BD, Tome IV, Trésor de vaisselle d’argent trouvé à Montauban, près Bourg-de-Péage (Drôme). Communication de M.Bertrand., pages 341 à 346, Montbrison, 1888.

 

M. Bertrand, vice-président de la Société d’Emulation de l’Allier, fait la communication suivante :
« J’ai l’honneur de vous donner connaissance d’une très importante découverte d’argenterie de table faite, en mars 1888, par un cultivateur de la commune de Chatuzance, sur un plateau situé au pied des Alpes, au-dessus et dominant le cours de l’Isère, au lieu dit Montauban, sur l’emplacement d’une riche villa gallo-romaine où abondent les matériaux antiques de construction et les poteries ; on y a extrait des amphores intactes, ainsi que d’autres vases en terre cuite.

Cette villa, qui s’était relevée une première fois de ses ruines, a été dévastée au Xe siècle par les Sarrasins.

Le trésor dont je vais vous entretenir appartient à M. de Magneval, collectionneur émérite de Lyon, qui a bien voulu me le montrer hier et m’autoriser à vous donner la primeur de cette grande nouvelle archéologique. Il se compose de six pièces, dont deux, surtout, hors ligne, par leur beau travail d’orfèvrerie.

1° un grand bassin, de 0m 15 de haut sur environ 0m 35 de diamètre au sommet et 0m 12 à la base, par conséquent, très conique, mais à évasement arrondi, dans la forme de nos saladiers modernes. Il est orné de godrons en relief à l’intérieur, qui vont en diminuant pour atteindre le fond ; ces godrons sont gravés de feuilles de laurier imbriquées qui, graduellement aussi, sont de moindres dimensions en se rapprochant de la base. Celle-ci porte un médaillon de 0m 10 de diamètre, où sont représentées en bas-relief les trois Grâces, petites figures d’environ 0m 08, d’une fine exécution et d’un beau modelé, comme il convient à des déesses, quoiqu’ayant subi un peu d’usure. Aglaé, la première de ces compagnes de Vénus est vue de dos, ses deux mains reposent sur les épaules de Thalie et d’Euphrosyne, placées de profil ; l’une et l’autre de ces dernières ont un linge à la main, celle placée à droite venant de le tremper dans un vase en forme de lagène à une seule anse.

Ce beau bassin, trop mince pour son grand développement, est malheureusement brisé : c’est sur lui qu’a frappé le premier coup de pioche de l’auteur de la trouvaille ; mais il peut être facilement consolidé par un habile soudeur et alors se montrera tel qu’il était avant cet accident.

2° Un grand plateau rond (circulus ou mazonomum), d’environ 0m 45 de diamètre, sans profondeur et pourvu seulement d’un petit bord relevé de 0m 004 à 0m 005 ayant comme ornement courant sur son pourtour une petite bordure de fines olives séparées par deux petites perles. Au centre, un double ornement gammé de 0m 08 a été gravé sur un centimètre de large et incrusté d’un émail gris bleuté.

Le musée des antiques de Lyon possède un plateau d’argent de moindres dimensions ayant le même ornement extérieur, et le trésor d’argenterie récemment découvert près de Chaourse (Aisne), au hameau de Montcornet, offre, sur un plateau semblable, le même monogramme gammé : indices d’une origine commune.

3° Un petit bol de 0m 15 de diamètre, de 0m 12 de haut, à bordure simplement ourlée, à la panse lisse et un peu ovoïde.

4° Un autre bol ou coupe, de 0m 25 de diamètre et de hauteur, dont le bord se profile suivant les découpures arrondies de chacun de ses godrons ou côtes, en relief et lisses à l’extérieur ; il est aussi d’une faible épaisseur de métal et, comme le premier décrit, il a été estampé au marteau sur un mandrin de fer, les godrons faisant saillie en sens inverse.

5° Une splendide patère, de 0m 15 de diamètre et de 0m 12 de hauteur, ayant au pourtour supérieur une suite d’ornements en petites olives, comme sur le grand plateau. Au fond, un double monogramme gammé aux branches larges de 0m 003 et dont l’émail est absent, ce qui laisse remarquer les stries recreusées pour y faire adhérer celui-ci.

