantes, et qui démontrent une fois de plus que les moines architectes de Cluny furent aussi grands artistes que remarquables constructeurs.

Le plan de l’édifice, qui reproduit dans ses principales dispositions la grande basilique hugonienne de Cluny, est une croix latine de 62 mètres de longueur dans œuvre sur 40 de largeur aux transepts (1),

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(1) Il est intéressant de mettre en parallèle les dimensions des deux églises de Paray et d’autun, avec celles de notre collégiale de Montbrison et de notre primatiale de Lyon.
 
Saint-Lazare D’Autun
Paray-le-Monial
Saint-Jean de Lyon
N. D. de Montbrison
Longueur du Vaisseau
64m 60
62m »
79m »
61m 50
Largeur
21m 50
22m 35
26m »
26m »
Hauteur sous Voûte
23m »
22m 05
32m 50
21m 50
Les Annales Bénédictines de Mabillon donnent à la grande basilique édifiée à Cluny par saint Hugues une longueur évaluée à 137 mètres, une largeur de 40 et 300 fenêtres !

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portant en chef un nimbe orbiculaire formé de trois chapelles absidales rayonnant autour d’un déambulatoire. A l’extérieur, le profil en long présente un étagement de quatre constructions de hauteurs graduées qui s’épaulent les unes les autres, depuis le pied du chevet jusqu’au faite du grand comble. Le sentiment d’une stabilité parfaite et d’une incontestable majesté résulte de cette disposition, où paraît se révéler une intention symbolique qui n’a point échappé à M. l’abbé Cucherat : « Qui ne reconnaîtrait là, dit-il , l’emblème expressif de la hiérarchie du ciel, modèle de la Sainte Église sur la terre ? L’abside semble sortir de terre dans les humbles édicules des chapelles qui lui servent de premiers contreforts ; elle s’élève dans le déambulatoire ; elle monte plus haut pour abriter le sanctuaire ; par les murs et la toiture du choeur elle atteint à la tour octogone qui, avec sa flèche, s’élance elle-même vers les cieux ! »

Le portail latéral qui donne accès dans le transept nord mériterait à lui seul une minutieuse description, ou mieux encore une reproduction photographique. Ce n’est pas l’entrée d’une maison de prière ; c’est plutôt la porte d’un palais oriental. La baie est rectangulaire, avec amortissements sous le linteau et rebords chanfreinés. Elle s’ouvre sous un tore en plein cintre qui retombe sur deux colonnettes couvertes de reliefs d’une exquise finesse. Le tout est inscrit entre deux pilastres cannelés surmontés d’un entablement à arcatures. L’ensemble est en faible saillie sur le nu de la muraille. Par suite, les ébrasements sont peu profonds et les jeux de lumière et d’ombre résultent surtout d’une ciselure serrée et plate, véritable gravure d’orfèvrerie arabe qui recouvre la plupart des membres de ce portail. Cette ornementation ferait à elle seule date pour l’édifice. Elle accuse en effet le milieu du XII e siècle, époque où l’art clunisien qui n’est déjà plus gallo-romain en statuaire, – comme le montrent les porches de Charlieu, d’Autun et de Vézelay, – reste oriental en décoration. Les sujets historiés sont abandonnés de plus en plus (1) pour les entrelacs et dispositions géométriques, auxquels s’ajouteront bientôt les motifs tirés de la flore indigène, qui deviendra dans les monuments du XIIIe. siècle la caractéristique de l’art décoratif français.

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(1) L’édifice de Paray n’offre de sculpture historiée que dans quelques-uns des chapiteaux des piliers de la nef, et les tympans des trois portails en sont totalement dépourvus.

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Le porche. – Quant au portail de façade, d’une ornementation moins fine, moins plate, on y accède par un porche puissant d’une haute valeur architecturale et qui nous a paru constituer un des principaux attraits de la basilique bénédictine.

Son rez de chaussée, dont le plan est un rectangle, s’ouvre sur les côtés par deux arcades, et par trois sur la façade. Six voûtes d’arêtes sont supportées par deux piliers intérieurs sur lesquels l’architecte, aussi téméraire qu’habile, n’a pas craint d’asseoir deux hautes tours surmontant une salle de premier étage voûtée en berceau. Pour résister à cette énorme charge, les deux piliers devaient forcément offrir une section considérable, et le constructeur, tout en satisfaisant à cette condition, n’a pas voulu cependant lui sacrifier l’élégance.

Il a résolu ce double problème en composant ses piliers d’un puissant fût monolithe que cantonnent, sans le toucher, quatre faisceaux de colonnettes engagées les unes dans les autres et serrées par des bagues. Les fûts sont torses ou unis, et garnis de bases ornées et de chapiteaux historiés ou feuillus. Bien que construits en pierre calcaire, ces ouvrages, grâce aux combinaisons de pression savamment calculées par l’architecte roman, conservaient depuis près de 700 ans la plus remarquable stabilité ; mais en présence de quelques signes d’écrasement, M. Millet crut devoir en décider la réédification, téméraire entreprise qu’il accomplit d’ailleurs avec entier succès. Il est essentiel d’ajouter que les dimensions et sculptures originales ont été reproduites avec une scrupuleuse exactitude (1) ; on s’est borné à remplacer le fût central calcaire par un bloc monolithe de granit bleu d’Ambierle en Roannais, dont on sait la résistance.

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(1) Il nous a été donné de comparer; par exemple, aux chapiteaux neufs, quelques’uns de ceux du XIe siècle, qui existent encore, religieusement conservés dans le cabinet d’un collectionneur de Paray, M. Grisard. L’identité est absolue.

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La salle du premier étage ne forme pas tribune sur la nef, mais s’ouvre sur celle-ci par une baie dont l’appui est placé à deux mètres au-dessus de l’aire. Ce fait est intéressant au point de vue de la question, encore incertaine, de la destination de ces membres de nos églises romanes, car il se retrouve à Charlieu, à Autun, et n’apparaît pas cependant à Châtel-Montagne, construction qui se place chronologiquement entre ces deux narthex et celui de Paray.

Quant aux deux tours qui complètent la façade, elles offrent de notables dissemblances; l’une possède deux étages de fenêtres géminées, l’autre trois, et celle-ci, de construction plus récente, témoigne d’un plus grand savoir d’appareilleur et possède une ornementation plus riche et plus avancée.

Les opinions ont varié sur l’âge de ce beau porche de Paray. Quelques archéologues en font une oeuvre du Xe siècle, et ils appuient cette opinion, que nous ne pouvons partager, sur des textes qui ne sont rien moins que concluants.

En effet, il résulte bien des chartes citées par M. Marcel Canat de Chizy, dans son mémoire sur les origines du prieuré de N.D. de Panay, que l’établissement bénédictin du Val-d’Or (1) est fondé vers 970 par le comte Lambert de Châlon ; que la construction du monastère est commencée vers 973 ; – sa consécration solennellement accomplie en 976, – et son union à Cluny en 999. Mais, dans ces textes, il est toujours fait mention du monastère, jamais de I’église, c’est-à-dire d’un monument qui, s’il eût alors existé, aurait incontestablement, par sa valeur décorative et sa dimension (dont le porche actuel permet de se faire une idée ). excité l’admiration la plus retentissante à cette époque de l’an mil, époque de désarroi général, aussi pauvre de constructions élégantes que d’artistes habiles et de ressources matérielles.

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(1) Ce n’est qu’au milieu du XIe siècle qu’apparaît pour la première fois le nom de Paray dans une bulle du pape Etienne IX, en 1057.

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Le silence des annalistes contemporains serait donc inadmissible. M. Cucherat l’explique en disant que durant les 26 ans qui s’écoulèrent de la fondation à l’annexion du monastère, ce dernier n’avait pour le service du culte qu’une chapelle provisoire, que « l’église définitive était en voie de construction et que l’annexion à Cluny apporta plus d’activité à cette grande œuvre…… » Mais ce n’est là, osons-nous le dire, qu’une ingénieuse supposition ; supposition reposant probablement sur cette phrase de Courtépée (1) : « On croit que le comte Hugues fit transporter et rebâtir à neuf le monastère aux portes de la ville et construire une belle basilique consacrée l’an 1004, le 9 décembre… ». Est-ce là un document ? Peut-on y voir autre chose que la simple mention d’une tradition plus ou moins légendaire, dont la valeur historique est d’ailleurs singulièrement compromise par ce fait qu’elle admet comme démontrée l’existence d’une ville de Paray au Xe siècle, hypothèse battue en brèche par les textes et depuis quelque temps complètement abandonnée.

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(1) Description générale et particulière du duché de Bourgogne, tome III, p 53.

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Mais s’il y a absence de preuves précises pour faire remonter à la fin du Xe siècle l’édification de cet antique narthex de Paray, il y a au contraire accord parfait de tous ses caractères architectoniques : science de construction, disposition si hardie et si élégantes des piliers du rez de chaussée, finesse de taille, richesse décorative, etc., pour le dater de la seconde moitié ou tout au plus du milieu du XIe siècle. Il est très vrai que les bases ornées, la décoration compliquée des fûts, d’un usage habituel au XII e siècle, se montrent déjà souvent au siècle précédent (2), mais pas avant la création, en plein XIe siècle, par saint Odilon, des écoles artistiques qui lui permirent l’exécution de travaux considérables, tant au cloître de Cluny que dans les nombreux monastères bénédictins de la région, notamment à Charlieu et à Ambierle. Ces travaux, dont il est amplement parlé dans sa biographie (1b), l’occupèrent durant les derniers temps de sa vie, par conséquent avant 1048, qui est l’année de sa mort (2b). Dans cette détermination chronologique, nous réservons, bien entendu, les étages de la tour nord, d’un âge visiblement plus avancé, c’est-à-dire de la fin du XIe ou des premières années du XII e siècle, époque où s’accomplissaient les travaux de restauration qui donnèrent lieu à un miracle opéré par saint Hugues sur la fin de sa vie, c’est-à-dire avant 1109 (3)

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(2) Colonnes engagées de la nef de Vézelay ; bases ornées dans les deux travées encore debout de l’église du XIe siècle de Charlieu, etc.

(1b) Bibl. Cluniacensis. Vita B. Odilonis,.. a Petro Damiani conscripta, col. 327. – Id. Additamenta, col. 1820.

(2b) Ces conclusions relatives à l’âge du narthex de Paray tirent une force incontestable de sa comparaison avec une autre église à date connue, celle de Tournus achevée en 1019. Entre les deux édifices il y a une certaine analogie dans la disposition générale, dans les façades flanquées de deux tours élevées, disposition que l’architecte de Paray aura pu emprunter et copier. Mais pourrait-on admettre une contemporanéité de construction entre les gros piliers cylindriques, lourds, sans aucune décoration, de Tournus, et ceux dont la conception, aussi originale qu’audacieuse et élégante, fait à Paray l’admiration des hommes spéciaux ?

(3) Bibl. Clun., col. 426. Saint Hugues y est désigné par ces mots : Christi veteranus pius abbas.

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Mais il est temps de pénétrer à l’intérieur de l’église.

Intérieur de la Basilique. – Nous sommes tout d’abord frappés de la hauteur des voûtes et des harmonieuses proportions de tous les membres de l’édifice, qui nous est d’ailleurs parvenu intact et sans retouches. Un rang de ces arcatures aveugles, qui disparaissent dès la seconde moitié du XII e siècle pour céder la place aux triforiums à claires voies adoptés dans l’île de France, forme une décoration plate très ingénieusement conçue pour alléger par un évidement l’espace nu compris entre les fenêtres hautes et les archivoltes, archivoltes dont les arêtes abattues sont chargées d’un rang d’oves enrubannés de l’effet le plus original. Mais sans nous arrêter aux nefs, où se retrouvent les pilastres antiques d’Autun à côté de quelques chapiteaux historiés byzantins, l’arc brisé à côté du plein cintre, nous arrivons en face du sanctuaire de forme ovoïde, qui constitue la partie à la fois savante et merveilleuse de la basilique (1).

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(1) Nous ne pouvons cependant passer sous silence cette heureuse disposition architecturale de l’intérieur, consistant en une ligne continue de petites baies ouvertes dans les voûtes et pourtournant la grande nef et les deux transepts. Elles versent de haut une lumière diffuse et peu intense, mais très égale, d’où résulte certainement la mystérieuse harmonie qui caractérise la basilique de Paray. Harmonie dont nos constructeurs modernes se préoccupent si peu et qui est cependant une des qualités essentielles à chercher pour une maison de prière !

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Le Sanctuaire. – Un rang de baies plein cintre, richement encadrées d’arcatures à billettes, lui fait une lumineuse couronne aérienne, que supportent neuf archivoltes à chanfreins ornés comme dans la nef et retombant sur dix sveltes colonnes d’un galbe et d’une élégance absolument inusités dans l’école romane. Leur stabilité est un chef-d’oeuvre de construction qui vaut à lui seul le voyage de Paray. Cette colonnade, fièrement campée sur un stylobate robuste et très bas, sépare le sanctuaire d’un déambulatoire garni sur son pourtour de bancs en pierre à l’usage des pèlerins qui s’y pressaient pour assister aux cérémonies du choeur, dont la vue ne leur était pas dérobée, comme c’était l’usage avant le XII e siècle, par des clôtures pleines en pierre ou en bois. Jusqu’alors en effet, dans les églises conventuelles, où ne se rendaient qu’exceptionnellement les fidèles devant entendre l’office ordinaire dans la paroisse, il était de règle de clore le choeur et 1’avant choeur par un jubé et des boiseries ou murs latéraux. Les religieux cloîtrés étaient ainsi à l’abri des regards de la foule d’étrangers passant la journée, et quelquefois la nuit, dans les nefs qui leur étaient réservées.

Mais au XIIe siècle, les abbés jugèrent sans doute utile d’exciter la dévotion populaire par la vue des cérémonies et des tombeaux de saints ou de personnages illustres qui garnissaient ordinairement le choeur des églises monastiques. Alors les clôtures pleines cessèrent d’être en usage. C’est à cette innovation qu’est très probablement due l’érection de l’admirable colonnade du sanctuaire de Paray.

Lorsqu’au siècle suivant, le rétablissement des hautes clôtures pleines autour du choeur des cathédrales redevint habituel, ainsi que l’expose l’évêque de Mende dans son Rational, les monastères qu’on édifia reproduisirent cette disposition, dont l’église de la Chaise-Dieu, reconstruite au milieu du XIV e siècle, nous offre un magnifique exemple .Mais dans les églises anciennes comme à Paray, où il était impossible de rétablir des clôtures fixes, on y suppléa sans doute par ces voiles ou courtines décrites dans le Rational et suspendues à des cancels de fer installés dans les entre-colonnements.

Comme pièces intéressantes ou précieuses de l’ancien mobilier, il faut citer un devant d’autel en pierre, que son ornementation réticulée semble dater du XIIe siècle et fait ainsi contemporain de la construction .Un grand bénitier en lave de Volvic, joli morceau de la Renaissance, rappelle par son travail décoratif la fontaine monumentale bien connue de Clermont. Il est timbré comme elle aux armes de Jacques Il d’Amboise, successivement abbé de Junièges, de Saint-Allyre et de Cluny.

Relativement à l’âge de cette église de Paray, il n’existe pas de textes précis. Notre guide, M. l’abbé Cucherat, s’aidant de quelques déductions historiques, en fait honneur au XIIIe siècle. Cette conclusion nous paraît être en contradiction avec la plupart des détails architectoniques du monument, qui semblent le dater du milieu du XII e siècle un peu après la cathédrale d’Autun, achevée en 1140. Il convient d’ajouter que cette opinion est celle de Viollet-le-Duc et des architectes chargés de la restauration récente. Courtépée nous a conservé deux vers qu’on lisait autrefois sur une des parois intérieures :

Stet domus haec,donec fluctus formica marinos

Ebibat, et totum testudo perambulet orbem.

Si c’est l’architecte roman qui a inspiré ces vers, il avait une haute idée de la solidité de son œuvre !

