BD, Tome IV, Inauguration de la statue de Victor de Laprade à Montbrison, pages 369 à 451, Montbrison, 1888.

 

Inauguration

de la statue

de

Victor de Laprade

à Montbrison

 

Le dimanche 17 juin 1888 avait été choisi pour I’inauguration solennelle, à Montbrison, de la statue de Victor de Laprade, élevée au moyen d’une souscription ouverte par la société de la Diana.

Cette solennité avait attiré dans la vieille capitale du Forez un grand nombre d’étrangers de distinction. Dès la veille, M. François Coppée, successeur de Victor de Laprade à l’Académie française et délégué de cette illustre compagnie, et M. Bonnassieux, de l’Académie des Beaux-Arts, vice-président d’honneur de la Diana et auteur de la statue, étaient arrivés à Montbrison, où M. le vicomte de Meaux, membre de la commission chargée de l’érection du monument, avait donné en leur honneur une fête brillante, à laquelle étaient conviés tous les membres de la Diana et tous les souscripteurs.

A l’exemple de l’Académie française, les autres corps auxquels le poète forézien a appartenu par des liens de confraternité ont envoyé des députations officielles. La faculté des lettres de Lyon s’est fait représenter par M. Fontaine, titulaire de la chaire jadis occupée par Victor de Laprade, et par M. Bruneau. L’Académie de Lyon a envoyé MM. Léon Roux président et A. Vachez secrétaire de sa classe des Lettres et M. Antoine Mollière. M. Ducurtyl, conseiller honoraire à la Cour de Lyon, a été délégué pair la Société d’éducation de cette ville, dont Victor de Laprade fut le président ; M. Bonnel, professeur de mathématiques au Lycée de Lyon, par l’Association des anciens élèves du Lycée.

La jeunesse, à qui Victor de Laprade a adressé tant de beaux vers et de si mâles conseils, ne pouvait être absente d’une fête consacrée à sa mémoire. L’Association générale des étudiants de Lyon a tenu à honneur d’y députer deux de ses membres, MM. Demontès et Dupuis, licenciés ès – lettres. MM. Meaudre, Neyrieux, Neyron de Saint-Julien, Rose, de la Rousselle et Sonnery, conduits par le R. P. Pinot, sont venus au nom de l’école de SaintThomas d’Aquin, à Oullins.

Enfin M. le docteur Gonnard a été choisi par la Société amicale des Foréziens de Paris pour représenter ses compatriotes éloignés du pays natal.

Le 17 juin, à neuf heures du matin, la société de la Diana s’assemble à l’église Notre-Dame pour assister au service annuel célébré à l’intention des membres défunts. La messe est dite par M. le chanoine Condamin. M. Lachmann, l’habile compositeur; tient l’orgue. Par une délicate attention, M. Coppée a bien voulu se mêler aux rangs de la société. On remarque aussi la présence de Madame de Laprade et de toute sa famille.

A onze heures, un banquet de plus de cent couverts réunit de nouveau les membres de la Société et les souscripteurs dans la vaste salle de la Chevalerie.

A la table d’honneur prennent place M. le comte de Poncins, président, ayant à sa droite M. Coppée et à sa gauche M. Bonnassieux, et MM. Paul de Laprade, Chialvo, adjoint au maire de Montbrison Fontaine, Roux, le lieutenant-colonel Barbé, du 16e d’infanterie, commandant la garnison de Montbrison, Ducurtyl, Chaize, vice-président du tribunal de Montbrison, le docteur Gonnard, le vicomte de Meaux et Bruneau. Trois longues tables reçoivent les autres convives. Ce sont MM. Achalme, Angeli, Atanoüs, d’Avaize, Beauverie, peintre, vicomte de Becdelièvre, Berland, Berthon, peintre, Bertrand vice-président de la Société d’émulation de l’Allier, Boggio, Bonnel, Boulin, Bourdin, Bourge, Braly, A. Brassart, E. Brassart, Canteras, Chauve, du Chevalard, conseiller général, président de la Société d’agriculture de Montbrison, le chanoine Condamin biographe de Victor de Laprade, Debertrand, Demontès, Duclos, Dupuis, A. Durand ,juge, V. Durand, L. Dusser, J.-J. Epitalon, Ferran, le chanoine Gaffino, curé-doyen de Cette, L. Galle, V. Gay, Genin, M. Gonnard, le docteur Goure, F. Goure, Goureaud, C. Gourju, ancien principal du collège de Roanne, des Gouttes, Huguet, L. Jacquemont, S. Jacquemont, A. Jacquemont, Jacquet, Janmot, peintre, le lieutenant Jannesson, Joulin, Lachmann, A. Lafay, O. Lafay, Victor de Laprade, E. Le Conte, J. Le Conte, E. Leriche, Lhonneur, de Luvigne, Maillon, de Marcilly, Mazas, Méplain, R. du Mesnil, Michaud, Michot, Antoine Mollière, Monery, Montagnon, substitut du procureur de la République, Paul Montagnon, de Montrouge, Morel, comte J. de Neufbourg, d’Orgeval, de Paszkowicz, architecte, Pellet, Périer, Peyron, W. Poidebard, Poncet, architecte, Populus, Poulot, le docteur Rey, Rochigneux, J. Rony, L. Rony, C. Roy, Sérullaz, C. Seux, J. Seux, Soliniac, Soulenc, F. Thiollier, A. Vachez.

Au dessert, M. le vicomte de Meaux prend la parole en ces termes :

 

SANTE PROPOSEE PAR M. LE VICOMTE DE MEAUX.

Messieurs,
Notre société de la Diana a aujourd’hui 25 ans (sans compter les mois de nourrice) (1).

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(1) Elle a été fondée le 29 août 1862.

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Avoir vingt-cinq ans, pour un homme, c’est être jeune, et l’on peut même s’éloigner tant soit peu de ce bel âge et rester néanmoins un très jeune académicien, le plus précoce aussi bien que le plus aimable et non le moins illustre des immortels. Mais pour une Société, avoir vingt-cinq ans, c’est être vieille, c’est avoir duré plus qu’aucun gouvernement n’a duré en France en ce siècle. Notre fondateur, dont je me reprocherais de ne pas prononcer le nom au moment où nous célébrons l’anniversaire de notre naissance, notre fondateur M. de Persigny en a su quelque chose. Avant de fonder la Diana, il avait voulu fonder un empire : la Diana seule lui survit. Elle lui survit pour attester qu’à travers les agitations de sa carrière et les variations de sa fortune, du moins il a constamment aimé son pays de Forez, sa petite patrie.
La petite patrie ! Elle a été aussi beaucoup aimée par un autre Forézien, qui n’avait à coup sûr rien de commun avec M. de Persigny, par celui que nous glorifions aujourd’hui. Mais je ne veux pas empiéter sur les hommages qui vont lui être rendus tout à l’heure. Laissez-moi seulement le remercier d’un dernier honneur qui de lui rejaillit sur nous, d’une dernière bonne fortune qu’il vaut à son pays : celle de voir dans notre étroite et modeste cité une représentation de 1’Institut de France,
Je ne parle pas de M. Bonnassieux. De tout temps M. Bonnassieux est des nôtres et, avant d’admirer en lui comme il convient le grand artiste, nous sommes accoutumés a respecter et à chérir l’excellent compatriote.
Mais voilà que par une étrange rencontre le poète Forézien qui se faisait gloire de n’avoir pas composé un seul vers à Paris appelle à Montbrison le plus Parisien des poètes, Parisien non seulement par la naissance, les goûts et les habitudes, mais parce qu’il a tiré de Paris même sa poésie.
Aussi bien, Monsieur, ce que vous cherchez dans Paris, ce n’est pas ce que nous autres provinciaux nous reprochons, ce que nous envions peut-être à la grande ville, le luxe, le tapage, le tourbillon brillant et rapide qui emporte hommes et choses ; tout au contraire : les boulevards encore solitaires, les rues lointaines où l’herbe pousse à travers les pavés, les mansardes branlantes, et dans ces rues, dans ces mansardes, les vies dénuées et cachées, l’héroïsme du petits et des humbles, voilà ce qui vous séduit.
Vous parvenez à découvrir à Paris, Dieu me pardonne ! précisément ce que notre Laprade trouvait et goûtait à Montbrison. Tenez, il y a dans votre charmant et touchant poème d’Olivier un passage où Laprade a dû reconnaître, je ne dis pas la forme et la coupe de ses vers, non : votre poésie si originale, si pénétrante et si délicate en sa familiarité n’est pas d’un imitateur, elle est d’un maître ; mais dans ce passage où vous évoquez la mémoire d’un père, l’auteur de Pernette a certainement senti battre un coeur pareil au sien.
Vous savez donc aimer ce qui ne fait pas de bruit, Monsieur. Eh bien, peut-être aimerez vous un peu notre Société de la Diana maintenant que vous la connaissez. Du moins vous souffrirez que, malgré l’éclat inaccoutumé de votre présence, nous célébrions un instant notre fête de famille.
Je ne sais quel mauvais plaisant disait dans je ne sais quel banquet : « Je porte une santé qui vous est chère à tous : que chacun boive à la sienne. » Je vais faire à peu près comme ce mauvais plaisant. Je propose à la Société de la Diana ici rassemblée de boire à la santé, à la prospérité, à la perpétuité de la Diana, et pour maintenir notre association en ce bon état, je lui propose de boire à la santé, à la prospérité, je voudrais pouvoir dire, à la perpétuité de chacun de ses membres. Car enfin, nous sommes entre nous, soyons sincères, aurons-nous jamais des successeurs qui nous vaillent ? Assurément nous ne le pensons pas.
Et tout d’abord comment pourrait se remplacer notre doyen, que je regrette fort de ne pas voir aujourd’hui parmi nous, notre ancien président (1) ? C’est lui qui de concert avec notre vice-président, ce noble et savant héritier d’un vieux nom Forézien (2), c’est lui qui nous a sauvés aux mauvais jours et, dans sa mémoire toujours fraîche, il garde avec autant d’exactitude que d’amour les traditions et les souvenirs de notre cher Forez.

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(1) M.Testenoire-Lafayette.
(2) M. le comte de Charpin-Feugerolles.

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Et notre secrétaire ! (3) Pour celui-là, vous conviendrez, j’en suis certain, qu’il n’a pas son pareil. Je sais bien qu’il s’est adjoint un coadjuteur (4) très habile et très dévoué et que, par une rare merveille, titulaire et coadjuteur s’accordent ensemble… N’importe : vous pensez tous que notre secrétaire perpétuel mériterait d’être immortel.

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(3) M. Vincent Durand.
(4) M. Eleuthère Brassart.

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Quant à notre président (5), si j’essayais de dire ce que tous aussi pensent de lui, je le connais, il serait capable de me couper la parole en traitant de vil flatteur son vieux camarade.

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(5) M. le comte de Poncins.

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Je ne m’y risquerai pas. En revanche, je suis sûr qu’il s’unira à moi pour proclamer que nulle part on ne trouverait un bibIiothécaire (6) qui prodigue d’aussi bon coeur que le nôtre son temps, sa peine et ses efforts. Il n’y a que l’argent de notre société qu’il épargne.

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(6) M.Rochigneux.

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C’est comme notre trésorier (7) : cet homme d’un commerce si agréable, obligeant, serviable comme on rie l’est pas… ailleurs qu’en Forez, devient un cerbère, dès qu’on fait mine de toucher à la caisse.

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(7) M. Joseph Rony

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Aussi grâce à notre trésorier, à notre bibliothécaire, à notre président, j’ai idée que quelque jour nous serons très riches, à deux conditions toutefois (je reviens en finissant à ce que je disais tout à l’heure) : la première, que nous continuions les uns et les autres de payer indéfiniment nos cotisations, que nous sachions vivre longtemps ; la seconde, que nous sachions aussi croître et multiplier. Puisse la Diana ne perdre aucun de ses membres, et en acquérir chaque jour de nouveaux ! A la santé de la Diana.

 

M. François Coppée répond ainsi :

RÉPONSE DE M. FRANÇOIS COPPÉE.
M. le vicomte do Meaux me tend un piège dans lequel je me vois forcé de tomber.
Il m’oblige à le remercier publiquement des gracieuses paroles que vous venez d’entendre et je ne suis pas, comme lui, un brillant improvisateur. Avec un papier à la main, vous le verrez tout à l’heure, je m’en tire encore comme un autre : mais je suis de ceux qui aiment à mettre, comme disait Boileau, tous les matins leurs impromptus au net.
Je ne puis cependant, ni résister au plaisir, ni me soustraire au devoir de remercier M. de Meaux et vous tous, Messieurs, de votre accueil.
J’ai visité, ce matin, votre belle salle de la Diana, j’ai vu votre bibliothèque et vos collections, reçu un de vos jetons de présence que je conserverai précieusement, et considérant tout ce que vous avez su faire en vingt-cinq années, je ne doute pas de la longévité et du brillant avenir que l’on vient de vous souhaiter.
Je bois à votre santé, Messieurs ! à la prospérité de la Diana ! à la ville de Montbrison !

Enfin, M. Paul de Laprade, un des trois fils du poète, se lève et, d’une voix émue, prononce les paroles suivantes :

DISCOURS DE M. PAUL DE LAPRADE.
Messieurs,
Il y a quatre ans, dans une mémorable séance de la Diana, M. le vicomte de Meaux vous rappelait les vers où Victor de Laprade reportait sur son cher pays de Forez tout l’honneur de sa vocation poétique, et il faisait suivre cette citation d’un chaleureux appel que M. le comte de Poncins et la Société toute entière de la Diana répétaient avec lui.
Grâce à vous tous, Messieurs, et grâce au noble artiste dont le talent si pur, si élevé, si religieux, s’harmonisait si bien avec celui de son modèle, ce n’est pas « un humble monument » mais une magnifique statue qui va vous apparaître dans quelques instants.
Il ne nous appartient pas de parler tout à l’heure devant un auditoire nombreux, et de mêler nos voix obscures aux voix illustres que vous allez entendre. Pourtant, à cette fête si belle et si complète ne manquerait-il pas quelque chose, si aucune voix ne s’élevait pour vous louer vous-mêmes ?
Votre généreux appel a été entendu de loin. On vous a répondu de tous les points de la France et même de l’étranger, et dans cette adhésion il y a en, non seulement un hommage rendu à la forme littéraire, mais la preuve de la communauté d’admiration, d’espérance, ou parfois d’indignation, qui vous unissait à Victor de Laprade et nous unit tous en ce moment.
L’Académie française nous a envoyé celui de ses membres que nous désirions tous voir prendre part à cette sorte de fête de famille.
M. François Coppée. en succédant à votre poète Forézien, et en le louant déjà si dignement, a acquis droit de cité parmi nous. Nous sommes tous bien vivement touchés de sa présence.
C’est avec une profonde émotion, Messieurs, que les fils de Victor de Laprade vous remercient. L’amour traditionnel du Forez que nous avons reçu de notre père, la sympathie qui nous unissait à ce que j’appellerai sa famille poétique, c’est-à-dire à ses disciples, ses amis, ses admirateurs, s’augmente aujourd’hui de toute notre reconnaissance, et nous contractons vis-à-vis de vous une dette que nous ne pourrons jamais acquitter.

Des applaudissements répétés accueillent ces trois allocutions. Les convives se séparent, pour se retrouver bientôt à la salle de la Diana, lieu fixé pour le départ du cortège.

A deux heures, le Conseil municipal, représenté par MM. Chialvo, premier adjoint, Périer, Félix, Hâtier, Chauve, Mervillon, Lafond, Huguet, Jouband, Maillon, Duchez, Dérory, Palais, Jacquet, escorté par la compagnie des sapeurs-pompiers et précédé de l’excellente musique de l’Harmonie Montbrisonnaise, se rend à la Diana, où il est reçu par le bureau de la Société. La vaste salle a peine à contenir la foule des membres de la Diana, des souscripteurs et des invités.

Parmi ceux qui n’ont pu assister à la cérémonie, beaucoup ont écrit pour exprimer leurs regrets : nous avons le devoir de citer en particulier S. G. Monseigneur Foulon, archevêque de Lyon et de Vienne, MM. Clesse, sous-préfet et Fraisse maire de Montbrison, M. Sully-Prudhomme, de l’Académie française; M. E. de Parieu, ancien ministre, membre de l’Institut, le poète F. Mistral, M. E. Charles, recteur de l’Académie de Lyon, M. Bayet, doyen de la Faculté des lettres de Lyon, Mgr Carra, recteur des Facultés catholiques de Lyon, M. l’abbé H. Crapelet, supérieur de l’école de St-Thomas d’Aquin à Oullins, M. Pellorce, vice-président de l’Académie de Mâcon, M. A. Bonnel, président de la société d’éducation de Lyon, Madame la duchesse de la Roche-Guyon, Mademoiselle A. Biu-Faure, et MM. Ch. Alexandre, l’abbé Basson, M. de Boissieu, l’abbé Buer, curé de Saint-Cyr-les-Vignes, R. de Cazenove, de l’Académie de Lyon, comte de Charpin-Feugerolles, vice-président de la Diana, ancien député, Daubard, Delargille, directeur des postes et télégraphes du département, L. de Gaillard, ancien député, E. Gauthier, Genton, A. Gibon, Grimaud, l’abbé Guillibert, vicaire général d’Aix, E. Guillibert, J. Hetzel, adjoint du Vle arrondissement de Paris, S. Jacquemont, l’abbé Jourdan, directeur de l’école Albert-le-Grand, à Arcueil, l’abbé Lachaud, G. Lefebvre, S. Liégeard, ancien député, Morin-Pons, G. Nadaud, A. Revel, l’abbé C.-A. Rousset et G. de Saint-Victor, ancien député.

