BD, Tome V, Spedizione Sforzesca in Francia, par le chevalier P. Ghinzoni. – Communication de M. Vincent Durand., pages 317 à 323, La Diana, 1890.

 

Spedizione Sforzesca in Francia, par le chevalier P. Ghinzoni. – Communication de M. Vincent Durand.

 

M. Vincent Durand s’exprime ainsi :

« Je crois devoir signaler à l’attention de la Société l’excellent mémoire que M. le chevalier Pietro Ghinzoni, archiviste d’État à Milan, vient de publier sous le titre de Spedizione Sforzesca in Francia et dont il a très gracieusement adressé un exemplaire à la Diana.

On sait qu’en 1465, François Sforza, duc de Milan, envoya un corps de troupes commandé par Galéas-Marie, son fils et plus tard son successeur, au secours de Louis XI, alors aux prises avec la ligue du Bien Public. Ce corps d’armée pénétra en France par le Dauphiné et s’avança jusqu’en Forez et en Lyonnais, où eurent lieu plusieurs faits d’armes sur lesquels nos chroniqueur, n’ont eu que des informations très incomplètes. M. Ghinzoni relate presque jour par jour la marche de Sforza, à l’aide de la correspondance de celui-ci avec le duc son père conservée aux archives de Milan. Il a ajouté ainsi à notre histoire nationale un chapitre entièrement neuf et des plus curieux.

Pour vous donner une idée de l’intérêt que présente ce récit, j’en détacherai quelques pages relatives aux opérations militaires de Galéas en Forez; je suis persuadé que vous eu entendrez la traduction avec autant de profit que de plaisir.

Nommé par Louis XI son lieutenant et capitaine général en Dauphiné et Lyonnais, Galéas est arrivé le 2 septembre 1476 à Vienne, par Crest et Alixan, reçu sur toute la route uvec les plus grands honneurs.

Pressé parle roi de porter la guerre avec vigueur en Lyonnais et en Bourgogne, Galéas convoque à Vienne un conseil de guerre le 6 septembre, pour décider ce qu’il convient de faire. A ce conseil intervinrent quelques-uns des principaux condottieri au service du duc, le Bailli des montagnes de Dauphiné, celui de Lyon (1), Zanone Corio, Franceschino Nori et le président du Parlement de Grenoble, avec d’autres membres de cette cour venus exprès. En attendant qu’expirât la trêve convenue précédemment entre le bailli de Lyon et les Lyonnais et Beaujolais, on résolut de marcher contre quelques places peu éloignées de Vienne qui n’y étaient pas comprises. Pendant ce temps, le bailli de Lyon devait s’occuper de trouver de l’artillerie de gros et de petit calibre, des artilleurs et les munitions nécessaires.

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(1) François de Royers, bailli de Mâcon, sénéchal de Lyon, appelé bailli de Lyon dans les documents milanais employés par M. Ghinzoni (V. D.).

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Pour mettre ce plan à exécution, Galéas rassemble dans la journée du 9 septembre toutes ses troupes, les conduit devant Virieu, place entourée de fortes murailles, avec un château plus fort encore, et les lance vivement à l’assaut, espérant en intimider ainsi les défenseurs. Ce coup de main n’ayant pas réussi, faute d’artillerie, il fait retirer un peu ses soldats et, pendant la nuit et le jour suivants, il tente par des parlementaires d’engager la garnison à se rendre, la menaçant de mettre tout à sac et de la passer elle-même au fil de l’épée. Intimidée par ces menaces, elle se décide le 10 au soir à capituler, et le matin suivant la ville et la forteresse sont occupées par les nôtres. Pendant l’assaut, un certain nombre de soldats de Sforza avaient été blessés, quelques uns même grièvement.

Virieu pris, Galéas, ayant laissé Vimercati et les autres chefs à la garde du camp, prend en personne le commandement de 3 escadrons de cavalerie et de 200 fantassins, et fait une course jusque dans le bourg et sous le fort de Lupé. Il en revient avec un abondant butin, 500 têtes de gros bétail qu’il abandonne entièrement au soldat. Dans cette affaire encore, les nôtres eurent un petit nombre de blessés et un tué.

Effrayés par l’exemple, Saint-Julien et Chavanay se rendent l’un après l’autre le 12 septembre. Les derniers à se rendre furent ceux de Malleval, le principal et plus fort château de cette baronnie et qui était tenu pour inexpugnable ; ce fut le matin du 15.