Beaucoup d’entre nous ne peuvent quitter ce majestueux édifice sans le revoir, dans de récents souvenirs, envahi par l’immense foule de trente mille pèlerins accourus, en 1873, de tous les points du pays, pour appeler le secours divin sur la France meurtrie. Les oriflammes de toutes formes, de toutes nuances, garnissaient le sanctuaire du sol jusqu’aux voûtes ; les chants, 1es prières à haute voix emplissaient les nefs ; et comme aux grandes heures du moyen-âge, l’église était redevenue, durant le jour et durant la nuit, la demeure des voyageurs chrétiens enthousiastes et ravis.

PALA1S ABBATIAL. – Par suite de l’annexion du prieuré de Paray à la mense de Cluny, en 1243, sous le gouvernement de Pierre de Chastelux, seizième abbé, et le pontificat de Clément VI (1). les abbés, étant devenus seigneurs du lieu, leurs visites et leurs séjours y furent de plus en plus fréquents. De là, nécessité d’une demeure en dehors de la clôture des moines. Jean de Bourbon, l’an 1480, en commença la construction, qui fut achevée par Jacques II d’Amboise, son successeur à Cluny. De ce premier palais abbatial, il ne reste aujourd’hui qu’une haute tour, à l’est du château relativement moderne qui l’a remplacé il y a moins de deux siècles ; château vaste, mais sans caractère, où durant le séjour qu’y fit malgré lui le fier cardinal de Bouillon, au commencement du XVIIIe siècle, se donnait rendez-vous toute la noblesse du pays et des provinces voisines de Forez et de Beaujolais, ainsi qu’en témoigne ce sixain que nous empruntons à M. l’abbé Cucherat (2).

Le noble château de Paray
De noblesse est tout entouré;
De noblesse plus ou moins riche :
Des Champron, d’Amanzé, Foudras,
Des Ragny, Montperroux, la Guiche,
De toutes sortes de Damas.

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(1) Bien antérieurement à cette date, comme cela se voit par une constitution de l’abbé Yves, citée dans le Bullarium Cluniacense, les abbés de Cluny jouirent de certains droits personnels à Souvigny, à Ambierle, à Paray ; mais l’union de Paray à la mense abbatiale ne fut définitive qu’au milieu du XIVe siècle.
(2) Les Saints pèlerinages de Paray-le-Monial et de Verosvres, par M.F. Cucherat, p. 142.

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LA CHAPELLE DU SACRÉ COEUR. – A peu de distance de la basilique bénédictine, nous entrons dans la célèbre chapelle du monastère de la Visitation, où prit naissance au XVIIe siècle la dévotion au Sacré Coeur. On en sait les circonstances. Les négations de Calvin et les exagérations de Jansénius éloignaient de plus en plus les peuples catholiques du foyer de la miséricorde concentré dans l’Eucharistie. C’est alors qu’au milieu de ce refroidissement général, Dieu suscite une vierge française, l’humble fille de Verosvres, comme au XVe siècle il avait envoyé à la France et à la religion les vierges de Domremy et de Corbie, et il lui donne mission de ranimer dans le monde la foi à l’amour infini du Christ, à la prodigieuse folie de la Croix !

En mai 1626, les filles de sainte Chantal et de saint François de Sales, associées sous la règle de saint Augustin, étaient venues fonder une maison de prière à Paray, sur l’appel et « la remontrance adressée à Monseigneur le Reverend evesque d’Ostung, par les scindic, eschevins et habitans catholiques de Paray ». C’est dans ce couvent, qu’en 1674, une humble visitandine, Marguerite- Marie Alacoque, fondait le culte du Sacré Coeur, entrevu déjà au moyen-âge par sainte Catherine de Sienne et sainte Lutgarde. Parmi les premières supérieures de ce monastère figurent plusieurs filles de familles foréziennes : Anne-Eléonore de Lingendes, qui fait édifier en 1636 la chapelle et ses dépendances; Catherine de Lévis-Châteaumorand, prieure en 1676; Anne-Elisabeth de la GardeMarzac, compagne de noviciat de Marguerite-Marie, etc.

En venant à Paray installer la nouvelle maison de son ordre, sainte Chantal visita notre province de Forez. Montbrison lui fit une réception solennelle, consignée dans un manuscrit contemporain conservé au couvent de la Visitation de Lyon. Il y est dit que sainte Chantal avait, de cette réception et du bon esprit des habitants, conservé un si bon souvenir, qu’avant de mourir elle chargea sœur Réal, de Saint-Etienne, de venir fonder une Visitation à Montbrison, mission que celle-ci s’empressa d’exécuter (1).

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(1) Un vitrail moderne, assez médiocre d’ailleurs, a été placé dans l’église Notre-Dame à Montbrison pour consacrer le souvenir du passage de sainte Chantal.

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HOTEL-DE-VILLE. – Parmi les constructions civiles anciennes, assez rares d’ailleurs à Paray, la maison de ville, oeuvre du XVIe. siècle, attire à bon droit l’attention des excursionnistes par sa façade, trop surchargée peut-être, mais très originale. Trois frises, séparant les étages, sont ornées d’une profusion de médaillons à personnages, de jolis pilastres et de coquilles étalées au dessus des linteaux des croisées. Cet ensemble est divisé, à partir du rez de chaussée, en deux compartiments symétriques, au moyen de trois tourelles très fortement engagées, par suite peu saillantes, embryons d’échauguettes portées sur des encorbellements de pierre. L’effet décoratif de ces corps arrondis est d’un bon goût contestable ; on les retrouve bien à Nevers sur la façade du palais ducal, mais avec un relief plus considérable.

Une longue inscription en minuscules gothiques, gravée sur un cartouche encastré dans le mur du rez de chaussée, indique que cette bâtisse, commencée en 1525 par Pierre Jayet, habitant de Paray, fut achevée en 1528. On y trouve la curieuse mention du prix d’achat, du coût de la construction et de la peine qu’elle occasionna audit Jayet, qui prend cette fière devise : Audaces fortuna juvat. La teneur peu habituelle de cette inscription, l’exubérante ornementation de cette coûteuse demeure, tout, jusqu’à la prétentieuse devise, donnerait à croire que Pierre Jayet rut un des riches industriels appartenant à la corporation des fabricants de draps, très prospère à Paray durant le XVIe. siècle et jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes.

On trouve dans la ville plusieurs maisons à pans de bois et quelques jolies tourelles d’angle de différents styles. L’une d’elles, assise sur un cul de lampe circulaire dont les tores superposés sont ornés de godrons en spirale, est une élégante fantaisie de la Renaissance et porte cette inscription : L’attente du juste c’est liesse. Quant aux constructions modernes, chapelles, hôpital, couvents, très nombreuses et quelques-unes d’un bel aspect, il ne saurait entrer dans notre cadre de nous y arrêter.

Nous quittons à regret Paray et continuons notre voyage.

La visite des admirables chantiers du Creuzot que traverse la voie ferrée offrirait un puissant intérêt, quoique d’un genre spécial, mais nos heures sont comptées et cette étape nous est interdite.

III. Chaseu.

Nous saluons au passage les courtines et les tours du manoir en ruine de Chaseu, principale résidence, durant son exil loin de la cour, de ce comte de Bussy-Rabutin qui fit tant parler de lui, au milieu du XVIIe siècle, par ses amours, ses disgrâces et ses écrits. C’est à Chaseu que sa cousine Marie de Chantal, marquise de Sévigné, lui mandait en 1668 le départ « en Candie « de son fils, « allant en compagnie de M. de Roannez (1) et du comte de Saint-Paul », aider les Vénitiens contre les Turcs. C’est à Chaseu qu’elle lui écrit la nouvelle du mariage de « la plus jolie fille de France « avec M. de Grignan : « Toutes ses femmes sont mortes pour faire place à votre cousine…. Le public parait content, c’est beaucoup ; car on est si sot, que c’est quasi sur cela qu’ou se règle. » C’est dans le salon de Chaseu qu’au dessous du portrait de la marquise, le comte, plus frondeur qu’amoureux, avait placé cet écriteau : Marie de Rabutin, femme d’un génie extraordinaire et d’une vertu compatible avec la joie et les agréments. Spirituel mais bien prétentieux personnage ! Et juste à ce moment, Molière, sur son théâtre du palais-Royal, était en train de ridiculiser les précieuses !

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(1) François d’Aubusson de la Feuillade venait d’acheter, en 1667, le duché de Roannais de son beau-frère Arthus Gouffier, le dernier du nom, disciple de Port-Royal et dont la seconde soeur, Marguerite, fut cette discrète amie de Blaise Pascal dont il est parlé sous le nom de Mademoiselle de Roannez.

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IV. Autun.

Réception a l’hôtel de la Société Eduenne.

Mais le train s’arrête, et nous descendons sur le quai de la station d’Autun, où sont gracieusement venus nous attendre MM. Bulliot, de Fontenay et plusieurs autres membres de la Société Eduenne.

De la gare le panorama est grandiose. Aux pieds de la ville, qui s’étage en amphithéâtre sur une colline dominée par les tours de la cathédrale, s’étend une vaste plaine qu’enserre le cirque des monts du Morvan. On nous montre dans le bleu des derniers horizons les sommets où fut Bibracte. Sur le premier plan, à droite, se profilent les lignes d’un temple antique et les arcades d’une porte de l’enceinte gallo-romaine. Au pied des vieux remparts coulent les eaux paresseuses de la rivière d’Arroux, qui fait penser au Téverone. Tout dans ce paysage est calme et d’une sévère grandeur ; nous nous sentons déjà en pleine antiquité.

Cependant nous arrivons au coeur de la ville et, après quelques instants de repos, notre petite phalange s’achemine vers la pittoresque demeure du chancelier Rolin, devenue l’hôtel de la Société Eduenne, qui nous y attend.

La séance est présidée par Monseigneur Perraud, évêque d’Autun, membre de l’Académie française, assisté de M. Bulliot, président de la Société Eduenne. Sont présents MM. H. Abord, Eugène Ballivet, l’abbé Bertrand, l’abbé Curé, François Delagrange, colonel Desveaux, Dulong, Dumay, Harold de Fontenay, Gillot, de la Blanche, l’abbé Lacreuze, de la Planche, Létang, l’abbé Mazoyer, de Monard, Nichault, l’abbé Pequegnot, Perrouin, l’abbé Pitoye, l’abbé Planus, Pouillevet, l’abbé Rochet, Royer, l’abbé Simon, l’abbé Violot.

Après les présentations d’usage, M.Bulliot invite M. Vincent Durand, secrétaire de la Diana, à prendre place au bureau et nous souhaite bienvenue en ces termes :

Messieurs,
Vous avez fait un long voyage pour visiter les Eduens. Leur reconnaissance a un bien faible interprète, mais soyez sûrs qu’elle est aussi profonde que sincère.
Entre amis, on supprime les phrases ; en famille, on dit du fond du coeur: « Vous êtes les bienvenus « , et comme notre parenté date d’un peu plus loin que la guerre des Gaules, vous voudrez bien, au foyer de la mère commune, vous considérer comme chez vous.
Le seul nuage de cette bonne journée est la brièveté de votre séjour. Sans diminuer notre gratitude elle nous oblige à ménager vos instants. Pour ne rien leur enlever, nous visiterons dès aujourd’hui notre cathédrale, en regrettant pour vous que quelques jours de retard vous aient privés d’y entendre la parole qui en est l’âme, celle de notre évêque vénéré.

Monseigneur l’évêque d’Autun veut bien à son tour nous adresser les paroles suivantes :

Messieurs,

Je n’ajouterai que quelques mots au discours très-bref, mais très-plein, dans lequel, à la façon des anciens, notre cher président a su vous dire beaucoup de choses en peu de mots.

Oui, nous vous souhaitons la bienvenue. Vous êtes pour nous des frères et des confrères. Nous nous sommes associés, il y a peu de jours, à l’éloge éloquent décerné par un de vous au grand poète forézien qui restera une gloire nationale et que louera bientôt l’Académie française.

Vous venez visiter des ruines. Elles vous aideront à comprendre comment Autun a pu, sans présomption, s’appeler autrefois la soeur et l’émule de Rome. Vous jugerez de la grandeur du peuple roi, par la grandeur des monuments qu il savait construire.

Ces ruines se recommandent encore à votre attention par un autre caractère. Pour nous, chrétiens, quelques-nues d’entre elles sont de véritables reliques. Quand vous aurez admiré à la cathédrale le chef-d’oeuvre d’Ingres, vous irez contempler d’un coeur ému la porte du haut de laquelle Augusta encourageait au martyre son fils Sympborien.

Puis vous visiterez Bibracte, la ville dont César nous dit qu’elle était maximae auctoritatis apud AEduos. Vous aurez alors pour guide l’homme qui est, non pas la plus grande, mais la seule autorité sur cette question. La vieille cité gauloise a eu son Christophe Colomb en M. Bulliot, qui en a fait tout à la fois la découverte et la conquête. Avec lui vous reverrez le lieu où toutes les tribus de la Gaule, représentées par leurs délégués, acclamèrent Vercingétorix et le mirent à la tête de la résistance nationale. Tanta Galliae consensio fuit libertatis vindicandoe (1). La Gaule unanime à revendiquer son indépendance et sa liberté ! Vous saluerez là, Messieurs, un souvenir et une espérance.

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(1) Caes. De bello Gall., VII, 63, 76.

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Ces deux allocutions sont accueillies par d’unanimes applaudissements, et M. Vincent Durand, ayant demandé la parole, se fait l’interprète de la gratitude que nous ressentons tous :

Monseigneur,
Messieurs,
La Diana, à qui vous faites un accueil si flatteur, a un organe bien insuffisant pour exprimer les sentiments de reconnaissance dont tous ses membres sont animés en ce moment. Notre président et notre vice-président sont retenus dans leurs foyers. Leur premier acte, s’ils étaient présents, eût été de remercier M. Bulliot de son empressement à seconder nos projets, dès qu’il connut notre désir de visiter le pays éduen. Nous sommes venus chercher parmi vous des lumières et des exemples. Votre cordial accueil nous est garant que le but que nous nous proposons sera atteint, et que nous ne visiterons pas sans profit tant de choses remarquables que votre cité offre à nos yeux.

M. Bulliot annonce que la séance va se continuer par la visite de la cathédrale et, comme preuve des anciens liens de confraternité existant entre Autun et le Forez, il raconte l’histoire d’un forézien qui, sans doute en souvenir de quelque guérison, avait offert à saint Lazare d’Autun son poids pesant de farine.

Monseigneur informe l’assistance que, d’accord avec M. le doyen du chapitre, il a pris les dispositions nécessaires pour faciliter aux membres de la Diana l’examen des reliquaires et de la magnifique étoffe orientale du XIe siècle, connue sous le nom de suaire de saint Lazare, conservés dans le trésor de la cathédrale.

Avant de se mettre en route, M. Bulliot rappelle que la Société Eduenne a convoqué ses membres et ceux de la Diana à se retrouver le soir,.à huit heures et demie, à l’hôtel Rolin, pour y achever ensemble, dans une réunion plus intime, une journée si bien commencée.

La cathédrale d’Autun (1).

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(1) Dans cette étude sur la cathédrale de Saint-Lazare, nous avons fait plusieurs emprunts aux notes très complètes qu’un des excursionnistes, notre confrère M. Rochigneux, a bien voulu nous communiquer. Nous lui renouvelons ici l’expression de nos sincères remerciements.

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A quatre heures les membres des deux Sociétés se rendent à la cathédrale où ils sont reçus par M Roidot-Houdaille, architecte, chargé de la surveillance des travaux, qui veut bien partager avec MM. Bulliot et de Fontenay le soin de nous guider et de nous fournir les explications nécessaires.

