BD, Tome V, Station antique près d’Écotay. – Communication de M. Gabriel Morel., pages 279 à 283, La Diana, 1890.

 

Station antique près d’Écotay. – Communication de M. Gabriel Morel.

 

M. Gabriel Morel fait la communication suivante :

Au cours d’une promenade faite en septembre 1889 dans les montagnes boisées et désertes qui s’étendent au sud-est du village d’Écotay, je fus frappé de l’aspect particulier que présente une des plus petites collines dominant au couchant le cours de la rivière d’Écotayet. A la différence de ses voisines qui affectent la forme arrondie caractérisant nos sommets granitiques, elle a ses flancs très escarpés et se termine brusquement en un petit plateau légèrement incliné vers l’est. Cette configuration du sol m’a suggéré l’idée que la main de l’homme pouvait ne pas lui être complètement étrangère et que ce lieu avait bien pu porter une station antique, servir jadis de poste militaire.

J’ai, en effet, constaté au sommet l’existence d’une sorte d’enceinte en pierres sèches, aux trois quarts éboulée, et celle de deux antiques’ habitations, l’une à l’intérieur de l’enceinte, l’autre à l’extérieur. Ces deux dernières constructions avaient été édifiées sans chaux ni mortier, avec des matériaux granitiques triés à la main ; elles avaient dû être recouvertes de tuiles à rebords, comme le prouvent des fragments trouvés parmi leurs ruines. J’ai acquis en outre la certitude que d’importants terrassements, ressemblant à des chaussées en corniche, s’étendaient à l’ouest de ce petit plateau, au milieu de taillis de pins et de chênes qui ne permettent pas d’en suivre le développement.

Cette modeste découverte contrôlée d’abord par M. Rochigneux, le fut ensuite par MM. Vincent Durand, Éleuthère Brassart et Joseph Rony, qui rencontrèrent eux-mêmes sur différents points environnants, au sud-ouest notamment, d’autres entassements de matériaux, parmi lesquels figuraient aussi des portions de tuiles à rebords.

Quelque temps après cette visite faite en commun, j’appris des propriétaires du sol que la colline portait le nom de la Chize (bois de la Chize) et le ruisseau au nord, celui de Malamort. De plus, chacun d’eux m’assura que ce dernier nom rappelait une bataille sanglante livrée par les Romains dans un champ voisin portant encore aujourd’hui l’appellation de Champ de la Guerre, bataille à la suite de laquelle le ruisseau teint du sang des combattants prit également sa dénomination lugubre. Cette tradition me frappa d’autant plus, que j’avais lu moi-même, dans diverses publications, que certains points épars sur le territoire français et semés eux aussi de débris antiques, portaient les mêmes noms et rappelaient les mêmes luttes (1).

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(1) Voir notamment Bélisaire Ledain : De l’origine et de la destination des camps romains dits Châtelliers en Gaule, dans les Mémoires de la société des Antiquaires de l’ouest, tome VII, 2e série, 1884.

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Je résolus donc de pousser mes investigations du côté du champ et de la montagne nouvellement indiqués.

Le massif montagneux, appelé tour à tour Montfort (1) et le Ché des Grolles (2),

sur lequel s’étend le Champ de la Guerre, forme une vaste croupe arrondie dont le pied assez escarpé est borné au nord et à l’est par l’Écotayet, au sud par le Malamort venant des bois d’Hatier et des hauteurs de Quérézieu et, enfin, à l’ouest par un petit ruisseau très encaissé et dénommé Goutte Boën. Le point culminant de la montagne est coté 602 mètres sur la carte cantonale du département de la Loire. Du village d’Écotay, versant le plus accessible, on y parvient par un chemin pavé par places, lequel remonte d’abord la goutte Boën, puis se déroule en lacet, tantôt en déblais entre deux balmes coupées de main d’homme, tantôt en corniche ; il contourne ensuite le flanc de la montagne, à environ 150 mètres du sommet, en laissant sur la gauche un contrefort naturel près duquel on trouve de la tuile à rebords et de menus tessons de poterie antique.