Galéas confie ensuite à la garde du bailli de Lyon les cinq places ainsi occupées, part de Malleval et va, le 18, établir son camp devant Chavanay. De là, il ordonne de pousser des reconnaissances tant en Forez que sur Trévoux, afin de pouvoir décider sur laquelle de ces deux places il devrait marcher.

L’impossibilité de prendre Trévoux sans grosse artillerie, dont il manquait encore, étant constatée, Sforza prend la résolution de passer en Forez. Campé le 19 septembre près de Riverie, château du duc de Bourbon, il en occupe bientôt le bourg, et le château lui même se rend dans la journée du 22. L’exemple de Riverie est promptement suivi par l’Aubépin, Vaudragon, Châtelus et Saint-Symphorien. L’intention de Galéas était de pousser en avant et de mettre le siège devant Chazelles : mais comment se risquer contre une forteresse de cette importance sans grosse artillerie? En outre, on apprenait qu’en Bourbonnais allaient se rassemblant un grand nombre d’ennemis venus exprès du camp des alliés pour s’opposer aux progrès des nôtres. Par toutes ces considérations, Galéas se décide, dans un conseil de guerre, à ne pas avancer plus loin pour le moment, mais à tenir ses troupes rassemblées à Riverie et à se fortifier dans les places conquises. Pour mieux assurer ses derrières, il irait ensuite prendre possession de la citadelle de Lyon et du pont de Vienne. Mais, tout occupé à concentrer ses gens à Riverie et aux environs et à secourir Malleval et Virieu menacés par l’ennemi, il ne peut se rendre immédiatement à Lyon. D’ailleurs, préoccupé de l’annonce persistante de l’arrivée prochaine d’un gros corps ennemi, il voulait, avant de s’éloigner des siens, démêler la vérité et savoir si les ennemis venaient ou non. Il n’est pas douteux que ceux-ci, grossis en nombre, étaient devenus fort entreprenants, à tel point qu’un beau jour ils osèrent assaillir Donato del Conte, pendant qu’il s’occupait de fortifier l’Aubépin. Cet intrépide capitaine, dont la valeur est amplement attestée par nos documents, se porte hardiment à leur rencontre avec un petit nombre de fantassins et de chevaux, en tue quelques uns et repousse le reste de l’autre côté de la montagne. La joie que causa le succès de ce brillant combat fut tempérée par la perte imprévue de plusieurs des cinq châteaux de la baronnie de Malleval dont on s’était emparé dans le principe. Cette perte arriva non par la faute ou le manque de coeur des nôtres, mais par l’incurie et la négligence du bailli de Lyon à qui, comme on l’a vu, ils avaient été donnés en garde.

Donc, Galéas et les nôtres avaient bien raison d’agir avec prudence. Loin de leur patrie, en petit nombre, au milieu d’étrangers dont beaucoup, et en particulier les Angevins, se montraient ouvertement hostiles, soutenus avec tiédeur par les officiers et les partisans du roi, ils avaient tout à craindre et peu à espérer. Il était donc naturel qu’ils se conformassent volontiers aux instructions et aux conseils que ne cessait de leur envoyer le duc, à savoir de rester sur leurs gardes et réunis autant que possible, afin de ne se laisser ni surprendre, ni écraser, et de ne pas s’avancer trop loin ni dans des lieux d’où ils seraient ensuite contraints de se retirer à leur honte.

La cause de l’hostilité de beaucoup de Français contre l’intervention des nôtres doit être cherchée, comme en font foi de nombreux passages de la correspondance de Galéas, moins dans les jalousies accoutumées et les compétitions nationales de prééminence, que dans le souvenir encore tout frais des défaites subies par les Français à Bosco Marengo (1) en octobre 1447 et plus récemment à Gênes en juillet 1461. Ces évènements, comme d’autres survenus depuis et même récemment, sont de ceux que le patriotisme français n’oublie pas si facilement, et on le faisait alors connaitre clairement aux nôtres, en les menaçant à toute occasion de leur rendre les services qu’on en avait reçu à Bosco et à Gênes.