L’histoire de l’Eglise d’ Autun se rattache étroitement à celle de Lyon. Comprises dans la même province romaine, ces deux cités furent évangélisées au second siècle, l’une par saint Pothin, l’autre par saint Andoche et saint Thyrse, tous trois disciples de saint Polycarpe et martyrisés le premier à Lyon, les deux autres à Saulieu en Bourgogne en l’année 177. C’est peut-être en souvenir de cette communauté d’origine que saint Grégoire le Grand accordait, en 599, à l’évêque d’Autun saint Syagre la faveur du Pallium et à son église le privilège d’être la première après celle de Lyon (1). Depuis lors et jusqu’à la révolution, les évêques d’Autun, comme premiers suffragants des archevêques de Lyon, ont joui du droit de suppléer leurs métropolitains, tant au temporel qu’au spirituel, en cas de vacance du siège primatial. Et le même droit, mais restreint au spirituel, était exercé par l’archevêque de Lyon sur l’Eglise d’Autun, le siège vacant. Cette prérogative réciproque, unique en France, perpétuait pour ainsi dire le lien de clientèle, qui, à l’époque de l’indépendance, unissait les Ségusiaves à leurs puissants voisins les Eduens : fédération qui constitua l’une des plus importantes cités gauloises (2).

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(1) Suivant M. Vincent Durand, cette préséance des évêques d’Autun parmi les suffragants de Lyon devrait remonter plus haut que saint Grégoire : elle fut peut-être contestée au VIe siècle et confirmée, plutôt qu’instituée, par ce pape. L’église s’étant conformée dans son organisation aux cadres déjà établis pour l’administration civile de l’Empire, on peut admettre que l’évêque d’Autun était le premier après le métropolitain, par cette seule raison que les Eduens devaient tenir le premier rang entre les cités de la province Lyonnaise, comme en fait ils le tiennent dans la Notitia provinciarum et civïtatum Galliae.
(2) La cité gauloise selon l’histoire et les traditions. Autun, in-8° sans date, p. 38.
Il y aurait un autre rapprochement à faire entre les deux diocèses, entre Autun et Montbrison, si l’on devait admettre avec les Bollandistes (AA. SS. junii, t, III et julii t. 1V), l’identité d’Aldericus, XXXVe évêque d’Autun, qui vivait aux environs de l’an 800, avec saint Aubrin, Albricus, évêque et confesseur.patron de la ville de Montbrison, où il est fêté le 15 juillet. Mais outre une différence réelle entre les deux noms, et cette circonstance que l’évêque éduen, dont la vie est complètement ignorée, n’est point qualifié de saint sur les catalogues de son église, les raisons longuement exposées par la Mure, en son Histoire du diocèse de Lyon, semblent devoir faire reconnaître plutôt dans saint Aubrin un archevêque de Lyon vivant au commencement du VIe siècle. C’est l’opinion à laquelle se sont rangés Auguste Bernard et MM. Morel de Voleine et de Charpin-Feugerolles. (Note de M. Vincent Durand).

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Les origines de la cathédrale sont passablement incertaines. Les premiers chrétiens d’Autun, durant les persécutions des IIe et III e siècles, se réunissaient, comme à Rome, dans les cimetières situés en dehors de l’enceinte de la ville. Le polyandre de Saint-Pierre-l’Etrier était un véritable sacrarium, où les évêques célébraient en secret les Saints Mystères et étaient Inhumés.

Après la paix religieuse apportée par Constantin, on construisit, paraît-il, dans la ville même, un oratoire, qui fut la première cathédrale et qu’on dédia deux siècles plus tard à saint Nazaire, quand un linge teint du sang de ce martyr fut apporté de Milan par l’évêque Nectaire, en 543.

L’église de Saint-Ladre ou Saint-Lazare – fondée probablement, d’après M. de Fontenay, sur les ruines d’un temple antique – était primitivement la chapelle du château ducal élevé au sommet de la colline éduenne. Lorsqu’au commencement du XIe siècle, les ducs de Bourgogne abandonnèrent leur résidence d’Autun pour celle de Dijon qui devenait la capitale du duché, la chapelle fut cédée au chapitre, et le siège épiscopal y fut transféré ainsi que le service divin depuis Pâques jusqu’à la Toussaint ; l’office continuant à se faire l’hiver à Saint-Nazaire. Ces deux édifices se partagèrent dès lors, comme à Lyon Saint-Jean-Baptiste et Saint-Etienne, le titre de cathédrale jusqu’à l’effondrement de Saint Nazaire, arrivé l’an 1770, qui mit fin à cette dualité.

L’agrandissement de la chapelle ducale, devenue cathédrale, nécessitait sa reconstruction, laquelle parait avoir été commencée, (décidée serait peut-être plus exact), vers 1060, par le duc Robert 1er, qui voulut probablement racheter ainsi ses excès et ses violences. Continué par son successeur Hugues 1er, l’édifice était assez avancé en 1132 pour que le Pape Innocent II, passant à Autun, pût en faire la consécration. Et en 1147 avait lieu la dédicace solennelle de la nouvelle cathédrale, en même temps que l’installation dans son sanctuaire des reliques insignes de saint Lazare, apportées de Marseille.

Ce monument devenu, par suite d’adjonctions successives qui l’ont dénaturé, un mélange hybride de styles et d’époques, ne se recommande certainement pas au premier aspect par l’unité et l’harmonie d’ensemble qui sont les qualités saisissantes de l’église de Paray. Son haut intérêt réside d’abord dans les dispositions de son plan initial et, bien plus encore, dans certaines combinaisons architectoniques et décoratives, tout à fait spéciales et dont plusieurs ont fait école.

PLAN PRIMITIF. – En dépouillant par la pensée l’édifice de toutes les modifications tant extérieures qu’intérieures qu’il a subies, on arrive à reconnaître que son plan primitif est celui de la plupart des églises romanes dont les Clunisiens couvraient nos régions bourguignonnes et lyonnaises dès la deuxième moitié du XIe siècle. Rien de l’influence auvergnate qui, à cette même époque, réalisait les belles constructions de Notre-Dame du Port et d’Issoire. Ce sont les proportions et l’ordonnance intérieure des monuments gréco-romains de la Syrie, adaptées à la basilique antique dont les données avaient été jusqu’alors exclusivement suivies dans les Gaules. Ainsi, aux trois nefs terminées par une seule grande abside en hémicycle que précédaient l’autel, puis le choeur fermé des clercs, s’ajoutent ici un transept qui fournit la forme générale d’une croix latine et deux absidioles s’ouvrant à l’extrémité des collatéraux. Dans le vaisseau principal, les charpentes apparentes ont fait place au berceau ogival renforcé d’arcs doubleaux. Les bas côtés sont voûtés d’arêtes, sans arcs ogives, et les trois absides semi-circulaires en cul de four. Le carré du transept, trop vaste pour recevoir une voûte d’arêtes qui eût manqué de solidité, est couvert par une coupole sur trompes d’angle, au-dessus de laquelle s’élève la tour à étages terminée par une flèche de charpente revêtue de plomb.

Ce plan, mal orienté et de médiocres dimensions, comprenait un porche qui n’était qu’un majestueux emmarchement couvert au-devant du grand portail.

Mais c’est par les proportions parfaites de son ordonnance intérieure et par sa décoration originale que la cathédrale d’Autun s’est mise à la tête de cette belle école de la haute Bourgogne, dont elle est le point de départ et le monument modèle.

Les sept travées de la nef sont à trois étages. Chacune d’elles se compose d’une haute arcade à rez de chaussée avec archivolte ogivale ornée, surmontée d’un triforium, puis d’une baie supérieure unique et à plein cintre. Le triforium présente une baie ouverte accostée de deux baies aveugles, avec petits pilastres cannelés, et il n’a d’autre utilité que d’occuper pour l’oeil le nu du mur d’épaulement du comble du collatéral. Ce n’est qu’une décoration ; mais elle a été copiée sur l’élégante galerie de la porte romaine d’Arroux, est d’un bel effet, se retrouve dans toutes les parties de la cathédrale, et a été reproduite dans un grand nombre d’édifices de la haute Bourgogne, du Mâconnais et du Lyonnais.

Ces travées sont séparées par des piliers dont les combinaisons architectoniques et décoratives ont dû être l’objet d’études aussi savantes que complètes. Ils se composent en section horizontale de rectangles qui se pénètrent et sont cantonnés, non de colonnes engagées, mais de pilastres, les uns cannelés, les autres unis, soutenant respectivement les arcs doubleaux de la nef et des bas côtés, et les archivoltes de ces derniers.

L’emploi en grand, à Autun, du pilastre engagé au lieu de la colonne constituait déjà un fait nouveau et exceptionnel dans l’architecture française du moyen-âge. L’idée de la cannelure antique appliquée au pilastre est visiblement inspirée par les monuments romains du voisinage ; elle donne à l’édifice un cachet particulier d’originalité et de distinction, et a, comme nous l’avons dit, fait école.

Le membre le plus apparent des piliers, le haut pilastre à quintuple cannelure qui monte du fond jusqu’à la voûte, risquait d’offrir par son allongement démesuré un aspect grêle et monotone. Le constructeur du XII e siècle a prévu ce danger, et y a remédié on coupant le pilastre par deux bandeaux qui marquent les étages des travées et forment une double ceinture continue tout autour des nefs. Celui sur lequel repose le triforium est accosté d’une ligne de roses s’enlevant directement en belle saillie sur le nu du mur et dont le nombre, comme nous le dit M. Roidot, a été l’objet d’interprétations symboliques.

Cette ordonnance de la nef de Saint-Lazare est la vivante démonstration de la sveltesse et de l’élégance qui, dans une construction en plein cintre, d’aspect naturellement robuste et lourd, peuvent résulter, d’une part, de la pondération harmonieuse et de la superposition des membres donnant l’illusion de l’élancement ; d’autre part, des jeux de lumière et d’ombre obtenus par les creux et les reliefs habilement et très sobrement distribués.

L’unité de cette création si artistique, si originale, a été malheureusement compromise, disons même détruite, par des restaurations hétérogènes, par des agrandissements survenus à différentes époques et dont M.H.de Fontenay donne l’histoire tout à la fois précise et complète, dans son rapport au congrès scientifique tenu à Autun en 1876.

LE PORCHE. – La première modification apportée au plan primitif du XIe siècle fut la construction ou reconstruction du porche en son état actuel.

L’édifice achevé en 1140 comportait un emmarchement s’étendant au devant du grand portail de façade et couvert par un berceau dont l’archivolte de ce portail donnait le gabarit. Appuyé sur des murs latéraux percés de deux baies, ce berceau, qui avait probablement pour mission de préserver le magnifique tympan sculpté que nous admirons, supportait une salle à comble bas dont les rampants anciens sont encore visibles. Dans cette salle de premier étage, une vaste niche, voûtée en cul de four et prise dans l’épaisseur du mur de façade, était flanquée de deux portes donnant accès à des escaliers à vis montant de la nef (1).

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(1) L’église forézienne, si remarquable, de Saint-Rambert-sur-Loire, possède, au-dessus du porche qui la précède, une salle haute qui a vue sur la nef par une arcade ouverte aujourd’hui, mais qui fut peut-être à l’origine une grande niche comme au porche d’Autun. En effet, le tableau de cette arcade n’est point normal à la face du mur, mais présente une surface légèrement courbe, qui semble être le point de départ d’une absidiole. Cette remarque a été faîte la première fois par M. F. de Saint-Andéol.

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Cette construction annexe resta inachevée ou parut insuffisante, si bien qu’en 1178, sur une demande probable du chapitre, Hugues III, duc de Bourgogne, concédait l’autorisation de supprimer les degrés du portail principal, d’établir à la place un terre-plein surmonté d’un porche, mais avec défense d’y élever des tours ou autres ouvrages servant plutôt à fortifier qu’à orner l’église (1). Flanquée d’un escalier d’accès sur le côté nord, la nouvelle construction eut donc son seuil au niveau de celui de l’église, et elle fut divisée en trois nefs au moyen de piliers cantonnés de colonnes dont les chapiteaux furent pour la plupart empruntés à des monuments antiques. Le petit collatéral nord fut un préau couvert et celui du sud, entièrement clos, servit de salle capitulaire et de chapelle (2). Un vaste berceau, toujours plein cintre et de même diamètre, fut de nouveau dressé au devant du grand portail, mais à une plus grande hauteur; cette modification, dont on ne saisit pas le motif, eut pour résultats : d’abord de noyer dans la voûte une partie de la grande niche de façade qui cessa d’être utilisée, puis de mettre les seuils des petites portes d’escalier en contre-bas du sol de la salIe de 1er étage. Enfin le nouveau porche devant comprendre la largeur totale de la façade, on dut élever les rampants du comble, ce qui fit boucher la partie basse des trois fenêtres percées dans le grand pignon.

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(1) Donation faite à l’église d’Autun par Hugues III, duc de Bourgogne, en réparation des dommages qu’il lui avait causés. 1178. Cartulaire de l’Eglise d’Autun, par A. de Charmasse, p. 110.
(2) Mémoires de la Société Eduenne, tome VII, page 210.

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Cet état de choses dura jusqu’en 1767, époque où furent établis les degrés du portail central. Puis, au cours des derniers travaux exécutés avant 1870, cet emmarchement a été prolongé jusqu’au devant des collatéraux sur lesquels avaient été édifiées les deux tours romanes qui complètent le monument.

Tel est le porche actuel d’Autun, oeuvre évidente d’imitation, comme l’écrit Viollet-Leduc, inspirée peut-être du porche de Vézelay, mais qui altère le caractère primitif du monument.

La seconde modification apportée à l’aspect extérieur do l’église Saint-Ladre fut la construction des arcs-boutants de la grande voûte, rendue nécessaire par le déversement des murs latéraux sous la poussée du berceau ogival. Cette opération fut-elle exécutée immédiatement après le décintrage ? C’est l’opinion accréditée, à laquelle le savant archiviste de la Société Eduenne oppose un compte de fabrique de 1294-95 publié par M. Quicherat (1), duquel il résulterait que cette consolidation n’est pas antérieure à la fin du XIIIe siècle.

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(1) Revue archéologique, 14e année. 3e. livraison, p. 173.

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RESTAURATIONS. – Ces arcs-boutants furent refaits ou restaurés au XVe siècle et, il y a moins de quarante ans, la grande voûte de nouveau menacée d’une ruine complète fut entièrement reconstruite en fer et en poterie, sous la direction de M. Dupasquier, architecte lyonnais. Mais c’est au XVe siècle que fut consommée à l’extérieur comme à l’intérieur l’altération de l’ancienne cathédrale romane. Un terrible incendie détruisait en 1469 les absides et le clocher central ; une coûteuse et considérable restauration devenait nécessaire: le cardinal Rolin l’entreprit vaillamment et sut la mener à bonne fin. Puis. au XVIIIe siècle, nouvelle transformation de l’édifice pour l’accommoder au goût de l’époque. Et ici nous ne saurions mieux faire que de reproduire le teste éloquent du rapport de M. de Fontenay (2).

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(2) Congrès scientifique de France. 42e Session tenue à Autun du 4 au 13 septembre 1876, t 1er, p. 58.

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« Aux XVe. et XVIe. siècles, l’extérieur de l’église Saint-Lazare subit une transformation radicale.. Les absides romanes firent place à des chevets gothiques éclairés par d’étroites baies à meneaux et à compartiments. L’ancien clocher en bois couvert de plomb, incendié en 1469, fut remplacé par cette aiguille de pierre dont on admire l’élégante hardiesse. Peu après, les toits surbaissés de l’édifice roman s’aiguisèrent, et la construction des chapelles adjacentes aux nefs collatérales et de la grande sacristie, acheva d’enlever au monument son caractère architectonique primitif.