Le cortège se forme. M. de Poncins, ayant à ses côtés M. Coppée, en grand costume de membre de l’Institut, et M. Bonnassieux et suivi de toute l’assistance, se dirige vers le jardin public par les boulevards Lachèze et de la Mairie. L’Harmonie Montbrisonnaise, conduite par M. A. Roux, marche en tête et fait entendre ses plus éclatantes fanfares. La compagnie des sapeurs-pompiers, commandée par M. Thevenet, architecte de la ville, sert d’escorte. Une foule nombreuse se presse sur le passage du cortège.

Les abords du jardin public sont décorés de mâts, d’oriflammes et d’écussons aux armes du Forez et de Montbrison.

La statue de Victor de Laprade se dresse dans la partie orientale du jardin, entre l’hôtel d’Allard et la grande pièce d’eau des Cygnes, au point désigné par M. Bonnassieux lui-même. Là naguère existait un banc où le poète, cette circonstance est bien connue des anciens habitués du jardin, aimait à venir s’asseoir lorsqu’il visitait sa ville natale. D’aucun autre endroit la vue n’est plus riante, et s’il eùt eu à choisir l’emplacement de sa statue, c’est là sans doute qu’il eût souhaité qu’elle s’élevât.

Victor de Laprade est représenté debout, légèrement appuyé sur un cippe où sont inscrits les titres de ses principaux ouvrages. Sa figure est à la fois méditative et inspirée, et pendant que les yeux percent au delà des horizons terrestres, l’oreille tendue semble écouter la voix de l’infini. La main gauche porte quelques feuillets de papier, la main droite se tient prête à y inscrire les vers dictés par la muse.

La statue, haute de 2m 40, a été jetée en bronze par M. Gruet.

Le piédestal, exécuté sur les dessins de M. Poncet, architecte, a été offert par la famille du poète et tire d’une carrière dépendant de sa terre de Saint-Cyr-les-Vignes. Il est en granit, mesure 2m 90 de hauteur et porte, sur sa face principale, l’inscription suivante :

A

VICTOR DE LAPRADE

DE L’ACADEMIE FRANÇAISE

________

1812 – 1883

_______

SES CONCITOYENS,

SES AMIS, SES ADMIRATEVRS.

 

Au dessus de cette inscription, on a suspendu une magnifique couronne de laurier, dont les belles feuilles vertes, chères aux guerriers et aux poètes, sont attachées par un ruban aux couleurs espagnoles. Cette couronne, offerte par Madame Antonia de Monteys de Guix, de Barcelone, sera, après le cérémonie, remise à Madame de Laprade, qui la conservera comme un précieux souvenir et la placera dans la chambre du poète.

Deux tribunes ont été dressées à droite et à gauche de la statue. La première est réservée à la famille de Victor de Laprade, dont les armes en décorent le frontispice. Madame de Laprade y prend place, entourée de MM. Norbert, Paul et Victor de Laprade, ses trois fils, de Madame de la Villardière, sa fille aînée, et de M. de la Villardière, de Madame de Sorbier de Pougnadoresse, sa fille cadette, et de M. de Sorbier, de M. le comte, et de M. le vicomte d’Ussel, ses neveux ; de Madame la comtesse d’Ussel, de M. Alphonse Chavassieu, de M.le chanoine Gaffino, et de M. le comte et de Madame la comtesse de Saint-Laurent, ses cousins. Madame la comtesse de Poncins, Madame la vicomtesse de Meaux et Madame la comtesse du Plessis sont auprès de Madame de Laprade.

La tribune de gauche est destinée aux invités de la Diana et plus particulièrement aux dames ; MM. Goure et Bourge, commissaires de la fête, en font les honneurs. Elle se remplit d’une brillante assistance.

Dans l’enceinte réservée, en face de la statue, des sièges ont été disposés pour les membres de la Diana et pour les souscripteurs. De nombreux spectateurs occupent tous les points d’où l’on peut voir et entendre les orateurs. Un détachement du 16e d’infanterie fait le service d’ordre.

M. de Poncins prend place sur une estrade établie sur les marches du piédestal. Il a à sa droite MM. Coppée, Chialvo, Mollière et Ducurtyl, à sa gauche MM. Bonnassieux, Fontaine, Roux et Gonnard.

Une salve d’artillerie annonce le commencement de la cérémonie. L’Harmonie Montbrisonnaise exécute l’ouverture de Poète et paysan. Le silence rétabli, M. de Poncins se lève et offre en ces termes, à la ville de Montbrison, le monument dédié à la mémoire de Victor de Laprade :

DISCOURS DE M. LE COMTE DE PONCINS, PRESIDENT DE LA DIANA.
Messieurs,
Avant que la statue soit découverte et que les traits que Victor de Laprade s’offrent aux regards de la foule sympathique qui nous entoure, le président de la Diana, au nom de la Compagnie qu’il représente, a le devoir de prononcer quelques mots dont la seule prétention sera d’ouvrir la fête et d’être un remerciement pour tous.
Victor de Laprade a aimé son pays ; son pays le lui a rendu : aussi, lorsque le Forez et la France ont eu le malheur de le perdre, l’idée de lui élever un monument est sortie en même temps de l’esprit de tous ceux qui l’admiraient, du coeur de tous ceux qui l’aimaient. La Diana a pris l’initiative de cette oeuvre, mais elle n’a pas eu de mérite en en concevant la pensée, car tout le monde l’avait avec elle ; elle n’a pas eu de peine a l’exécuter, car, bien différente des souscriptions ordinaires, oû quelques amis dévoués cherchent à provoquer des offrandes plutôt non refusées que librement accordées, la souscription Laprade s’est faite, on peut le dire, toute seule. Nous n’avons eu qu’à enregistrer les promesses et à recueillir les dons arrivant de toutes parts, du Forez d’abord, qui tenait à s’honorer lui-même en honorant son grand poète ; de Lyon, la ville où il avait vécu, travaillé, enseigné de longues années, de toute la France enfin, et même de l’étranger.
Au bout de peu de temps, le succès de l’entreprise était assuré, et la Diana, d’accord avec la famille de Laprade, pouvait s’adresser à un autre Forézien, au sculpteur éminent qui, de si bonne heure, a coupé les ailes de l’amour terrestre pour s’élever uniquement aux plus hautes conceptions de l’art ; Bonnassieux se chargeait de faire la statue de Laprade. Restait enfin la question du lieu où elle serait dressée, Ici le doute n’était pas permis ; la ville où il était né et où il avait voulu reposer après sa mort avait droit à sa statue, et la municipalité Montbrisonnaise mettait gracieusement à notre disposition les emplacements dont elle pouvait disposer. Ce sera dans le jardin de sa ville natale, au centre du Forez qu’il a tant aimé, au pied des montagnes de sa Pernette, sur un piédestal de granit que, par une délicate et touchante attention, sa famille a voulu détacher de sa chère propriété du Perrey, que les traits de Victor de Laprade revivront pour la postérité.
Déjà plusieurs années se sont écoulées depuis sa mort, mais l’empressement et l’émotion de cette assemblée nous prouvent que son souvenir est aussi vivant que le premier jour ; Laprade n’est pas de ceux que quatre ans permettent d’oublier.
Maintenant l’oeuvre est accomplie. Ce sera pour la Diana un sensible honneur d’y avoir attaché son nom ; elle. s’estime heureuse d’offrir la statue de Laprade à la ville qui a abrité son berceau et qui conserve sa tombe ; à l’Académie française dont la voix va se faire entendre par la bouche du successeur qu’il se fût choisi lui-même; au Forez dont il est l’une des gloires les plus pures ; à la France qui a gardé le culte du beau, du grand et du vrai ; à sa famille enfin qui, après avoir partagé ses sentiments pendant sa vie, a hérité de son âme après sa mort, et qui nous permettra de lui dire ici combien sa sympathie et sa bienveillance ont été et demeurent précieuses à ses amis.
Merci à ceux qui nous ont aidés dans l’accomplissement de notre oeuvre et à celui qui l’a exécutée ; à ceux qui nous reçoivent et à ceux qui viennent nous voir ; à ceux qui ont organisé cette fête et à ceux qui vont la compléter par l’éclat de leur parole. Nous voudrions les nommer tous ; mais il faudrait nommer la plupart des membres de cette magnifique réunion. Nous ne pourrions le faire sans retarder trop longtemps l’instant où vous allez voir la statue de Laprade, l’oeuvre de Bonnassieux, et où vous entendrez la voix de M. Coppée et d’autres voix éloquentes rendre à notre grand poète Forézien l’honneur qui lui est si bien dû.

M. Chialvo, au nom de la ville de Montbrison, répond ainsi :

DISCOURS DE M. CHIALVO,
PREMIER ADJOINT DE LA VILLE DE MONTBRISON.
Messieurs,
Si j’ai l’honneur de porter ici la parole au nom de la municipalité, je tiens à dire que cet honneur m’est échu par suite de douloureuses circonstances.
M. Paul Dulac avait été délégué par le maire de Montbrison pour représenter la ville à cette fête du souvenir.
Il avait accepté avec joie l’honneur qui lui était fait et dont, entre tous, il était digne, car le premier, il avait demandé pour ce beau jour tout l’éclat que les modestes ressources d’une petite ville peuvent offrir pour fêter un illustre enfant du Forez.
Mais l’homme propose et Dieu dispose. La mort de M. le docteur Magnien est venue frapper notre ami dans ses plus chères affections. M. Dulac se doit aujourd’hui à sa famille éplorée à laquelle j’adresse, au nom tous ceux qui ont connu le docteur Magnien, l’expression de nos sentiments de condoléance.
M. Dulac m’a écrit pour me prier de le remplacer. Pouvais-je refuser?
Je ne me sens pas à la hauteur de cette mission, mais je compte sur votre bienveillance, pour suppléer à mon incapacité.
N’attendez pas de moi un discours.
Permettez-nous seulement, Monsieur le président de la Diana, de vous remercier au nom de la ville de Montbrison, des paroles par trop élogieuses adressées à la municipalité.
Permettez-nous de remercier les organisateurs de cette fête et tous ceux qui ont répondu à leur appel.
Nous avons aussi à remercier la famille de Laprade, qui hier encore prodiguait ses largesses aux pauvres de Montbrison et me remettait pour eux un important secours. Nous avons enfin à remercier la Société de la Diana et tous les souscripteurs du monument.
Nous sommes heureux de voir élevée, à Montbrison, à la mémoire de notre illustre concitoyen, l’œuvre de l’éminent statuaire, qui appartient lui aussi à notre grande famille du Forez.
Nous vous remercions, Messieurs de la Diana, du précieux souvenir dont vous venez de doter notre notre ville ; vous aviez déjà, bien des titres à notre reconnaissance, aujourd’hui vous avez conquis notre amitié.
Au nom de la ville de Montbrison, merci !
Là devrait se borner ma tache ; des voix autorisées vont faire l’éloge du poète illustre, de l’ami dévoué, de l’homme de bien que nous sentons revivre ici.
Il ne manquera ni un épi à sa gerbe d’éloges, ni une fleur à sa couronne.
Pour moi qui n’ai connu Laprade que par ses œuvres, pourrais-je sans témérité vouloir ajouter une pierre au monument que lui élèvent ses compatriotes ?
Mais l’auteur des Voix du silence a écrit une lettre intime et inédite dont je voudrais faire retentir les accents aux oreilles de tous ceux qui portent le noble nom de français.
Cette lettre, je l’ai eue dans mes mains et en deux mots voici son histoire :
En 1870, Laprade était à Lyon. Apprenant que l’ennemi arrivait à Dijon, il écrivit à ses fermiers :
« Les prussiens vont être à Lyon. Dans huit jours il seront à Montbrison, dans mes domaines de Fontanes et de Précieu.. ; n’attendez pas leur arrivée. Dès que vous apprendrez qu’ils sont à Lyon, mettez le feu aux quatre coins des bâtiments de mes fermes. Je ne veux pas que les allemands trouvent chez moi un seul grain de blé. »
Messieurs, devant ce patriotisme je m’incline et j’admire !
Laprade a écrit de beaux vers ; mais si vous vouliez graver un passage de ses œuvres sur le granit de ce piédestal, je ne crois pas que vous puissiez trouver une page plus belle et plus digne de passer à la postérité.
L’auteur de Pernette possédait l’amour vrai de son pays. Il a écrit le livre d’un père, mais en père aussi il a donné là une grande leçon à nos enfants.
Parmi ceux qui viendront admirer l’image de Victor de Laprade, beaucoup n’auront pu lire ou comprendre ses chefs-d’œuvre, tous du moins pourront apprendre de lui à aimer leur pays jusqu’à l’abnégation complète, jusqu’au sacrifice absolu.
Je n’ajouterai rien, Messieurs, à de si nobles paroles. Les œuvres de Victor de Laprade lui vaudront l’admiration des hommes de goût, cette simple lettre écrite en l’année terrible lui vaudra l’estime de tous les gens de cœur.
Partout on dira dans le monde que Laprade a été un homme de génie, nous, Montbrisonnais, nous serons fiers d’ajouter que notre concitoyen fut un grand Français.
Aujourd’hui l’heure est solennelle… Comme en 1870, nos ennemis d’outre Rhin nous épient ; ne sortons pas d’ici sans jurer à la mémoire de celui qui n’est plus, que tous nous serons comme lui des patriotes et des Français.

Pendant ce discours, le voile qui cachait jusqu’alors la statue est tombé. M. François Coppée se lève à son tour et prend la parole au milieu d’un profond silence :

DISCOURS DE M. FRANÇOIS COPPEE, DE L’ACADEMIE FRANÇAISE.
Messieurs,
L’Académie française, qui s’honore d’avoir possédé Victor de Laprade et à laquelle il était fier d’appartenir; a chargé son humble successeur d’incliner devant ce monument le souvenir de la Compagnie, et de vous dire quelle affectueuse estime elle garde pour l’homme si droit et si pur, quelle fidèle admiration elle conserve pour le noble et haut poète.
J’ai déjà eu l’insigne honneur et le plaisir bien doux de louer solennellement celui dont vous fêtez aujourd’hui l’illustre mémoire et je n’ai pas à recommencer ici un éloge qui n’est plus à faire. Que pourrai~je ajouter, en effet, à ce que tant d’esprits de premier ordre, Villemain, Quinet Montalembert, Guizot, Vitet, tant d’autres encore, ont pensé, dit et écrit de Victor de Laprade ? Je dois donc me borner à rappeler combien son oeuvre est excellente, combien sa vie fut exemplaire, et à déposer une palme triomphale de plus au pied de ce bronze, où l’artiste a si bien évoqué la belle et pensive physionomie de votre glorieux compatriote.
Dans ce siècle finissant, où notre poésie nationale a brillé d’un si prodigieux éclat, où tant de cordes d’or ou d’airain ont été ajoutées à la lyre française, où Lamartine a coulé comme un fleuve d’harmonie, où Victor Hugo a soufflé comme une tempête de sublime, aucun poète peut-être, – je parle seulement ici de ceux qui ont gravi les hautes cimes de l’art – aucun poète n’a su mettre dans ses ouvrages, au même degré que Victor de Laprade, ce mérite suprême, l’absolue et parfaite unité. Nous pouvons d’autant mieux le reconnaître aujourd’hui que l’oeuvre est terminée, complète, et que nous la jugeons dans son ensemble, avec le recul nécessaire. Elle nous offre le rare phénomène d’une inspiration sans défaillance et qui n’a pas connu de déclin, d’une inspiration toujours sereine, toujours élevée, toujours mise au service des grands sentiments, des généreuses pensées, qui anime de son souffle puissant et pur la moindre strophe, le moindre vers du poète et qui imprime à toutes ses productions le même caractère de noblesse, de grandeur et de beauté.
Cette unité, qui me frappe et que j’admire chez Victor de Laprade, n’est ni de la monotonie, ni surtout de l’immobilité. Au contraire, son esprit a toujours suivi une marche progressive et n’a pas cessé, par d’heureuses métamorphoses, de se rapprocher de la perfection. Ceux qui auraient pu craindre qu’il s’attardât dans un panthéisme plein de poésie sans doute, mais un peu brumeux et incertain, qu’il restât absorbé dans le rêve mystique où le plongeait la contemplation de la nature, ont été bien vite rassurés. Il ont vu 1’auteur de Psyché et d’Hermia devenir délicieusement chrétien dans les Poèmes évangéliques, s’enflammer jusqu’à la satire pour la défense de sa foi et de ses convictions, unir dans Pernette le drame à l’idylle. trouver, pendant les désastres de l’invasion allemande, des accents inoubliables de douleur et de patriotisme, répandre enfin, dans le Livre d’un Père, les mâles et charmantes tendresses de son cœur. C’est ainsi que ce cher poète se transformait en se perfectionnant et, sans jamais déserter l’idéal, s’imprégnait toujours davantage de vie et de vérité, se laissait gagner de plus en plus par les émotions humaines. Le grand chêne avait d’abord exhalé vers le ciel, comme un hymne et. comme un encens, les murmures et les parfums de son âme végétale ; mais plus tard, des orages ont agité ses branches sombres, les oiseaux l’ont peuplé de nids frémissants et l’ont empli d’exquises chansons.
Chez Victor de Laprade, l’existence vaut l’oeuvre, la dignité morale égale le don poétique. Homme de tradition et de fidélité, modeste d’esprit, fier de coeur, indépendant surtout et désintéressé, il a vécu toujours selon l’honneur et le devoir ; et à l’heure de la disgrâce, je dirais presque de la persécution. il a montré le plus simple et le plus ferme courage. Cette âme virgilienne avait le stoïcisme d’un Caton.
Il est naturel – n’est-il pas vrai, Messieurs? – en parlant de Laprade, de songer aux montagnes, qu’il a si souvent et si éloquemment chantées, aux montagnes dont il sentait si vivement les beautés grandioses et le charme pur, où il a été enthousiasmé par le lever du soleil répandant sa lueur rose sur les glaciers, où il a été délicatement touché par les petites fleurs sauvages poussant à travers la neige. Eh bien, c’est à la vie des montagnards que j’emprunterai une comparaison pour définir la gloire de Laprade, s’élevant par degrés, sans secousse, mais avec certitude. Elle me rappelle le pas de l’habitant des Alpes ou de l’ascensioniste, qui semble lent, mais qui est sûr, et qui va toujours plus haut. Votre poète n’a pas eu les débuts éblouissants de certains autres ; il n’a pas connu les succès enivrants, la tumultueuse popularité. Non, il a vécu on solitaire, pour mieux écouter la musique divine qui chantait dans son coeur. Il a pris le chemin le plus difficile, celui qui monte, et il l’a suivi courageusement, sans s’arrêter. Mais, aujourd’hui, il reçoit sa récompense. Tandis que plusieurs de ses rivaux. qui étaient partis en triomphateurs, se sont égarés en route ou sont tombés à mi-côte, lui, il a touché le but, il est sur le sommet. Voici sa statue !
Une statue! Sans doute, l’ancien usage était injuste qui réservait exclusivement ce grand honneur aux rois et aux conquérants ; mais on doit convenir aussi que, parfois. dans nos temps troublés, il a été décerné par des caprices peu durables, par des passions d’un jour. Tel marbre hautain n’a joui que d’un triomphe provisoire ; plus d’un bronze pompeux retournera tôt ou tard à la fonte. Mais le poète que voici restera debout sur son piédestal, protégé par le pieux et légitime orgueil de ses concitoyens et par le respect de tous. Cette statue durera, car elle est méritée. et il y a dans son métal des éléments autrement précieux que l’or et l’argent mêlés à l’airain de Corinthe : Il y a de l’idéal et de la vertu.

