BD, Tome IV, Inscription mentionnant la construction du théâtre antique de Feurs. Communication de M .le comte de Poncins, pages 272 à 277, Montbrison, 1887.

 

Inscription mentionnant la construction du théâtre antique de Feurs. Communication de M .le comte de Poncins

 

Le 22 décembre 1887, des ouvriers travaillant, sous la direction de M Populus, conducteur des ponts et chaussées, aux fondations des murs du jardin de l’hôpital de Feurs, le long de la route nationale n°82, trouvèrent dans de la terre meuble, à 1m 50 environ de profondeur, une pierre de 1m 58 de long, sur 0m 88 de large et 0m 20 d’épaisseur, enfouie longitudinalement à la route, un peu au dessous d’un petit aqueduc (1). Cette pierre, en calcaire oolithique paraissant provenir des carrières de Lucenay prés Villefranche, contenait sur sa face interne une inscription parfaitement gravée et admirablement conservée. M. Populus aidé de notre excellent collègue. M. le vicomte de Becdelièvre, qu’un heureux hasard amena sur les lieux en ce moment même, la fit porter avec grand soin dans le vestibule de l’hôtel-de-ville, où elle demeure déposée auprès de deux autres inscritions antiques qui attendent avec elle une installation plus sûre et plus définitive.

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(1) aqueduc, dont la direction coïncide presque rigoureusement avec le nouveau mur de clôture du jardin de l’Hôtel-dieu, a été reconnu sur une longueur de 30 mètres. Il avait perdu sa toiture, probablement formée de dalles plates, car ses murs latéraux, d’une épaisseur de 0m 45, étaient arrasés au même niveau, sans vestiges d’arrachements pouvant faire supposer l’existence d’une voûte. La profondeur du canal état de 0m 70, sa largeur de 0m 55. Le radier était formé de tuiles à rebords de très grande dimension, 0m 53 sur 0m 34, placées en travers et juxtaposées, les rebords en dessous. Ces tuiles reposaient sur un lit de béton hydraulique de 0m 08. établi lui-même sur une couche de 0m 10 de pierres cassées.

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Le texte de l’inscription est ainsi conçu :

DIVO – AVGVSTO – SACRVM
PRO – SALVTE – TI – CLAVDI
CAESARIS – AVGVST – GERM –
TI – CLAVDIVS ARVCAE – FIL – CAPITO –
SACERDOS – AVG – THEATRVM QVOD
LVPVS ANTHI – F – LIGNEVM – POSVERAT
D S P LAPIDEVM RESTITVIT

Dico Augusto sacrum. Pro salute Ti(berii Claudï(i) Coesaris August(i) Germ(anici), Tï(berius Claudius, Arucae fil(ius), Capito, sacerdos Aug(usti), theatrum quod Lupus, Anthi f(ilius),ligneum posuerat d(e) s(ua) p(ecunia) lapideum restituit.

« Consacré au divin Auguste. Pour le salut de Tibère Claude César Auguste Germanicus, Tibère Claude Capito, fils d’Aruca, prêtre d’Auguste, a rétabli en pierre de ses deniers le théâtre de bois qu’avait fait construire Lupus fils d’Anthus ».

L’inscription est encadrée dans une moulure large de 0m 10 et de faible saillie. Points triangulaires. A partir de l’A du mot Capito, les caractères sont gravés plus profondément.

Dans une note insérée au Mémorial de la Loire du 1er janvier 1888 et reproduite par l’Ancien Forez (décembre 1887, p. 296), M. Vincent Durand a exprimé l’opinion que Tibérius Claudius Capito, fils d’Aruca, était un Ségusiave de marque, à qui Claude, si favorable aux Gaulois, avait communiqué son nom en lui conférant le droit, soit plénier, soit restreint aux effets civils, de cité. romaine. Le titre de Sacerdos Auqusti suffit à démontrer qu’il s’agit d’un personnage d’un rang élevé. Quoique ce titre rappelle le culte du seul Auguste, et ne soit pas accompagné de l’épithète arensis ou ad aram, tout semble indiquer que le sacerdoce dont Tibérius Claudius Capito était revêtu n’était autre que celui de Rome et d’Auguste, qui s’exerçait au fameux autel érigé au confluent du Rhône et de la Saône par soixante peuples gaulois, dont chacun y déléguait un de ses citoyens les plus considérables.

Lupus, fils d’Anthus, devait être aussi de nationalité gauloise et, sans doute, Ségusiave. Il porte un nom de forme latine, mais pas les tria nomina. Pour lui, l’assimilation était moins avancée : il n’avait pas obtenu les honneurs de la naturalisation romaine.