« L’élévation des absides, l’ouverture de baies gothiques, le percement des portes des chapelles, la construction de la tribune des orgues et d’un jubé, le changement complet du mobilier, tous ces travaux accomplis aux XVe. et XVI e siècles avaient transformé complètement l’aspect intérieur de l’édifice. Deux siècles plus tard, ces merveilleux ouvrages étaient sacrifiés à la mode du jour, et ceux-mêmes que leur origine et leur destination rendaient le plus respectables ne devaient pas trouver grâce devant les novateurs. Les tours romanes furent couronnées de dômes, le tympan du portail principal recouvert de plâtre, décoré de médaillons, guirlandes et rubans, celui du portail latéral brisé et vendu comme moëllons ; les grandes baies du choeur furent privées de leurs meneaux, de leurs compartiments et de leurs vitraux. On démolit le jubé, la balustrade en pierre qui couronnait et complétait si heureusement le porte-orgues; on relégua dans un coin, puis on mit dehors le tombeau des bienfaiteurs de la cathédrale, Thierry de Montbéliard et sa femme Ermentrude de Bar ; l’on ne craignit pas de porter une main ignorante et sacrilège sur le monument admirable qui renfermait les reliques du saint patron de l’église (1) ; on mit au creuset tous les objets de métal : l’aigle, les colonnettes qui supportaient les tentures du choeur, le candélabre à sept branches, les dalles funéraires en cuivre émaillé, etc.; on changea les stalles, on aliéna les tapisseries, les parements des autels et les anciens ornements ; on détruisit le zodiaque antique qui servait de pavé au sanctuaire, et les anciennes peintures disparurent sous un badigeon uniforme. Ce beau travail terminé, le choeur fut galamment accommodé au goût du temps, revêtu de placages en marbre, orné de colonnes à chapiteaux dorés supportant un attique que couronnèrent des anges joufflus et des cassolettes fumantes. De nouvelles stalles furent placées, et les chapelles échangèrent leur ancien mobilier, leurs fresques naïves et leurs massives clôtures contre des autels rococos, des boiseries chantournées et des barrières en bois découpé. Survint la Révolution qui balaya, mutila, détruisit ou vendit tout, et peu s’en fallut que le monument lui-même n’y passât. Fermée définitivement au mois de novembre 1793, la cathédrale ne fut rouverte que le 8 février 1801. »

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(1) « Cet acte de vandalisme fut accompli en 1766. »

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Depuis 1860, de nombreux travaux, très intelligemment conçus et conduits, ont eu pour objet : la reconstruction de la majeure partie de la flèche et des quatre piliers qui la supportent, le rétablissement du trumeau du grand portail, la construction en avant de ce portail de deux tours romanes dont les églises de Cluny et de Paray fournirent le modèle, et enfin l’abaissement des toits du collatéral et des chapelles de l’est, pour dégager les fenêtres de la nef qui depuis le XVe siècle s’ouvraient sous les combles.

Malheureusement, quoiqu’on fasse, la restitution de la belle ordonnance du XII e siècle demeure et demeurera impossible, car elle exigerait avant tout le rétablissement des absides romanes à la place de ce chevet gothique, dont l’effet dans l’ensemble est absolument déplorable.

RICHESSES D’ART ET TRÉSOR DE LÀ CATHÉDRALE. – Une autre restitution plus impossible encore est celle de ce tombeau de saint Lazare, que le faux goût du XVIIIe siècle en matière de grand art était seul capable de réduire en moëlIons. C’est une perte irréparable. Sculpté vers 1178, sur L’ordre de l’évêque Etienne, le créateur du porche, par le moine Martin, ce mausolée, placé sur le tombeau souterrain de saint Lazare, « représentait en petit l’église telle qu’elle était avant que le cardinal Rolin en eût fait reconstruire le choeur (1). » Sans parler de l’intérêt archéologique de cette représentation, on peut se rendre compte de la valeur artistique du monument par les débris décoratifs heureusement recueillis et déposés dans une des tours, et mieux encore, par plusieurs morceaux de sculpture qui comptent certainement parmi les plus précieux et plus curieux ornements du musée lapidaire d’Autun. L’un de ces fragments, qui est une statuette du Christ malheureusement incomplète, est toute une révélation. C’est de la statuaire qui étonne, qui a non seulement rompu avec la routine hiératique et conventionnelle des byzantins, mais qui montre l’étude intelligente de la nature s’alliant à la recherche de l’idéal. Le travail est en outre très fin, très soigné, qualités techniques que possèdent au même degré les débris conservés dans la cathédrale, qu’il serait très désirable de voir mettre en meilleure lumière.- Mais les Eduens sont trop riches !

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(1) Courtépée. Description du duché de Bourgogne, t. II, p 499.

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On ne s’attend pas à trouver dans un modeste journal d’excursion la description détaillée de la pièce artistique capitale de la cathédrale, de la vaste et si émouvante scène du Jugement dernier sculptée en bas-relief sur le tympan du grand portail. Cette description, au surplus, a été souvent faite et bien faite, et la meilleure consisterait à joindre à ce travail une des photogravures si nettes, si lisibles que l’on vend au musée des moulages du Trocadéro, où dans la même salle sont étalées, en face les unes des autres, les trois plus étonnantes pages de l’art sculptural du XII e siècle : les tympans de Vézelay, de Moissac et d’Autun (1).

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(1) Celui de Charlieu y sera bientôt installé.

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C’est à la sottise de ces amateurs de rococo, de ces aveugles de naissance du XVIIIe siècle, si légitimement malmenés dans le rapport de M. H. de Fontenay, que l’art français doit la merveilleuse conservation de ce bas-relief. On l’avait voilé sous une épaisse couche de plâtre, pour qu’il ne pût offenser par ses barbares énergies les yeux habitués aux rondeurs provoquantes des Clodion, des Falconnet, aux jolies psychés de Bouchardon, aux figures théâtrales et nobles des frères Coustou, qui représentaient Louis XV en Jupiter. L’oeuvre ainsi soustraite aux brutales passions révolutionnaires fut rendue au jour, en 1837, par l’ancien président de la société Eduenne, M. l’abbé Devoucoux, qui, sur les indications d’un procès-verbal de 1482, fit gratter les plâtras et retrouva presqu’intact le grand travail de l’imagier clunisien.

Sans entrer dans les détails d’une critique pourtant bien tentante, il nous est impossible de ne pas signaler dans ce bas-relief du moine Gislebert les figures nues du linteau et de la partie droite de la grande scène supérieure, celle notamment qui, mince et élégante, lève le bras vers la cité des élus. Il y a là, comme mouvement, comme distinction, comme vérité de gestes et d’attitudes, une parenté saisissante, indiscutable, avec les peintures des vases grecs. Les formes courtes, trapues, vulgaires de la tradition gallo-romaine ont complètement disparu ; seule l’influence byzantine persiste dans le détail des draperies et dans le grand Christ central, personnage sacré pour lequel l’esprit novateur des clunisiens n’avait point encore abandonné le type hiératique : type d’ailleurs ici moins rigide et fort adouci , bien que conservant cette austère grandeur, cette dignité qui ne. se sont guère rencontrées depuis dans les représentations iconographiques moins conventionnelles, mais de plus en plus humaines de la divinité. Cette grande figure, dont la tête est cerclée du nimbe crucifère, est bien celle du souverain Juge qui domine la scène terrible de la résurrection des morts et de la pesée des âmes, en prononçant la sentence sévère gravée sur les bords de l’amande mystique dont il est enveloppé :

OMNIA DISPONO SOLVS MERITOS Q(UE) CORONO

QVOS SCELVS EXERCET ME JVDICE PENA COERCET

Cette renaissance grecque de notre statuaire du XII e siècle se révèle un peu moins éloquemment, ce nous semble, dans le tympan de Vézelay quelque peu antérieur à celui de Saint-Ladre, et beaucoup moins dans le portail de Charlieu, où elle est encore aux prises avec un byzantinisme plus fortement accentué. On peut donc, comme chronologie artistique, placer le Jugement dernier d’Autun à égale distance de Charlieu et du tombeau de saint Lazare (1).

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(1) M Bulliot appelle notre attention sur la forme rectangulaire des petits sarcophages d’où sortent les morts, dans la frise qui sert de soubassement à la scène du Jugement dernier. Détail à noter : tous ces petits monuments sont recouverts. d’une décoration sculptée reproduisant les nattes, entrelacs, imbrications, brisures, chevrons et autres dispositions du style roman.
M. Viollet-Leduc a relevé dans son Dictionnaire d’architecture une autre particularité bien curieuse du bas-relief d’Autun : les yeux de verre donnés par l’artiste à plusieurs de ses personnages.

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On sait que M Ingres peignit pour la cathédrale d’Autun la scène du martyre de saint- Symphorien, un des premiers chrétiens d’Augustodunum à la fin du second siècle. On se battit au Louvre, lorsque fut exposée cette page qui, dans l’oeuvre du maître, se place entre l’apothéose d’Homère et le portrait de Chérubini. Pendant que les ennemis du nouveau chef d’école étaient eux-mènes contraints d’admirer la grandeur et l’énergie de la composition, le sentiment de sublime résignation et d’extase du héros marchant au supplice, la si heureuse pensée de cette mère encourageant du geste son fils à mourir pour son Dieu, « la foule dit M. de Loménie, « riait de cette musculature colossale, de ces têtes énormes, de ces jambes surhumaines…. « L’exagération est en effet indéniable ; toutefois elle s’explique. Ingres quittait à vingt ans l’atelier de son maître David ; il avait compris et il répudiait la fausseté des principes du peintre des Sabines, qui voulant réagir contre le mauvais goût de Vanloo, de Boucher et autres énervés du dix-huitième siècle, subordonnait la peinture à la statuaire et assujettissait le tableau aux données du bas-relief L’élève cherchant une voie nouvelle partait alors pour l’Italie, où le culte de Raphaêl prenait possession de son âme tout entière. Il séjourna à Rome durant 25 années, ne voulant pas connaître Florence, encore moins Venise ou les Flandres. Pour lui, pénétré de l’amour de l’harmonie linéaire et de la forme idéale, l’Ecole Romaine fut à tort et resta l’expression exclusive et suprême do la Beauté. Il ne vécut qu’avec Raphaêl, et pour le saint Symphorien d’Autun, il s’inspira dos oeuvres de la période exagérée durant laquelle le peintre de l’École d’Athènes veut lutter contre Michel Ange. Mais, comme le disait un de nos plus éminents critiques : « Il n’est permis qu’aux hommes vraiment forts de s’égarer sur les traces de Raphaèl, luttant contre le colosse de la Sixtine ».

Le trésor de la Cathédrale avait été exposé à notre intention dans le sanctuaire. Nous nous sommes prosternés devant les reliques insignes de saint Lazare et de saint Philippe, apôtre. Sur l’autel était déployée la curieuse étoffe historiée connue sous le nom de Suaire de saint Lazare. Cette étoffe est à Autun depuis plus de 737 ans, car elle est désignée par ces mots, pallium sericum pretiosum dans un titre de l’an 1147, où il est dit que l’évêque Humbert en enveloppa les ossements du saint, lors de leur translation do l’abbaye de Saint-Victor de Marseille à Autun.

C’est une broderie, ce n’est point une étoffe brochée. Son ornementation se compose de plusieurs rangs de médaillons entourés de fleurs et de fruits et remplis par des figures de chimères, ou de cavaliers en chasse coiffés de mitres, de turbans, avec ceintures chargées d’inscriptions arabes. On a démontré que ce tissu a appartenu au commencement du XIe siècle à Abd-el-Meleck, ministre de l’émir de Cordoue, qu’il aurait été rapporté par Eudes III, duc de Bourgogne, au retour de son expédition contre les Maures, lorsqu’il était allé en 1144 au secours d’Alphonse de Portugal son cousin ; et que le duc, assistant à la translation du corps de saint Lazare, offrit cette précieuse écharpe pour lui servir de suaire. Ce tapis sarrazinois, qui ne paraît avoir aucun rapport avec les tissus précieux de fabrique sicilienne (1) conservés à Saint-Rambert-sur-Loire et à Montverdun en Forez, proviendrait-il des ateliers de broderie sur soie installés en France dès le VIIIe siècle et dont les produits inondèrent durant six cents ans l’Europe occidentale ? Serait-il de fabrication mauresque ? Nous ignorons la solution donnée par le savant M. de Linas à cette question si intéressante, mais très spéciale, qui lui a été proposée au Congrès scientifique de 1876.

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(1) De Linas. Anciens vêtements sacerdotaux et anciens tissus conservés en France, p. 33.

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CLOCHER. – Notre trop courte visite à la Cathédrale est complétée par l’ascension du clocher central, toujours sous la conduite de l »obligeant M. Roidot.

Ce clocher, qui s’élance à la hauteur de 90 mètres, est une des parties les plus intéressantes de l’édifice. Sa flèche fut trouvée si belle par le roi François 1er, que, la confondant dans un même souvenir et une même admiration avec celle de la collégiale détruite aujourd’hui, il n’appelait plus Autun que la ville « aux beaux cloyschiers « (2). Les arêtes de l’immense pyramide sont ornées sur toute leur longueur de crosses végétales d’un beau galbe.Vu de l’intérieur, l’aspect de cette aiguille creuse et sombre, lisse de la base au sommet, sans autres ouvertures que quelques fentes étroites, est aussi grandiose que singulier.

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(2) Millin. Voyage dans le midi de la France, t. I, p. 327. – Le Gallia Christiana, t. 1V, col. 324, appelle le clocher d’Autun : campanile acuminatum altiudinis stupendae et mirae structurae.

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La flèche de Saint-Lazare a subi de nos jours d’importantes restaurations. La partie supérieure, frappée par la foudre, dut être totalement refaite il y a moins de vingt-cinq ans. D’un autre côté, les piliers du transept, construits pour supporter une moins lourde charge, présentaient des symptômes menaçants d’écrasement ; il fallut les reprendre en sous-oeuvre. Cette opération périlleuse a été exécutée avec un rare bonheur. Malheureusement, pour prévenir le retour de semblables désordres, l’architecte s’est cru obligé de doubler la section des piliers, expédient auquel l’emploi de matériaux plus résistants, le granit par exemple, eût vraisemblablement permis d’échapper. L’aspect du vaisseau, dont cette modification brise les lignes, y a perdu, ce nous semble, quelque chose de son élégance.

Il convient, avant de quitter la cathédrale, de signaler rapidement quelques pièces de mobilier artistique, quelques sculptures ou décorations qui demanderaient d’amples descriptions.

On avait exposé à notre intention sur l’autel majeur la riche garniture composée « d’une croix et de six chandeliers en or moulu « , commandée en 1777 par le chapitre à « Jacques Renard, maître doreur cizeleur et enjoliveur sur toutes sortes de métaux, demeurant à Paris. » Les scènes de la résurrection de Lazare sont figurées en bas-reliefs sur le pied des chandeliers, mais c’est surtout par sa valeur décorative que se recommande cet ouvrage. Sa fermeté de ciselure et son style rappellent le candélabre monumental de Clermont, oeuvre de l’aîné des Caffieri, datée de 1771. On y trouve, surtout dans les six chandeliers et malgré la présence de ces anges jouflus que la mode n’avait pas encore abandonnés, une tranquillité relative de forme et de lignes, vivante protestation, comme à Clermont, de l’art nouveau, art de Madame du Barry et de Louis XVI, contre les enroulements et les mièvreries du pur style Louis XV.

Dans une chapelle de gauche, un précieux vitrail représente l’arbre de Jessé. C’est le seul débris subsistant de l’ancienne vitrerie.

On nous montre dans une autre chapelle latérale de consciencieuses peintures murales de Froment, dont le musée de l’hôtel Rolin possède plusieurs cartons. Plus haut, près de l’absidiole qui termine le collatéral du côté de l’épître, deux statues agenouillées de Pierre Jeannin et d’Anne Guéniot, sa femme, sont tout ce qui reste des admirables tombeaux et ouvrages de pierre, de marbre, de métal, qui garnissaient jusqu’eu 1760 la vieille cathédrale de Saint-Ladre.

Enfin, en sortant de l’église il faut s’arrêter devant une fontaine, délicieux édicule de la meilleure époque de notre renaissance française. Ce petit monument est fort endommagé par le temps et l’incurie, et nous osons solliciter pour lui une très urgente restauration dont il est digne à tous égards.

VI. Crypte de Saint-Andoche.

Cette première excursion s’est terminée par la visite de la crypte carolingienne de l’ancienne abbaye de Saint-Andoche, aujourd’hui monastère du Saint-Sacrement. M. Bulliot attire notre attention sur le tailloir d’un des piliers, divisé en trois zones horizontales dont les deux premières sont ornées de deux boudins superposés, et celle du haut, qui est plate, d’un cordon de dents de loup gravées en creux : :type usité au IXe siècle, époque de la reconstruction du monastère qui avait été ruiné en 732 par les Sarrasins.