De longs et chaleureux applaudissements saluent ce discours.

M. Fontaine, professeur de littérature française à la Faculté des lettres de Lyon, ancien professeur au lycée de Saint-Etienne, s’exprime ainsi, au nom de l’université :

DISCOURS DE M. FONTAINE,
PROFESSEUR DE LITTÉRATURE FRANÇAISE
A LA FACULTE DES LETTRES DE LYON.
Messieurs,
La Faculté des Lettres de Lyon ne compte plus dans ses rangs un seul des professeurs qui étaient il y a trente ans les collègues de M. de Laprade. Le dernier de ceux qui l’avaient personnellement connu, mieux désigné que tout autre pour rendre hommage au poète dont il avait été l’ami, vient de nous être cruellement enlevé.
Mais son souvenir n’en est pas moins vivant parmi nous. Il se perpétue, comme une pieuse tradition, dans le corps auquel il a si longtemps appartenu, où il a enseigné avec tant d’éclat, et auquel il a légué un si bel exemple de dignité. de dévouement et d’indépendance. Tous ont eu la même pensée, et les étudiants de l’Université de Lyon se sont fait un honneur et un devoir de se joindre à nous pour cette fête.
Nous savons, et par la lecture des livres où il a condensé l’esprit de son enseignement, et par le témoignage de ceux qui ont eu la bonne fortune de l’entendre, – ils sont nombreux encore à Lyon, où sa mémoire a conservé tant d’amis – nous savons ce que fut Victor de Laprade comme professeur. S’il était nécessaire de prouver que nos anciennes Facultés, bien que dénuées d’étudiants, obligées de compter avec le goût d’un public trop mobile et inconstant, savaient cependant donner un enseignement grave, utile et sincère, son exemple suffirait. Dédaignant ces grands effets oratoires souvent destinés à dissimuler le vide de la pensée, peu soucieux d’attirer la foule, à laquelle ne peut convenir qu’une vulgarisation trop facile, il avait vu venir à lui dès le premier jour et conserva jusqu’à la fin, en le voyant chaque année s’accroître, un public d’élite, non de simples auditeurs, mais de fidèles, et tous parlent encore avec émotion de ces belles leçons préparées par tant d’études, mûries par tant de réflexions, de cette parole sans apprêt, mais pleine de séduction comme de force pénétrante.
Quelle fortune pour les auditeurs de ce cours, fortune bien rare et presque unique, d’entendre commenter les grandes oeuvres de nos poètes par un poète lui-même si accompli, de parcourir l’histoire de notre littérature en compagnie d’un homme qui avait déjà sa place assurée dans cette histoire !
Cet enseignement dura quatorze ans. De beaux livres en sont sortis, qui le font revivre. Pourquoi faut-il que le cours en ait été si tôt interrompu, et qu’à quarante-neuf ans, en pleine possession de sa vigueur, il se soit vu brusquement écarté de cette chaire où tant de succès l’attendaient encore ? Tous nous connaissons cet incident pénible. Il a eu dans l’Université, dans toute la France libérale, un douloureux retentissement Il fut alors commenté avec passion, il l’est encore quelquefois. Nous ne chercherons dans cette disgrâce courageusement affrontée et subie qu’une nouvelle preuve du désintéressement de l’homme, de la vaillance de l’écrivain. Dans cette malheureuse diversité de partis, il est un sentiment qui nous trouve unanimes, et que seul il convient d’évoquer ici, celui d’un sympathique respect pour le poète inspiré, pour le professeur éminent, pour le penseur austère et religieux, pour l’homme de bien, pour le vrai et généreux Français qui fut Victor de Laprade.
C’est ce double témoignage de vive admiration pour 1’ècrivain, de profonde vénération pour l’homme, que la Faculté des lettres de Lyon, dont il était resté membre de coeur, m’a chargé d’apporter ici en son nom. Nous sommes, nous resterons toujours fiers de le compter parmi nos devanciers et nos maîtres. Le nom d’un pareil ancêtre est une noblesse.

A M. Fontaine succède M. Léon Roux, représentant de I’Académie de Lyon :

DISCOURS DE M. LEON ROUX,
PRESIDENT DE LA CLASSE DES BELLES-LETTRES
DE L’ACADEMIE DE LYON.
Messieurs,
Lorsqu’en 1858 Laprade se présenta à l’Académie française, il alla rendre visite à Villemain qui lui fit, je n’ai pas besoin de le dire, un excellent accueil. Grande fut sa surprise quand, séance tenante, le célèbre professeur lui récita d’un bout à l’autre plusieurs pages des Symphonies et des Poèmes évangéliques. Villemain prouvait ainsi la rare mémoire dont il était doué ; en même temps il témoignait, sous la forme la plus flatteuse, de son admiration pour le poète. Trente ans se sont écoulés depuis le jour où ce jugement était porté par un maître dans l’art de la critique. Le temps lui a donné sa consécration, et voilà, Messieurs, que vous y ajoutez aujourd’hui la vôtre, en décernant à Laprade l’hommage suprême, celui qui n’est réservé qu’aux hommes illustres.
L’Académie de Lyon devait bien avoir sa place dans cette fête mémorable. Si, en effet, Laprade appartient à Montbrison par sa naissance (1), par ses ancêtres, par ces amitiés précieuses qui font le charme de la vie, il appartient aussi a Lyon à plus d’un titre. C’est là qu’il a été élevé ; c’est là qu’il a vécu ; c’est dans cette vieille métropole des Gaules qu’il a puisé quelques-unes de ses meilleures inspirations. Mais que dis-je ? Laprade appartient à la France, car il est un de ses plus grands poètes. Et je ne m’étonne pas que l’Académie française ait voulu, elle aussi, être présente à cette solennité. Qui pouvait mieux la représenter que cet autre favori des Muses, ce poète fin et délicat, si digne à tous égards de son éminent prédécesseur ? L’Àcadémie de Lyon avait encouragé les débuts de Laprade (2) ; elle n’avait pas tardé à l’admettre dans son sein (3) et, plus tard, lorsqu’il parvint dans ce premier cénacle littéraire. du pays (4), qui a, dit-on, le privilège de conférer l’immortalité à ses élus, elle estima qu’un tel honneur avait rejailli sur elle. Appelé à prendre la parole en son nom dans cette brillante assemblée, j’ai pensé qu’il y aurait quelque avantage à rechercher avec vous quelle idée préside à cette imposante cérémonie, quelle impression nous devons en garder. Peut- être, si je puis faire voir l’enseignement fécond qu’elle contient, jugerez-vous que je ne suis pas resté trop au-dessous de ma tâche.

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(1) Il est né à Montbrison, le 13 janvier 1812.
(2) Le 17 mars 1840, l’Académie l’admit à lire devant elle une pièce de vers.
(3) Le 7 juin 1842.
(4) Le 11 février 1858.
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Sans doute, en élevant une statue à Laprade, la ville de Montbrison a voulu acquitter la dette de sa reconnaissance envers celui qui a jeté sur elle un si vif éclat. Mais cet hommage à un passé glorieux, à une vie exemplaire serait peu, s’il n’avait pas surtout pour but d’instruire le présent et de préparer l’avenir. Laprade a dit, dans la langue mélodieuse que les anciens appelaient la langue des dieux, les devoirs divers qui s’imposent à l’homme ici-bas ; il a exalté dans des vers qu’on n’oubliera pas l’honneur, le courage, le dévouement, toutes les vertus qui distinguent le croyant et font le grand citoyen ; il a su communiquer à nos âmes quelque chose du rayon d’en haut qui illuminait son génie. Voilà pourquoi le bronze doit perpétuer son image au milieu de nous. Des deux écoles qui se disputent aujourd’hui 1’éducation de la jeunesse, 1’une qui fait de l’individu son souverain maître et son unique juge, et qui prétend le conduire à la liberté en l’affranchissant de toute règle et de tout frein, l’autre qui lui dit : mon programme est dans le Décalogue et dans l’Evangile, efforce-toi de le remplir, la vrai liberté est a ce prix, Laprade appartient à la seconde. Nul, parmi nos contemporains, n’a plus vaillamment porté son drapeau ; nul n’a mieux parlé à l’homme de sa véritable origine et de son immortelle destinée. C’est pourquoi, Messieurs, vous avez voulu que ce chantre inspiré du devoir se survécut en quelque sorte à lui-même ; vous avez voulu qu’il restât debout au milieu de nous, comme s’il devait nous enflammer encore par sa parole et. par son exemple.
Le chantre inspiré du devoir, c’est ainsi que je nommerais Laprade ; un hymne plein d’enthousiasme au devoir, c’est par ce mot que je résumerais son œuvre si, après I’éloquent discours que nous venons d’entendre, après tant de portraits qui ont été déjà faits de cette admirable figure, il m’était permis d’en tracer à mon tour une rapide esquisse.
On a dit de lui : c’est le poète des sommets. Rien n’est plus vrai ; car, s’il a peint d’une manière charmante les coteaux pittoresques que nous voyons d’ici, les riantes montagnes du Forez qu’il aimait tant, il a aussi gravi les pics escarpés des Alpes, il a chanté leurs cimes majestueuses et leurs glaciers éternels. Mais à côté des sommets du monde physique, il y a les sommets du monde moral, reliés les uns aux autres par une sorte d’affinité mystérieuse. Suivons Laprade sur ces hauteurs sereines qu’il n’a cessé d’habiter. Nous verrons qu’il n’est jamais plus éloquent que lorsque il nous présente l’accomplissement du devoir comme l’idéal de la vie.
Une telle éloquence devrait assurément exercer son empire sur tous les coeurs. Mais il est des esprits faibles,.victimes d’un réalisme grossier, qui s’attaque non seulement à ce que nous respectons le plus, mais à la langue elle-même, cette noble langue française, devenue méconnaissable dans ses écrits, Ceux-là trouveront peut-être le langage de notre poète trop grave, trop austère. Ils l’eussent préféré plus gai, plus enjoué, tranchons le mot, plus amusant. Eh bien ! je conviens que Laprade, à l’exemple de son maître Corneille, n’a pas écrit pour nous amuser. Qu’ils s’éloignent donc ceux qui ne voudraient trouver dans ses ouvrages qu’une lecture frivole, qu’un vain et futile passe-temps. L’antiquité païenne elle-même leur dirait : Laprade n’a point invoqué la Muse au regard lascif et au visage grimaçant qui plaît aux poètes de la décadence. Il doit tout à cette blonde fille de l’attique, à cette chaste et pure Minerve, la déesse de la Sagesse, si belle au Parthénon sous le ciseau de Phidias, si éloquente dans les vers qu’elle dictait à Homère et à Sophocle.
Mais qu’est-il besoin de ces fictions ingénieuses pour définir l’oeuvre de notre cher poète ? Une pensée principale le dirige ; un plan invariable se déroule devant lui. Laprade ouvre le livre de la nature ; il voit le nom de Dieu écrit à toutes les pages de ce livre magnifique, et il s’écrie :
Dieu se révèle à moi dans la nature en fête (1).

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(1) Le livre d’un père. Pro aris et focis.

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Le faire voir à tous, tel sera désormais le but de ce croyant, de ce nouvel apôtre. Il montrera donc la main du jardinier invisible, comme il l’appelle (2), dans la frêle tige de l’arbrisseau et dans les fortes racines du chêne séculaire. Il ne cessera de répéter que tout obéit au Maître de l’univers, depuis les astres étincelants qui brillent à la voûte céleste, jusqu’à l’humble mousse qui tapisse la forêt. Il dira que si la grandeur de Dieu apparaît dans l’immensité de l’océan, dans les profondeurs inexplorées du désert, dans les éclats de la foudre et de la tempête, le grain de blé que nous confions au sillon atteste aussi les bienfaits de la divine Providence. Il dira encore que si l’aigle salue le Créateur du haut des nues de sa voix puissante, le petit oiseau célèbre aussi ses louanges, quand sur l’aubépine en fleurs il chante la venue du printemps.

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(2) Les Symphonies. Symphonie alpestre.

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Qu’on me permette quelques citations. Elles vaudront mieux que cette pâle analyse pour faire apprécier l’oeuvre et l’ouvrier.
La nature parle au poète ; partout elle lui annonce la présence de Dieu. :
Oui, c’est Dieu qui circule en cet immense corps,
Dans la moindre corolle ;
Ces formes, ces couleurs, ces parfums, ces accords,
Tout n’est que sa parole (1).

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(1) Id. La source éternelle.

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C’est lui que nous allions chercher
Sous les sapins, sur la bruyère ;
Nous grandissions sur le rocher
Dans l’art sacré de la prière (2).

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(2) Le livre d’un père. Soyez des hommes.

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Les grands arbres aussi ont leur langage :
Allons revoir la place où tomba le grand chêne,
Dont j’interrogeais l’âme et que j’ai tant pleuré,
J’aimais comme un aïeul cet arbre aux fortes branches ;
Il parlait à mon cœur de paix et d’infini (3).

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(3) Id. Silva nova.

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Les déserts, avec leurs immenses espaces, lui donnent l’impression que voici :
Par eux, par le contact de leur grandeur paisible,
J’ai mieux senti mon âme et le monde invisible ;
J’ai plus adoré Dieu, plus exécré le mal ;
J’ai d’un accent plus ferme attesté l’idéal (4).

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(4) Id. Pro aris et focis.

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Ailleurs :
Chastes fleurs du désert, dont l’haleine est si douce,
Prés de vous je respire un calme inattendu,
L’orage qui grondait en mon coeur éperdu
Se dissipe en touchant la bruyère et la mousse (5).

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(5) Les Symphonies. Symphonie alpestre.

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Le poète aime les larges horizons ; rien ne doit lui cacher le ciel :
Feuilles, tombez, laissez-moi voir les cieux (6) !

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(6) Id. Feuilles tombez !

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Voilà pourquoi nulle part il n’a plus d’inspiration vers Dieu que sur la cime des montagnes :
C’est la clarté surnaturelle
Qui vers les hauts lieux me conduit,
Jour que mon âme porte en elle
Et qui n’aura jamais de nuit (1).

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(1) Les Voix du silence. Coucher de soleil.

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Prions ! A mieux prier les hauteurs sont propices (2).
Souvenez-vous, enfants, de prier sur les cimes (3).

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(2) Id. La Trève de Dieu.
(3) Id. Ibid

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L’âme qui sait atteindre a la cime où nous sommes
S’y rapproche de Dieu, sans s’éloigner des hommes.
Elle est la pour descendre et monter tour à tour ;
Et des sommets, parés de neige et de bruyère,
Elle s’élance au ciel en gerbes de prières
Et revient sur la terre en semences d’amour (4).

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(4) Les Symphonies. Symphonie alpestre.

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Ainsi, pendant que le matérialiste n’aperçoit rien dans la nature qu’une succession de phénomènes, dont la cause et le but lui échappent, qu’un ensemble de forces aveugles, produit du hasard ou plutôt du néant, Laprade voit le doigt de Dieu dans toutes les merveilles qui nous entourent. Mais l’élan d’une foi muette et solitaire ne peut suffire à cette âme généreuse. Entendez ce cri qui s’échappe de ses lèvres :
Que ne puis-je, ô nature, à tes autels en flammes
Convier avec moi toutes les saintes âmes,
Avec elles goûter cette extase à genoux (5) !

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(5) Odes et poèmes. XIX.

