BD, Tome V, Peintures murales dans l’ancienne église de Grézieu-le-Frornental (1). – Communication de M. E. de Vazelhes., pages 64 à 77, La Diana, 1889.

 

Peintures murales dans l’ancienne église de Grézieu-le-Frornental (1). – Communication de M. E. de Vazelhes.

 

(1) L’église de Grézieu, abandonnée depuis peu, en partie démolie déjà et à la veille d’être reconstruite, était un édifice assez pauvre d’aspect et fait de morceaux de styles dissemblables. Il avait été édifié à l’aide de matériaux divers, tels que cailloux de rivière, blocs de calcaire indigène et d’argile verte compacte, appelée lose, avec moëllons de granit pour les saillies. Son plan était une croix latine composée d’un cheeur et d’une nef unique flanquée, à hauteur de l’arc triomphal, de deux chapelles latérales.
La partie la plus ancienne et la seule debout encore, c’est à dire l’abside, a la forme d’un hémicycle allongé, large et profond de 4m 60, avec une épaisseur de mur et de voûte de 0m 70 ; elle communiquait avec la nef par un arc triomphal brisé. Cette construction, que l’on peut dater de la fin du XIIe siècle ou du commencement du XIIIe, était primitivement éclairée, au centre seulement, par une étroite fenêtre cintrée ; deux fenêtres ogivales de plus grandes dimensions furent ouvertes au XVIe siècle sur les côtés nord et sud, tandis qu’au XVIIIe une porte fut pratiquée du côté de l’Evangile pour accéder à la sacristie. Un caveau était creusé au pied du maitre autel. A l’extérieur, les murailles s’élargissent à la base en forme de glacis : l’on voit même au chevet une sorte d’arc de décharge qui semble démontrer que les constructeurs avaient pris toutes les précaution necessaires pour parer aux accidents pouvant résulter de la nature mouvante du sol. A l’angle rentrant extérieur formé par la rencontre des murs du choeur et de la chapelle de droite, est appliqué contre la paroi absidale un édicule voûté en ogive, haut de 2m sur 1m 55 de large et 0m 75 de profondeur, ayant dû vraisemblablement abriter une sépulture.
La nef, longue intérieurement de 11m et large de 6m 20, ne présentait, tant au dehors qu’au dedans, aucun caractère architectural ; ses murs, dépourvus de contreforts, étaient d’une épaisseur assez considérable, mais leurs fondations peu profondes laissaient deviner qu’ils n’avaient point été destinés à supporter une voûte, mais bien plutôt une charpente lambrissée ou un plafond. Des peintures murales avaient été appliquées successivement sur les parois de cette nef : les plus récentes représentaient des ornements végétaux du temps de Louis XV ; elles dissimulaient, dans la correspondant aux chapelles, une autre décoration, du XVIe ou du XVIIe siècle, dont nous n’avons pu distingue lambeau figurant un énorme dauphin rouge et or. A la fin du XVIIIe siècle ou au commencement du XIXe, on eut l’idée d’établir, au moyen de briques, une voûte d’arêtes en anse de panier sur toute l’étendue du vaisseau : c’est son effondrement qui a nécessité l’abandon de l’édifice.
Les deux chapelles latérales avaient été édifiée à part à la fin du XVe siècle ou au commencement du XVIe. Celle de droite, dont la voûte avait été refaite aussi en anse de panier, s’ouvrait sur la nef par une arcade ogivale sobrement profilée ; une petite piscine surmontée d’une accolade était percée dans la partie antérieure de ce pilier, à hauteur de l’autel. La chapelle de gauche, quelque peu plus large, était voûtée sur nervures prismatiques : on y pénétrait par une arcade cintrée et anglée d’un tore reposant sur d’élégantes petites bases. Devant l’autel, dédié à saint Mein, était creusé un caveau recouvert d’une pierre tombale datée de 1625 et portant un blason gravé en creux, celui, croit-on, de la famille Drogue. De même que l’autre, cette chapelle prenait jour par une fenêtre flamboyante à meneaux. Au dessus s’élevait un clocher carré, dénué de contreforts et sans caractère, auquel on accédait par un escalier de pierre appliqué contre la paroi extérieure de la nef. Cette tour, ajourée sur chaque face par deux fenêtres cintrées et meublée de deux cloches de 1817 et 1818, était couverte d’une toiture plate à quatre pentes surmontée en son milieu d’une sorte de flèche d’aspect assez disgracieux. T. R.

