BD, Tome V, Le cartulaire de Saint-Chaffre du Monastier publié par M. l’abbé Ulysse Chevalier. – Communication de M. Vincent Durand., pages 159 à 164, La Diana, 1890.

 

Le cartulaire de Saint-Chaffre du Monastier publié par M. l’abbé Ulysse Chevalier. – Communication de
M. Vincent Durand.

 

M. Vincent Durand entretient la société du Cartulaire de Saint-Chaffre du Monastier, édité l’année dernière par M. l’abbé Ulysse Chevalier, l’infatigable auteur de tant d’utiles et savantes publications. Bien qu’intéressant surtout le Velay et le Vivarais, ce Cartulaire renferme de précieux renseignements sur l’histoire et la topographie de notre province.

Plusieurs chartes y rappellent qu’au Xe siècle, un vaste territoire situé sur la rive droite du Rhône et dépendant des diocèses de Vienne et de Valence, jusques et y compris Soyons, au midi de cette dernière ville, était regardé cornme faisant ou ayant fait, à une époque peu antérieure, partie du pagus Lugdunensis. C’est là un point de géographie très obscur, qui a exercé la sagacité des auteurs de l’Histoire du Languedoc (1), de Courbon du Ternay (2), (l’Auguste Bernard (3) etc., et, plus récemment de notre érudit confrère, M. Anatole de Gallier (4). Déjà, vers le milieu du IXe siècle, sous le règne de Charles-le-Jeune, roi de Provence, une charte reproduite par dom Bouquet et par Ménestrier place Tournon dans le pagus Lugdunensis. On a supposé que cette expression désignait le duché de Lyon, comprenant le comté du même nom et celui de Vienne. M. Longnon a expliqué d’une manière ingénieuse l’adjonction au méme pagus de la portion cis-rhodanienne du Valentinois. Elle se rattacherait au portage advenu en 863, à la mort de Charles-le-Jeune, entre Lothaire II, roi de Lorraine, et l’empereur Louis II, ses frères. Ce dernier obtint la Provence comprenant Valence, Die, Grenoble, et la totalité des provinces ecclésiastiques d’Aix, Arles et Embrun ; à Lothaire échurent les comtés de Lyon, Vienne, Sermorens, Viviers et Uzés; mais ces deux derniers comtés auraient formé un groupe séparé du reste de ses états, si l’on n’y eût adjoint la partie du Valentinois située sur la rive droite du Rhône. Il est donc probable qu’elle lui fut aussi attribuée (5). Cet état de choses semble s’ètre perpétué pendant plus d’un siècle, car en 985, Toulaud près Soyons (Ardèche) est encore dit in pago Lugdunense (6). Ce n’était plus qu’un souvenir à la fin du siècle suivant, époque de In rédaction du Cartulaire.

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(1) T.1, p. 554, anc. édition.
(2) Mémoire pour les co-seigneurs de la Faye, 1re proposition.
(3) Cartulaire de Savigny et d’Ainay, p. 1071.
(4) Les Pagan et les Retourtour. Mémoires de la Diana, t. II, p. 14.
(5) Longnon. Atlas historique de la France, p. 76.
(6) Cartulaire du Monastier, n° CCCLXXX, p. 133.

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En effet, dans la notice qui relate la donation à Saint-Chaffre de l’église de Saint-Sauveur de Macheville, près la Mastre (mars 961), il est expliqué que cette église est située in pago quondam Lugdunensi (ce qui se réfère évidemment aux termes de l’instrument original), quod nunc est, ajoute l’abréviateur, in episcopatu Valentinensi (1)

La collection de dom Bouquet et divers autres recueils de chartes contiennent des textes des IXe et Xe siècles relatifs à des lieux situés in pago Lugdunensi. La véritable situation de beaucoup de ces lieux reste encore incertaine. On ne peut notamment accepter la plupart des identifications proposées par Courbon du Ternay, à une époque où l’on se contentait trop facilement d’une vague ressemblance de noms. Ceux qui tenteront de nouveau cette détermination par une méthode plus rigoureuse ne devront pas oublier de comprendre le Viennois et le Valentinois cis-rhodaniens dans le champ de leurs recherches.

Le pagus Forensis est cité à diverses reprises dans le Cartulaire de Saint-Chaffre. Un échange, dont la date est comprise entre les années 957 et 982 (2), y place une villa de Monteliago, bien difficile à retrouver en l’absence de plus amples explications: peut-être Monteillard, commune de Trelins(3), ou Montelier, territoire voisin d’Albieu, commune de Bussy, ou mieux encore Montelier, entre Saint-Nizier-de-Fornas et Saint-Bonnet-le-Château (4). Une autre charte (5) nous apprend que Guigues II, abbé de Saint-Chaffre, donna à ce monastère, en 999 ou 1000, divers immeubles situés in comitatu Lagdunensi, pago Forensi, et faisant partie de son héritage paternel, ce qui prouve qu’il était Forézien.