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Il parle donc ; il a d’irrésistibles accents pour nous émouvoir, et voilà que sans efforts nous montons avec lui vers ces pures régions où les nuages se dissipent, où l’infini se découvre devant nous.
Ce n’est point assez de dire que Laprade appartient avec tous les grands poètes à l’école spiritualiste, et que la croyance en Dieu est la source inépuisable de ses inspirations. Il est aussi, il est surtout un poète chrétien, Son Dieu. c’est celui qu’ont chanté les Corneille et les Racine, c’est le Dieu de l’évangile, c’est le Christ Rédempteur. Aussi avec quelle foi, avec quel amour suit-il le Sauveur depuis le berceau de Nazareth jusqu’à la croix du Calvaire (1) ! Ici encore le poète atteint son but, car ses vers exhalent comme le parfum d’une prière que l’on prononce avec lui.
Sans doute sa foi est humble, témoin cette invocation au Seigneur :
Non, je n’ai pas cherché ma force dans moi-même :
Je l’implore de vous, j’attends et je vous aime :
Parlez-moi quelquefois !
Je sais que le poète, en son art difficile,
Est maître d’autant plus qu’il s’est fait plus docile
A votre seule voix (2)
Mais cette foi est entière :
La foi, bien mieux que la boussole,
Conduit les cœurs et les vaisseaux,
Le martyr que la foi console
Des lions brave les assauts.
Chaque astre, sur la foi du Maître,
Vole à son but sans le connaître ;
Et Dieu te le révèle, à toi !
Crois donc, ô raison trop altière !
L’œuvre de la nature entière
N’est qu’un immense acte de foi (3).
Laprade n’a pas été moins heureux quand il a peint les devoirs de l’homme envers lui-même. .Témoin des progrès du matérialisme, qui n’assigne à l’activité humaine d’autre objet que l’acquisition de la richesse et la satisfaction des plus basses convoitises, il ne voit pas 1’avenir sans angoisses :
Quels fruits, quelles moissons portera l’avenir,
Quand déjà le printemps voit les feuilles jaunir ;
Lorsqu’au lieu d’éclater en fleurs, même en épines,
La sève redescend des branches aux racines (4) !

Et ailleurs :
Tout s’abaisse ; on descend par d’invisibles pentes.
Les visages sont fiers, les âmes sont rampantes.
Oui, les vertus s’en vont ; les moeurs suivent les arts ;
Les antiques sommets croulent de toutes parts (5).

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(1) Poèmes évangéliques.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Odes et poèmes. Jeunes fous et jeunes sages.
(5) Poèmes civiques. Esto vir.

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Chose remarquable ! lorsque ce voyageur d’élite descend des sommets, qui sont ses vrais domaines, pour. mettre un moment le pied dans nos cités où le mal revêt tant de formes différentes, ses vers nous frappent par un contraste inattendu (1). Cette âme, qui ne semblait faite que pour la contemplation paisible des beautés de la nature, cette pensée tendre et rêveuse qui avait, il n’y a qu’un instant, des accents si doux, prend tout à coup une teinte sombre et irritée. A la véhémence qu’il déploie contre les désordres de notre temps, la soif insatiable de l’or; ce fléau du jour, les égarements de l’ambition, les débordements du vice, on se souvient de Juvénal, et je sais plus d’un bon juge qui n’a pas craint de le placer à côté du grand satirique.
Pour échapper à la contagion, dont le flot monte toujours, Laprade ne voit pas de meilleur moyen, après la religion, que cette autre oeuvre de Dieu qu’on appelle la famille. Si l’ordre, c’est-à-dire la conformité au plan divin, y règne, les enfants en seront l’honneur et la joie. Ils en seront la tristesse et peut-être la honte, s’il ne reçoivent pas une éducation chrétienne. Se peut-il qu’une telle vérité ait des contradicteurs ? Se peut-il qu’il y ait des pères de famille assez ennemis d’eux-mêmes pour fermer ici les yeux à la lumière ? En tout cas, il n’a pas dépendu de Laprade qu’elle n’apparaisse claire et saisissante à tous.
La prière d’abord, le travail ensuite, voilà le programme de la journée, tel qu’il le trace à ses enfants :
Enfants ! debout ; la chambre est pleine de lumière.
Aux pieds de notre Dieu nous reviendrons ce soir.
Allons dans le travail poursuivre la prière,
Et tous, grands et petits, faisons notre devoir (2).
Plus loin :
Mes enfants, il faut qu’on travaille !
Il faut tous, dans le droit chemin,
Faire un métier, vaille que vaille,
Ou de l’esprit ou de la main (3).

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(1) Tribuns et courtisans, passim.
(2) Le Livre d’un père. Prière du matin.
(3) Id. Travaillons.

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La vie, nous ne le savons que trop, est pleine d’amertume et de tristesse. Lorsque nous en voyons arriver le terme, qui de nous voudrait la recommencer ? Qui de nous ne dirait avec le poète :
Fuyez, ô mes printemps, je ne veux plus de vous.
Je vous connais trop bien pour songer à revivre !
Je sais trop à quel but mènent tous les Chemins ;
Je sais quel est le fond du vase où l’on s’enivre ;
Je sais, ô mes beaux jours, quels sont vos lendemains (1).
Et cependant, s’il est quelque part un rayon de bonheur, c’est encore au foyer chrétien qu’il faut le chercher. Le poète nous l’ apprend :
En vain, de sa douce voix
Dans nos bois
La brise de mai soupire ;
Les chênes, mes vieux amis,
Endormis,
Ne savent plus rien me dire,
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J’ai dans mon cœur, riche encor,
Un trésor ;
J’ai ma tendresse infinie ;
Sous mon toit j’ai le printemps
Et j’entends
Son éternelle harmonie.
Car j’ai vos fredons joyeux,
Vos grands yeux
Pleins de sourire et de flammes ;
J’ai surtout, perles sans prix,
Mes chéris.
Vos belles petites âmes (2).

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(1) Les Symphonies. Symphonie des saisons.
(2) Poèmes civiques. Le printemps d’un père.

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Mais ce bonheur ne luit que pour le père qui a rempli. son devoir. Quelle responsabilité pèse sur lui !
C’est à moi, dans notre nuit sombre,
De vous diriger par la main
Loin de l’ornière et du grand nombre,
De vous montrer votre chemin ;
De vous enseigner, par l’exemple,
Sans nuls pensers ambitieux
A dresser dans votre âme un temple
Au sévère honneur des aïeux (1)
Les aïeux ! Ah ! Ils ne tiennent pas une place moindre que celle des enfants dans le coeur du poète. Leur nom béni revient à chaque instant sous sa plume. C’est là I’un de traits caractéristiques de son oeuvre. S’inspirant de 1’exemple donné par la sagesse antique, il veut que leurs images vénérables soient constamment sous nos yeux. Ils garderont le foyer, ils veilleront sur nous, ils nous montreront le chemin du devoir, si jamais nous étions tentés de nous en écarter.
Le poète les propose pour modèle à ses enfants :
Les leçons du foyer qu’ils apprennent sans cesse
Le respect les aïeux, source de la sagesse ;
Surtout ce vieil honneur, richesse peu commune,
Par qui l’homme est toujours plus haut que la fortune (2).
Au milieu de nos revers, il trouve dans le souvenir des aïeux une raison de reprendre courage :
Elevez votre coeur et vos yeux
Vers les sommets de notre histoire ;
Saluez l’oeuvre des aïeux
Et leurs noms rayonnants de gloire (3).
Sa pensée, disons mieux, son culte pour les aïeux, il l’exprime dans ce vers admirable, digne du grand Corneille :
Vivons avec nos morts et prenons-les pour juges (4).
Le père et la mère occupent le premier rang dans cette pieuse galerie des ancêtres. Il rappelle à ses enfants de quelle vénération ils sont l’objet à son foyer :
Devant eux le matin et le soir, à genoux,
J’ai fait durant vingt ans ma prière avec vous (5).

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(1) Le Livre d’un père. Loin du foyer.
(2) Les Symphonies. Dédicace.
(3)Le Livre d’un père. Soyez des hommes.
(4) Id. Nos morts nous aident.
(5) Id. Les deux portraits.

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Quelle reconnaissance pour son père !
Il fut mon maître en tout, c’est de lui que j’ai pris
Les dogmes que je sers, la langue que j’écris (1).

A l’un de ses fils, qui doit être médecin. il recommande la charité dont son grand-père a toujours fait preuve dans l’exercice de cette belle profession :
Ce bon grand père a fait ainsi.
Toi, tu l’imiteras sans cesse,
N’ayant pas le moindre souci
Des honneurs et de la richesse.
Cher enfant, ne regrette rien,
Le renom, l’éloge illusoire.
Tu vivras en faisant du bien.
Va ! c’est la plus solide gloire (2).
Quels sentiments profonds de piété envers sa mère ! Il lui dédie ses Poèmes évangéliques :
Il est à vous ce livre issu de la prière,
Qu’il garde votre nom et vous soit consacré.
Ce livre où j’ai souffert, ce livre où j’ai pleuré,
Ainsi que tous mon cœur il est à vous, ma mère (3).
Il adjure ses enfants de s’inspirer de son exemple :
Soyez à son exemple, à son culte fidèles,
Aux plus humbles devoirs assidus chaque jour,
Afin d’aller ensemble, emportés sur ses ailes,
Rejoindre les aïeux dans l’éternel séjour (4).
Des devoirs envers la famille proprement dite aux devoirs envers la grande famille, envers la patrie, il n’y a qu’un pas. Laprade n’a pas eu de peine à le franchir. Nul n’a plus aimé la France, comme l’attestent ces vers adressés à ses enfants :
Aimez-la sans vous lasser jamais,
Sans perdre un seul jour l’espérance ;
Aimez-la comme je l’aimais,
Aimez la France (5).

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(1) Ibid.
(2) Id. Petit docteur.
(3) Poèmes évangéliques.
(4) Ibid.
(5) Le Livre d’un père. La France.

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Nul ne l’a voulue plus grande, plus libre, plus heureuse. Mais cette grandeur, il ne la demande pas à de vaines conquêtes, dont l’éclat s’évanouit si vite et qui sèment autour d »elles tant de deuils et de ruines. Il la trouve dans le rayonnement pacifique des qualités merveilleuses dont notre race est douée. La liberté ! Ah ! comme il en est épris, comme il aspire de toutes les puissances de son âme à son règne fécond, réparateur. Il hait l’oppression, qu’elle vienne d’en haut ou d’en bas ; et de la même plume qui ose braver Napoléon, il flétrit les excès de la multitude :
Le nombre et la raison sont rarement d’accord.
J’ai vu dans tous les temps, et surtout dans le nôtre,
Dans un camp la justice et la foule dans l’autre (1).
Surtout il est inexorable pour la tyrannie, quand elle prend le masque de la liberté. Son indignation s’épanche alors dans de vives satires, où l’on ne sait ce qu’il faut admirer le plus de l’esprit ou de l’éloquence.
La France grande, prospère, heureuse dans la vraie liberté, voilà l’idéal du poète. Hélas ! combien de foi cet idéal a été voilé ! Il a vu la France envahie, vaincue, comptant ses journées par ses désastres. Il l’aimait heureuse ; malheureuse, il l’aimera bien davantage :
Je t’aimais glorieuse et t’adore insultée ;
Je me sens mieux ton fils, en pleurant tes revers (2).

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(1) Poèmes civiques. N’espoir, ne peur.
(2) Le Livre d’un père. Serment.

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Jamais une mère ne reçut de son fils de plus touchantes marques de tendresse. Ses mains meurtries. il les baigne de ses larmes ; ses blessures sanglantes, il est là pour les panser. car ses vers sont pleins de consolation et d’espérance ; son front hier encore si fier et si beau, maintenant découronné, il veut lui rendre son antique auréole. Ce sentiment patriotique acquiert toute son intensité, quand le poète se trouve face à face avec l’envahisseur, quand retentit dans le monde civilisé la nouvelle et sauvage maxime : la force prime le droit. Sa colère n’a plus de bornes ; elle se répand en imprécations menaçantes, et on croit entendre dans ses vers comme un écho du clairon des batailles. Peut s’en faut qu’il ne prenne le fusil, et ne se jette dans la mêlée avec nos braves mobilisés.
Ecoutez ce cri de patriotisme :
mes vers sonnant la charge et jamais la retraite,
Seraient votre clairon, Cathelineau ! Ctiarette !
Pour qu’un même boulet, fauchant le premier rang,
Mêlât mon sang obscur à votre illustre sang (1).
Le poids de l’âge, l’ébranlement de sa santé ne lui permettent pas d’exécuter sa résolution magnanime. Mais il a ses jeunes fils. Il les offre à son pays ; il s’engage à les armer lui-même au jour impatiemment attendu de la vengeance :
Tu seras soldat, cher petit.
Tu sais, mon enfant, si je t’aime !
Mais ton père t’en avertit,
C’est lui qui t’armera lui-même.
Quand le tambour battra demain,
Que ton âme soit aguerrie :
Car j’irai t’offrir de ma main
A notre mère la Patrie (2).

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(1) Les poèmes civiques. Aux soldats et aux poètes Bretons.
(2) Le Livre d’un père. Le petit soldat.

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J’insiste sur les paroles de confiance et d’espoir que Laprade adresse à la France pendant les jours terribles de l’invasion, parce qu’elles sont l’expression d’une pensée ou plutôt d’une doctrine que l’ont retrouve à chaque page de ses écrits. Je la signale à tous les vaincus, à tous les blessés du combat de la vie. Puisse-t-elle leur venir en aide à l’heure de l’infortune, et rendre à leur âme le calme, la paix, la sérénité ! A ceux dont la morale se résume dans le succès, disons hautement que la morale du succès est le contre-pied de la morale. Par lui-même le succès n’absout rien, ne justifie rien. Séparé du droit et de la justice, il est éphémère ; eût-il pour lui la durée, rien ne serait changé à l’inexorable jugement de la conscience. L’histoire en est l’interprète ; combien de succès n’a-t-elle pas condamnés et flétris !
La règle de vie que nous donne Laprade et que je puis résumer ainsi : le devoir d’abord, le succès ensuite, s’il plaît à Dieu, est toute entière dans le vers célèbre de Corneille, que notre poète s’approprie et qu’il reproduit plusieurs fois :
Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux (1).
Partout, dans I’oeuvre du poète, nous retrouvons ce sublime programme. Il y revient sans cesse ; l’expression varie. la pensée est toujours la même :
Que m’importe,
Si, ma cause étant juste, une autre est la plus forte (2) ?
La gloire est dans l’effort. Q’importe le succès (3) ?
Donc, luttons fortement, de tout notre pouvoir :
Amis ! rien pour la gloire, et tout pour le devoir (4).
Quand Dieu juge un pays dans ses desseins augustes
Le nombre n’y fait rien, il suffit de dix justes
Si l’on a bien lutté, si l’on a bien vécu,
Sans péril pour sa cause on peut être vaincu (5).

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(1) Voix du silence. Un entretien avec Corneille.
(2) Pernette, chant V.
(3) Le Livre d’un père. L’escalade.
(4) Poèmes civiques. N’espoir, ne peur.
(5) Id. Esto vir.

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A côté de la grande patrie, qui est la France, et que nous devons aimer jusqu’à verser notre sang pour elle, il y a, suivant le mot de Laprade, la petite patrie, qu’il faut aimer du même amour, car en réalité ces deux patries n’en font qu’une. La petite patrie, c’est le champ paternel. le toit des aïeux, l’arbre séculaire qui ombrage de ses rameaux la tombe vénérée des pères et le berceau, si cher à tous, des enfants. Ici,.c’est cette vielle église, cette Diana célèbre, cette antique cité, cette gracieuse ceinture de collines, ce Pierre-sur-Haute dont le pic élancé semble toucher le ciel ; c’est surtout cette population sage, laborieuse,.virile, inébranlable dans ses croyances, et qui sait par expérience que, pour être prospère, un peuple ne doit jamais séparer l’ordre de la liberté. Nul n’a plus ressenti que Laprade l’influence salutaire du pays natal ; nul n’en a mieux décrit les charmes, les joies, les ineffables douceurs ; nul n’est resté plus profondément attaché à la petite patrie, et ne l’a servie avec plus de zèle et de dévouement.
C’est donc chose excellente que la cérémonie qui nous réunit aujourd’hui car elle a une signification vraiment patriotique. Le torrent des mauvaises doctrines grossit sans cesse ; partout il étend ses ravages. Il est donc nécessaire de protester, si l’on ne veut pas passer pour complice. Ce monument est une protestation ; c’est un acte et un grand acte. En I’élevant, ce n’est pas tant un homme que vous honorez d’une manière insigne : s’il n’y avait que cela dans ce solennel hommage, il n’échapperait pas à la loi de caducité qui atteint toutes les choses humaines ; et, en dépit de l’habileté de l’artiste auquel nous le devons, on pourrait dire de lui avec Bossuet qu’il porte jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant. Il y a, comme je l’ai dit en commençant, quelque chose de plus dans cette oeuvre, et c’est pourquoi elle vivra. Lorsque le voile qui couvrait ce bronze précieux est tombé, lorsque notre cher poète nous est apparu tout à coup dans sa grave attitude, avec le regard doux et profond qui était le sien, dites, Messieurs, pourquoi avez vous tressailli ? Pourquoi les applaudissements ont-ils éclaté de toutes parts ? N’est-ce pas parce qu’il vous était donné de saluer le Devoir, ce maître de la vie humaine, dans la personne de celui qui l’a si bien glorifié ?
Venez donc à ce monument, dont vous avez le droit d’être fiers, habitants du Forez, qui avez connu, qui avez aimé Laprade, vous,.ses contemporains, qu’il a fortifiés par tant d’éloquentes paroles aux heures trop fréquentes du découragement et de la défaillance, vous qui devez à ses accents entraînants d’être devenus meilleurs. Mais venez surtout, jeunes gens, vous qui êtes l’espoir de la France et serez peut-être sa couronne, vous qui entrez dans la vie et avez besoin d’être armés pour toutes les luttes qu’elle exige. Arrêtez quelque temps vos regards sur cette noble image, méditez la leçon qu’elle vous apporte, et apprenez d’un grand poète que rester fidèle à la foi de ses ancêtres, aimer ce qu’ils ont aimé, combattre ce qu’ils ont combattu, c’est le moyen le plus efficace d’assurer le relèvement de la patrie.

