BD, Tome V, Le journal d’un prêtre Forézien. – Communication de M. Laurent, curé de Saint-Apollinaire., pages 108 à 114, La Diana, 1889.

 

Le journal d’un prêtre Forézien. – Communication de M. Laurent, curé de Saint-Apollinaire.

 

M. Rochigneux, au nom de M. l’abbé Laurent, dépose sur le bureau le travail suivant :

Claude Pascal, né à Champoly en Forez, le 5 septembre 1763, fut nommé vicaire à Valsonne, importante paroisse comprise aujourd’hui dans le canton de Tarare, le 9 janvier 1778. Sur les instances unanimes des habitants, le Chapitre de Saint-Just de Lyon le désigna pour successeur du vénérable curé Jacques Lepin, et l’installa canoniquement le 10 août 1789. « Dieu veuille que ce soit pour mon bonheur et celui de mon troupeau, pour la gloire de la religion et de l’Eglise ! » écrivit modestement le nouvel élu.
Sur les registres paroissiaux, qui étaient à la fois civils et religieux jusqu’en 1793, il rédigea le journal intime des évènements survenus dans sa prébende. Voici la première page de ce document très-précieux et très-utile à consulter pour l’histoire ecclésiastique du Beaujolais :
« Depuis le moment où je me vis, contre mon attente et malgré mon indignité, revêtu de la charge pastorale, je résolus de consacrer dans ces registres, à la fin des actes de chaque année, une ou deux pages, selon l’étendue des matières, à rapporter ce qui s’était passé de plus remarquable dans la paroisse de Valsonne, pour la satisfaction de mes très-dignes successeurs à qui j’en offre la dédicace. J’ose espérer qu’ils ne m’en sauront pas mauvais gré, et qu’instruits de la pureté du motif qui m’a fait exécuter ce projet, ils ne me refuseront pas leur indulgence et une bonne part à leurs ferventes prières.
« Au reste, ce n’est point une histoire détaillée et curieuse que je prétends faire ici, mais une analyse simple, courte et sincère des principaux évènements qui pourront arriver chaque année dans la paroisse de Valsonne, ou même dans les paroisses les plus voisines, s’ils ont quelque rapport avec celle de Valsonne, surtout relativement au clergé. Je ne suivrai guère d’autre ordre que celui des époques où les choses citées seront arrivées, et je laisserai bien volontiers au lecteur le soin de faire les réflexions que peut offrir chaque évènement ou chaque observation. Pour remplir la page, je rappellerai quelquefois le prix des principales denrées, l’état de la récolte, les usages supprimés ou nouvellement établis, la nomination des fabriciens et des autorités constituées, ainsi que des maitres d’école etc. etc. Mais, comme tous les anciens registres ont été livrés, en 1793, aux autorités constituées, par ordre du gouvernement, j’écrirai ici, d’abord, ce que j’avais déjà noté dans les registres des quatre années précédentes, c’est. à dire depuis 1789, où j’ai pris possession de l’église de Valsonne : Sin autem minus dignè, concedendum mihi est ! »
Les Mémoires de M. Pascal ressemblent, pour la netteté des appréciations, la finesse des critiques et l’exactiude des renseignements, à ceux de M. Duguet, curé de Feurs, que notre chère Compagnie de la Diana a publiés. L’auteur y a consigné humblement ses torts, plus encore que ses mérites pourtant très-notoires. On ne lit pas sans émotion l’aveu suivaut: « Le 27 décembre 1790, le clergé de Valsonne prêta, à l’issue de la grand’inesse, le trop fameux serment sur la constitution dite civile du clergé, mais avec toutes les restrictions nécessaires, qui, malheureusement, ne furent point mentionnées dans le procès-verbal dressé par la municipalité, qu’il refusa alors de signer. Le serment ainsi présenté fut reçu au district de Villefranche, mais après avoir toujours professé, même dans nos instructions publiques, les vrais principes de l’Eglise catholique, nous les déclaràmes, en 1794, selon l’ordre de nos supérieurs, par devant les autorités constituées, par des rétractations en règle, et, dans les paroisses voisines, par des lettres circulaires. Le scandale ainsi levé et réparé, nos supérieurs, contents de nos démarches, nous rendirent leur pleine confiance en 1796 et nous rétablirent dans toutes nos fonctions, qu’ils nous obligèrent d’exercer, mon oncle à Saint-Apollinaire pendant près d’un an, et nous à Joux pendant trois mois et à Panissières pendant deux mois. »