Après avoir rappelé ces remarques de notre excellent collègue, il convient de faire ressortir l’intérêt de certains points qui vous ont déjà certainement frappés.

C’est, d’abord, la démonstration de l’antiquité de Feurs. Puisque, sous le règne de Claude, c’est-à-dire entre les années 41 et 54, un personnage de marque y faisait bâtir un théâtre en pierre destiné à remplacer le théâtre de bois construit précédemment, l’importance de notre Forum, dès le début de l’ère chrétienne, nous paraît incontestablement prouvée.

Où ce théâtre était-il placé? Ici s’ouvre et s’élargit le champ des hypothèses. M. l’abbé Roux, dans sa belle étude sur le Forum Segusiavorum, a placé le théâtre sur la pente reliant le Palais au petit val de la Loise: : « Comme on ne retrouve à Feurs, nous dit-il, aucun reste de maçonnerie dont la forme puisse faire supposer un théâtre, j’ai cherché dans les configurations du terrain la position présumée de cet édifice. L’étude des villes gallo-romaines a démontré que les théâtres s’élevaient généralement près des palais…., il en a dû être ainsi pour Feurs. Je dirai même qu’il n’était pas possible de construire le théâtre dans une autre condition, parce que la colline sur laquelle s’élevait le Palatium était la seule contre laquelle on pût l’adosser; placé en face, il eût été exposé au vent du nord. Entre le Palais et la rivière de Loise on aperçoit dans la pente du terrain un mouvement circulaire horizontal très prononcé et dans lequel on reconnaît la main de l’homme. On a extrait dans son rayon d’énormes corniches en granit dont les moulures accusent un bâtiment de 12 à 15 mètres d’élévation. C’est là que je place le théâtre « (Forum Segusiavorum, p. 55 et 56).

L’abbé Roux nous donne les raisons de son hypothèse, mais il avoue que c’en est une. Ce mouvement de terrain dont il parle existe toujours ; il est placé en dessous du plateau sur lequel était construit l’ancien château du Palais, entre le château lui-même et les terrasses bordant la rivière : n’était-ce pas un travail exécuté à l’occasion de cette construction relativement récente, plutôt que l’emplacement de l’ancien théâtre gallo-romain ?

Nous n’avons jamais entendu parler des corniches monumentales dont M. Roux indique les proportions, et, depuis le temps où il faisait à Feurs ses intéressantes recherches, rien n’est venu confirmer l’hypothèse du théâtre installé sur la pente du Palais.

La découverte nouvelle semble au contraire la rendre fort douteuse. Notre inscription qui, selon toute vraisemblance, était placée en un endroit très apparent du monument dont elle rappelle la construction, a été trouvée à l’extrémité nord de la ville (1).Sans doute, elle a pu y être transportée d’ailleurs, mais, sans rien absolument préjuger à cet égard, n’est-il pas naturel d’examiner d’abord si l’existence du théâtre dans le lieu même de la découverte est ou non admissible ? La pierre gisait dans un sol meuble, sur un terrain assez incliné pour faciliter 1’établissement des gradins d’un théâtre. Supposons ces gradins adossés en effet à la colline et s’étageant sur sa pente ; l’hémicycle étant fermé, du côté de la scène, par une de ces hautes constructions dont nous trouvons le modèle dans quantité d’autres théâtres, celui d’Orange, par exemple. Ces hautes murailles abritaient le spectateur contre le vent du nord ; le soleil de l’ouest n’arrivait dans l’enceinte que transversalement sans gêner, même en l’absence de tenture protectrice, ni les acteurs ni le public. C’est une hypothèse, soit ; mais la configuration des lieux rapprochée de la récente découverte nous la fait paraître sérieuse.

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(1)Voir le plan ci-joint,, autographié d’après celui dressé par M. Populus.

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Le seul moyen d’arriver à une solution précise serait d’exécuter des fouilles dans les terrains voisins, mais là comme dans trop d’autres endroits, ce moyen est difficile à employer : au milieu la grande route ; à droite et à gauche des jardins ; comment ouvrir des tranchées de deux mètres au moins de profondeur ? Nous serons probablement forcés d’attendre un nouvel et heureux hasard pour résoudre définitivement le problème de l’emplacement du théâtre de Feurs.

Qu’il nous suffise pour aujourd’hui d’établir l’intérêt de l’inscription actuelle, d’appeler sur elle l’attention de nos collègues, et de signaler encore l’importance dés le début de l’ère chrétienne de notre vieux Forum Ségusiavorum.

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