VII. Soirée à l’hôtel Rolin.

Le même jour, à huit heures et demie, les représentants des deux Sociétés se retrouvaient en grand nombre à l’hôtel Rolin. La belle salle du premier étage qui sert aux réunions, ornée d’une cheminée monumentale et d’un plafond chevronné avec corbeaux à écussons, avait été récemment revêtue de peintures murales dans le style de Louis XII. Et ce travail de restauration avait été pressé et achevé en vue de recevoir les membres de la Diana.

Il nous est impossible de donner un inventaire même sommaire des nombreux objets d’art ou d’archéologie, disséminés dans toutes les salles de l’hôtel et qui composent une très importante collection-musée, qu’enrichissent tons les ans de généreuses donations. Mais comment passer sous silence cette perle intitulée : Tableau funéraire de Jehan Drouot, curé de Saint-Quentin d’Autun,mort le 18 janvier 1481 ? C’est une page aussi saisissante que précieuse de l’art flamand – bourguignon du XVe siècle ; page à laquelle le musée de la Société Eduenne peut, à bon droit, donner une place d’honneur, et dont l’histoire a été magistralement écrite par son si généreux donateur M. Bulliot (1). Signalons encore, en finissant, le précieux plan de l’Autun antique, oeuvre de coordonnation patiente de feu M. Roidot-Deléage. Elle est exposée dans la salle des séances. C’est un travail dont on ne saurait trop provoquer l’imitation.

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(1) Mémoires de la Société Eduenne. Tome X, page 301.

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Mais, « après la prose des conversations et des discussions archéologiques », comme le dit le rapport officiel, « il convenait que la poésie fût aussi de la fête ». Sa présence était, à l’égard des compatriotes de \7ictor de Laprade, une délicate attention venant s’ajouter à tant d’antres. M. le colonel Desveaux, membre de la Société Eduenne, adresse donc aux membres de la Diana la pièce suivante, dont la lecture couverte d’acclamations vient clore cette délicieuse soirée :

Amants de tous les arts et sciences humaines,
Vous qui, pour visiter des amis inconnus,
Des plaines du Forez aux cimes éduennes
Arrivez en ce jour, soyez les bienvenus

Jadis, quand les Gaulois, quand nos communs ancêtres,
Luttaient pour la patrie et pour les libertés,
Sur la crête des monts, ils brûlaient les grands hêtres,
Pour rallier les fils de toutes leurs cités.

La science, aujourd’hui, fait rayonner son phare,
Et ce flambeau sacré, répandant ses lueurs
Sur les cantons divers que l’espace sépare,
Appelle et réunit les esprits et les coeurs.

Soyez les bienvenus ! Allons des anciens âges
Ensemble secouer les poudreux parchemins,
Fouiller les monuments et feuilleter les pages ;
Voir notre beau théâtre et nos portails romains.

Et puis, Excelsior ! pour sceller notre pacte,
Voudrez-vous avec nous monter sur les sommets,
Reconnaître les murs de l’antique Bibracte
Que l’herbe avait couverts, il semble, pour jamais ?

Quand plus tard nous irons visiter vos domaines,
Et retrouver chez vous des visages connus,
Aux plaines du Forez, des cimes éduennes,
Nous serons, j’en suis sûr, aussi les bienvenus !

DEUXIEME JOURNÉE

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EXCURSION AU MONT BEUVRAY.
TEMPLE DE JANUS. – BANQUET.

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1. Monthelon. – Vautheau. – La Boutière. – Saint-Léger.

Trente-sept excursionnistes sont, le mercredi matin 25 juin, présents au rendez-vous donné sur la place du Champ de Mars. Le départ a lieu à six heures. La matinée est radieuse et l’entrain général. Nous descendons dans la plaine Autunoise, voilée d’une vapeur bleuâtre et transparente au-dessus de laquelle émergent les cimes lointaines du Morvan, et arrivons promptement à une première halte, le château de Monthelon.

Monthelon, autrefois Montholon, est une des plus anciennes résidences en Bourgogne des Rabutin, seigneurs de Bourbilly, dont l’écusson est sculpté au-dessus de la porte principale avec la belle devise : Virescit vulnere virtus. « La vertu s’accroît par les plaies.. » Ce manoir, rendu méconnaissable par les multiples transformations qu’il a subies depuis le milieu du XVIe. siècle, eut l’honneur d’abriter la sainte fondatrice de l’ordre de la Visitation.

C’est là que, pendant plus de sept ans, Bénigne Frémyot, veuve de Christophe, baron de Chantal, obligée de donner ses soins à son beau-père, vieillard brusque et quinteux que dominait une servante méchante et intéressée, eut occasion d’exercer ces vertus chrétiennes qui lui ont valu, un siècle environ après sa mort, les honneurs de la canonisation (1).

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(1) Walkenaer. Mémoires sur la vie et les écrits de la marquise de Sévigné.

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En dehors de ces pieux et austères souvenirs, l’ancienne maison-forte des Rabutin, convertie vers 1580 en modeste gentilhommière, n’attire plus l’attention que par son comble élevé sous lequel s’ouvre une galerie soutenue par quatre courtes colonnettes : véritable loggia italienne sur laquelle donnaient les trois chambres occupées par le baron Guy de Rabutin et ses hôtes. Sainte Chantal habitait une salle basse, mal éclairée, placée en entresol au-dessus de la grande cuisine, et formant passage pour accéder à l’escalier qui conduisait à l’étage de la galerie. Tout à côté, un petit réduit servant de chapelle était surmonté d’une salle qui était la pharmacie de la sainte. On y voit une fenêtre encore garnie d’une roue à clochettes qui du rez de chaussée était mise en mouvement par une corde agissant sur un axe coudé. Les clochettes sont fixées sur la tranche de la roue et perpendiculairement à sa circonférence :rare exemple d’un de ces carillons en miniature qu’on voyait autrefois dans les églises. M. V. Durand dit qu’il a trouvé, dans les papiers de la sacristie de Marclopt en Forez, une pièce constatant l’existence d’un instrument de ce genre. C’est une ordonnance de l’archevêque Antoine de Malvin de Montazet, du 13 septembre 1782, rendue à la suite do la visite faite à Marclopt par Jean-Antoine-François de Malvin de Montazet, vicaire général, et qui prescrit, entre autres choses, l’enlèvement de « la roue à sonnettes placée sur la porte de la sacristie. « Mgr de Montazet avait été évêque d’Autun avant de monter sur le siège de Lyon. Le souvenir de sainte Chantal l’aura peut-être empêché d’exercer son zèle sur la roue sonnante de Monthelon.

Après avoir quitté la demeure des Rabutin, la route s’élève dans un frais vallon, au sommet duquel se montrent tout à coup les ruines poétiques de Vautheau. Une tour carrée flanquée d’une tourelle d’escalier, l’une et l’autre à toitures aiguës et drapées d’un magnifique manteau de lierre qui grimpe jusqu’aux créneaux, se mire dans un petit étang aux rives ombreuses. C’est un château de Walter Scott. Dans ce manoir délabré, nous dit M. Bulliot, la famille de Traves établit un prêche au temps des guerres de religion et devint la terreur de tout le voisinage. Nid de Vautheau, nid de Vautours.

A l’intérieur subsistent deux salles du XVe. siècle superposées et un bel escalier à vis dont les marches sont percées de trous carrés pour arquebuser l’assaillant qui, après avoir forcé la porte, aurait tenté de s’engager dans la montée. Un colombier de la Renaissance se dresse de l’autre côté de l’étang ; il est couronné d’une lanterne à colonnettes qui rappelle le style de la fontaine située sur la place de la cathédrale d’Autun.

Quelques excursionnistes se sont attardés dans la tour ; ils y sont enfermés et leurs cris d’appel parviennent à se faire entendre. On les délivre, et pour cette fois ils échapperont au supplice du comte Ugolin.

Après avoir quitté Vautheau, Il nous faut escalader une colline couverte de ronces et de genêts en fleur pour retrouver nos voitures. Nous passons à côté du château de la Boutière, dont l’emplacement a été identifié avec le Boxum de la table de Peutinger. Un membre de la Société fait observer que ce nom de Boutière pourrait venir du bas latin Boteria, Bouteria, Buteria, (agger, via strata, Ducange) et indiquer le passage de la route antique signalée en ce lieu.

Nous arrivons à l’auberge de Saint-Léger-sous-Bibracte. Plusieurs membres de la Société Eduenne nous y attendent, et bientôt 47 convives s’empressent de faire honneur au plantureux déjeuner préparé par Mme Simon, l’hôtelière habituelle des touristes du Beuvray.

Après Saint-Léger, les grands châtaigners se multiplient, le paysage prend un aspect plus grandiose et les sommets boisés de Bibracte se dressent devant nous. Il faut quitter les voitures. D’ailleurs l’étape sous bois n’est pas longue, surtout avec un guide comme M. Bulliot, qui, sur le sol gaulois, devient un agile et intrépide pionnier que nous avons véritablement peine à suivre.

Mais voici les remparts ; voici l’entrée du grand oppidum des Éduens ; voici la porte du Rebours.

II. Le Beuvray.

Il y a peu d’années, les pâturages et les forêts qui couvrent le Beuvray, dissimulant sous un voile de verdure les mouvements de terrain dus à la main de l’homme et ne laissant apparaître à la surface que de rares fragments de poterie, ne permettaient pas à l’observateur non prévenu de supposer qu’une cité importante eût jamais existé sur ces hauteurs. Pour la plupart des érudits, l’identification de Bibracte et d’Augustodunum ne faisait pas de doute, malgré la tradition constante qui plaçait sur le Beuvray l’ancienne forteresse des Éduens. S’armant des textes et de cette tradition, comme dans les catacombes l’illustre chevalier de Rossi s’armait des itinéraires des pèlerins du VII e siècle et du catalogue des reliques envoyées sous Grégoire-le-Grand à la reine des Lombards, le savant président de la Société Eduenne s’installait sur le Beuvray dans une rustique maisonnette décorée maintenant du nom d’hôtel des Gaules. Et là, se prenant corps à corps avec cette terre gauloise à laquelle il voulait arracher ses secrets, il ne cessait, durant plus de vingt années, de remuer, de fouiller l’immense plateau, relevant le plan de chaque substruction mise au jour et tout aussitôt remblayée pour en assurer la conservation.

Grâce à ces efforts admirables, grâce à cette insigne persévérance, le problème a été enfin résolu, et M.Bulliot, donnant à ses concitoyens un Pompéi gaulois, a accompli cette grande oeuvre de la résurrection d’un peuple et d’une civilisation !

On comprend quel intérêt allait nous offrir une exploration méthodique dirigée par cet intrépide et si dévoué savant. Et notre tâche de rapporteur se bornera à résumer le moins imparfaitement possible les explications et les récits de notre guide, en nous aidant des notes de notre ami et confrère M. Vincent Durand.

L’enceinte, de forme irrégulière et allongée, offre un développement de plus de 5 kilomètres et embrasse une superficie de 135 hectares (1). Elle se maintient habituellement en dessous des sommets, suit les ressauts et dépressions de la montagne et présente l’aspect d’une large terrasse qui cache les restes d’un mur en pierres sèches, jadis consolidé intérieurement par un système de poutres entrecroisées et reliées entre elles par de grandes crosses de fer. On a retrouvé un grand nombre de ces fiches encore piquées debout dans le vide laissé par la décomposition du bois. C’est exactement le procédé de construction des murailles gauloises décrit par César (1b) et dont notre Forez possède un bel exemple dans les remparts du Crêt Châtelard explorés par M. Aug. chaverondier

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(1) C’est la plus grande enceinte gauloise connue.
(1b) Bell. Gall. VII-23.

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En dehors de l’enceinte, les pentes de la montagne sont aujourd’hui couvertes de bois, entrecoupés de clairières et de pâturages. M. Bulliot, questionné à ce sujet, dit qu’il est porté à croire qu’à l’époque gauloise, ces pentes étaient simplement gazonnées, tant pour faciliter la surveillance des abords de la place, que pour fournir des pâturages aux nombreux troupeaux mis en sûreté dans l’oppidum.

On accédait à la cité par des portes que défendaient des bastions et des tours en bois, dont on trouve encore des traces.

Quant à l’intérieur de l’oppidum, il se compose de trois plateaux principaux, le champ de foire ou la Terrasse, le Theurot et l’esplanade de la Wivre ; Ils sont d’altitudes diverses variant de 700 à 820 mètres et séparés par des vallées qui entretiennent des sources précieuses et très abondantes.

LE CHAMP DE FOIRE. – Nous avons suivi pour arriver aux remparts la voie antique du Rebours, la seule accessible aux chariots. Elle se resserre en un étroit couloir taillé dans le roc pour donner entrée dans l’oppidum, dont elle devient la principale artère, et, à 300 mètres de la porte, dans le quartier des métallurgistes et des orfèvres sédentaires de la Come-Chaudron, elle est bordée de petites constructions foraines en bois, n’ayant pas plus de 3 mètres, assez semblables aux baraques de nos foires, et séparées de la chaussée par un trottoir pavé de deux mètres de largeur. « Ainsi logés sur le passage de la foule, les marchands qui déballaient dans ces réduits paraîtraient avoir vendu des objets semblables à ceux des ateliers fixes du voisinage, fibules, miroirs, objets de toilette. Ils étalaient leurs produits au bord du trottoir où l’on peut se figurer, telle que César l’a peinte, la foule des Gaulois curieux et avides de nouvelles entourant les marchands dans les oppidums, leur demandant de quels pays ils viennent, et ce qu’ils en savent (1) ?

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(1) César. De Bell. Gall. lib. IV, 15. – La Foire de Bibracte par J.-G. Bulliot. Nous mettons entre guillemets les citations empruntées à ce savant et si curieux Mémoire.

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Les traditions, et les fouilles très importantes exécutées sur le plateau culminant du Beuvray, où nous arrivons après avoir passé devant l’hôtel des Gaules, ont permis d’y constater l’existence dès avant notre ère de réunions publiques commerciales. « L’histoire de ce champ de foire est restée écrite dans les débris dont il est jonché, dans les nombreuses médailles et les objets qui en sont. sortis. Sur ce point foulé par un grand nombre de peuples, les monnaies étrangères de Marseille (2) et de la Gaule méridionale sont mélangées à celles de la plupart des cités gauloises, des Allobroges, des Helvètes et surtout des Ségusiaves et des Eduens (3). Quelques ustensiles en pierre polie, un fragment de hache de bronze, des débris de poteries peintes, une bossette émaillée attestent son occupation bien avant l’arrivée de César. »

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(2) Les Marseillais, 123 ans avant l’ère chrétienne, mirent en rapport les Éduens avec les Romains et leur obtinrent le titre de frères.
(3) Parmi ces monnaies gauloises découvertes au Beuvray, une des plus communes est celle au revers du taureau cornupète, si abondante dans la station forézienne d’Essalois. (Note de M. V. Durand).

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Sous des constructions on pierre plus récentes, de l’époque gallo-romaine, on a trouvé les indices certains de halles et loges en bois affectées aux marchandises et aux marchands, d’écuries pour les animaux employés aux transports, qu’on abreuvait dans. une grande mare taillée dans le roc à deux mètres de profondeur et dont on a retiré de très beaux vases gaulois au moment de la découverte (1). On a pu conclure de ces recherches « que la foire du Beuvray, avant notre ère, était dans sa splendeur et l’un des grands emporium de la Gaule centrale. »

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(1) Les bords supérieurs de cette citerne furent utilisés ensuite comme lieu funéraire lors de l’abandon de l’oppidum, car il s’y trouva un grand nombre de sépultures à incinération et des médailles.

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De considérables innovations surviennent dans cet état de choses avec la conquête romaine et malgré la suppression de l’oppidum qui devait suivre de très près cette conquête. « Les baraques en planches, en poteaux et en pisé de l’emporium gaulois font place à un temple, à un forum et à des constructions régulières en pierres ». Ces modifications datent de l’administration d’Auguste et sont antérieures de quelques années à 1’ère chrétienne. En effet, dans l’area même du Forum, derrière la cella du temple, on découvrit à un mètre de profondeur, dans de la pierraille rapportée pour niveler le sol, deux médailles à fleur de coin. « Elles étaient placées comme un mémorial sous une tablette en marbre blanc, à côté d’un gros morceau de quartz couvert de cristaux, déposé là pour marquer la place et attirer l’attention. Les deux médailles contemporaines appartenaient, l’une à la nationalité gauloise, l’autre à Rome,.La première, de Germanus fils d’Indutillus, rappelait la fin de l’indépendance celtique ; la seconde, avec la tête d’Auguste et le revers de l’autel de Lyon, la consécration de la conquête et la date de la construction du temple. ». M. V. Durand rappelle que, dans les fouilles faites à Moind en Forez, aux frais de la Diana, sur l’emplacement d’un édifice antique pourvu d’une colonnade et décoré avec luxe, on a trouvé aussi un énorme échantillon de cristal de roche, apporté là peut-être comme offrande à la divinité locale (1).