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En avril dernier l’église de Grézieu-le-Fromental, édifice formé de parties d’âges différents, et médiocre valeur architecturale, était livrée à la démolition pour être reconstruite. La voûte de l’abside du Xlle au XIIIe siècle venait d’être jetée bas, et l’on allait attaquer les murs de 1’hémicycle, quand d’épaisses plaques de mortier et de badigeon se détachant sous les premiers coups de pioche laissèrent entrevoir d’anciennes peinture. La démolition fut arrêtée, une double couche d’enduits superposés enlevée avec précaution, et l’on vit reparaître une vaste composition se développant sur tout le pourtour intérieur et dont rien auparavant ne permettait de soupçonner l’existence.

Cette décoration murale se divise horizontalement en deux zônes. La plus inférieure, du sol jusqu’à une hauteur d’environ deux mètres, parait avoir été remplie par des draperies relevées de distance en distance et peintes en jaune sur fond brun rouge ; de larges traits de la mème couleur en accusent les plis; la tète est bordée d’un galon jaune sur lequel des postes se détachent en noir. Cette partie a extrêmement souffert et est à peine lisible.

La zône supérieure, haute d’un mètre, comprend une suite de tableaux dont les sujets sont empruntés à la légende de sainte Catherine d’Alexandrie. Au dessus court une frise portant une inscription très fruste. Au dessus encore, tout à fait â la naissance de la voûte, de larges feuillages gris brun avec nervures blanches forment un ornement courant sur fond noir, de 0 m 40 de haut. Sans nul doute, la voûte entière était recouverte de peintures, comme l’attestent certains fragments d’enduits recueillis dans les décombres ; malheureusement elle à été renversée sans qu’on les ait aperçues.

De cet ensemble décoratif, les peintures représentant des scènes de la vie et de la mort de sainte Catherine sont de beaucoup les plus intéressantes, et, malgré de fâcheuses mutilations, les mieux conservées.

Elles comportaient à l’origine neuf ou dix compartiments dont les deux ou trois premiers, à gauche, ont presque totalement disparu par suite de l’ouverture au XVe ou XVIe siècle d’une baie ogivale éclairant le côté nord de l’abside et, au XVIIIe, d’une porte adjacente donnant accès dans une sacristie.

Il ne reste de ces premiers tableaux que des parties insignifiantes ne donnant en aucune façon l’idée des sujets figurés. On peut supposer que sur l’un d’eux était retracée la scène célèbre du mariage de sainte Catherine recevant un anneau des mains de l’Enfant Jésus.

Voici la description des compositions qui subsistent encore :

1er tableau. – Un sergent à masse suivi de deux trompettes proclame un édit de l’empereur Maxence ordonnant de sacrifier aux dieux. De la main gauche il désigne une idole en forme de quadrupède de couleur jaune, peut-être un veau d’or, élevé sur un monument circulaire. A gauche, la sainte debout, nimbée, se détourne en levant les mains en signe d’indignation. Deux colonnes trapues délimitent le sujet et le séparent de celui qui le précédait et de celui qui suit. De la légende explicative placée au-dessus une seule lettre, une S, est demeurée visible.

I. – PROCLAMATION DE L’ÉDIT DE L’EMPEREUR.

2e tableau. – L’empereur assis sur son trône, vêtu d’un ample manteau, la tête ceinte d’une couronne royale, tient de la main droite un sceptre fleurdelysé ; de la gauche il donne un ordre. Devant lui un personnage armé d’une énorme masse et coiffé d’un haut bonnet pointu terminé par une boule pousse brutalement la sainte, dont on ne voit plus aujourd’hui que le corps plié en deux, et la fait entrer par une porte basse dans une tour ronde crénelée. Il ne reste que la fin de la légende :… S ; X ; SCS ; KATERIN…

Cette composition est séparée de la suivante par une baie romane éclairant l’abside et qui appartient à la construction primitive ; des assises simulées en décorent l’ébrasement.

II. – SAINTE CATHERINE EST MISE EN PRISON.

3e tableau. – Deux philosophes envoyés par l’empereur, et dont l’un est peut-être Porphyre, discutent avec la sainte qui apparaît à une fenêtre de la tour qui lui sert de prison. A gauche l’impératrice, couronne en tète et richement vêtue, assiste à cette dispute qui, d’après la légende, se termina par sa conversion et celle des philosophes.

On lit au dessus, PRS ; PHIL…. ; que l’on peut interpréter par plures plailosophi ou, avec moins de vraisemblance, par Porphyrus philosophus.