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(1) Bosco, sur la voie Émilienne et la rive gauche de la Bormia : « Egli è nobil castello, dit Alberti dans sa Descrizione dell’ Italia, benchè abbia perduto la dignità del Marchesato. Quivi superô è Francesi Bartolomeo da Bergamo, capitano d’armati della libertà di Milano, come narra Sabellico, nel 5 lib. della 10 Eneade col Corio ». (V. D.).

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Quand Galéas croit n’avoir rien à craindre pour le moment, il se rend à Lyon avec une escorte de 200 chevaux (5 octobre). Reçu avec les plus grands honneurs par les autorités, le clergé et les bourgeois, logé chez le riche commerçant milanais Pierre Bevilacqua, traité par le bailli et Franceschino Nori, il occupe la citadelle du plein gré des officiers royaux, la confie à la garde de Vercellino Visconti et de Jean Galéas Porro et, au bout de deux jours, il revient à Riverie.

Cependant les ennemis, arrivés en bon nombre, fortifiaient Chazelles et se disposaient à le défendre à tout prix. De leur côté, les nôtres se préparaient aussi avec ardeur à l’assaut de cette place et ils espéraient beaucoup l’enlever de vive force, la grosse artillerie si désirée étant désormais sur le point d’arriver au camp. Mais un de ces accidents imprévus qui parfois, à la guerre, décident de la victoire ou de la défaite, vint détruire ou du moins retarder toutes ces belles espérances. Un pharmacien de Lyon avait été chargé de préparer et fournir la poudre à canon nécessaire. Cette poudre était enfin prête quand, dans un dernier essai, elle prend feu à l’improviste et le laboratoire saute en l’air avec les préparateurs. Il fallut donc recommencer et attendre. Sans perdre courage à la suite d’une telle mésaventure, les nôtres essayent à plusieurs reprises de surprendre Chazelles ; ils mettent en oeuvre tous les stratagèmes possibles, mais vainement ; ils pénètrent jusque dans le bourg et font mine de s’y loger, espérant amener la garnison à sortir pour combattre à découvert ; tout est inutile. Dans une de ces escarmouches, fut fait prisonnier un capitaine des francs-archers du duc de Bourbon. Et quand Galéas, à la fin pourvu des moyens d’attaque nécessaires, s’apprêtait à tenter un grand coup, l’annonce de la trêve générale conclue entre le roi et ses ennemis vint arrêter tous les préparatifs (14 octobre), avec quel désappointement pour les nôtres, chacun peut se l’imaginer.

Les hostilités cessées, les baillis de Forez et de Beaujolais accourent avec beaucoup d’officiers et de soldats du duc de Bourbon, pour présenter leurs hommages à Galéas et voir son campement ; ils portent au nues lui et ses soldats. L’ordre étant ensuite venu à nos troupes de prendre en Dauphiné leurs quartiers d’hiver, elles se mettent en marche pour se rendre dans ceux qui leur étaient respectivement assignés. Mais à mi-chemin, avant Vienne, le bruit court que cette ville est toute en armes et que les citoyens sont décidés à empêcher l’entrée et le passage des troupes de Sforza. La cause de cette rumeur était le mécontentement des Viennois au sujet de la manière dont les logements et le foin avaient été répartis et payés, lorsque les nôtres avaient passé le Rhône, et la crainte que les mêmes abus ne se reproduisissent à leur retour. Il fut constaté d’ailleurs que cette mauvaise répartition était due aux riches et aux personnages influents de la ville, qui avaient fait porter le plus pesant de la charge sur les pauvres et les artisans. Après de mutuelles explications, on réussit à persuader aux Viennois que les inconvénients dont ils se plaignaient ne se renouvelleraient pas, et le passage fut laissé libre à ceux qui devaient traverser la ville, où Galéas logea lui-même ainsi que quelques autres chefs et leurs soldats. Cela se passait le 26 octobre (1).

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(1) Spedizione Sforzesca in Francia, p. 30 à 34.

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Le travail de M. Ghinzoni n’est que la préface d’une publication plus importante encore, celle de la correspondance originale relative à l’expédition de Sforza, que l’Institut Historique italien l’a chargé d’éditer. La savante compagnie ne pouvait faire un meilleur choix, et tous les amis de l’histoire attendront avec impatience le trésor de renseignements inédits que va mettre en lumière l’érudit archiviste milanais ».

De nombreuses marques d’approbation accueillent cette lecture.

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