C’est en vers que M. Antoine Mollière, autre délégué de l’académie de Lyon, adresse son tribut
d’hommages au poète qui fut son ami :

STANCES PAR M. ANTOINE MOLLIERE
ANCIEN PRESIDENT DE L’ACADEMIE DE LYON.

 

Aux vieux amis enfin la parole est donnée.
J’ose timidement la porter en leur nom :
Complément obligé d’une telle journée !
Rassurez-vous pourtant, je ne serai pas long.
 
Burger a bien pu dire : Hurrah ! les morts vont vite !
Sur la cavale pâle emportés sans retour,
Ils vont à l’oubli sombre, où court, se précipite
Ce qui n’avait qu’un souffle et n’a brillé qu’un jour.
 
Mais il en est aussi qui, fiers, d’un pas tranquille,
Descendent dans la mort comme le grand héros
Que Pigalle a sculpté dans cette noble ville.
Qui, veuve de sa gloire, au moins garde ses os.
 
Et tu fus de ceux-là, toi, dont l’âme trempée
Aux sources du devoir et de l’antique foi,
Vraie âme de soldat, droite comme l’épée,
Ne connut que l’honneur pour sa suprême loi ;
 
Toi, qui, ferme et sans peur, dans la mêlée ardente
Des chants, des cris hurlés en nos temps orageux,
Haussant à ton niveau ton âme indépendante,
Gardas ton luth si pur de tout contact fangeux.
 
Aussi, bien que l’année ait pu cinq fois renaître
Depuis l’heure funèbre où tu nous fus ravi,
Tu revis en ce jour, ô mon illustre maître,
Où tes amis en choeur t’acclament à l’envi.
 
Honneur à toi, Victor, fils de la vieille France.
De ces fils qu’en ses bras elle tient enlacés,
Défenseurs des saints droits, du père,.de l’enfance
Et de la conscience, hélas, si fort froissés !
 
Le chantre de Psyché, d’Hermia, de Pernette,
De la pure beauté ces trois types charmants,
A su faire alterner la lyre et la musette
Pour chanter l’idéal, la patrie et les champs.
 
Saluons ce poète à superbe allure,
Aux grands coups d’aile, au vol souvent si prés des cieux,
Traduisant l’évangile et la sainte Nature,
Interprète fidèle, admirateur pieux.
 
Et puis, que dire encor des flots de poésie
Qu’à d’avides lecteurs en prodigue il versait :
Chant pur de l’âme ou bien brillante fantaisie,
Trésor qu’en riche heureux jamais il n’épuisait ?
 
A toi ce bronze donc, symbole de durée
Pour ta gloire, doux prix de ton art enchanteur ;
Elle sera pourtant encor mieux assurée
Par tes beaux vers, jaillis de l’esprit et du cœur !
 
Mais, pour que cette gloire en ce jour fut complète,
La grande Académie a voulu t’honorer
(Car l’éclat de ton nom sur elle se reflète)
Comme la nôtre, hélas ! avait dû te pleurer.
 
N’est-tu pas le premier que de l’humble province
Son vote fit monter au rang de ses élus ?
C’est pourquoi de la lyre elle envoie un vrai prince
Saluer en son nom le barde qui n’est plus.
 
Montbrison et Lyon, double et chère patrie,
Consacrez à jamais ce poétique lieu
A l’honneur de celui qui, dans sa fière vie,
Usa si noblement du plus beau don de dieu
 
Oh ! oui le plus beau don du donateur suprême !
Splendide vêtement de toute vérité,
La poésie exprime et chante ce quelle aime
En en faisant aimer la royale beauté.
 
Le vrai poète tient du ciel ce ministère ;
Vers le monde idéal ou plonge son regard,
Il entraîne après lui les humbles de la terre,
Dans le progrès humain, divin porte-étendard.

Au nom de la Société amicale des Foréziens de paris, M. Gonnard prononce le discours suivant :

DISCOURS DE M. LE DOCTEUR GONNARD
DELEGUE DE LA SOCIETE AMICALE DES FOREZIENS DE PARIS.
Mesdames, Messieurs et chers compatriotes,
C’est pour moi un honneur vivement apprécié d’être appelé, en ce jour solennel, à saluer la mémoire glorieuse de Victor de Laprade, un des maîtres do ma jeunesse, au nom de la Société amicale des Foréziens.
Cette société, placée sous la présidence d’honneur de M. Bonnassieux, le grand sculpteur auquel le Forez et l’art doivent la statue inaugurée aujourd’hui, ouvre libéralement à tous les Foréziens ses cadres, ses réunions, ses banquets, ses fêtes ; ne demandant à aucun d’eux ni la nuance de son drapeau politique, ni le texte de son credo religieux; demandant à tous et uniquement le culte du pays natal et la bienveillance cordiale qui doit régner entre membres de la même famille.
La Société dont je viens de définir la composition et le but, pouvait-elle ne pas réclamer sa part en cette solennité, où le Forez tout entier rend hommage à un de ses fils, si grand par les dons de l’esprit, si éminemment sympathique à tous par les qualités du coeur ?
On vous a dit éloquemment ce que les lettres françaises doivent à Laprade ; et il ne m’appartient pas d’ajouter à ces paroles un commentaire, après le commentaire de vos applaudissements. Mais il m’est permis, comme Forézien, et c’est mon devoir, de rappeler ce que Laprade a fait pour notre Forez : je veux dire les gages d’affection que notre pays natal a reçus de lui, et l’exemple de haute moralité que nous laisse sa vie entière.
Sans doute, nous sommes fiers, et nous avons sujet de l’être, quand un des nôtres, qui doit à notre patrie commune et son origine et son éducation première, parvient, comme Laprade, aux sommets de la vie intellectuelle. Mais à cette fierté doit se joindre un sentiment de gratitude particulière, quand cet esprit de haut vol, sans se laisser éblouir par les rayons de la gloire, reporte avec amour ses regards vers le berceau où se développèrent ses forces. C’est ce qu’a fait Laprade.
La Provence a ses félibres, la Bretagne ses bardes, qui ont consacré par la poésie les origines, les charmes, les épreuves de leur terre natale. Notre Forez, petite patrie dans la grande patrie française, n’a rien à envier à ces provinces soeurs, grâce au tribut de piété filiale dont Laprade s’est acquitté envers son pays.
Le poème forézien de Laprade, le poème de Pernette, est la glorification du Forez ; non pas uniquement des beautés de notre ciel, de nos vallées, de nos montagnes, mais encore et surtout des qualités morales de cette race forézienne honnête et modeste, de sa franchise, de sa droiture, de sa générosité. Le Forez a fourni le cadre du poème ; il en a produit tous les personnages, pris au coeur de la tribu, tous se distinguant, non peut-être par les privilèges accidentels et impersonnels d’une haute naissance et d’une grande fortune, mais par les qualités qui exigent un effort et constituent un mérite. C’est un curé de village, vénéré par ses fidèles comme un père, et digne de cette vénération ; c’est un médecin de campagne, écouté par tous comme un conseiller, comme le meilleur des amis ; c’est un vieux soldat de l’an II, gardant la flamme du patriotisme des grands jours ; c’est un jeune paysan, pauvre des dons de la fortune, riche des trésors de l’intelligence et du cœur ; c’est une fille des champs, dont l’âme héroïque, sublimée par la douleur, s’élève aux plus hauts dévouements. La patrie, la famille, la liberté, la justice, la bienfaisance, telles sont les notes du poème ; et les enfants de notre pays, dans nos écoles aujourd’hui ouvertes partout et largement, trouveront dans ces pages écrites pour eux par un de leurs aînés, une ample moisson de beaux vers et de nobles sentiments.
Dès l’ouverture du poème, le lecteur peut recueillir une inspiration touchante, qui révèle chez l’auteur une modestie exquise jointe à une rare élévation de pensée. Si la langue poétique m’était un instant permise à moi, humble prosateur, je dirais que la couronne symbolique de laurier décernée au poète par l’humanité, Laprade ne veut pas la fixer sur son front, qu’il tient à en distribuer les feuilles aux aïeux lointains, obscurs, inconnus, dont il se proclame hautement le débiteur. Les vers de l’auteur seront plus expressifs et plus attrayants que mes paroles ; permettez-moi de vous lire quelques strophes, datées de Montbrison, 1868, placées par Laprade en tête de son poème de Pernette avec cette dédicace : Aux aïeux. Ces aïeux, ce sont aussi les nôtres.
Ce livre est le portrait de mon héros rustique,
L’histoire de ces cœurs simples, forts et pieux.
Je viens les dédier sur l’autel domestique,
Aux auteurs de mon sang, à mes humbles aïeux,
 
A ces chers inconnus, sources de ma famille,
A vous dont je suis fier, sachant vos nobles morts,
Au martyr dont ma était la digne fille,
A mon vénéré père, à tous ceux dont je sors.
 
Je leur offre ce chant où leur âme résonne,
Ces fruits de leur vieil arbre et de mon renouveau ;
Et tressant de mes vers une agreste couronne,
J’enlace au tronc les fleurs. que porta le rameau.
 
J’ai pris d’eux le souci des vertus que je rêve ;
Je sais qu’ils furent bons. s’ils ne furent diserts.
Rien n’éclôt dans les fleurs sans venir de la sève ;
Leur vie a contenu tout l’esprit de mes vers.
 
Je leur dois le plus pur de ce feu qui m’enflamme,
L’ardeur de la justice et le mépris de l’or.
De tous ces hauts désirs je n’aurais rien dans l’âme,
S’ils n’avaient longuement amassé ce trésor.
 
Si mon livre a parfois,.reflétant leur image,
Suscité dans un coeur des pensers généreux,
Et parlé du devoir dans un noble langage,
Mon livre est un témoin qui dépose pour eux
 
Autant que de la mienne il sort de votre veine,
Recevez-le du fils, de l’arrière neveu,
Aïeux obscurs ! lutteurs qui fûtes à la peine !
Et soyez à l’honneur, si j’en acquiers un peu.
 
Grâce à mes vers, peut-être une courte mémoire
Va tirer ici-bas notre nom de sa nuit ;
Mais s’il s’inscrit, là-haut, dans la solide gloire,
C’est grâce à vos vertus qui s’exerçaient sans bruit.
La science de la vie enseigne sous une formule abstraite que rien ne se perd dans le mouvement moral pas plus que dans le mouvement de la matière, et que tout notre capital, aussi bien intellectuel et moral que matériel, a été accumulé par le labeur soutenu des ancêtres. Le poète, de son côté, proclame, dans sa langue imagée, que le talent, le génie, la haute vertu ne sont pas le produit spontané de l’individu, produit dont il pourrait s’enorgueillir seul ; que cette inflorescence brillante a dû être préparée par une germination séculaire ; que, lorsqu’arrive l’heure de l’éclosion, c’est pour l’honneur du tronc familial, qui l’a mûrie laborieusement. Doctrine éminemment consolante, hautement moralisatrice, qui relie par une étroite solidarité les générations successives, qui réprime les intempérances de l’orgueil personnel, et promet aux efforts des plus humbles une récompense dont la durée dépasse les confins de la tombe.
Maintenant que la mort nous a ravi Laprade, c’est parmi les ancêtres de notre race que le Forez doit le compter et, dans cette galerie des ancêtres, il mérite une place d’honneur. En face de cet ancêtre, la jeune génération reverra un passé glorieux, et recueillera un haut enseignement pour l’avenir. Car nous avons le rare bonheur de pouvoir honorer Laprade sans réserve, attendu que, chez cet homme, le cœur fut à la hauteur de l’esprit, qu’à un talent pur se joignit une vie sans reproche.
Laprade a fait choix d’une devise, devise d’une concision mystérieuse, placée par lui en épigraphe du poème de Pernette, devise qui révèle par son choix et par son origine l’orientation de ce grand cœur, et qui suffit à peindre l’homme moral tout entier. Esse quam videri, être plutôt que paraître. C’est l’abréviation de la formule par laquelle l’histoire de l’antiquité a peint cet Aristide, que la Grèce le Juste. Cornélius Népos nous dit d’Aristide : Malebat esse probus quam videri, il aimait mieux être honnête que paraître honnête ; au renom de la vertu il préférait le témoignage de sa conscience ; peu lui importait l’hommage de la renommée, il lui suffisait de le mériter.
Ne nous étonnons pas trop que Laprade, homme du XIXe siècle, chrétien et royaliste, soit allé chercher son modèle à vingt-quatre siècles de distance, dans la Grèce païenne, chez un républicain d’Athènes. C’est qu’il existe dan les monde moral une zone supérieure où les grandes âmes, libres des attaches d’un siècle ou d’un pays, communient dans le culte du même idéal, dont la forme la plus haute est la Vertu.
Cette mâle devise d’Aristide, la vie entière de Laprade a prouvé qu’il avait droit de l’arborer. Pour le montrer, il me suffira de lui demander à lui-même comment il comprit les devoirs, le sacerdoce d’un esprit supérieur. « la mission du poète » , dit-il dans une préface, « n’est pas de divertir les esprits, mais de les élever quand tout le reste les abaisse « .Pour lui, comme pour tous, vint l’ heure d’aborder les devoirs de la vie publique. J’ai dit pour lui comme pour tous, en empruntant l’autorité d’un contemporain de Laprade, lui aussi esprit éminent doublé d’un grand cœur, Lacordaire, qui, en 1851, du haut de la chaire de Notre-Dame de Paris, en face d’un auditoire d’élite, réprimant avec peine ses applaudissements, lançait cet aphorisme : « A quarante ans, à moins d’être un sot, on est un homme politique « .Quand Laprade entra dans la politique militante, il traça ainsi sa ligne de conduite : « Le poète a le droit, le devoir même, de ne toucher à la politique qu’en toute sincérité, avec toutes ses idées à lui, avec ses passions les plus profondes et les plus vives « .Après l’épreuve, il lui a été permis de ce rendre ce témoignage : « C’est ce que nous avons fait ».
La sobriété dans l’éloge est digne d’un tel homme, et j’en ai dit assez pour caractériser cette haute probité intellectuelle et morale, qui n’aurait accepté pour ses croyances l’alliage d’aucune transaction, pour ses actes la souillure d’aucune défaillance. La probité austère d’un Aristide, être plutôt que paraître, cette leçon est une part, non la moins glorieuse, de l’héritage que Laprade laisse à sa famille. Et tous les enfants du Forez peuvent et doivent revendiquer l’honneur d’appartenir à cette famille.
Je termine cette allocution, qui a pu vous sembler bien longue après les discours éloquents que vous avez entendus.
Au nom de la Société amicale des Foréziens, qui aspire à faire l’union entre les enfants du Forez, je fais appel à tous mes compatriotes pour associer leurs sentiments dans une manifestation sympathique en l’honneur d’un homme qui mérita toutes les sympathies, d’un Forézien qui honora et aima notre pays. Nous pouvons tous, sans distinction d’origine et d’attaches doctrinales, grands ou petits, nobles ou plébéiens, croyants ou libres-penseurs, républicains ou royalistes, apporter ici, à la grande mémoire que nous honorons en cette solennité, un hommage d’admiration pour le poète,.le penseur, l’écrivain qui illustra le Forez et la France ; un hommage de reconnaissance pour le compatriote qui a chanté notre petite patrie, le Forez ; un hommage de docilité respectueuse pour le modèle que nous lègue à tons la vie irréprochable de Victor de Laprade.

M. Demontès, délégué de l’Association générale des Étudiants de Lyon est invité à prendre la parole.

DISCOURS DE M..DEMONTES, LICENCIE ES-LETTRES,
DELEGUE DE L’ASSOCIATION. GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS DE LYON.
Messieurs,
Etudiants de l’Université lyonnaise, nous venons rendre hommage à un des anciens maîtres de nos Facultés ; délégués de l’Association des Étudiants, nous venons saluer en Victor de Laprade le poète patriote, ami de la jeunesse.
Nous savons tous en quels termes éloquents le professeur répondait aux attaques que l’on dirigeait déjà contre cet enseignement classique, « où l’on puise dans les plus belles fleurs de l’esprit humain la plus douce et la plus saine nourriture, un miel qui fortifie et l’esprit et le coeur. » Le savoir des plus savants était bien peu de chose à ses yeux. Ce qui faisait l’homme selon lui, c’était vraiment la qualité de l’esprit et non pas la quantité des connaissances que l’esprit contient. Ceux qu’il appelait « des hommes spéciaux « cantonnés dans un coin de la science, ne peuvent embrasser l’ensemble et laissent échapper bien des questions essentielles. Il faut une éducation libérale, et par là il entendait non pas l’éducation qui a pour but unique de développer l’intelligence, mais celle qui exerce une action morale sur le coeur et la volonté de l’homme. Par les études qu’il recommande, par I’habitude quotidienne des grands auteurs de l’antiquité, on ne devient pas seulement savant, on devient quelque chose de mieux, on devient homme.
Un des plus beaux effets de cet enseignement libéral, c’est de faire naître en nous les sentiments les plus élevés et surtout l’attachement à la patrie. Laprade souhaitait que cet amour enflammât le coeur de la jeunesse française.
Français, rien que Français, n’aimons rien que la France !
Aussi, après nos récents désastres. a-t-il tenu à honneur de frapper des vers si beaux, si sublimes qu’ils fussent bientôt gravés dans toutes les jeunes mémoires. Etudiants d’aujourd’hui nous étions sur les bancs du Lycée quand le poète adressait à nos camarades, morts pour la patrie, ces strophes ardentes qui commencent ainsi :
Quand viendra votre tour d’entrer dans la carrière,
Jeunes gens qu’on prépare à de males travaux.
Lorsque notre tour arrivera, heureux et fiers, sans tristes pressentiments, sans folles espérances, nous saurons tous, nous membres d’une même famille, l’Université lyonnaise, marcher en avant en répétant ce vers :
Faites votre devoir, Dieu fera le succès !

