BD, Tome V, Le faux triforium de l’église Notre-Dame de Montbrison. – Communication, de M. Rochigneux., pages 9 à 16, La Diana, 1889.
Le faux triforium de l’église Notre-Dame de Montbrison.
Communication, de M. Rochigneux.
M. Rochigneux prend la parole en ces termes :
Je suis chargé par plusieurs de nos confrères de vous présenter le rapport suivant, dont je dois les principaux éléments à l’obligeance de M. Vincent Durand:
A l’issue d’une des dernières séances de la Société, un certain nombre de membres de la Diana, conduits par M. l’archiprêtre Peurière et M. Jamot, architecte de Notre-Dame, se sont transportés sur les parties hautes de cette église, afin d’examiner certaines dispositions primitives des fenestrages supérieurs qui ont été modifiées dans des temps plus modernes.
On sait que quatre des travées de la grande nef, édifiées au XIVe siècle et au commencement du XVe,
sont éclairées par de vastes baies ogivales dont chacune est subdivisée par de légers meneaux en trois lancettes subtrilobées d’inégale hauteur. A l’extérieur, les toits des collatéraux s’appuient immédiatement au-dessous de l’allège de ces fenëtres.
A l’intérieur et au même niveau, trois arcades accouplées et subtrilobées, dont les deux latérales aveugles et celle du milieu s’ouvrant sous les combles occupent le dessous de chaque fenêtre et correspondent à ses trois divisions : ces arcades reposent elles-mêmes sur un cordon horizontal continu qui relie deux à deux les piliers au-dessus des archivoltes des basses-nefs.
Dom Renon, dans sa Chronique de Notre-Dame (pages 123 et 162), a vu dans cette série d’ouvertures régnant au-dessous des fenêtres hautes, les arcades d’une galerie obscure ou triforium, et cette assertion n’a jusqu’à présent pas rencontré de contradicteur.
Nous gravissons la montée du clocher principal et, munis d’une lanterne, pénétrons dans les combles du collatéral nord. Là, M. l’abbé Peurière nous fait remarquer que les arcades situées à l’intérieur, au-dessous des fenêtres, apparaissent aussi à l’extérieur, ajourant ainsi le mur dans toute son épaisseur, même celles aujourd’hui aveugles, qui ne sont pas figurées, mais fermées par de la maçonnerie de remplissage. Enfin, les moulures soignées qui les décorent prouvent jusqu’à l’évidence qu’elles étaient destinées à être vues à l’extérieur comme à l’intérieur. Tout semble donc indiquer qu’elles ne dépendent point d’un triforium, mais qu’elles représentent une division des fenêtres hautes; la moulure qui sert présentement d’allège à ces dernières n’était en réalité qu’une traverse confortative qui sépare la baie en deux registres.
Il reste à se rendre compte de la manière dont ces arcades complètement masquées aujourd’hui par le comble des collatéraux, pouvaient donner accès à la lumière. M. le curé de Notre-Dame l’explique ainsi :
A 0m 90 au-dessous du seuil des arcades dont il s’agit, un étroit bâti s’appuyant sur les reins des basses-voûtes supporte un chemin de ronde encore existant à découvert autour du choeur.
Sur les trois faces extrêmes de l’abside, ce chemin de ronde est protégé actuellement par une simple barre de bois servant de garde-fou et ne paraît pas avoir jamais possédé de balustrade en pierre. Mais sur la face du nord, il est bordé de dalles posées de champ, d’un calcaire semblable à celui employé dans la construction du choeur, et reliées par des crampons métalliques. Plus loin, en continuant à redescendre vers le clocher, ces dalles font place à un bahut de maçonnerie plus élevé, en parpaings de calcaire, contre lequel vient s’épauler le comble du collatéral, laissant ainsi un intervalle suffisant pour l’admission de la lumière. Mais bientôt, par suite d’un premier changement d’ordonnance qu’on observe à la hauteur des piliers de l’arc triomphal, le chemin de ronde se relève de 1m 20 au moyen d’un escalier de pierre et devient de plain-pied avec le sommet du bahut et par conséquent avec le faîte des toitures latérales. Après cette travée, à la faveur d’une nouvelle modification de plan, il s’abaisse de 1m 80, se poursuit ensuite horizontalement sur la longueur de trois travées, sans bahut latéral toutefois, et enfin s’interrompt brusquement à la naissance de l’avant-dernière travée. Là le chemin de ronde, à peine ébauché, s’enfonce sous les combles, tandis que les arcades du pseudotriforium correspondantes à cette partie semblent indiquer, par l’absence de toute moulure, qu’elles n’étaient point destinées à être vues de l’extérieur.