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(I) N° CCCXLV, p. 115.
(2) N° LXXXV, p. 60.
(3) Appelé Monteller dans un titre de 1352. Arch. de la Loire. B. 1863.
(4) Arch. de la Diana. Terrier de la Tourette, signé Pelri. 1440-1448, fos 13 v° et 72.
(5) N° CCCLXXXVIII, p. 135.

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Ces biens sont un mas et demi dans la villa de Cazaletis, un demi-mas dans celle de Monteniacus, un autre demi-mas dans celle de Disculis et, enfin, deux mas dans celle de Solesius. Il serait assez malaisé de reconnaitre les lieux désignés par ces noms, la plupart applicables à plusieurs localités, si celui de Disculis, Dicles, commune de Pérignieu, ne conseillait pas de les rechercher dans cette région du Forez. Monteniacus pourrait être Montagnieu, commune de Saint-Jean-Soleymieu, Cazaletis, Chazelles, autrefois Chazalets, commune de Pérignieu, ou des lieux du même nom, communes de Saint-Nizier et de Luriec (1). Quant à Solesius, c’est probablement un hameau de Pérignieu désigné en 1382 sous le nom de Soloyais dans le testament d’un certain Jacques Gaanhaire, aux archives de la Loire (2). Disons en passant que l’abbaye du Monastier devait avoir aussi des biens près de Châtelus, commune de Saint-Marcellin, témoin le nom de Puy de Saint-Chaffrain que parait avoir porté la Montagne, riche en antiquités préhistoriques, aujourd’hui connue sous celui de Puy de la Violette (3)

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(1) Terrier Petri de la Tourette, f° 30 v°, 31, 37 v°, 40 v°, 58 v°.
(2) Archives de la Loire, B. 1875. Voir l’admirable analyse du fonds des testaments enregistrés en la chancellerie de Forez, dans l’Inventaire des archives départementales publié par M. Aug. Chaverondier, t. II, p. 173. – On pourrait aussi penser au Soleil, commune de Firminy, mais outre que ce lieu est un peu loin des précédents, la forme latine Solerius ou Solerium est fournie par un titre de 1399. Arch. de la Loire, B. 1882.
(3) Archives de la Diana. Copie du terrier du Palais de Moind signé Pastoralis, 1440 et années voisines, fos 278, 284 v°, etc. Le nom de saint Chaffre ou saint Chaffrain était encore attaché en 1812, sous Li forme dégénérée de Saint-Suffren, à une curieuse roche à empreinte, détruite de nos ,jours, qui faisait limite de la commune de Pérignieu sur le puy de la Violette. V. Révérend du Mesnil, La pierre à écuelle du suc de la Violette, 1882, p. 21.

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Un certain nombre de textes visent des localités qui, après avoir été longtemps rattachées au Forez, en ont pour la plupart été distraites en 1790: ce sont Vallis Privata, Valprivas, Faia, la Faye, chapelle en la commune de Boisset-lès-Tiranges, Malus Boscus, Malbost, commune de Saint-Pal de Chalancon, Vorocio, les Véroux, commune de merle (1), etc.; plusieurs sont dites dans la viguerie ou arcis de Bas-en-Basset.

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(1) Ou peut-être Véros, commune de Grazac, en dehors des limites de l’ancien Forez.

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Une des plus curieuses pièces que renferme le Cartulaire est la notice d’un différend pendant, vers le dernier quart du XIe siècle, entre l’abbaye de Saint-Chaffre, les chanoines réguliers de Saint-Pierre de Mâcon et les religieux de Charlieu, au sujet de l’église de Jarnosse, Garnosa, que revendiquaient chacune des parties. Les chanoines de Saint-Pierre étaient en possession du bénéfice en litige, mais les religieux de Charlieu prétendaient y avoir droit en vertu d’une charte des seigneurs du lieu. En outre, ils se plaignaient, et ce grief était, semble-t-il, ancien de leur part (2), que les moines de Saint-Chaffre leur eussent dérobé des ossements de saint Fortunat. Sur le conseil de Pierre, camérier du Pape, l’abbé Guillaume III se désista de ses prétentions sur Jarnosse et, par l’intermédiaire de saint Hugues, abbé de Cluny, la querelle relative aux reliques de saint Fortunat fut assoupie (3).

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(2) En effet, des reliques de saint Fortunat étaient déjà au Monastier en 985, date d’une charte remontant à l’abbatiat de Vulfade, par laquelle Guillaume et Armand, frères, donnent l’église de Saint-Andéol de Bourlenc (Ardèche) à l’abbaye de Saint-Chaffre, sacro-sanctoe Dei ecclesiœ Calmiliensis monasterii…,ubi sanctus Theofredus martyr humatur et sanctus Eudo et sanctus Fortunatus et duo Innocentes ibidem in corpore requiescunt. (N° CCCXII, p. 104).
(3) N° CCCXCIX, des années 1074 à 1086, p. 141.