On entend ensuite M. Ducurtyl, délégué. de la Société d’Éducation de Lyon.

DISCOURS DE M. DUCURTYL
CONSEILLER HONORAIRE DE LA COUR DE LYON
ANCIEN PRESIDENT DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D’EDUCATION.
Messieurs,
Une parole plus modeste vient se joindre à celle des maîtres du langage, des représentants légitimes de la science humaine, pour renouveler, en face de cette statue, les hommages que mérite la mémoire de notre bien-aimé poète et compatriote Victor de Laprade.
Qu’il me soit donc permis d’être, pendant un:court instant,.l’interprète des sentiments de la Société nationale d’Education de Lyon et de déposer aussi une couronne sur ce monument.
Pourquoi, par excès de modestie, ne dirai-je pas que la Société d’Education, que j’ai l’honneur de représenter avec quelques-uns de mes confrères, a été digne de compter dans ses rangs et au nombre de ses plus éminents présidents notre grand poète ?
Depuis plus d’un demi-siècle, notre Société fondée en France la première, reconnue d’utilité publique, n’a cessé de concourir à la grande oeuvre de l’éducation.
A cette heure l’éducation n’est-elle pas le. sujet d’une question maîtresse ?
Nos crises de révolution la ramènent sans cesse à l’état de problème.
Or, notre compagnie s’est constamment efforcée de résoudre ce problème, en s’inspirant des principes les plus certains et les plus vraiment conformes au génie de notre nation.
C’est pour cela qu’elle a droit d’unir ses hommages à ceux des premières compagnies savantes de la France, en I’honneur de son ancien Président, dont je fus le peu digne successeur.
Devant le cercueil de Laprade, notre cher poète, il y a eu union de deuil et de regrets entre tous les hommes de cœur, union de tous ceux que ses vers ont ravis jusqu’à 1’enthousiasme.
Devant sa statue, il y a union de souvenirs, de sentiments ravivés à l’aspect d’une image rappelant sa personne, sa présence au milieu de nous. Plus 1’artiste, si digne de perpétuer glorieusement la mémoire de son modèle et d’illustrer I ‘art français, a fait revivre avec talent les traits de notre poète et ami, plus aussi nous croyons revoir l’homme dont le caractère a été mieux rehaussé par sa vie pure et noble que par ses plus beaux vers.
C’est sa voix qui nous redit les sentiments de son coeur exprimés par sa Pernette :
Puisque Dieu t’a donné le vers, arme tranchante,
Sers-t-en pour la justice et pour la liberté :
On sort de ce combat meurtri, mais écouté.

C’est bien lui qui proclame la sanction de sa vie dans ces autres vers :
Bien dire ne vaut pas bien agir et bien vivre.
C’est par le coeur qu’un homme ennoblit sa maison,
Une société savante qui a vécu en communauté de croyances et de sentiments avec ce poète, a le droit de revendiquer ce qu’il a pensé et exprimé sur l’éducation, comme un héritage d’un de ses aïeux.
C’est en effet parce que la Compagnie que présida de Laprade a, pendant sa présidence, débattu et résolu les questions d’éducation les plus graves en union de sentiments, que le souvenir de ses paroles revient à ma pensée comme un écho de son dernier discours au milieu de nous.
C’était pendant l’année terrible, à la veille de nos luttes nationales et de nos revers, que de Laprade, obligé de suivre de plus près: nos travaux, déclarait que ses fonctions l’avaient aidé à mieux pénétrer l’esprit de notre Société, à mieux apprécier le but qu’elle s’ont proposé. Il la caractérisait mieux que je ne pourrais le faire, dans une séance publique solennelle.
« Je ne connais pas de but plus attrayant « , disait-il, « car il n’en est pas de plus élevé et de plus utile. Le coeur s’y intéresse plus encore s’il est possible que l’intelligence.
« Les autres compagnies savantes ont pour objet l’avancement d’un ordre particulier d’étude ; quant à vous, vous visez à l’âme toute entière, c’est la culture du coeur humain lui-même qui est votre objet spécial, et vos ambitions de progrès s’exercent sur ce que nous avons de plus cher au monde, sur l’avenir, sur la vie morale de nos enfants.
« Vous n’êtes pas seulement une réunion d’hommes de lettres, vous êtes une assemblée de pères de famille. Vous apportez à nos séances mieux encore que vos lumières, vous y mettez en commun ces inépuisables tendresses que Dieu nous. inspire à tous pour ceux qui sont nés de notre sang ».
De Laprade ne pouvait oublier de rappeler qu’en outre de cette paternité naturelle, un grand nombre d’entre nous est investi d’une paternité d’adoption, qu’acceptent tant d’hommes éminents voués à ce noble ministère de l’enseignement, véritable sacerdoce.
Eh ! bien, pour répondre à tous. les devoirs que s’est imposés la Société d’Education, rappelés par de Laprade, ses travaux les plus multipliés ont prouvé que le problème de l’éducation était par elle sans cesse étudié.
Des traces de ses travaux peuvent se retrouver même dans les archives du ministère de l’Instruction publique et du Parlement.
Liberté d’enseignement primaire, secondaire, supérieur, baccalauréat, ces divers sujets de polémique et de réforme et tant d’autres ont été discutés, suivis de résolutions accueillies quelquefois avec faveur par les pouvoirs publics ; mais quelquefois aussi considérées comme des remontrances sur les projets de lois scolaires. présentées avec indépendance.
De Laprade se faisait honneur d’apporter son concours à une société qui pouvait ainsi faire autorité.
C’est en effet, afin de concourir activement à ses travaux que de Laprade avait communiqué à la Société d’Education son livre sur l’éducation homicide. Il était frappé de la faiblesse croissante des études et des obstacles apportés dans l’éducation à l’élévation des idées.
Ses vues sur le baccalauréat, sur toutes les questions de pédagogie, sur toutes les branches d’enseignement furent exposées par de Laprade lui-même. C’est avec lui que la Société d’Education proclamait la nécessité de maintenir les vieilles langues classiques, le latin et le grec, soumises à cette heure à de nouvelles épreuves. De Laprade réclamait le maintien de l’étude de ces langues comme bases de toute éducation libérale ; mais, en même temps, il désirait la réduction du programme scolaire, notamment dans la partie qu’il considérait comme l’introduction de la politique dans nos collèges.
Il aurait probablement considéré au moins comme douteuse l’efficacité de l’instruction civique, même accolée à la morale, selon certains manuels scolaires, pour former de véritables patriotes.
Une question vivement agitée de nos jours, c’est celle de l’enseignement spécial ou professionnel. A l’occasion de la création de I’Ecole supérieure de commerce instituée à Lyon par l’initiative de la Société d’Education, avec son Président la Société imposait des conditions à l’instruction spéciale.
La prééminence de la haute éducation intellectuelle qui a pour objet les lettres, les sciences purement spéculatives, était proclamée comme indispensable pour maintenir la supériorité morale d’une nation. Et de Laprade réclamait, comme au-dessus de tous les besoins de notre époque, l’éducation morale, la culture de la raison, du coeur humain, afin de faire pénétrer dans toutes les innovations en matière d’enseignement les tendances spiritualistes et chrétiennes.
« Il existe », disait encore de Laprade, « un moyen de suppléer en l’absence d’une haute éducation libérale, ou au moins d’atténuer les fâcheux effets d’une instruction trop spéciale et trop étroite, c’est une éducation chrétienne. Elle est nécessaire à tous les degrés d’études, mais elle le devient plus encore à mesure que les études se rétrécissent et ne sont plus qu’un apprentissage ».
« La religion » , ajoutait-il, « seule peut élargir toutes les âmes au même niveau et mettre en possession les simples, les ignorants, d’une vie morale aussi pleine que celle des plus grands penseurs, d’une doctrine qui défie toutes celles des savants et des philosophes.
Mais avec de Laprade quels mots ai-je prononcés : Religion, Christianisme ?
Pour d’autres que pour tous ceux assemblés dans cette solennité, parler de cette base fondamentale de toute éducation, ce serait provoquer le dédain, si ce n’est la raillerie. Toutefois, un tel accueil à mes paroles ne peut émaner que des réformateurs qui,.en vertu du progrès, effacent le nom de Dieu dans l’école.
D’ailleurs, si je parle ainsi avec un éminent professeur de haut enseignement, c’est surtout au nom d’une société savante qui sur sa médaille de fondation a inscrit en exergue : Religio. Societas.
Enfin, en me plaçant à un point de vue plus général, serai-je téméraire d’affirmer que l’esprit chrétien, véritable génie de notre civilisation, a imprégné nos mœurs, nos lois, la famille française ? que bannir de l’éducation,.exiler de l’école l’idée de Dieu, c’est faire injure au véritable esprit moderne ? L’idée de Dieu, première clarté de l’esprit, est aussi la première lumière qui doit pénétrer l’âme de l’enfant à l’école, comme au foyer de la famille. L’atmosphère de l’école, disait Guizot. Doit être religieuse.
Que serait donc l’inauguration définitive d’une école sans Dieu ? la ruine de l’éducation, le mépris des croyances séculaires des familles françaises. Ce serait le désespoir de tant de mères qui, toujours, ont mêlé l’idée de Dieu à leurs sourires et à leurs caresses, en ébauchant, sur leurs genoux, l’éducation de l’enfant dont les débuts sont confiés par la Providence à leur vigilance et à leur amour.
Mais il y a plus,.vous tons ici, élite de l’intelligence française,.avez-vous jamais compris la formation de l’âme humaine, l’étude des phénomènes du monde, de l’esprit humain, les mystères du cœur, en dehors de la pensée dirigeante qui, non seulement pour le chrétien, mais pour tout homme sérieusement attentif aux lois de l’humanité, malgré les inventions de nouveauté, n’est point une fantaisie du hasard, ni un effet du fonctionnement cérébral ?
Vouloir exclure Dieu de l’école c’est vouloir que cette intelligence, dont la tête est dans l’homme le noble instrument, se courbe sans cesse vers la matière, sans comprendre que sa direction vers le ciel est le signe d’une destinée supérieure. Pour conclure sur un tel sujet, c’est une dernière parole de notre cher poète, adressée à la Société d’Education, qui résume nos sentiments :
« L’homme est une âme qui doit chaque jour s’élever, se purifier, s’agrandir, se rendre digne de ses destinées. immortelles ».

M. Dupuis, délégué de l »Association des Etudiants, dit ces stances, envoyées de Nantes par M. Emile Grimaud :

LE SALUT DE LA BRETAGNE
À LÀ STATUE DE VICTOR DE LAPRADE
STANCES PAR M. EMILE GRIMAUD.
 
O grand et cher ami, mon Laprade ! mon père !
Je pleure, comme au jour où je sus ton trépas !
Je pleure, illustre maître, et je me désespère :
– On va sacrer ta gloire…et je n’y serai pas !
 
Loin du corps enchaîné, du moins, ouvrant son aile,
Captif qui brise et fuit les fers de sa prison,
Mon âme ira vers toi, quand l’heure solennelle
Groupera le Forez au sein de Montbrison.
 
Comme elle applaudira, voyant tomber le voile
Qui recouvrait l’airain pétri par Bonnassieux !
Elle crîra : – C’est lui ! c’est la plus pure étoile
Que le Dieu de la France alluma dans nos cieux !
 
Sa muse eût fait l’orgueil et d’Athènes et de Rome.
Il est de votre race, ô Corneille ! ô Platon !
S’il fut un grand poète, il fut un plus grand homme ;
Nous sommes fiers de lui, nous du pays breton.
 
Il gagna tous nos coeurs, quand sa voix inspirée
Chanta notre Armorique en d’immortels accents ;
Il t’aimait comme un fils, ô terre vénérée…
C’est pourquoi les Bretons lui sont reconnaissants !

 

Enfin, M. Camille Roy dit le sonnet suivant de M. Emile Travers :

LA NORMANDIE A LAPRADE
SONNET PAR M. EMILE TRAVERS.
 
Comme ton pied hardi, sur les Alpes hautaines,
Imprimait une trace au glacier vierge encor,
Ton génie a laissé dans les sphères sereines
Les échos doux et fiers de ta cithare d’or.
 
Noble esprit, dédaigneux des faiblesses humaines,
Tu cherchais, emporté par un sublime essor.
De Dieu, de l’Idéal les grandeurs souveraines
Et gardais de la Foi l’ineffable trésor.
 
Là, ta muse a puisé dans la source sacrée
Des chants chastes et purs, à la forme éthérée,
Et l’Espoir, ce divin dictame des douleurs
 
De ton grand coeur saignant de blessures amères,
Lorsque l’on bafouait les vertus de nos pères
Et les « vieilles maisons avec les vieilles mœurs.»
Caen, 12 juin 1888.

De longs et chaleureux applaudissements saluent chacun des orateurs.

D’autres poètes avaient bien voulu envoyer des vers. Leur grand nombre n’a pas permis de les lire tous, on les trouvera plus loin.

L’Harmonie Montbrisonnaise, qui a joué d’une manière brillante plusieurs morceaux dans l’intervalle des discours, se fait entendre de nouveau. Une dernière salve d’artillerie donne le signal du départ. Le cortège se reforme pour reconduire chez M. de Meaux MM. Coppée et Bonnassieux, pendant qu’une foule empressée et respectueuse entoure Madame de Laprade et lui présente ses félicitations.

Ainsi se termine cette journée vraiment belle, car comme l’écrivait un des vieux amis du poète, M. Léopold de Gaillard, « elles sont rares les fêtes où celui qui est entouré de plus d’honneurs est entouré de plus d’estime ; et, de toutes les souscriptions qui se sont fondues en bronze pour reproduire les nobles traits de Victor de Laprade, il n’en est pas une qui ne veuille dire hommage à sa grande âme, autant qu’admiration à son grand talent ».

Nous ne pouvons omettre de dire que, pour faire participer les pauvres aux joies de cette fête, la famille de Laprade avait fait remettre dès le matin une somme de 1.000 francs au bureau de bienfaisance de Montbrison.

Il reste à la Diana un devoir bien doux à remplir : c’est de remercier encore tous ceux qui l’ont aidée à accomplir la tache pieuse qu’elle s’était imposée, les souscripteurs qui de tous les points de la France, et même de l’étranger, ont envoyé leur offrande, l’artiste éminent qui a modelé avec amour l’effigie de notre illustre compatriote, la ville de Montbrison, qui a donné l’emplacement où elle s’élève, les orateurs éloquents et les poètes qui ont jeté un tel éclat sur son inauguration, enfin les hommes dévoués, MM. Huguet, Jacquet, Joulin, Maillon, de Montrouge, Chialvo, Paul Dulac, Thevenet, architecte de la ville, F. Bourge, F. Goure, qui ont bien voulu accepter la mission de préparer la fête et d’en surveiller les détails.

Voici les vers envoyés à l’occasion de l’inauguration de la statue de Victor de Laprade et dont il n’a pu être donné lecture pendant la cérémonie.

A L’ESTATUO DE LAPRADO
SONNET PAR M. L. DE BERLUC-PERUSSIS
FELIBRE MAJORAL, ANCIEN PRESIDENT DE L’ACADEMIE D’AIX.

 

Toun Fourèz agué ta primo sesoun
Emai toun radié pantai, o Laprado !
Mai noste soulèu, nostis Aup daurado
Fèron ta jouvènço et ta granesoun (1).
 
Tambèn, sies esta felibre un brisoun,
E pèr véire encuei ta glori enaurado,
O noste immortau e bon cambarado,
Landon nosti cors devers Mountbrisoun.
 
Entre dous parla bessoun sies lou liame :
Vaqui pèr-de-qué iéu t’amire e t’ame,
E mescle à ti flour mis ùmbli prefum.
 
Davans l’estrangié sourne que nous guèiro,
Moustraren que, long Rose emai long Lèiro,
Francés d’Oc et d’Oil, acot es tout un. (2)
Pourchiero dis Aup, 14 juin 1888.

_______________

(1) Chez toi, sous ton soleil, le long des chênes verts,
Dans l’air tout embaumé de sauges, de lavandes,
J’ai senti dans mon cœur voler mes premiers vers.
Chez toi, sur ces sommets qui surplombent la grève,
Où le myrte jaillit du rocher qui se fend,
Je veux dresser ma tente. Au moins j’en fais le rêve,
Car j’y devins poète et presque ton enfant.
V. DE LAPRADE. A la Provence.
(2) Voici la traduction du sonnet :
A la statue de Laprade.
Ton Forez eut ta saison première – Et aussi ton dernier rêve, ô Laprade. – Mais notre soleil, nos Alpes dorées firent ta jeunesse et ton épanouissement.
Tout aussi bien, tu as été félibre quelque peut, – Et pour voir aujourd’hui ta gloire élevée dans les airs, – O notre immortel et bon camarade, – Nos cœurs courent vers Montbrison.
Entre deux parlers jumeaux tu es le tien : – Voilà pourquoi je t’admire et je t’aime, – Pourquoi je mêle à tes fleurs mes humbles parfums.
Devant l’étranger, qui sournoisement nous épie, – nous montrerons que le long du Rhône et de la Loire, – français d’Oil ou d’Oc cela ne fait qu’un.
Porchères, 14 juin 1888.

_______________

A VICTOR DE LAPRADE
SONNET PAR M. LE CHANOINE JAMES CONDAMIN.
 