A droite et au dessus de sainte Catherine, une colombe lui apporte un objet rond peu distinct. Cette circonstance et l’absence de nimbe ne permettent pas de reconnaître une figure du Saint Esprit assistant la sainte ; c’est bien plutôt le pigeon qui, selon la légende, lui apportait à manger dans sa prison.

III. – SAINTE CATHERINE CONVERTIT LES PHILOSOPHES.

4e tableau. – L’empereur debout, vêtu d’une tunique, la tète couronnée, tenant de la main gauche un sceptre fleurdelysé, fait jeter dans les flammes les philosophes convertis par sainte Catherine. Un personnage placé devant lui attise le feu avec un instrument dont on ne voit plus que le manche. Au centre et dans la partie supérieure du tableau, la main de Dieu sortant d’une nuée bénit les martyrs. Au dessus, ce débris de l’ancienne légende: SCS ; KATERINA ; MA …ENS…

La partie droite de ce tableau et le commencement du suivant ont été détruits par l’ouverture, au XVe ou XVIe siècle, d’une baie faisant pendant à celle signalée au côté nord de l’abside.

IV. – SUPPLICE DES PHILOSOPHES.

5e tableau. – Comme nous venons de le dire, la partie gauche a disparu. A droite, un ange fait .voler en éclats les roues garnies de crocs destinées à mettre la sainte en pièces. Ces éclats viennent blesser les spectateurs et les bourreaux. De la légende, les seules lettres aujourd’hui visibles sont sCA : KATERiN…

V et VI. – SUPPLICE DE SAINTE CATHERINE.

6e tableau. – Il est séparé du précédent par une grosse colonne et presque entièrement détruit par la chute de l’enduit sur lequel il était peint. On y distingue pourtant encore un bourreau coiffé d’un haut bonnet pointu ; il saisit de la main gauche les cheveux de sainte Catherine et, de la main droite, lui coupe la tète avec une épée droite à large lame agrémentée d’un filet serpentant. La main de Dieu bénissante sort d’un nuage. La légende est réduite à la seule lettre S.

VII. – SAINTE CATHERINE EST ENSEVELIE SUR LE MONT SINAI.

7e tableau. – Il est aussi en fort mauvais état et limité par des colonnes peintes. Deux anges ont transporté le corps de la sainte sur le mont Sinaï et le déposent dans un tombeau. La martyre a les mains jointes et est enveloppée d’un suaire. Plus bas, sous une arcade trilobée, des fidèles, les mains jointes, implorent sainte Catherine et recueillent probablement le baume salutaire et parfumé qui découle de son corps.

Tous ces tableaux sont peints sur un fond verdâtre parsemé d’étoiles à six rais dont le contour est indiqué par un trait noir. Dans les trois derniers tableaux le fond, toujours semé d’étoiles, est bleu : particularité dont nous donnerons plus loin la raison.

Les couleurs employées sont le jaune pour les chevelures, le brun rouge, le jaune et le gris verdâtre pour les vêtements, le noir pour les chaussures et le rouge brun pour les terrains. Elles ont été appliquées à la colle en teintes plates comme du lavis. Le modelé est indiqué par des traits noirs.

Ces peintures semblent appartenir à la fin du XIIIe siècle ou au commencement du XIVe. Le vètement des hommes, qui devient collant et court, la manière dont leurs cheveux sont arrangés en masse de part et d’autre de la tète, l’apparition à peine sensible des poulaines dans la chaussure du roi, la forme de l’épée du bourreau, les caractères des légendes, tout indique la période qui s’étend de 1290 à 1320.

C’est ici le lieu de consigner une observation due à M. Eleuthère Brassart. Les peintures lui paraissent n’avoir jamais été terminées. Les trois derniers tableaux auraient seuls reçu la dernière main de l’artiste. En effet, les cheveux, les carnations y sont modelés à point, le fond verdâtre a été glacé par une légère couche de bleu d’outremer, couleur alors fort chère. Dans les autres scènes, au contraire, le trait général est, à la vérité, bien arrèté, les vêtements sont entièrement peints, mais les figures et les mains, indiquées seulement par un contour noir, ont reçu une simple préparation en blanc et le modelé n’a jamais existé. A cette interruption du travail est dü l’aspect mat de ces peintures : n’ayant jamais été terminées, elles n’ont pas été agatisées, polies, brunies, comme celles par exemple découvertes à Saint-Romain-le-Puy. Elles n’en sont que plus précieuses comme sujet d’étude des procédés employés à cette époque.