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(1) Bulletin de La Diana, II, p. 35.

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Le temple occupait le centre d’une cour fermée par le forum et se composait d’une nef ou vestibule de 8m 80 de large sur 7m de long, terminée à l’est par une cella large de 4m 30 sur 2m 05 de profondeur. Décorée à l’intérieur de placages de marbre et de porphyre d’Egypte, et solidement construite en mortier de chaux et en tuileau pilé, cette construction possédait sur ses deux flancs un portique couvert, de 2m de large, soutenu par des colonnes à base carrée en pierre, et fut monté par assises de briques coupées en quart de cercle.

« La principale façade du forum longeait la grande voie transversale et avait sur cette ligne plusieurs loges marchandes débouchant, comme les cellules d’un cloître, sous un portique pareil à celui du temple. »

Après l’abandon de l’oppidum, le temple continua d’exister durant les quatre siècles de l’occupation romaine, c’est-à-dire, d’Auguste à la fin du règne de Valentinien, contemporain de saint Martin, dans la seconde moitié du IVe siècle. Il fut alors transformé en église par la substitution d’une abside demi-circulaire à la cella païenne, ainsi que l’ont démontré les fouilles. Et cette transformation aurait été, suivant la tradition, l’oeuvre de saint Martin lui-même, dont Sulpice Sévère mentionne le passage dans le pays des Eduens. A l’appui de ses explications, M. Bulliot déroule un plan à grande échelle montrant la superposition des édifices qui se sont ainsi succédés en ce lieu.

Une chapelle moderne, dédiée à l’apôtre des Gaules, a été solennellement consacrée, le 9 septembre 1876, par Mgr l’évêque d’Autun, en présence des membres du Congrès scientifique. Les excursionnistes constatent avec indignation, sur sa porte do fer et ses murailles, les traces de nombreuses balles dont se sont amusés à la frapper, il y a peu de temps, deux facétieux fonctionnaires en promenade sur le Beuvray.

En avant de la chapelle, une croix monumentale avait été déjà érigée en 1851, en l’honneur de saint Martin, à la suite d’un vote de la Société française d’archéologie, réunie en Congrès à Nevers sous la présidence de M. de Caumont.

Toujours conduite par M. Bulliot, la Société se dirige vers la pointe méridionale du plateau du champ de foire, en face d’un admirable horizon qu’elle reste quelques instants à contempler.

A peu de distance émerge du fond d’une vallée le village de la Roche-Millay, que dominent les ruines de son ancien château, résidence dès le XII e siècle des puissants seigneurs de Châtillon, de la maison des comtes de Nevers et héritiers de l’ancienne châtellenie de Glenne, dont dépendait le Beuvray.

A raison de cette possession, le seigneur de la Roche percevait la litte ou leyde, due par les marchands venant à la foire du 1er mai, et « d’après une coutume dont, « dit M.Bulliot, « l’origine paraîtrait remonter aux assemblées gauloises, il faisait chaque année, à cette foire du Beuvray, le dénombrement des vassaux de ses soixante seigneuries dans un de ces plaids où l’on rendait la justice, où se traitaient les affaires, les demandes de réparations ou de vengeances. Après quoi, on se livrait aux divertissements et aux festins, comme dans les anciennes fêtes de la Gaule .Toute la noblesse des environs se rendait à cheval à ce rendez-vous solennel, et le troisième jour de la foire terminait par un grand tournoi… » C’est à la suite d’une de ces réunions, qu’en 1253, Jean de Châtillon, seigneur de la Roche, descendit sur Autun et y délivra à main armée un de ses vassaux, Guy de la Perrière, détenu pour quelques méfaits dans la prison du Chapitre (1). Revenu à résipiscence, il se soumit à la pénitence publique, fut condamné à rendre ses prisonniers et à suivre en chemise, avec cinq de ses complices, une procession dans les églises de Lyon, Autun, Langres, Mâcon et Chalon, un jour de grande fête, à la réquisition du Chapitre. M. V. Durand, qui rappelle ces détails, fait remarquer que ce Jean de Châtillon est le même qui en qualité d’époux de Dauphine, dame de Saint-Bonnet-le-Château, confirma les franchises de cette ville en 1270.

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(1) Ce Guy de la Perrière était probablement Guy 1er, mort avant 1275, qui avait épousé vers 1247 Alix de Roanne, héritière vers 1264 de la moitié de la seigneurie de cette ville (Cf. Coste. Essai sur l’hist. de la ville de Roanne,… page 83).

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La pénitence imposée au fougueux seigneur de la Roche fut-elle accomplie ? M. Bulliot estime qu’il est permis d’en douter. Il ajoute que la puissante seigneurie de Glenne, dont relevaient la Roche et le Beuvray, et dont l’origine se perd dans la nuit des temps, pourrait bien représenter le domaine d’un ancien chef gaulois, peut-être celui de Litavicus ?

M. le curé de Curgy fait remarquer qu’en réparation de son audacieux coup de main, Jean de Châtillon dut, en outre, se reconnaître, pour lui et ses descendants, vassal du Chapitre d’Autun pour une de ses seigneuries voisine du château de la Roche ; et il entre à ce propos dans d’intéressants détails sur l’étendue des possessions de l’église d’Autun.

Cette partie méridionale du plateau du champ de foire est désignée sous le nom de la Terrasse. Nous sommes là sur un véritable agger, avec vallum et fossé de sept mètres de largeur, dont le profil est exactement donné par une tranchée pratiquée en travers de la cuvette. On pourrait être surpris de trouver cet ouvrage de castramétation romaine dans un oppidum gaulois, si les commentaires de César ne nous faisaient connaître dans quelles circonstances il dut être établi. Après la chute d’Alise, le conquérant des Gaules avait pris ses quartiers d’hiver à Bibracte, lorsqu’appelé par une nouvelle insurrection des Bituriges, il quitta l’oppidum en y laissant une faible garnison de deux cohortes. Leur chef Marc-Antoine dut les mettre à l’abri dans le camp retranché dont nous voyons les vestiges, qui offrent une grande ressemblance avec ceux du Terreau, commune de Sainte-Foy (Loire), visités par la Diana dans une précédente excursion. Sur un des côtés de chacun de ces deux camps se remarque une enceinte annexe. M.Bulliot croit que celle du Beuvray servait à contenir les bagages et les approvisionnements, et, selon toute apparence, telle était aussi la destination de l’autre.

Le Theurot. – Nous quittons les beaux ombrages qui abritent cette partie du Beuvray pour nous rendre à la fouille du Parc aux chevaux, sur la colline du Theurot, en passant par la fontaine Saint-Pierre, la plus abondante de l’oppidum, ancienne source sacrée but d’un important pèlerinage le premier mercredi de mai, avant le lever du soleil.

Le flanc méridional du plateau du Theurot, d’une altitude moyenne de 782 mètres, était occupé par les maisons aristocratiques de Bibracte. Leur plan est à peu près celui des maisons romaines. Les murs sont régulièrement élevés au cordeau, sans mortier de chaux (1), avec soubassement en saillie et angles taillés. Un escalier non encore remblayé offre des marches d’une hauteur extraordinaire et les fouilles ont donné beaucoup de tuiles à rebords, dont l’emploi à l’époque gauloise ne fait pas de doute pour M. Bulliot. On a trouvé sur le sommet de la colline l’emplacement d’un second sacellum élevé au dieu du commerce, ainsi que l’indique une inscription votive, la seule qui ait été découverte au Beuvray et que M.Héron de Villefosse a ainsi restituée :

aug . Mercurio
Sac . NEG . segOM
vERETI . F
eX . vOTO . SVSCEPT

A Mercure Auguste, negociator, Segomarus fils de Veretus, en accomplissement de son vœu.

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(1) Des constatations récentes faites par M. Bulliot tendent à établir que cette règle a pu souffrir des exceptions.

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« Ce modeste sanctuaire, accessoire naturel de la foire, « dit M. Bulliot, » subsista jusqu’au quatrième siècle, car on y a trouvé doux médailles de Constantin. Il dut disparaître en même temps que celui du champ de foire, dans la mission de saint Martin. »

On descend de là à la Pierre Salvée, sorte de tribune sur la pente N.-O. du Theurot. Les fouilles ont mis au jour en cet emplacement une multitude de terrasses sur des pentes incommodes, des foyers en plein air, des maisons très petites et de vastes hangars. On présume que ce quartier était affecté aux populations qui venaient s’abriter avec leurs bagages dans l’enceinte de 1’oppidum (1). « Aussi le nom de la Pierre Salvée semble-t-il dérivé de sa situation au milieu de ce lieu de retraite : c’est la pierre du Sauvement, du Salvamentum des chartes, qui n’était que la continuation des refuges gaulois ».

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(1) L’oppidum gaulois n’était pas une ville avec habitants sédentaires, mais une place forte dont la destination essentielle était de s’ouvrir, à un moulent donné. à des populations entières refoulées par l’ennemi. (La cité Gauloise, p. 13 et suiv.).

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Pierre de. la Wivre. – Il faut franchir un ravin assez profond pour arriver au troisième plateau dit de la Pierre de la Wivre (du serpent) et formant l’extrémité nord de l’oppidum. Cette esplanade rocheuse, de 160m de long sur 100 de large, légèrement bombée pour l’écoulement des eaux, a été visiblement dérasée au pic. On y a réservé une saillie de rocher, isolée, étroite, sorte de tribune à laquelle on accède par une rampe ménagée latéralement. A l’arrière de ce rocher est un bassin qui contient de l’eau en tout temps; c’est la fontaine des larmes, nom qui se retrouve dans plusieurs autres oppidums, notamment en Alsace. « Les pierres des larmes, Kerguelvan, étaient en Bretagne des pierres de justice sur lesquelles on prêtait serment et qui, en cas de parjure, suintaient de l’eau « . Enfin, une sorte de cirque contigu à l’esplanade, dont il est séparé par une terrasse, était réservé pour recevoir les chevaux des chefs qui assistaient aux délibérations.

Solitude, escarpements, disposition intérieure et traditions (1), tout concourt pour faire reconnaître dans cette esplanade un de ces lieux consacrés dont César signale l’existence dans les cités gauloises : sanctuaire, lieu de justice, de réunion du concilium des chefs. C’est donc bien probablement du haut de la pierre de la Wivre qu’ont parlé tour à tour Vercingétorix et César. Une tradition y fait monter saint Martin pour prêcher l’évangile aux païens du Morvan. Debout sur cette tribune, M. Bulliot évoque devant nous ces grands souvenirs et nous lit quelques passages des historiens anciens sur la tenue des assemblées des Gaulois (2).

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(1) D’après une légende locale, la pierre de la Wivre recouvre un trésor qui n’apparaît que dans la nuit de Noël, quand la pierre tourne une fois sur .elle-même, à l’heure de minuit (Excursion de la Société Hist. De la Diana, p. 34).
(2)La Cité Gauloise, page 216.

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Nous revenons;. au centre de l’oppidum en traversant le parc aux chevaux jusqu’à l’Hôtel des Gaules, où le maître du logis a eu l’aimable attention de nous faire préparer des rafraîchissements, et chacun de nous, avant de partir, inscrit son nom sur l’album de M. Bulliot.

III. Temple de Janus. – Porte d’Arroux.

Le retour a lieu par la Grande-Verrière, et l’excursion s’achève par la visite de la pittoresque ruine située au bas de la ville d’Autun, près de la rivière d’Arroux, et connue sous le nom de temple de Janus. De l’édifice à plan rectangulaire, deux parois contiguës restent seules debout. Elles ont 24m de hauteur et près de 3m d’épaisseur. L’intérieur parait avoir formé une salle recouverte d’un lambris et éclairée par des fenêtres ouvertes sous des arcs de décharge avec glacis très incliné. Il semble probable que l’édifice était entouré d’un portique en charpente, dont les trous sont restés apparents, Bien des hypothèses ont été faites sur la destination de ce monument. M. Bulliot suppose que c’était une espèce de marché couvert, avec sanctuaire central dédié à Mercure. Sa situation en dehors de l’enceinte lui donne à croire qu’il est contemporain de l’ancien Augustodunum, celui brûlé sous Tétricus. M. Thiollier fait remarquer que la construction lui parait postérieure au temps d’Auguste.

Nos voitures passent à gué la rivière et nous rentrons à Autun par la superbe porte antique d’Arroux, dont la galerie d’ordre corinthien inspira, comme nous l’avons vu, l’architecte de la cathédrale.

IV. Le Banquet.

Cette journée si intéressante, si bien remplie, se termine par un banquet qu’offrent à leurs collègues Eduens les membres de la Société Forézienne. A huit heures et demie, cinquante convives sont réunis à la table de l’hôtel Saint-Louis, sous la présidence de M. Vincent Durand, secrétaire de la Diana, qui au dessert prend la parole et résume en ces termes les sentiments unanimes de ses confrères :

Monsieur le président, messieurs les membres do la Société Eduenne (et j’ose ajouter, .chers confrère, puisqu’en m’honorant du titre de votre correspondant, vous m’avez conféré le droit de vous saluer ainsi), nous ne sommes pas venus ici en orateurs, mais en auditeurs, non pour y discourir, mais pour nous instruire aux leçons de votre expérience, pour étudier, admirer vos nombreux et magnifiques monuments et vos riches collections. La Société de la Diana est une soeur cadette que vous avez accueillie avec un empressement, une condescendance, dont elle ne saurait vous exprimer trop vivement sa gratitude. je remercie en particulier votre cher Président. Depuis que nous avons touché le sol de votre hospitalière cité, il s’est dépensé pour nous sans mesure. Aujourd’hui même, quelle belle et profitable journée ne nous a-t-il point fait passer dans cette grande Bibracte, qu’il a pour ainsi dire ressuscité de ses ruines Quand je vous voyais, Monsieur, debout sur ce rocher historique d’où Vercingétorix convia jadis vos pères et les nôtres aux luttes de l’indépendance, je me prenais, en écoutant vos doctes explications, à chercher une arme, une épée, pour en frapper, à la mode antique, mon bouclier en signe d’applaudissement. Et je regrettais que les députés de toutes les Sociétés archéologiques des Gaules ne fussent point assemblés avec nous en concile pour vous décerner l’imperium ! (1).

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(1) Totius Galliae concilium Bîbracte indicitur ; … ad unum omnes Vercingetorigem probant imperatorem (César, B. G. VII, 63)

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Je voudrais pouvoir redire à M.Roidot quels excellents souvenirs nous emporterons de l’obligeance qu’il a mise à nous guider dans votre belle cathédrale, restaurée par lui avec autant de hardiesse que de talent. Enfin, je remercie M. le colonel Desveaux de ses vers empreints de sentiments si patriotiques et d’une si franche cordialité. Plus tard, nous a-t-il dit,
Plus tard, quand nous irons visiter vos domaines
Et retrouver chez vous des visages connus,
Aux plaines du Forez des cimes Eduennes
Nous serons, j’en suis sûr, aussi les bienvenus.
Ah oui, Messieurs, mille fois les. bienvenus ! Que nous vous sommes reconnaissants de cette bonne parole ! Laissez-moi en prendre acte publiquement. Je bois à votre prochaine visite. Nous n’aurons à vous offrir que la monnaie de vos trésors archéologiques et artistiques. Mais, à cet échange inégal, nous ne craignons pas d’accroître la dette de notre reconnaissance.
Je bois à la prospérité de la Société Eduenne ; à la santé de votre cher, aimable, érudit et vénéré président.