Te voilà revenu dans la vieille cité :
Oui ! tu nous es rendu tout entier, ô Poète,
Te voilà radieux, vivant, ressuscité,
Planant de ton grand front sur cette foule en fête.
 
Au pays de Forez, que ton luth a chanté,
Tu voulus t’endormir et reposer ta tête,
Pour être doucement, pendant l’éternité,
Sous les chênes géants bercé par la tempête.
 
Tu cherchais une tombe où sommeiller en paix :
Tes enfants t’ont dressé cette belle statue
Qui porte jusqu’au ciel ton sourire et tes traits.
 
Ce pieux monument qu’aujourd’hui je salue
Transmettra ton visage à la postérité,
Comme tes vers ton nom à l’immortalité !
Montbrison, 17 juin 1888.
 
LAPRADE
ODE PAR M. ANDRE CHADOURNE.
I
A l’heure où toute loi fléchit et se dissipe,
Faisant place au sarcasme, au scepticisme altier ;
Où, par haine du ciel, il n’est plus de principe
Qui dans notre pays demeure ferme, entier ;
 
A l’heure où, désertant leurs campagnes fertiles,
Nombre de malheureux, pris d’un rêve malsain,
Viennent se disputer au sein des grandes villes
Quelque coin de misère, un noir morceau de pain ;
 
A l’heure ou ce n’est plus le beau qu’on idolâtre,
Mais le triste reflet du mal et des laideurs ;
Où notre langue, hélas ! que l’on traite en marâtre,
Perd avec sa clarté, sa grâce, ses pudeurs ;
 
Quelle joie, ô Dieu quel délice,
Quel présage consolateur,
Quelle espérance, quel indice,
Quel enivrement pour le coeur,
Que de voir en cette journée
Toute une province tournée
Vers un poète merveilleux,
Dont notre patrie avec gloire
Enregistrera la mémoire
Parmi les sages et les preux !
 
Oui, c’est toi, noble et grand poète,
Dont notre enfance apprit les vers.
Tu ne redresses point la tête ;
Tes yeux ne lancent point d’éclairs.
Ta pensée aux ailes sereines
Vers l’amour plus que vers les haines
Te portait généreusement.
Epris du vrai, du beau, du juste,
Ta face demeurait auguste
Dans la joie ou dans le tourment.
 
Mais en toi ce qui me captive,
Ce qui surtout me fait t’aimer,
C’est cette âme droite et naïve
Que le bien seul put enflammer ;
C’est ce respect pour les vieux maîtres ;
Ce culte du sol, des ancêtres,
Des moeurs, notre première loi ;
Cette parole qui s’épanche
Si large, si nette, si franche,
Ou qu’emporte si haut la foi.
II
Bercé sur les genoux d’une mère pieuse,
A l’air fortifiant des bois et des côteaux,
Enfant tu ressentis l’émotion joyeuse
De l’autel, du foyer, des chênes et des eaux.
C’est par là que d’abord tu crus à la famille,
A la douce nature, au monde des élus,
Et que ton coeur, beau lac où le soleil scintille,
S’embrasa de clartés qui ne s’éteindront plus.
 
Bientôt, t’abreuvant à la source
Où les bardes puisent leurs voix,
Tu jettes, rapide en ta course,
Maints et maints chefs-d’oeuvre à la fois.
Chaque page de ton génie
De Dieu même semble bénie.
Son esprit y souffle en tous sens,
Et, jusqu’en tes oeuvres antiques,
Exhale des parfums mystiques
De roses, de lys et d’encens.
 
O forme exquise de la phrase !
O style harmonieux, léger !
Sur les mots unis sans emphase
La rime paraît voltiger.
Ainsi que David et qu’Homère,
Devant la terre, notre mère,
Et le ciel, notre fiancé,
Ton vers jaillit soudain en gerbes
Ou roule ses ondes superbes,
Pareilles au Rhône élancé.
 
Qui n’a tourné d’un doigt avide
Ces « Odes », ta première fleur,
Et, dans un autre écrin splendide,
« Le Calvaire, le Précurseur »,
Et ces « Idylles héroïques »
Et tous ces « Morceaux Symphoniques »
Où, des plus noires profondeurs
A la plus éclatante cime,
Ta pensée hardiment s’exprime
En flots de notes, de couleurs ?
 
Douces haleines matinales,
Fraîches grottes des bois profonds ;
Frissons d’épis, cris des cigales ;
Clairs de lune argentant les monts ;
Aimables siestes sur la mousse ;
Gais babillages qu’à voix douce
Epèlent la femme, l’oiseau ;
Belles aurores aux tons roses ;
Profils de temples grandioses ;
Palais qui se mirent dans l’eau :
 
Hélas ! que ne puis-je de l’ombre
Vous tirer, ravissants tableaux
Que la muse inspirait en nombre
A ses fins et souples pinceaux !
Et, dans ce magique musée,
Réveillant sa lyre brisée,
Fasciner tellement les yeux,
Tellement charmer les oreilles
Qu’on croirait parmi ces merveilles
Planer un moment dans les cieux !
III
Dès lors, le trouvère champêtre
Paré du titre d’Immortel,
Pouvait à Paris comme un maître
Avoir ses fervents, son autel.
Mais, esprit digne, coeur sincère,
Attaché là-bas à sa chaire
Le travail bornait son désir ;
Entre ses fils et sa compagne.
A Lyon ou dans sa montagne
Il chantait, Suprême plaisir !
IV
Qui de nous cependant pourrait rêver sans cesse ?
Pour lui, le créateur d’ « Hermia », de « Psyché »,
Quand il eut quelque temps, entouré de tendresse,
Vécu chez lui d’étude et de bonheur caché,
Un jour vint où, la France ayant fondé l’Empire,
Lui, dont l’un des aïeux était mort pour son roi,
Aux ordres souverains refusant de souscrire,
Il dut quitter sa chaire en martyr de sa foi.
V
Adieu, les hymnes magnifiques !
Plus de rêve. Place au réel !
Voici les « Poèmes civiques »,
Les « Muses d’Etat, Machiavel »;
Voici « Tribuns et Courtisanes ».
Après les héros, les profanes.
Après Virgile, Juvénal !
Et le même homme qui, naguère,
Soupirait près du sanctuaire,
Se dresse au pied d’un Tribunal !
VI
Puis, lorsque s’abattit, ouragan effroyable,
Sur l’Est et sur le Nord,
L’Allemagne, nombreuse, atroce, insatiable,
Semant le feu, la mort ;
Tandis que nos soldats soudain pris de démence
Abandonnaient leurs champs,
Lui, malade, cloué sur un lit de souffrance,
Trouvait encor des chants :
« Armez-vous, Vendéens ! Bretons, à la bataille !
Affrontez ce vainqueur.
S’il ne faut point encor que la race s’en aille,
Sauvez du moins l’honneur ! »
VII
Deux ans après, Lyon envoyait à Versailles
Ce valeureux champion des saintes libertés.
Pour guérir le pays saignant jusqu’aux entrailles
Laprade alla siéger parmi nos députés.
Mais, loin du sol natal, jeté dans une arène
D’intrigues, d’appétits, de tumulte et de haine,
Où plus d’un fort lutteur s’use rapidement,
Le poète fut pris d’un si rude malaise
Qu’il préféra revoir sa terre lyonnaise,
Pour lui sourire encore à son dernier moment.
 
En ces soirs où le front se penche,
Où souvent le cerveau faiblit,
Comme pour prendre sa revanche
Laprade au labeur se remit.
« Pernette », rustique épopée,
Dans quel encrier fut trempée
La plume qui vous retraça?
Et vous, touchant « Livre d’un père »,
Que délicat et salutaire
Fut l’amour qui vous inspira !
 
Ah ! certes, couché sous le chêne
Dont il célébra la vigueur,
Cet apôtre pouvait sans peine
Reposer son regard vainqueur
Sur le monument de sa vie.
La destinée était remplie.
Mais, comme un guerrier hors d’émoi,
Jusqu’à la dernière minute
Il voulut prolonger la lutte
Pour son pays et pour sa foi.
VIII
Aussi, par quels transports d’unanime allégresse
Avons-nous salué le bronze glorieux
Qui revêt aujourd’hui de vie et de jeunesse
L’homme dont le nom seul illustrerait ces lieux !
Ah ! que son oeuvre donc, rayonnant sur la France,
Verse aux esprits la foi, verse aux coeurs la vaillance !
Dans le vrai, dans le bien ayant mis la beauté ;
Et que, modeste et pur comme un prêtre en son temple,
Il grandisse à jamais devant l’humanité !
 
VISION
PAR MADAME A.-B. FAURE.
 
Lorsque mes yeux, voilés de triste rêverie,
Cherchent vers le passé quelque cher souvenir,
Dans le rayonnement de mon âme attendrie
Une image apparaît, toujours prompte à venir.
 
Grave et douce à la fois, une jeunesse austère
Met à son front penseur un reflet d’infini.
Sa bouche sans sourire est d’un esprit sévère,
Son regard lumineux porte un rêve béni !
 
Beau rêve ! descendu des cimes éternelles
Et qu’il nous racontait en mots harmonieux.
Les choses qu’il disait étaient grandes et belles,
Plus pures que le flot sous la clarté des cieux.
 
Dans la vieille cité, fière de son poète,
Nous écoutions, charmés, ce doux enseignement ;
Ses chants mettaient dans l’air des sourires de fête,
Sa parole tombait comme un enchantement.
 
Elle avait le parfum des saintes harmonies
Que la brise murmure à l’ombre des forêts,
Dans ce livre éternel, aux pages infinies,
Des voix de la nature il trouvait les secrets.
 
Cette source divine alimentait son âme,
L’imprégnait d’harmonie et de sérénité :
Grande âme de poète et de sage, qu’enflamme
L’amour de l’idéal et de la vérité !
 
O chères visions de mes jeunes années
Vous rayonnez encore au déclin de mes jours.
Jamais un souffle impur ne vous a profanées,
A l’appel de mon coeur vous répondez toujours
 
De l’idéal rêvé vous êtes la lumière,
Le foyer d’où jaillit tout ce qui vibre en moi ;
Vos ailes vers le ciel emportent ma prière
Eclose dans l’amour, l’espérance et la foi.
 

MORCEAUX DE MUSIQUE EXECUTES PENDANT LA FETE DE L’ INAUGURATION DE LA STATUE DE VICTOR DE LAPRADE.

I.

A NOTRE-DAME.

Grandes orgues tenues par M. Emile Lachmann, organiste-compositeur à Montbrison, membre de l’Académie Royale de St-Cécile de Rome :

Cantilène pastorale (A. GUILMANT)

Cantabile de Salomé (Th.. SALOME)

Pièce en La mineur Op. 38 (Ed. BATISTE)

Marche funèbre et chant séraphique. (A. GUILMANT)

II.

PENDANT LA MARCHE DU CORTEGE ET AU JARDIN PUBLIC.

Musique de l’Harmonie Montbrisonnaise, présidée par M. Maillon, dirigée par M. Antonin Roux.

Le Nogentais, allegro (CH. RICHARD)

Fontainebleau, allegro (L. CHIC)

Francoeur, allegro (DESAILLY)

Le Zéphyr, allegro (CH. RICHARD)

Poète et Paysan, ouverture (SUPPE)

Honneur aux braves, allegro (***)

Fontainebleau, allegro (L. CHIC)

 

MENU DU BANQUET SERVI PAR M. CHOMER.

Jambon d’Yorck à la gelée.

Paté froid de volaille, truffé.

Filet do boeuf aux champignons.

Saumon sauce mayonnaise.

Petits pois à la Française.

Volaille de Bresse au cresson.

Pièces montées.

Dessert.

 

LISTE GENERALE

DE

MM. LES SOUSCRIPTEURS

POUR L’ERECTION D’UNE STATUE

A VICTOR DE LAPRADE

 

La Société de la Diana

500 «

Académie des sciences, arts et belles-lettres de Lyon

500 «

Académie des Jeux Floraux

100 «

Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix-en-Provence

50 «

Académie des sciences, arts, belles-lettres et
agriculture de Mâcon

50 «

Académie du Fèlibrige

50 «

Académie du Var

40 «

Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux

25 «

Correspondant (le)

200 «

Ecole Albert-le-Grand (Athénée littéraire de 1′), à Arcueil

100 «

Ecole Saint-Thomas-d’Aquin (les élèves de l’)
à Oullins

304 «

Mémorial de la Loire (le)

100 «

A reporter

2019 «

 

Report

2.019 «

Montbrison (la ville de)

25 «

Nouvelliste de Lyon (le)

100 «

Petit Séminaire (les professeurs du), à Montbrison

50 50

Salut public (le)

100 «

Société d’agriculture, industrie, sciences, arts et belles-lettres de Saint-Etienne

25 «

Société de médecine de Lyon

50 «

Société des bibliophiles bretons

50 «

Société littéraire, historique et archéologique de Lyon

50 «

Société nationale d’éducation de Lyon

150 «

MM.

 

Achalme (Léon)

10 «

Adhémar de Puységur (Mme la comtesse d’)

25 «

Agnesetta (Mme veuve)

5 «

Alexandre (M. et Mme Charles)

20 «

Allemand (Hector), peintre

50 «

Anonyme

1 «

Anonyme

1 «

Anonyme

3 «

Anonyme

50 «

Anonyme

1 «

Anonyme

5 «

Anonyme

5 «

Anonyme

5 «

Anonyme

10 «

Anonyme

400 «

A reporter

3.210 50

 

Report

3210 50

Anonyme

10 «

Anonyme

10 «

Anonyme

20 «

Anonyme

4 «

Anonyme

3 «

Anonyme, à Lyon

300 «

Anonyme, à Montbrison

5 «

Anonyme, à Roanne

10 «

Anonyme, (abbé X.)

5 «

Anonyme, (A. H.)

50 «

Anonyme, (C. F.)

1 «

Anonyme, (J. B.)

1 «

Anonyme, (J. C.)

1 «

Anonyme, (L.)

20 «

Anonyme, (Mme A. B. F.), à Boulogne-s-Mer

10 «

Anonyme, (T. B.)

2 «

Anonyme, (Mlle B.)

3 «

Anonyme, (Melle G.)

5 «

Anonyme, (Que le riche offre l’or et le pauvre l’obole)

5 «

Anonyme, (Souvenir d’un intime ami de V. de Laprade)

50 «

Anonyme, (Un philosophe)

2 «

Anonyme, (Un actionnaire du Nouvelliste de Lyon)

5 «

Anonyme, (Un ancien condisciple)

25 «

Anonyme, (Un Breton, admirateur de l’homme et du poète)

25 «

Armand (Charles)

10 «

A reporter

3.792 50

Report

3.792 50

Assier de Valenches (Emmanuel d’)

40 «

Atanoüs (Noël)

100 «

Aubert

10 «

Audiat (Louis), président de la Société des archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis

5 «

Audren de Kerdrel

20 «

Aumale (Mgr le duc d’), membre de l’Académie française

200 «

Avaize (Amédée d’)

20 «

Averton (Melle d’)

5 «

Aynard (Edouard), banquier

300 «

Bacot (abbé)

10 «

Balay (Fernand)

30 «

Balay (Mme Francisque)

50 «

Baleydier père

2 «

Balmont (Léon)

10 «

Barban (André)

20 «

Basson (abbé)

10 «

Bastide (Louis)

1 «

Baudrier (Henri)

20 «

Baudrier (Julien)

10 «

Bavoux-Gonnard (Mme)

5 «

Becdelièvre (vicomte de)

20 «

Bégonnet, pharmacien

5 «

Bellemain (André)

10 «

Belliveaux (Léon)

10 «

Benet

5 «

A reporter

4.710 50

Report

4.710 50

Bérard-Varagnac

20 «

Bergasse (Henri)

30 «

Berluc-Pérussis (de)

10 «

Bianchi (Auguste)

10 «

Bigel (Charles)

10 «

Billioud-Monterrad

5 «

Billy (Alexis de)

10 «

Biolay

20 «

Bizot (Jules)

40 «

Blanc (abbé)

5 «

Blanc (Antony)

30 «

Blanc de Saint-Bonnet (Melle)

100 «

Blanchard (Charles)

5 «

Blanchecotte (A.-M.)

10 «

Blocqueville (marquise de)

100 «

Boibieux (Melle Maria)

50

Boissien (Maurice de)

50 «

Boissieu (Victor de)

30 «

Bomel (abbé)

5 «

Bonnay (Michel)

2 «

Bonnet (Edouard)

20 «

Bonnet (Jules)

5 «

Bonnet jeune

2 «

Borel

30 «

Borson (général)

10 «

Bouchacourt (docteur)

20 «

Boudot frères

30 «

A reporter

5.320 «

Report

5.320 «

Bouillier (Francisque), membre de l’Institut

10 «

Boullier (Auguste), ancien député

30 «

Bourcier (Mme)

10 «

Bourdin (abbé), professeur à la Faculté des lettres de Lyon

10 «

Bournat (Victor)

100 «

Boy (Victor)

5 «

Boyron (docteur J.)

10 «

Brassart (Eleuthère)

10 «

Broglie (duc de), membre de l’Académie française

20 «

Bruneau, notaire

20 «

Brunel (Etienne)

50

Brunel, marchand drapier

1 «

Brunier (Joseph) et ses sœurs

10 «

Calmann-Lévy, éditeur

100 «

Camp (Maxime du), membre de l’Académie française

100 «

Cauvet

200 «

Caverot (Mgr le cardinal), archevêque de Lyon

100 «

Cazenove (Raoul de)

25 «

Chaize

20 «

Chalandon

50 «

Chambre des notaires de l’arrondissement de Montbrison

100 «

Champville (A. de), à Sidi-L’Hassen

5 «

Chamussy (Henri)

2 «

A reporter

6.258 50

 

Report

6.258 50

Chantelauze (Régis de)

50 «

Chardiny (Louis)

20 «

Charmetant (A.)