Le 6 décembre 1793, M. le curé Pascal fut obligé de fuir devant la persécution et de demander un asile aux montagnes du Forez. « Journée mémorable ! écrit-il. Les citoyens Dulac de Grandris, Malatret et Girin, de Thisy, Molet et Thevenin, de Chamelet, sont arrivés au bourg de Valsonne, à 9 heures du matin, pour arrêter et conduire en prison les deux pasteurs de cette paroisse comme rebelles aux lois constitutionnelles. Ils furent sauvés du danger par le zèle intrépide de leurs fidèles ouailles. Les ravisseurs, tremblants à leur tour, furent menacés et maltraités. Les scellés apposés sur nos effets furent aussitôt levés et forcément par eux-mêmes. Notre fuite du bourg eut lieu le même jour ; nous demeurâmes cachés tantôt dans les paroisses voisines, tantôt à Valsonne, tantôt dans notre pays natal, jusqu’au 22 décembre de l’année 1795. Grandes frayeurs de nos paroissiens menacés d’une punition exemplaire et d’un brigandage qui, grâces au Seigneur, n’a jamais eu lieu. Courses réitérées de nos gens à Lyon et ailleurs, pour traiter la paix qui a été conclue le 26 décembre. Dieu soit béni ! quelle affreuse année!. »
Une députation des paroissiens de Valsonne se rendit à Champoly pour en ramener triomphalement M. Pascal, qui fit une visite à tous ses fidèles, sans exception, dont il avait été séparé pendant deux ans. Un autre prêtre forézien, M. Claude Pontady, né à Saint-Julien-la-Vestre, avait desservi par intérim la paroisse de Valsonne, sur les ordres du conseil de Mgr l’archevêque de Lyon, mais sous le nom de M. Praly, revenant de Suisse, remplissant avec ardeur les périlleux devoirs de missionnaire jusqu’au 3 février 1797.
Le journal de M. Pascal nous fournit un récit exact d’un événement, accompli, sur la limite des départements du Rhône et de la Loire, entre les Sauvages et Machezal, et sur lequel les chroniques verbales du pays ne fournissaient que des détails incomplets. « Le 11 février 1798, dimanche de la sexagésime, entre dix et onze heures du matin, cinq prêtres catholiques, conduits à Rochefort par vingt à vingt-cinq soldats, sont délivrés à la Chapelle, sur le grand chemin, par deux à trois cents jeunes gens venus armés de dix à douze paroisses voisines, une trentaine de Valsonne. Sur la demande qu’on fait d’abord de rendre les cinq prisonniers, un des conducteurs se tourne vers les prêtres enchaînés sur une voiture, et d’un coup de feu tue M. Dulac, de Cremeaux, un des cinq, et en blesse un autre. Sur l’instant le cavalier assassin est tué de deux coups de fusil, qui furent le signal de plus de deux cents autres coups tirés par les assiégeants, qui blessèrent plusieurs des conducteurs, en laissèrent deux autres morts sur le champ de bataille, et un quatrième mourut le lendemain des blessures qu’il avait reçues. Les gens d’armes et les soldats prennent tous la fuite. Les quatre autres prêtres sont aussitôt déchaînés et emmenés chez de bons catholiques, et M. Dulac enterré à Tarare. Aucun des assiégeants tué, seulement quelques – uns légèrement blessés. Plusieurs effets enlevés aux conducteurs par ces jeunes gens qui les ont payés bien cher. Tout le monde épouvanté des suites de cette action vigoureuse, dont voici le résultat, pour ne pas interrompre le fil de la narration.
« Le 15 du même mois, arrivée de Lyon, pour cette affaire, de cinq cents soldats, d’abord à Tarare qui a su s’en garantir, le lendemain aux Sauvages, où l’église, la cure et plusieurs maisons pillées par eux ; de là à Amplepuis, où les nommés Giroud et Guédon, arrêtés et convaincus d’y avoir trempé, furent ensuite guillotinés à Lyon. Le cinq mars, distribution des soldats dans les cinq paroisses dénoncées pour cette révolte : Amplepuis, Ronno, les Sauvages, Saint-Apollinaire et Valsonne qui, pour sa part, en eut 140, placés chez les habitants très-mécontents. Trois de nos croix de pierre renversées et cassées par eux. Plusieurs de nos jeuness gens et le clergé en fuite et bien cachés jusqu’à leur départ définitif. Le 11 mars, les 140 soldats placés à Valsonne réduits à 80; et le 21 du même mois, réduits à 50 et, le 1 avril, réduits à 28. Leur départ définitif de Valsonne et des autres paroisses, le 23 avril. Visite domiciliaire et pacifique faite par 13 d’entr’eux dans quelques maisons de la paroisse, huit jours avant leur départ. Aucune dénonciation, ni arrestation.
« Le 15 juin, 150 soldats, tant à pied qu’à cheval, sont arrivés dans les paroisses susdites, pour faire exécuter le jugement prononcé contre elles par le tribunal de Lyon, pour cette malheureuse affaire. Dans la distribution, 30 pour Valsonne, d’où ils sont partis le 22 du courant. La somme exigée par le tribunal de Lyon, tant pour les blessés que pour l’amende envers la République, a été de trente mille francs pour les cinq paroisses. Valsonne en a payé pour sa part, le 20 juin, quatre mille sept cent soixante-dix francs, sans y comprendre les frais de voyage, de consulte, et les dépenses que la troupe a faites à la paroisse, évaluées à plus de 3455 francs, ce qui a rendu l’argent fort rare et les gens de mauvaise humeur. Les vingt plus forts en cote, sur les rôles, ont été obligés par le même jugement de faire les avances du payement, mais presque tous les habitants y ont contribué. Enfin, le 31 août, départ absolu de tous les soldats, qui occupaient nos paroisses depuis le 15 juin. Nous en avons donc été quittes pour la frayeur et pour notre argent : Dieu soit béni ! »