M. Bulliot répond ainsi :

Je suis fort touché des paroles bienveillantes qui me sont adressées au nom de nos bons voisins du Forez. Mais qu’ils me permettent de leur dire que dans une république, le mot d’imperium sonne mal. J’aime mieux celui de fraternité. Il est fort à la mode aujourd’hui, ce qui ne veut pas dire que la chose soit plus commune ; mais au moins suis-je bien sûr que, si elle disparaissait du reste de la terre, on la retrouverait toujours dans le coeur des archéologues.

Après de nombreux toasts portés à la prospérité des deux Sociétés, nous nous séparons en nous donnant rendez-vous au lendemain, pour la visite des collections publiques et particulières et l’excursion au château de Montjeu.

 

TROISIEME JOURNÉE

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LES COLLECTIONS ET LES MONUNIENTS ANTIQUES D’AUTUN.
LE CHATEAU DE MONTJEU.

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I. Collection Bulliot.

Les collections artistiques et archéologiques du président de la Société Eduenne avaient droit à notre première visite, car nous y devions retrouver les intéressants et précieux débris rendus par les fouilles étudiées la veille au mont Beuvray.

Une salle entière est consacrée aux objets antiques de bronze, de marbre, de verre ou d’argile, tous recueillis à Autun ou à Bibracte.

Tout d’abord s’offre à nos regards ou plutôt à notre admiration une tête de Vénus en marbre de Paros, d’un travail grec de la meilleure époque, qui n’a subi qu’une légère mutilation et provient de l’abbaye de Sainte-Marie de Saint-Jean-le-Grand d’Autun ; abbaye édifiée par la reine Brunehaut sur ruines d’un ancien temple de la déesse Bérecynthe (Cybèle), spécialement adorée des Autunois (1).

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(1) Le Parc de Saint-Jean-le-Grand renferme les substructions de somptueux édifices romains, dans lesquelles on a trouvé des mosaïques, des fragments de sculpture. des marbres rares …( Epigraphie Autunoise, par M. Harold de Fontenay ). Mémoires de la Société Eduenne, t. XI).

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Parmi les bronzes figure une lampe d’un beau dessin, considérée généralement comme supérieure à celle du musée de Vienne en Dauphiné. Au moment de la découverte elle avait encore sa mèche, composée de deux nattes très bien conservées par l’oxyde de cuivre, et qui répandit une vive clarté quand M. Bulliot l’alluma.

Dans la même vitrine, leur heureux possesseur nous montre plusieurs émaux gaulois antérieurs à la conquête et trouvés par lui dons les fouilles de la Come-Chaudron. Les objets de céramique venant du Beuvray composent à eux seuls un musée des plus instructifs. Nous remarquons notamment plusieurs vases peints, d’autres à formes singulièrement élégantes trahissant une origine orientale que M. Bulliot regarde comme certaine. Il suppose qu’ils furent importés par les marchands marseillais venant aux foires de Bibracte. Vient ensuite la série de toutes les poteries gallo-romaines, vaisselle vulgaire et vaisselle de luxe en terre rouge sigillée, à riche ornementation incuse ou en relief et donnant un assez grand nombre de marques de potiers.

Mais c’est la salle voisine, véritable musée du grand art et des arts industriels en Bourgogne au moyen-âge et à la Renaissance, qui retient le plus longtemps les visiteurs. Il y a là toute une collection de sculptures d’une haute valeur archéologique et esthétique, à commencer par un saint Pierre en marbre, oeuvre du XII e siècle, un peu antérieure peut-être aux précieux débris du tombeau de saint Lazare déposés au musée lapidaire d’Autun. Cette statuette, haute de 0m 90, formait un trumeau de fenêtre au réfectoire du chapitre de la cathédrale. L’influence byzantine y est fortement accusée par les détails des draperies à petits plis raides et allongés et par la barbe tressée en pointes nombreuses. La main gauche soutient un édifice composé d’un tour hexagonale à trois étages surmontée d’une coupole. Les pieds reposent sur un lion ; et la statuette elle-même a été placée sur un chapiteau de la fin du Xle siècle, à lions affrontés, rappelant ceux des travées de l’ancienne église bénédictine de Charlieu, mais toutefois d’un travail moins fin et d’un moindre relief.

Près de ce morceau d’un intérêt surtout archéologique, deux statues debout, une Vierge polychrome et une sainte Catherine, perles artistiques de la collection Bulliot, nous paraissent offrir un intérêt capital pour l’histoire de la statuaire en Bourgogne au XVe siècle. Nous ne résistons pas à la tentation de les décrire.

La Vierge on pierre, haute de 1m 15, provient, parait-il, de l’église Notre-Dame d’Autun, érigée en collégiale et rebâtie vers 1450 par le chancelier Rolin. Les détails du costume semblent dater cette oeuvre exquise de la seconde moitié, ou plutôt du dernier tiers du XVe siècle. Un voile encadre le visage, dont les traits d’une correction de dessin parfaite, sont empreints d’un rare sentiment de suavité et de distinction, sans trace de réalisme. La robe rouge, avec manches étroites fendues jusqu’au poignet, est serrée très haut à la taille par une ceinture d’orfèvrerie. Elle est recouverte par un ample manteau en riche tissu parfilé d’or et doublé d’hermines. Pas de poulaines. L’enfant tenu sur les bras de sa pieuse mère est ligoté à la manière italienne.

Cette oeuvre excellente comme travail et comme style nous semble présenter cet intérêt spécial, qu’on n’y retrouve rien du caractère flamand de l’école bourguignonne du XVe siècle,et qu’on y sent plutôt l’inspiration de l’art primitif de Florence. Et cependant elle dut provenir d’un des ateliers de ces sculpteurs ymagiers de Dijon, continuateurs et disciples du Hollandais Claux Sluter, le précurseur de génie qui fonda l’art bourguignon à la fin du XIV e siècle. A Dijon en effet, à la cour de Philippe-le-Bon, s’était concentré le mouvement artistique de la France entière ; mouvement commencé à la Chartreuse de Sluter pour s’achever, cent cinquante ans plus tard, dans les splendeurs de Brou. L’école de Tours n’était pas née, et son chef Michel Colombe apprenait son art en 1460 dans l’atelier bourguignon de Pierre Anthoine le Moiturier, qu’il appelle « maistre Anthoniet, souverain tailleur d’ymaiges (1). Et de même que cette école française de ‘Tours recevait dès sa naissance l’influence italienne par le florentin Jean Juste et les artistes lombards appelés à Gaillon puis à Fontainebleau (2), il n’est point impossible que pareille influence ait pu pénétrer, exceptionnellement tout au moins, dans les ateliers de Dijon qui, dès le milieu du XVe siècle, furent aussi bien que ceux des Flandres en contact fréquent avec l’art et les artistes italiens.

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(1) Les ducs de Bourgogne, par le comte de Laborde. Preuves, tome I, page 549.
(2) Pour n’en citer qu’un des plus notables, il paraît certain que le peintre milanais André Solario, élève de Léonard de Vinci, faisait partie de la corporation rouennaise qui fournit les artistes employés à la décoration du château de Gaillon A Deville. Comptes de dépenses. . de Gaillon, passim.

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Il y aurait donc, ce nous semble, tout un problème très curieux, très intéressant, à étudier et à résoudre à propos de la Vierge de la collection Bulliot.

L’autre statue représente sainte Catherine vêtue du costume des dames nobles de Bourgogne au XV e siècle : robe longue traînante, surcot à échancrure carrée et ceinture posée assez bas sur les hanches. Elle porte une couronne sur ses longs cheveux d’or; mais la tête large, aux maxillaires fortement accusés, au front démesuré et proéminent, révèle sans doute possible l’influence flamande. Pas plus dans les détails, très soignés d’ailleurs, du modelé et du dessin, que dans l’attitude, on ne retrouve la distinction et la noblesse de la Vierge polychrome.

A cette même école bourguignonne de maître Claux appartient une autre belle statue en pierre de sainte Barbe, haute de 1m 50, pareillement vêtue de la robe ajustée, que recouvre un manteau retenu par un cordon noué. Le surcot est réduit aux deux bandes de fourrure qui suivent le mouvement de la poitrine, puis s’écartent librement de chaque côté de la taille. Sur la tête est posée une couronne massive formée d’un cercle à compartiments fleuronnés. Le front est large, protubérant, mais l’attitude est pleine do dignité et de correction.

Nous ne quitterons pas cette salle si intéressante sans signaler une pièce de tapisserie du XV e siècle, ouvrée d’or et de soie et qui sur un fond bleu sombre représente les déduits d’une chasse au sanglier. Pas de perspective linéaire, sauf dans les dimensions des. personnages, graduées en raison des places qu’ils occupent dans l’ensemble. Sur le premier plan, un ravissant groupe de trois jeunes demoiselles ornées de chapeaux de fleurs attire surtout l’attention. L’une d’elles joue du luth, les autres cueillent les fleurettes piquées dans le gazon , et leurs robes flottantes et sans ceinture suivent les ondulations de la taille. Le charme des attitudes, aussi bien que la richesse du coloris et un certain décousu dans la composition, rappelleraient les énigmatiques tapisseries de Boussac. Ici toutefois rien ne saurait être comparé à la beauté et à la distinction. des jeunes .dames à la. licorne ; et la tenture du musée Bulliot est une de ces innombrables oeuvres dont les hauts-liciers franco-flamands emplirent, dès 1420, les garde-meubles de la maison de Bourgogne et des officiers des ducs.

Nous ne pouvons qu’énumérer rapidement, parmi de nombreux objets disséminés dans les autres salles et aussi intéressants par leur provenance que par leur valeur d’art ou d’archéologie : les carreaux à incrustations blanches dans une pâte rouge, qui s’assemblent par quatre et proviennent de la maison de chasse des ducs à Brazé-en-Plaine; plusieurs miniatures fort précieuses ; un meuble à deux corps, du milieu du XVI e siècle, et de nombreux échantillons de peintures sur verre de toutes époques et de tous styles. L’un d’eux représente un chevalier agenouillé, vêtu d’une armure de plate et du sayon, ou pourpoint à jupe, en usage à partir de 1500. Il porte les solerets articulés et arrondis de la même époque et la tête est remarquablement bien modelée.

M. Bulliot possède aussi de nombreux tableaux, notamment une série de peintures et de beaux dessins d’Adrien Guignet, une des gloires artistiques d’Autun. Adrien Guignet a exécuté pour le duc de Luynes une notable partie de la décoration du château de Dampierre. C’était un enthousiaste, un érudit, un passionné pour la couleur et le mouvement, procédant surtout de Decamps et du Salvator. Mais sa peinture manque quelquefois d’air, de transparence et a poussé au noir.

II. Le Musée de l’Hôtel-de-Ville.

Les richesses d’art et d’antiquité que possède la ville d’Autun sont installées à la mairie dans cinq vastes salles très bien aménagées et précédées d’un vestibule qu’ornent les bustes de trois illustres Autunois, le président Jeannin, le général Changarnier et le maréchal de Mac-Mahon.

Il faut convenir que la galerie de peinture est plus remarquable par le nombre que par la valeur des oeuvres qu’elle renferme. Une toile représentant le combat livré à Somah en Algérie par le général Changarnier est signée Horace Vernet. On y trouve mouvement et sincérité. Mais que dire de cette palette, de ce pauvre coloris ! Comme cela a vieilli ! Tout à côté, se trouve une des oeuvres les plus importantes d’A.Guignet, la Mêlée, scène de combattants furieux dont l’acharnement rappelle la bataille des Cimbres, dans un paysage qu’eût dessiné Everdingen. Cette toile, exposée au Salon de 1844, fit une profonde sensation. « Rien ne risque plus d’être un chef-d’oeuvre, « disait dans son compte-rendu le prince des critiques d’art à cette époque ; « il ne faudrait pour cela que supprimer les Decamps. – Adrien Guignet est mort trop jeune, « écrivait encore Théophile Gautier quelques années plus tard, « il n’avait plus que quelques marches à franchir pour atteindre cette plateforme d’où l’on domine la foule et où tous les yeux vous suivent (1). »

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(1) Adrien Guignet par Théophile Gautier. Magasin Pittoresque, 1869. – Le peintre Adrien Guignet, sa vie et son oeuvre, par J.-G. Bulliot. Autun, 1879.

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La dernière salle contient deux panneaux de l’école primitive de Sienne et un troisième qui rappelle la manière du célèbre Padouan Mantegna. Ces peintures sont intéressantes et proviennent du musée Campana. Mais est-il vrai qu’elles furent le prix de la cession à l’Etat du portrait du chancelier Rolin par J. Van Eyck, une des perles du salon carré du Louvre ?

Les objets antiques appartenant au musée Eduen offrent un bien plus grand intérêt que les tableaux. On y remarque des collections de figurines creuses en terre cuite, Vénus et déesses mères, et d’urnes cinéraires recueillies dans les cimetières et les tombeaux qui formaient à Augustodunum une ceinture funéraire, des échantillons de stucs et de couleurs en pains ou en boules, des objets de toilette, des instruments de chirurgie, etc. En un mot, la civilisation gallo-romaine reparaît la toute entière. Mais les vitrines particulièrement précieuses sont celles des petits bronzes. Nous n’en mentionnerons qu’une pièce capitale : un groupe de crupellaires en bronze plaqué d’argent, découvert derrière les murs de l’hospice. Ces soldats gladiateurs, revêtus d’une carapace de fer, ont été décrits par Tacite, qui les fait figurer dans l’armée gauloise de Julius Sacrovir.

Terminons enfin ce trop rapide examen par la description du fameux poisson de verre trouvé en 1854 dans une sépulture chrétienne, près de Givry (Saône-et-Loire).

On sait que les premiers chrétiens, durant les trois siècles de persécution, au temps où la disciplina arcani était en vigueur, avaient imaginé des signes secrets de reconnaissance, des symboles amplement décrits par les Pères. Le mot grec ??????, poisson, fournissant les initiales des cinq mots qui signifient : Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur, le poisson devint l’emblème mystérieux du Christ, du Christ Eucharistique. Ce symbole fut gravé sur de nombreux objets à l’usage des chrétiens. On fabriqua notamment des poissons de bronze ou de verre destinés à être suspendus au cou, véritables tessères sacrées qui étaient distribuées aux nouveaux baptisés. Le poisson de verre du musée d’Autun est un de ces objets portatifs. Ses anneaux sont intacts et on le déposa probablement dans la sépulture du néophyte auquel il avait appartenu.

On sait, par l’éminent archéologue chrétien M. de Rossi, que l’emploi de la figure du poisson comme symbole secret, on usage dès les temps apostoliques, est une pratique exclusivement propre aux trois premiers siècles et qu’après Constantin, cet emblème n’apparaît plus guère que comme ornement. Mais dans la Gaule chrétienne, l’épigraphie, pour l’adoption comme pour l’abandon des formules et des symboles, retarde presque constamment d’un siècle sur Rome (1). On peut donc admettre sans trop de chances d’erreur que le poisson de verre d’Autun ne remonte guère qu’au IVe siècle.

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(1) Le Blant. Inscriptions chrét. de la Gaule, t. I.

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III. Musée lapidaire.

Au musée lapidaire, ancienne chapelle de I’hôpital de Saint-Nicolas, où nous nous rendons en sortant de l’Hôtel-de-Ville, a été déposé un monument encore plus précieux que celui que nous venons de décrire pour l’histoire de la primitive église et du symbolisme chrétien, Nous voulons parler de la célèbre inscription connue sous le nom d’Epitaphe d’Autun, où l’hiéroglyphe du poisson est manifestement appliqué au pain sacramental de l’Eucharistie, Elle est gravée sur une table de marbre et a été trouvée, le 25 juin 1839, dans un des cimetières chrétiens d’Augustodunum, au polyandre de Saint-Pierre l’Estrier mentionné par Grégoire de Tours.