5 «

Charpin-Feugerolles, (comte de)

50 «

Charpy

5 «

Charreyre

5 «

Charvériat (E.)

30 «

Chassain de la Plasse (Raoul)

20 «

Chaume (Mme)

10 «

Chausse (abbé J.)

10 «

Chauve

5 «

Chauvigny (Louis de)

20 «

Chauvigny (Mme de)

20 «

Chavassieu, sénateur

200 «

Chaverondier (Auguste)

20 «

Chazal (abbé)

7 «

Chenavard (Paul)

100 «

Cherblanc (Mme veuve)

10 «

Chéri-Rousseau

20 «

Chevalard (Jules du)

40 «

Chevalard (Mme du)

10 «

Chevé

5 «

Chialvo

20 «

Chomer (Alexandre)

50 «

Claret-Palais

3 «

Clément (Georges)

5 «

Clerc (l’abbé)

10 «

Coche (Louis-Vincent)

5 «

A reporter

7.013 50

 

Report

7.013 50

Cognasse (Philippe)

1 «

Coignet des Gouttes (du)

25 «

Col, notaire

5 «

Collangettes

10 «

Collangettes (Raoul)

10 «

Colomb (Jacques-Marie)

10 «

Condamin (abbé James)

20 «

Conil (abbé)

15 «

Coppée (François), de l’Académie française

100 «

Cornier (Benoît)

5 «

Coste, notaire

100 «

Côte (Alfred)

50 «

Cottin

5 «

Coudour (Etienne)

10 «

Courtin de Neufbourg (comte de)

40 «

Couturier (Mme veuve L.)

5 «

Creyton (René)

5 «

Cuillieron

5 «

Dareste de la Chavanne (R.)

10 «

Davat (docteur)

10 «

Déchelette-Despierres

10 «

Déchelette (Eugène)

10 «

Déchelette (Henri)

25 «

Déchelette (Joseph)

5 «

Déchelette (Rémy)

25 «

Decroso

40 «

Delocre, président de l’Académie de Lyon

 

A reporter

7.569 50

Report

7.569 50

(sciences)

100 «

Delocre (Emile)

50 «

Descours (Auguste)

10 «

Desgranges (docteur A.)

20 «

Desjoyaux (Joseph)

20 «

Desmarquest (Tony)

5 «

Desvernay (Félix)

5 «

Deyme (Lucien)

20 «

Diday (docteur)

50 «

Dorchain

5 «

Drevon (Henri)

5 «

Dubois de Cluny

25 «

Ducoin (Auguste)

60 «

Ducreux (J.)

25 «

Ducrot

5 «

Duffer, peintre

5 «

Dugas de la Catonniére (René)

20 «

Dulac (docteur HippoIyte)

5 «

Dulac (docteur Paul)

5 «

Dulac (Jules)

10 «

Dumenge (Léori)

10 «

Dumont (Jules)

10 «

Dupuy (Henri)

5 «

Dupuy de Quérézieu

50 «

Durand (Alban)

20 «

Durand (Frédéric)

20 «

Durand (Halbert)

20 «

Durand (Vincent)

10 «

A reporter

8.164 50

 

Report

8.164 50

Durand (Mme veuve)

10 «

Durris

5 «

Dusser des Paras (Mme)

20 «

Dusser (Louis)

20 «

Dutel (abbé), curé d’Ainay

10 «

Epitalon (Jean-Jacques)

10 «

Essarts (Emmanuel des)

10 «

Excelmans (vicomtesse)

40 «

Falloux (Cte de), de l’Académie française

100 «

Farissier

25 «

Farjot père

5 «

Farjot (Hippolyte)

5 «

Faure (Léon)

10 «

Faure, notaire

5 «

Favre, lieutenant-colonel en retraite

10 «

Favre (Louis)

2 «

Ferrand fils

5 «

Ferraton (abbé)

10 «

Ferraz, professeur à la Faculté des lettres de Lyon

10 «

Ferrière (abbé), aumônier des Ursulines de Beaujeu

10 «

Fillon (abbé), aumônier de la Visitation, à Saint-Etienne

10 «

Fillon (abbé), curé de Bellegarde

20 «

Flichet (Mlle)

2 «

Flotard, ancien député

50 «

A reporter

8.568 50

 

Report

8.568 50

Foilard (Mme)

5 «

Fontaine de Bonnerive

20 «

Forestier (abbé)

5 «

Forissier

50 «

Forissier (Henri)

50 «

Fournier (Frédéric)

50 «

Fraisse

50

Frèrejean (Louis)

20 «

Gaffino (abbés Henni et Joseph)

50 «

Gaillard (abbé), chanoine

5 «

Gaillard (Auguste)

50 «

Gaillard (Léopold de)

50 «

Galland, commis-greffier

50

Galland (Isidore)

2 «

Garin (Mme)

25 «

Gauthier (Etienne)

50 «

Gautier (abbé)

5 «

Gautier (Eugène)

5 «

Gautier (Joseph)

25 «

Gautier (Louis-Etienne)

50 «

Gautier (Mme Louis)

50 «

Gautier (Melchior)

25 «

Gavin (Joseph)

25 «

Gay (abbé)

10 «

Gayet

20 «

Gayet (Ernest)

10 «

Geay

1 «

A reporter

9.227 50

Report

9.227 50

Genin (abbé)

10 «

Gensoul (Henri)

50 «

Gensoul (Paul)

50 «

Genthoul (abbé), chanoine

5 «

Genton (Stanislas), ancien député

100 «

Gérentet (Claudius)

50 «

Gérentet (Mme)

20 «

Gibon, directeur des forges de Commentry

10 «

Gilet, teinturier

300 «

Girard

5 «

Girin (docteur)

10 «

Gohier (Mme veuve)

40 «

Gonnard (Henri)

10 «

Goujet

20 «

Goure (François)

5 «

Graëff

20 «

Grand (Paul)

100 «

Grassin (comte de)

5 «

Grenet (abbé)

4 «

Grenier (Ed.)

50 «

Grenot (Gabriel)

5 «

Grimaud (Emile), secrétaire de la Revue de Bretagne et de Vendée

10 «

Gros (Albert)

20 «

Gros (Joanny)

2 «

Guerne (de)

20 «

Guillemot (Antoine)

5 «

Guillibert (Ernest, Félix et Hippolyte)

50 «

A Reporter

10.203 50

Report

10.203 50

Guilloud (Adolphe)

5 «

Guimet (Emile)

30 «

Harlé d’Ophore (Charles)

50 «

Harlé d’Ophore (Mme Eugène)

100 «

Harlé d’Ophore (Mlle J.)

50 «

Hérédia

10 «

Hetzel, libraire, à Paris

100 «

Huguet

20 «

Hyvrier (abbé), supérieur de l’Institution des Chartreux, à Lyon

10 «

Iniers

5 «

Isaac père, fabricant

50 «

Isaac fils, fabricant

25 «

Jacquemont (Louis)

100 «

Jacquemont (Mme Sauveur)

10 «

Jacques (Henri)

10 «

Jacquet (Camille)

25 «

Jeannez (Edouard)

10 «

Joannin (Mme)

100 «

Jordan de Sury

50 «

Joubert (A.), ancien député

50 «

Jouffroy (Auguste)

20 «

Joulin (Paul)

10 «

Jouve-Bergasse (Mme)

10 «

Jullien (Gabriel)

50 «

Juster (Louis)

5 «

A reporter

11.108 50

Report

11.108 50

Kerviler (René)

5 «

Koskousky (abbé Albert de), à Varsovie

50 «

Kronn (Cbarles)

5 «

La Bastie (Ernest de)

10 «

La Bastie (Octave de)

40 «

La Borderie (Arthur de), directeur de la
Revue de Bretagne et de Vendée

10 «

Labrune (abbé)

2 «

Lacaussade (A.)

10 «

Lachèze (Louis)

25 «

Lacbmann (Emile)

10 «

Lacour (docteur A.)

100 «

Lacour (Mme)

20 «

Lafay (Adrien)

10 «

Lafay (Octave)

10 «

La Fléchère (M. et Mme Edmond de)

100 «

Lafond, libraire

1 «

La Garde (marquis de)

50 «

Lallié (Alfred), ancien député

20 «

Lamartine (Mme Valentine de)

20 «

Lambert (Mlle. Marie)

5 «

Langlois (abbé)

5 «

La Plagne (Amaury de)

20 «

La Plagne (Théobald de)

80 «

Laporte (Laurent)

50 «

Lapra

10 «

Larnage (comte de)

20 «

A reporter

11.796 50

Report

11.796 50

La Roche-Guyon (Mme la duchesse de)

200 «

La Salle (Mme de)

10 «

Latour (Mme Antoine de)

40 «

Laurent (abbé)

5 «

Le Bleton

5 «

Le Conte (Etienne)

25 «

Le Conte (Jules)

25 «

Lemerre (A.), éditeur

100 «

Léotard (Eugène)

10 «

Lhonneur

1 «

Lhote

5 «

Libercier (le R.P.), directeur de l’Ecole
Saint-Elme, à Arcachon

20 «

Liégeard (Stephen), ancien député

50 «

Lilienthal

100 «

Louvier (Aimé)

20 «

Loyson

50 «

Luvigne (Alphée de)

20 «

Maillon (Claudius)

10 «

Maisse

1 «

Mangini (Félix)

100 «

Mangini (Lucien), ancien sénateur

300 «

Manin (abbé)

5 «

Marcilly (Charles de)

20 «

Marcilly (Gaston de)

20 «

Marduel (Joannès)

10 «

Margollé (Elie)

10 «

A reporter

12.958 50

Report

12.958 50

Marnat (abbé)

5 «

Martelin (Athanase)

10 «

Mas (Réné)

50 «

Mathieu (Joannès)

3 «

Mazas (Pierre-Gabriel)

5 «

Meaux (Camille, vte de), ancien ministre

100 «

Meaux (Charles de)

50 «

Méplain (Abel)

10 «

Mervillon (Mathieu)

5 «

Meunier, notaire

5 «

Milly (comte de)

20 «

Miolane

10 «

Mollière (Antoine), président de l’Académie
de Lyon (lettres)

100 «

Mollière (docteur Daniel)

50 «

Mollière (docteur Humbert)

50 «

Mondet (Henri)

10 «

Monery (Louis)

20 «

Monneret (docteur)

5 «

Montalembert (comtesse de)

100 «

Montcel (Xavier du)

20 «

Monterno (vicomte de)

100 «

Montrouge (Albert de)

10 «

Morel (Elie)

20 «

Morel (Joséphin)

30 «

Morel-Nigay

3 «

Morin-Pons

50 «

Mougin-Rusand (Mme)

10 «

A reporter

13.809 50

Report

13.809 50

Murard (Mlle)

2 «

Murgues

5 «

Nadaud (G.)

20 «

Néron

20 «

Neuvesel (de)

20 «

Neyrand (Charles)

20 «

Neyrand (Elisée)

50 «

Neyrand (M. et Mme Henri)

50 «

Neyrand (M. et Mme L.)

50 «

Neyron (Gabriel)

50 «

Neyron (Louis)

20 «

Normand-Autran (M. et Mme Jacques)

100 «

Nourrisson (Alice)

5 «

Nourrisson (Félix)

5 «

Odon (Joseph-Faisant)

10 «

Olivier (François)

5 «

Olivier (Laurent)

10 «

Ollagnier (abbé)

10 «

Onofrio, conseiller à la cour de cassation

20 «

Ory

5 «

Pagnon (Félix, et Cie)

5 «

Palley

5 «

Pallias (Honoré)

10 «

Palluat de Besset (Henri)

100 «

Palluat de Besset (Joseph)

100 «

Palmarini

20 «

A reporter

14.526 50

 

Report

14.526 50

Pangaud (Jean)

5 «

Parent de Rozau

50 «

Parent du Châtelet (Mme E., née Harlé d’Ophore)

25 «

Parieu (E. de), membre de l’institut

100 «

Parieu (Joseph de)

100 «

Paris (Mgr le comte de)

200 «

Parmentier

5 «

Parseval (Mme L. de)

20 «

Patritti

4 «

Pelletier (Pierre)

20 «

Pellorce (Ch.)

10 «

Pérache (Jean)

1 «

Percher

3 «

Périchons (Hector, baron des)

20 «

Perraud (Mgr), évêque d’Autun, de l’Académie française

50 «

Perret (Auguste)

5 «

Perrin (J.-F.-E.)

20 «

Perriollat (Eugène)

5 «

Perroton (Damien)

2 «

Perroton (Louis)

5 «

Perroton (Petrus)

2 «

Peurière (abbé)

10 «

Peyron (abbé)

5 «

Piaton (Maurice)

28 «

Picard

5 «

Picard, greffier

10 «

A reporter

15.236 50

 

Report

15.236 50

Pichat (Antoine), consul de Grèce

10 «

Pitiot

5 «

Planus (abbé), vicaire général du diocèse
d’Autun

25 «

Plasson

50

Plessis (comte du)

100 «

Poidebard (William)

10 «

Pomeon (Pierre)

5 «

Pommerol (Mme de)

50 «

Poncins (comte de)

100 «

Poncins (marquis de)

50 «

Pontvienne

1 «

Portier père

20 «

Portier fils

20 «

Prandières (Martial de)

25 «

Puget (Jacques)

1 «

Pugnet (abbé)

2 «

Quirielle (Mme de)

100 «

Quirielle (Pierre de)

50 «

Rames (G.)

25 «

Rauh (Frédéric)

5 «

Raymond (abbé)

5 «

Rebour (Charles)

150 «

Recorbet (Charles)

25 «

Relave (abbé Maxime)

5 «

Revel (Aimé et Camille)

2 «

Rey (docteur Eugène)

30 «

A reporter

16.058 «

 

Report

16.058 «

Reymond (Francisque), député de la Loire

25 «

Riboud (Antoine)

20 «

Richard (Ernest)

10 «

Richard-Royé

10 «

Richoud (abbé)

10 «

Rieussec (Eugène)

20 «

Robert (Alfred)

10 «

Rochetaillée (Vital, baron de)

100 «

Rochigneux (Thomas)

5 «

Rocoffort (A.)

50 «

Romant (Paul)

5 «

Rony (Charles)

5 «

Rony (François)

25 «

Rony (Joseph)

10 «

Rony (Louis)

20 «

Rostaing (Mme la marquise de)

20 «

Roussel (Joseph)

20 «

Roy (Joseph)

10 «

Ruby

20 «

Saint-Didier (E. de)

100 «

Saint-Jean (comte de)

10 «

Saint-Pulgent (abbé Alexis de)

25 «

Saint-Pulgent (Alphonse de)

40 «

Saint-Pulgent (Mme de)

20 «

Saint-Victor (Charles de)

25 «

Saint-Victor (Gabriel de), ancien député

50 «

Sainte-Colombe (comte Rodolphe de)

25 «

A reporter

16.748 «

 

Report

16.748 «

Sallandrouze-Le-Moullec

10 «

Sasselange (marquis de)

30 «

Sasselange (Mme de)

25 «

Saulnier (F.)

10 «

Sauzet (Abel)

20 «

Sauzet (J.)

100 «

Sauzey (Eugène du)

20 «

Sérullaz, avocat

50 «

Simon-Gaingard

4 «

Soliniac (Mme C.)

5 «

Soliniac, notaire

25 «

Soulary (Joséphin)

5 «

Souleyre (docteur)

10 «

Sully-Prudhomme, de l’Académie française

100 «

Sugny (Anatole de)

40 «

Tavernier (René)

10 «

Teissier (docteur B.)

100 «

Terrat

25 «

Terrat (Jean-Baptiste)

20 «

Testenoire Lafayette père

75 «

Testenoire Lafayette (Philippe)

25 «

Thibaudier (Mgr), évêque de Soissons

25 «

Thiéry (Raoul)

20 «

Tisseur (Clair)

100 «

Toureng (capitaine)

5 «

Trabucco (abbé)

5 «

Trabucco, notaire

10 «

A reporter

17.622 «

 

Report

17.622 «

Trouillet (abbé)

5 «

Trunel (Joseph)

5 «

Turge (Honoré de)

50 «

Turquais (abbé) et sa famille

5 «

Ussel (baron d’)

100 «

Ussel (vicomte d’)

100 «

Ussel (Mme la comtesse d’)

100 «

Vachez (Antoine)

15 «

Vachon-Laville (Claudius)

50 «

Vacqueur (Henri)

10 «

Valette (Edmond)

5 «

Varin (Léopold)

10 «

Vaudoire (Jacques)

1 «

Vaudoire (Jean)

1 «

Vaudoire (Vincent)

1 «

Vaux-Ducruix

10 «

Vazelhes (Etienne de)

50 «

Veilleux (Alexandre)

5 «

Velay (commandant)

10 «

Vernay

5 «

Verrière (Marc)

10 «

Versanne (abbé)

5 «

Vettard (abbé)

10 «

Vial-Vial

5 «

Vier (Louis)

20 «

Vigne (Paul)

5 «

A reporter

18.215 «

 

Report

18.215 «

Vignon (Joseph-Eugène)

10 «

Vignon (Léo)

20 «

Vignon (Mlle)

1 «

Villard (J.-J.)

5 «

Villard (Pierre)

5 «

Vilmain (Jules)

5 «

Vincent de St Bonnet

20 «

Vingtrinier (Aimé)

5 «

Virieux (abbé)

10 «

Viry (docteur Octave de)

25 «

Vitta (Joseph)

20 «

Voisin (général)

20 «

Worms

5 «

Yéméniz (messieurs et mesdemoiselles)

50 «

Zurcher

10 «

Total général

18.426 «

 

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