Le prêtre tué par les gendarmes était M. Dulac, curé de Cremeaux. Les quatre prêtres délivrés appartenaient aussi à des paroisses du Forez, mais nous n’avons pu retrouver exactement leurs noms.
Nous avons vainement cherché, dans les notes de M. Pascal, des détails sur l’époque de la terreur dans le Forez, et sur son séjour à Champoly pendant la persécution religieuse. Elles concernent exclusivement sa chère paroisse et les localités voisines du Beaujolais. En voici pourtant une sur le sort déplorable des défenseurs de Lyon, parmi lesquels on comptait beaucoup de foréziens : « Le 10 octobre 1793, levée en masse de presque tous les hommes armés de Valsonne et du voisinage contre les citoyens de Lyon, dits Muscadins, qui étaient en fuite après le siège. Aucun mal ne leur a été fait par nos gens qui n’étaient partis que par force. Tocsin sonné partout sur ces malheureux, qui ne faisaient de mal à personne, et qui ont passé à Oingt, à Saint-Vérand et à Saint – Romain – de – Popey, où le plus grand nombre a été massacré. On n’a jamais vu ici de jour plus affreux que celui-là. »
Un fait historique, c’est – à – dire le soin des catholiques lyonnais à cacher les prêtres fidèles au péril de leur vie et de repousser l’installation des intrus ou assermentés, trouve de nombreuses preuves dans le même journal : « Le 6 mai 1792, cinquième dimanche après Pâques, a été un jour de deuil et de brigandage pour les paroisses de Saint-Just-d’Avray et de Saint-Jean-la-Bussière, où deux mille brigands armés ont introduit les intrus rejetés par tout le monde. Il s’y est passé mille horreurs que la postérité aura peine à croire et qui ont jeté partout la consternation. – En juillet 1794, visite de quatre surveillants de Tarare pour arrêter M. l’abbé Denis, ancien vicaire de Valsonne où il était caché. Ils s’en sont allés comme ils étaient venus. En avril 1795, course de trois gens d’armes au Jacquet pour arrêter les abbés Papillon. Grande frayeur pour la paroisse et pour plusieurs autres prêtres qui y étaient réfugiés. Aucun n’a été arrêté, ni même trouvé. – M. Dubost, vicaire à Dième, a été nommé curé intrus à Ronno, où il n’a pas pu prendre racine. – Vacarme dans la paroisse d’Amplepuis à l’occasion du premier curé constitutionnel, Teillard, qu’on lui avait donné contre le gré de la très grande majorité de ses habitants. »
Terminons ces extraits par quelques passages d’une note moins sombre. M. Pascal raille finement un prêtre perpétuel du Chapitre de Saint-Just-de-Lyon, nommé à une cure du Beaujolais: « Ayant vu la paroisse hérissée de tant de têtes de montagnes et de rochers, il ne voulut point prendre possession et donna sa démission pure et simple. »
Après avoir raconté le recensement de tous les grains, la taxe de toutes les denrées et le dénombrement des individus affiché à la porte de chaque maison, il ajoute : « Nos gens sont obligés de porter leur pain en voyage, on n’en trouve presque nulle part : on leur avait pourtant promis la poule au pot ! … »
Il nous montre ses paroissiennes peu satisfaites des autorités révolutionnaires : « En décembre 1798, foires et marchés fixés partout selon le nouveau calendrier républicain. A Tarare, deux marchés par décade, tous les cinq jours, au lieu d’un marché qu’il y avait auparavant tous les jeudis. Lorsque l’un de ces deux marchés tombait un dimanche, on le tenait le samedi, et il n’y en avait ordinairement qu’un de bien fréquenté. Grand mécontement à cet égard, de la part des femmes surtout qui, voulant toujours porter leurs marchandises le jour de l’ancien marché, c’est-à-dire le jeudi, eurent la douleur de voir leurs paniers renversés et leurs oeufs cassés par les soldats et les gens d’armes, qui en maltraitèrent même plusieurs. C’était une vraie comédie pendant trois à quatre semaines ! »
M. Pascal mourut, estimé et aimé, dans sa paroisse de Valsonne, le 2 janvier 1805, à l’âge de quarante-deux ans, à la suite d’une fluxion de poitrine contractée dans l’exercice de son ministère.
Qu’il nous soit permis, au nom de la science historique et de tous les travailleurs qui ont secoué la poussière des archives pour y trouver une date ou un souvenir, de proposer l’exemple de M. Pascal aux cinquante membres ecclésiastiques de la Diana. Si chacun d’eux écrivait l’histoire de la localité qu’il habite, ou en recueillait les documents, et tenait un journal précis de tous les événements principaux, quelle moisson historique il préparerait pour l’avenir: Insere, Daphni, pyros; carpent tua poma nepotes.

La séance est levée.

Le Président,
Cte DE PONCINS.

Le membre faisant fonction de secrétaire,

Eleuthère BRASSART

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