C’est une inscription grecque de onze vers divisée en deux parties. La première est composée de six vers, dont cinq forment l’acrostiche du mot ‘Ixo’us ; la seconde est l’épitaphe proprement dite C’est un Lyonnais, S. E. le cardinal Pitra, qui le premier parvint à lire ces vers qui ont agité le monde des savants et des protestants d’Allemagne, de F’rance et d’Italie, et dont M. F. Lenormant a proposé une restitution approuvée par M. Le Blant et acceptée universellement aujourd’hui (1). En voici le texte et la traduction littérale :

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(1) F. Lenormant. Mélanges d’archéologie, tome IV, page 118. – Edm. Le Blant. Inscriptions chrét. de. la Gaule, t. I, n° 4.
(2) Le marbre original est brisé en sept morceaux et il manque au moins trois autres fragments pour compléter la partie inscrite. Les caractères sont grêles et allongés ; ce sont des capitales entre lesquelles sont intercalées quelques lettres de plus petite dimension. Les . et les . sont de forme lunaire. On remarque certaines particularités orthographiques, telles que l’emploi de l’e simple pour la diphtongue.
Le texte que nous reproduisons a été ramené à l’orthographe normale et les mots ou parties de mots restitués y sont placés entre crochets.

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« O race divine du Poisson céleste, reçois avec un coeur pieux la vie immortelle parmi les mortels, la vie des eaux merveilleuses. Réchauffe, ô mon ami, ton âme dans les îlots intarissables de la Sagesse qui donne la richesse. Reçois l’aliment, doux comme le miel, du Sauveur des saints. Prends, mange, bois, tu tiens le Poisson dans tes mains (1).

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(1) Aux premiers siècles de l’Eglise, les fidèles ne recevaient pas le pain consacré dans la bouche, mais les hommes le recevaient dans la main droite nue croisée sur la gauche, les femmes sur un linge blanc appelé dominicale, après quoi chacun le portait respectueusement à sa bouche. (Martigny, Dictionnaire des Antiquités chrétiennes).

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« Poisson, accorde-moi cette grâce, je la désire ardemment, ô Maître, ô Sauveur ! Que ma mère dorme heureusement, je t’en conjure, lumière des morts ! Aschandeus mon père, si cher à mon coeur, avec ma tendre mère et tous mes parents, dans la paix du Poisson, souviens-toi de ton Pectorius. »

Quelques savants datent du IIe siècle, de l’époque des Antonins, d’autres, et c’est le plus grand nombre, du commencement du III e, cette inscription qui suffirait à elle seule, comme le disait M. Bulliot, pour faire la réputation d’un musée archéologique. Elle est installée à une place d’honneur, au centre de la petite abside romane de la chapelle.

Contre les parois se dressent les morceaux de sculpture les moins mutilés provenant du tombeau de saint Lazare : un Christ et deux longues figures de femmes qui, par leurs proportions, rappellent celles de la porte centrale de la cathédrale de Chartres. Peu postérieures au tympan de Gislebert, ces statues accusent pourtant, surtout le torse du Christ, une technique déjà beaucoup plus avancée, et, pour l’histoire de l’art français durant le XII e siècle, ce sont des pièces singulièrement précieuses.

Sur le sol de l’abside gît un magnifique fragment de statue en pierre de couleur jaune et passablement fruste.. Les jambes et les bras n’existent plus. Mais le modelé du torse, la correction des traits du visage et je ne sais quel sentiment d’élégance qui distinguera éternellement le grand art grec, font de ce fragment une des richesses artistiques d’Autun. Nous n’en connaissons pas la provenance.

La nef de la chapelle est occupée par une très grande mosaïque antique trouvée sur l’emplacement de la gare du chemin de fer, et tout autour ont été déposées des sculptures en ronde bosse, en bas-relief, de tous styles, de toutes dates, dont la description nous entraînerait trop loin. . Nous ne pouvons que citer : un fragment de colonne itinéraire en marbre marquant la distance d’Augustodunum à Auxerre et à Saulieu ; une statuette de Bacchus avec un tonneau dont les cercles sont nettement indiqués (preuve de l’ancienneté de l ‘usage, en Gaule, des vases de bois pour renfermer le vin) ; un riche sarcophage chrétien représentant une chasse et portant le monogramme du Christ ; deux bais-reliefs, travail français très fin et très élégant du milieu du XVI e siècle ; et enfin, un groupe en pierre de treize figures sculptées en ronde bosse, représentant la résurrection de Lazare, et qui est une oeuvre très expressive et fort curieuse de l’école flamande.

Dans la cour et sous le cloître qui précèdent la chapelle, sont déposés une grand quantités de stèles, des fragments .de béton et de briques antiques, de chapiteaux, de sarcophages, parmi lesquels on nous montre les débris du sarcophage païen en marbre dans lequel fut inhumée la reine Brunehaut dans l’abbaye de Saint-Martin d’Autun.

C’est sur la :demande de la Société Eduenne, qu’en 1861, la ville d’Autun a fait l’acquisition, pour y installer un musée lapidaire, de cette chapelle Saint-Nicolas, bâtie au XII e siècle sur I’emplacement d’un tronçon d’ancienne voie conduisant de la porte Saint-André à la voie d’Agrippa, à l’extrémité du forum Marciale devenu le quartier de Marchaux. Disons en passant que ce petit monument de transition est, comme proportions et comme plan, un excellent modèle à proposer aux constructeurs d’églises rurales.

IV. Porte Saint-André. – Théâtre antique. – Petit séminaire.

A peu de distance du musée lapidaire, nous nous arrêtons devant l’antique Porte Saint-André qui s’ouvrait sur la voie romaine d’Autun à Langres. Elle se compose de deux grandes arcades charretières accompagnées de deux avant-corps avec portes pour les piétons, le tout surmonté d’une galerie à jour de construction moins ancienne et dont le sol, jadis au niveau des remparts, est à onze mètres au dessus de la voie. Ce monument est décrit par1e rhéteur Eumène, dans son discours prononcé à Trèves, l’an 311, devant l’empereur Constantin. Il y est fait mention de deux tours dont il était flanqué aussi bien que les trois autres portes de l’enceinte d’Angustodunum. Une de ces tours existe encore. Les profils et le travail sont loin de valoir comme finesse et distinction ceux de la porte d’Arroux, qui nous est parvenue d’ailleurs dans un meilleur état de conservation.

C’est près de cette porte Saint-André que fut martyrisé, au III e siècle, saint Symphorien patron d’Autun. On sait que plusieurs de nos chapelles ou églises de Forez ont été placées sous le vocable de ce saint si populaire.

Le théâtre d’Augustodunum était le plus grand de la Gaule ; il mesurait, dit-on, 150 mètres de diamètre, et comme celui de Pompéi, comme celui de Moind en Forez, il était installé sur la pente d’une colline faisant face à un immense panorama. Construit en petit appareil très soigné, ce monument était encore, paraît-il, assez bien conservé à la fin du XVIIe siècle. Il a, depuis lors, servi de carrière de pierres, mais la verdure qui recouvre maintenant ses ruines les préserve de nouveaux actes de vandalisme.

Tout près se trouve le petit séminaire qui, par son esplanade incomparable, ses grandioses jardins dessinés à la française et ses arbres séculaires, passe à bon droit pour une des curiosités de la ville. M. Bulliot nous montre, au pied d’une statue de la Vierge, érigée à l’extrémité de la terrasse, les traces d’un obus prussien qui frappa un des degrés de l’emmarchement, le 1er décembre 1870. Sur cette terrasse où était établie une batterie française, de nombreux mobiles de la Charente-inférieure trouvèrent une mort glorieuse. Pendant le combat, un professeur du petit séminaire se tint constamment à une fenêtre exposée au feu de l’ennemi, suivant les péripéties de la lutte et sans doute envoyant une suprême absolution aux braves qui tombaient sous ses yeux.

V. Évêché.

En sortant du petit séminaire, la plupart des excursionnistes reprennent le chemin de l’hôtel Rolin, pendant que les membres du conseil d’administration de la Diana présents à Autun se rendent à l’évêché pour remercier Mgr Perraud, au nom de la Société, des paroles si bienveillantes qu’il lui a adressées et de toutes les facilités qu’il lui a procurées, la veille, pour visiter la cathédrale et son trésor. Cette députation reçoit le plus gracieux accueil de Monseigneur, qui lui propose de visiter l’évêché.

C’est un édifice reconstruit en grande partie au XVIIe siècle, mais qui conserve des parties anciennes, notamment une haute tour carrée d’un grand air et percée d’ouvertures qui accusent le XVI e siècle. Monseigneur introduit d’abord les visiteurs dans son cabinet de travail, qui est de plain-pied avec une terrasse dallée d’où la vue est fort belle. Puis il fait parcourir successivement ses salons ornés des portraits de plusieurs de ses prédécesseurs et de divers autres tableaux, parmi lesquels un triptyque de 4 mètres de développement sur 1m 80 de hauteur porte la date authentique de 1515. Le premier panneau représente la Cène, à laquelle assiste le donataire en costume ecclésiastique, probablement un chanoine, agenouillé à gauche au premier plan. Les deux volets reproduisent des scènes de l’Ancien Testament se rapportant au mystère de l’Eucharistie. Le coloris est riche ; le style porte déjà l’empreinte de la Renaissance.

Descendant ensuite un vaste et bel escalier moderne, les visiteurs sont introduits au rez de chaussée dans une grande salle, aujourd’hui divisée en deux compartiments par une cloison et qui passe pour avoir servi d’auditoire a l’officialité diocésaine. De hautes fenêtres l’éclairent ; elle est couverte d’un beau lambris apparent et à l’une de ses extrémités se voit l’emplacement d’un autel adossé au mur sous une arcade surbaissée du XVe siècle.

La visite se termine par celle des jardins formés de plusieurs étages de terrasses. De l’angle inférieur, au matin, l’oeil suit le cours du riant vallon qui borne la ville de ce côté et dont la crête est couronnée par les murailles, les tours de l’enceinte et les combles aigus de plusieurs vieilles constructions :: tableau charmant qui évoque le souvenir de certaines cités allemandes dont la physionomie gothique s’est conservé jusqu’à notre époque.

La députation prend congé de Monseigneur, en lui présentant de nouveau l’expression de sa respectueuse gratitude.

VI. Couhard. – Brisecou.

Les excursionnistes toujours guidés par M Bulliot. sortent d’Autun en voiture par le faubourg Saint-Blaise, et au bout d’un quart d’heure mettent pied à terre pour visiter la Pierre de Couhard. On donne ce nom à un massif de maçonnerie surmonté d’une pyramide, fort ruiné et totalement dépouillé de son revêtement primitif en pierre calcaire.

La destination de ce monument est ignorée ; les fouilles méthodiques opérées à diverses époques depuis deux cents ans, tant sur ses abords qu’intérieurement, n’ont pu que révéler sa forme et ses dimensions primitives. C’était une pyramide à base carrée de 22m de côté sur 30m environ de hauteur. Actuellement elle a encore 26m de hauteur. « Elle est placée au sommet du champ des Urnes. l’un des trois polyandres gallo-romains d’Augustodunum et dans lequel des fouilles ont donné une abondante moisson des objets les plus intéressants pour l’étude des sépultures antiques « (1) On en a fait un phare ou signal ; on en a fait le tombeau de Divitiacus, ami de César, l’un des plus illustres chefs des Eduens. Tout porte à croire que c’était un luxueux monument funéraire, analogue à la pyramide de Cestius, pins élevée de dix mètres, que s’était fait ériger à Rome un prêtre epulon. On n’a pu toutefois retrouver, comme dans celle-ci, de chambre sépulcrale intérieure.

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(1) Congrès scientifique d’Autun, tome 1, page 62, Rapport de M. L. Pouillevet.

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En quittant la pierre de Couhard, la Société, au lieu de suivre la route qui conduit à Montjeu, s’engage sur la gauche en cotoyant à pied la dérivation du ruisseau de Brisecou, et bientôt elle arrive à la cascade qui ferme le vallon, de plus en plus resserré. Ce site délicieux n’a pas la grandeur un peu sauvage des vallées du Lignon3 de l’Aix ou du Furens, mais il n’en mérite pas moins la réputation dont il jouit auprès des paysagistes et des amis de la belle nature. « Adrien Guignet affectionnait pécialement la gorge de Brisecou, qu’il étudiait à toutes les heures du jour et de la nuit, pourrait-on dire, car elle occupe une certaine place dans ses clairs de lune au fusain « (1). Il lui a consacré une étude d’automne, peinte en 1846, et qui fait partie de la collection Bulliot.

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(1) Le peintre A. Guignet, par M. Bulliot, page 72.

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Il faut remonter sous bois pour retrouver les voitures, et gagner insensiblement le plateau de Montjeu. En plusieurs endroits, près de la route, se montrent les restes mis à découvert d’un aqueduc romain, construit en petits moëllons de granit, qui conduisait à Autun les eaux de Montjeu, et qui est de dimensions suffisantes pour qu’un homme puisse s’y tenir debout.

VII. Montjeu. – Départ d’Autun.

Mais voici le parc. Et après avoir longé le grand étang de la Toison, magnifique pièce d’eau de forme irrégulière et longue d’un kilomètre, les excursionnistes arrivent au château situé à la tête d’un vallon, en arrière d’une vaste esplanade où un jet d’eau s’élance du milieu d’un vaste réservoir. Ici tout a grand air : le parc clos de murs, qui a plus de sept cents hectares ; les étangs qui ressemblent à des lacs ; les futaies séculaires sur lesquelles se détachent le corps de logis principal avec deux ailes en retour, quatre pavillons couronnés de lanternons, et de vastes communs qui n’ont pas été atteints par les restaurations modernes.

Montjeu appartint d’abord à une puissante maison dont le chef Hugues, baron de Montjeu, était en 1348 premier maître d’hôtel du duc de Bourgogne (1). Avant d’être acquis, en 1604, par le président Jeannin, il avait été possédé par la famille d’Hostun, tige probable des d’Hostun de Gadagne, seigneurs de notre château de Bouthéon en Forez. Incendié en 1746, le château fut réparé avec un luxe et une magnificence remarquables par la famille d’Aligre ; l’étendue du parc fut encore augmentée et les eaux prodiguées dans les jardins dessinés par Lenôtre.

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(1) Congrès scientifique d’Autun, tome I, page 68.

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La Société, accueillie avec la plus grande courtoisie par le représentant de madame la princesse de Talleyrand-Pèrigord, propriétaire actuelle de cette belle demeure, est introduite dans les grands appartements, dont la décoration uniforme se compose de lambris sculptés peints et dorés. C’est, appliqué à un édifice beaucoup plus vaste, le système d’ornementation qu’on admire au château forézien de Sury-le-Comtal, et cette analogie frappe les visiteurs. A Sury, la sculpture est plus remarquable ; à Montjeu, la décoration peinte tient une part plus considérable et est mieux traitée. Il y a notamment, au milieu d’arabesques et de rinceaux d’un excellent style, des figurines brossées avec une désinvolture qui annonce une main des plus habiles.

La salle à manger est garnie de tentures de haute lice d’un grand effet: : dans un salon contigü, d’autres tapisseries non moins belles. La grande galerie, de 15 mètres de long sur 7m de large, éclairée par huit fenêtres, est ornée des portraits du président Jeannin et d’Anne Guéniot sa femme, de Louis XIII, d’Anne d’Autriche, et d’un très grand nombre d’autres personnages célèbres. Dans la chapelle, l’attention est particulièrement attirée par une suite de paysages de Paul Bril et par les délicates peintures de la voûte.

Mais l’heure du retour a sonné. Après avoir parcouru les futaies du parc percées d’allées magnifiques, on repart pour Autun, et à la hauteur du plateau de Couhard, un spectacle admirable s’offre à nos yeux : c’est la ville dont les clochers, la flèche de la cathédrale, la tour des Carmélites, les grands bâtiments des Séminaires se détachent en silhouette sur le fond des plaines de l’Arroux ; c’est, à l’horizon, le profil sévère du Beuvray que dore le soleil à son déclin. Chacun regrette de ne pouvoir fixer sur la toile ce tableau d’un splendide coloris.

Le soir réunion d’adieu à l’hôtel Rolin. Le lendemain, à 10 heures, départ d’Autun. Plusieurs membres de la Société Eduenne veulent encore venir serrer les mains de leurs hôtes Foréziens, et M. Bulliot lui-même ne les quitte qu’à la gare, mettant ainsi le comble aux délicates attentions qu’il n’a cessé de leur prodiguer.

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