M. l’abbé Peurière pense que la disposition que conserve l’extrémité orientale du collatéral nord peut avoir existé autrefois sur toute la longueur des bas-côtés. On expliquerait ainsi que les fenêtres hautes de la nef, dont la partie inférieure est aujourd’hui condamnée, aient été jadis vitrées dans toute leur hauteur, le comble des collatéraux ne s’appuyant pas directement sur le mur de la nef, mais sur un bahut séparé de celui-ci par un chemin de ronde.
Il suffit d’ailleurs d’un coup d’oeil pour s’assurer que les charpentes actuelles des basses-nefs sont relativement modernes. D’autre part, les reins des collatéraux sont à un niveau si peu inférieur à celui du chemin de ronde établi au pied du pseudo-triforium, qu’il est difficile d’imaginer comment, sans l’artifice indiqué par M. l’abbé Peurière, les toitures qui les recouvraient auraient pu avoir une pente suffisante. Il faudrait supposer une couverture presque plate, en dalles, dont rien n’indique l’existence, ou encore un toit à deux pentes avec caniveau longeant le chemin de ronde, ce qui, à première vue, n’est guère plus admissible.
Reste à savoir comment les eaux d’orage et celles tombant directement du grand comble dans le chemin de ronde pouvaient s’écouler. Pour trouver la réponse à cette question, il convient encore de procéder par analogie. L’exemple du choeur, où ce chemin est creusé longitudinalement en forme de caniveau avec pente et déversoirs du côté de l’abside, ne semble-t-il point indiquer qu’une disposition analogue devait exister sur les flancs de la nef? L’examen des lieux, modifiés quelque peu par suite d’adjonctions postérieures et aussi de dégradations, paraît confirmer cette hypothèse: toutefois, par suite de l’exhaussement inexplicable du couloir à la hauteur de la travée du sanctuaire, la pente dut être cherchée du côté opposé, c’est-à-dire de l’est à l’ouest, longitudinalement aux murs, en se dirigeant vers la façade.
Ce système fut donc employé pour les trois premières travées de la nef appartenant toutes au XVIe siècle. Mais au commencement du XVe, lorsqu’on construisit les deux dernières travées et la façade, ce mode d’écoulement, trouvé sans doute défectueux et gênant pour l’établissement des tours, fut abandonné. Alors on se décida à interrompre le chemin de ronde et on cessa, comme mous l’avons dit, de donner à l’extérieur du faux triforium les profils intérieurs. On fit plus: on pourvut de bases les meneaux de la partie haute des dernières fenêtres, ce que l’on n’avait point fait pour les autres travées, où les bases reposent sur le seuil des baies inférieures ; enfin, on indiqua par un lamier rampant appliqué aux clochers et aboutissant à la naissance du fenestrage supérieur, la pente du toit de l’avant-dernière travées collatérale. C’est sans doute à cette époque, c’est-à-dire dans le premier tiers du XVe siècle, que durent être closes ou aveuglées les autres arcades basses et que la toiture fut prolongée jusqu’au mur de la nef majeure.
Mais pourquoi l’architecte continuateur, au XIVe siècle, de l’oeuvre de Notre-Dame, avait-il ajouté à l’ordonnance primitive des fenêtres cet étage d’arcades inférieures, car, pour le chemin de ronde encaissé, il en trouvait déjà un exemple autour du choeur?.
On constate à l’intérieur de l’église, dans la travée extrême de la nef, comprise actuellement dans le sanctuaire, qu’un espace assez considérable sépare en hauteur l’archivolte du collatéral de la naissance des fenêtres hautes: il y a dans cette partie, comme d’ailleurs dans la travée du choeur, un parti-pris de simplicité, de nudité, qui convenait très-bien au style du XIIIe siècle, mais qui ne pouvait plus servir de modèle pour les contructions postérieures, où l’on devait au contraire s’attacher graduellement à garnir les surfaces vides.
Ne pouvant donc, à cause de la largeur considérable des collatéraux, amoindrir la pente de leur toiture, dont le point de départ devait logiquement se trouver à la base des baies actuellement vitrées, reconnaissant sans doute d’autre part le peu d’utilité d’un triforium obscur appelé à occuper l’espace libre entre les archivoltes inférieures et les fenêtres hautes, le maître de l’oeuvre dut s’arrêter au moyen terme adopté, qui est aussi ingénieux que pratique : établir extérieurement, en vue d’un éclairage oblique, un couloir à ciel ouvert contre la grande muraille, construire en avant un bahut plus ou moins continu pour supporter la toiture des collatéraux et faciliter l’accès des combles, enfin, abaisser notablement le seuil des fenêtres hautes et accuser franchement, à l’intérieur, par une traverse horizontale en pierre coupant ces fenêtres, le point où aurait dû normalement s’épauler le sommet des combles latéraux.
De tout ce qui précède, un fait important paraît définitivement acquis, c’est qu’à l’origine le pseudo-triforium de l’église de Notre-Dame faisait partie intégrante des fenêtres hautes de la nef et était vitré comme elles.