La panse de cette patère est lisse, et l’artiste a déployé tout son talent sur le manche ou poignée, qui a été coulée dans un moule, donnant un bas-relief qui atteint de 0rn 002 à 0m 004. Ce manche n’est pas percé d’un trou d’accrochage, comme cela a lieu souvent sur les mêmes vases de bronze qui, étant plus communs, se pendaient au mur, ainsi que vous avez pu le remarquer sur ceux provenant de la trouvaille de Saint-Sixte près Boën. Les nôtres étaient soigneusement renfermés dans des coffres à serrures de bronze et garantis encore par de doubles loquetières, comme il en a été trouvé à Mont-Gilbert, près Ferrières-sur-Sichon (Allier), un spécimen qui pourtant contenait de la vaisselle de bronze, dont deux patères et un proefericulum superbes qui ornent les vitrines du palais Saint-Pierre, à Lyon.

La poignée est terminée en queue de carpe arrondie ; au dessous, se tient debout un Mercure coiffé du bonnet phrygien, portant le caducée de la main droite et une corne d’abondance de la gauche.

Au dessous, une petite cabane fermée, le toit aigu, simulant un tombeau, ayant à sa droite un if et à gauche un vase aplati où a été déposé un bouquet de plantes ; au-dessous encore, un petit personnage, tenant en main une baguette, incliné vers un autel, et au bas de la courbure du raccord sur le vase, une chèvre près d’une corbeille de fruits ; une flûte de Pan, triangulaire, la pointe en bas, termine de chaque côté ce raccord.

J’ai recueilli dans l’AIlier, à Vichy, ainsi qu’au Larry, commune de Toulon, des moules de manches de patères en terre cuite avec des ornements à peu près semblables, destinés à faire des patères de terre et, dans ce dernier atelier, le contre-profil servant à découper la terre molle qui devait faire exactement ces moulages. A Vichy, j’ai également rencontré sur l’anse d’un vase de terre, et à Néris sur un vase de bronze, la chèvre comme ornement, ainsi que des mascarons et des personnages.

6° Une dernière patère, de mêmes dimensions à peu près que la précédente, à panse plus rebondie, ornée de très fines cannelures contournées dans un même sens pour se rendre à la base, laissant dans leurs intervalles des godrons de même calibre, sur lesquels alternent en relief de très petits serpents d’or, debout en spirale sur un trident dont le manche est d’argent et la fourche d’or, et des dauphins également d’or et très petits, en relief sur un trident comme les précédents ; ces représentations, au nombre de près de quarante, occupent le tiers supérieur du vase et, presqu’au sommet, de minuscules coquilles d’or, alternant avec des bouquets d’épis de blé aussi d’or, forment à quelque distance les uns des autres un perlé du plus gracieux effet.

Le manche de cette remarquable patère est orné de fleurons et petits feuillages en relief d’une grande finesse d’exécution, comme s’il eût été buriné par Benvenuto Cellini lui-même : à la base, deux noeuds de feuilles d’un très fort relief, pour servir de poucier, dans le champ, quelques fleurettes relevées d’or, et deux têtes de cygne reliées à un col unique gracieusement ondulé, sur lesquels apparaissent, regravés et en relief, tous les détails des plumes et des têtes, font de cette pièce unique l’une des plus riches compositions de l’art antique.

Ces vases nous donnent quelques noms, gravés à la pointe, de leurs heureux possesseurs ; il y en a de bien difficiles à déchiffrer et je n’ai pu y mettre le temps ; j’en ai lu un seul, LIICINVS (pour LECINVS). On a recueilli également un as de bronze au type de la galère de l’antique Lugdunum, d’une belle patine.

La découverte de Chaourse ou Mont-Cornet, car les deux n’en font qu’une, l’emportait sur celle-ci par 1e nombre des vases, dont quelques-uns étaient d’une bien rare exécution de gravure. Les patères, pourtant, en étaient moins soignées, mais il y avait parmi ces vases une rareté : une passoire à manche, se refermant à charnière, dans une autre passoire, la première étant conique et l’inférieure cylindrique.

Ce dernier trésor vient d’être livré aux enchères de l’hôtel Drouot, sans que j’aie pu apprendre encore et que je sois par conséquent en mesure de vous faire connaître les résultats de cette vente féconde en émotions pour les antiquaires ; mais il est à craindre qu’en cette saison et vu l’absence de bien des grands amateurs, on n’ait que difficilement atteint les prix d’estimation : ce qui peut créer un précédent fâcheux pour les découvertes de ce genre qui sont d’une extrême rareté, mais qui enfin se produisent quelques fois. La plus splendide et l’unique que l’on connût, il y a peu de temps, était le trésor de Bernay (Eure), au musée du Louvre.

En terminant, je crois devoir vous rappeler que l’un de nos plus savants confrères, M – A. Héron de Villefosse, poursuit en collaboration avec M. l’abbé Thédenat un travail d’ensemble sur les trésors d’argenterie découverts en Gaule ».