A quelle cause attribuer leur inachèvement? A la mort de l’artiste ou à un fait de guerre? C’est ce que nous ne saurons très probablement jamais.

La place d’honneur occupée dans l’abside de Grézieu par la représentation de la vie et du martyre de sainte Catherine nous porte à regarder cette sainte comme la patronne primitive de la paroisse avant saint Etienne, le patron actuel, selon l’Ordo du diocèse. Cette opinion tire peut-être un nouveau degré de vraisemblance de l’existence, en cette église, d’une ancienne prébende sous le vocable de sainte Catherine et de saint Pierre, dont la collation appartenait aux seigneurs de Grézieu. Les archives du château contiennent plusieurs nominations à ce bénéfice faites aux XVIIe et XVIIIe siècles par les Henrys et les Bérardier.

Grâce à un léger déplacement de l’aire assignée à la nouvelle église, l’ancienne abside de Grézieu pourra rester debout. Une nouvelle toiture a été établie au dessus pour abriter les peintures. Ainsi sera conservé ce curieux et rare spécimen de l’art pictural en Forez au moyen-âge.

M. de Vazelhes ajoute que d’autres peintures moins importantes et d’une époque beaucoup moins ancienne ont reparu dans la démolition de diverses parties de l’édifice.

Ainsi la chapelle de saint Mein, formant transept à gauche, avait reçu, vers le milieu du XVIe siècle, une décoration murale. Cette décoration comportait de larges bandes formées de losanges noirs et blancs juxtaposés en chevron, encadrant de grands rinceaux chargés de raisins et d’oiseaux. A la même époque à peu près remonte une litre funéraire peinte dans cette chapelle et chargée d’un blason mi-parti au 1er très effacé (peut-être d’argent au chevron de gueules ?) au 2e d’argent au lion d’azur, au lambel à trois pendants de gueules brochant sur le parti. Autour, collier de l’ordre de Saint-Michel.

Peut-on y voir les armes d’Annet, fils de Bertrand de César et de Françoise de Bonneval, seigneur de Grézieu vers 1540? Le second parti ressemble aux armes attribuées par Gras aux de Bonneval, mais avec des émaux différents.

Une seconde litre funéraire, superposée au XVIIIe siècle à la première, laissait voir sur le pied-droit gauche de l’arcade donnant entrée à la chapelle deux écussons ovales accolés sous une couronne de comte. Le premier portait d’or à un chevron et trois têtes de léopards de gueules, qui sont les armes des Bérardier, mais avec des émaux différents de ceux indiqués par Gras; le second blason était très fruste et n’a pu être déchiffré.

La sacristie du XVIIIe siècle avait aussi reçu une décoration peinte, encore visible, au moment de la démolition, sur les murs du midi et du couchant. Elle était composée de versets de la Sainte-Ecriture placés dans des cartouches alternant avec des blasons. En voici la description:

A gauche de la porte :

DILIGEnter AGNOSCE

vultum PecORIS TVI

tuoS Que greges considera. (1)

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(1) Proverbes, XXVII, 23.

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Au dessus de la porte :

NOLI LABORARE

Vt DITERIS

SeD PRVDENTLAE TVAE

PONE MODVM

PROVA XXIII -VERS 4°

Sur le mur au couchant, en allant de gauche à droite, deux écus ovales accolés sous une couronne de comte. Le premier portait d’or au chevron et trois têtes de léopards de gueules (Bérardier) ; le deuxième était illisible. Support à gauche, un lion.

A la suite :

PRO

ANIMA TVA

Ne cONFunDARIS

DICERE veRVM

eCCLA cAP 111i VERS 24

Et enfin un écusson ovale surmonté d’une couronne de comte, avec deux lions pour supports; il portait d’azur ou de sable ? à une bouterolle ? d’argent.

M. le Président remercie M. de Vazelhes de son intéressante communication et du zèle éclairé dont il a donné la preuve en sauvant les peintures de l’abside de Grézieu d’une destruction imminente et en les mettant à l’abri de nouvelles dégradations. Cette conduite contraste trop avec les actes de vandalisme et d’indifférence dont nous sommes journellement les témoins attristés, pour que la société de la Diana n’ait pas le devoir de lui adresser ses plus chaleureuses félicitations.

Des marques unanimes d’approbation accueillent les paroles de M. le Président.

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