Au sommet du Montfort émergent de nombreux îlots formés de rochers énormes et de blocs détachés qu’ombragent des broussailles et des pins rabougris. Entre chaque îlot s’étendent d’assez larges bandes de terrain le plus souvent ensemencées en seigle.

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(1) Le terrier de la rente du chapitre de Notre-Dame de Montbrison, au mandement d’Ecotay, l’appelle Monfol (Archives de la Diana).

(2) Grolle, corbeau : la montagne des corbeaux.

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En maints endroits, surtout à l’exposition du midi et de l’est, j’ai remarqué contournant les pentes, réunissant certains reliefs, paraissant même défendre certains points faibles, de massives murailles de pierres sèches, parfois gazonnées au sommet, avec une sorte de fossé intérieur. A l’extérieur, au pied de ces constructions, les débris de tuiles à rebords réduits en menus fragments y sont assez abondants ; des poteries usuelles grossières, de formes diverses, mais d’ège indéterminable, s’y rencontrent aussi à l’état d’infimes morceaux, à l’exclusion de la céramique soignée. En outre, j’y ai trouvé de notables fragments d’amphores, en terre rouge ou grise, paraissant provenir du midi de l’Italie, à en juger par la poussière de basalte qui entre dans la composition de leur pâte.

De plus, j’ai rencontré tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ces sortes d’enceintes des amoncellements de pierres triées à la main, quelques-unes presque appareillées, indiquant l’emplacement approximatif d’habitations antiques. D’ailleurs, pas plus qu’à la Chize, je n’ai trouvé de vestige de chaux.

Enfin, à l’exposition est du Montfort, dans le voisinage du Champ de la Guerre recélant lui-même des débris de poterie ancienne, j’ai remarqué de curieux témoignages de civilisation qui paraissent évoquer des souvenirs religieux. C’est, d’abord, un piédestal rectangulaire taillé à même dans le roc et percé au centre d’un trou circulaire profond, destiné vraisemblablement à y introduire la base d’une croix de bois (1); puis une pierre à bassin, avec sa rigole d’amenée, paraissant modifiée de main d’homme ; une sorte de meule de granit en grande partie taillée au ciseau et à peine adhérente au rocher (2) enfin, un bloc monolithe détaché, formant siège et portant le nom significatif de Pierre de Saint-Martin.

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(1) Ce piédestal mesure 0,66 X 0,56, sa hauteur moyenne est de 0,19.

(2) Diamètre de la meule, 1,20 ; épaisseur maximum 0,40 et 0,09 dans la partie inachevée.

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Telles sont, sommairement décrites, les curiosités archéologiques que j’ai pu découvrir dans mes trop courtes excursions au Montfort. A défaut de renseignement historique sur cette position inconnue jusqu’à ce jour, je dois dire que si l’emplacement était peu fait pour une occupation de quelque importance, surtout romaine, le site était en revanche de ceux qui pouvaient convenir aux habitudes rustiques et guerrières des peuples qui habitaient nos contrées avant la conquête de Jules César. La montagne était facile à défendre et du sommet, d’où l’on jouit d’une vue aussi agréable qu’étendue, ses anciens occupants pouvaient, au besoin, aisément correspondre, à l’aide de la télégraphie primitive, avec les nombreux sommets habités, semés encore de débris antiques, qui se dressent à l’horizon (1).

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(1) Prassouroux, Puys de Quérézieu et de Bard, le Perron de Bard, le Suc du Pin, le Ché de la Chapelle, le Puy de Curtieu, le mont d’Uzore (tuiles à rebords) ; Font-Perdrix, Bréassou (tuiles, terrassements, belle pierre appelée Chaire de Saint-Martin); Vinol, Puy de Mouloun (constructions, bracelets gaulois) ; etc.

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Quel genre de station portait la montagne d’Ecotay ? Mes constatations trop modestes ne me permettent guère de formuler une appréciation à ce sujet. Je me borne donc à signaler seulement découverte et légende, laissant à de plus entreprenants et de plus sagaces le soin de conclure!

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