BD, Tome LIV, Les Déclarations de grossesse sous l’ancien régime, l’exemple du Forez au milieu du XVIIIe siècle, pages 353 à 366, 1994-1995.
LES DECLARATIONS DE GROSSESSE SOUS L’ANCIEN REGIME. L’EXEMPLE DU FOREZ AU MILIEU DU XVIIIème SIECLE
Communication de M. Joseph BAROU
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Sous l’ancien régime, pour lutter contre les avortements, les infanticides et la pratique des expositions d’enfants, un édit d’Henri II, daté de février 1556, imposait aux femmes enceintes non mariées ou veuves une déclaration de grossesse.
L’édit, très rigoureux, précisait que “toute Femme qui se trouvera deüment atteinte & convaincüe d’avoir celé et occulté, tant sa grossesse que son enfantement sans avoir déclaré l’un ou l’autre, & avoir pris de l’un ou l’autre témoignage suffisant, mesme de la vie ou mort de son Enfant lors de l’issue de son ventre, et après se trouve l’Enfant avoir esté privé, tant du saint Sacrement de Baptesme que sépulture publique et accoütumée, soit telle Femme tenüe et réputée d’avoir homicidé son Enfant, & pour réparation punie de mort et dernier supplice (1) …” Il fut ensuite confirmé plusieurs fois aux siècles suivants (2).
La déclaration dont la forme n’était pas précisée devait être reçue avant l’accouchement par un notaire ou un juge, faute de quoi si l’enfant venait à mourir sans être baptisé et sans sépulture il y avait présomption d’infanticide et la mère risquait, en principe, la peine de mort.
Il semble bien que l’édit d’Henri II ait été très diversement appliqué suivant le lieu et l’époque. Après avoir mis beaucoup de temps à s’imposer, il perd de sa force au cours du XVIIème siècle et est devenu pratiquement lettre morte à la veille de la Révolution (3).
Les déclarations de grossesse, assez nombreuses dans les fonds notariaux, constituent une bonne source pour l’étude des mentalités. Elles permettent aussi de mieux comprendre le phénomène des abandons d’enfants. pourtant ces documents n’ont fait l’objet que de travaux fragmentaires, notamment pour le Forez (4).
Cette étude s’appuie sur trente déclarations de grossesses tirées de minutes des années 1742 à 1759 de Morel, Franchet et Duby, notaires royaux à Montbrison ( 5). Elles doivent être prises comme des exemples, un travail plus vaste restant à faire dans ce domaine. A défaut d’une étude statistique, ces cas particuliers, en donnant le ton des déclarations, ont le mérite d’évoquer une ambiance et de nous montrer quelques traits de moeurs du temps.
Ces déclarations revêtent sensiblement la même forme. Elles s’adressent au bureau de l’hôpital Sainte-Anne de Montbrison dont l’un de membres, au moins, est présent et signe avec le notaire et les témoins. L’identification de la déclarante comprend ses prénom et nom, lieu de naissance, âge, état et, dans la majorité des cas, les noms de ses père et mère. Suivent, le plus souvent, des protestations de bonne conduite, d’honnêteté, de la part de la femme qui a tenu sa place “sans qu’il se soit rien passé de mauvais sur sa conduite (6)”, “sans qu’il y aÿe eu la moindre atteinte à la sagesse (7)”… Viennent ensuite, exposées plus ou moins brièvement, les circonstances qui ont entraîné la grossesse et, sous la foi du serment, l’assurance que l’homme désigné est bien le seul en cause. La déclaration s’achève rituellement par un appel à la charité en faveur de la femme et de “son fruit” adressé aux administrateurs de l’hôtel-Dieu.
Le vocabulaire n’est pas innocent. Ainsi pour les relations sexuelles la plupart des déclarations utilisent en premier lieu l’expression “connoissance charnelle”, du terme théologique “connaître” dans son sens biblique ; “fréquentations charnelles” qui impliquent des relatons plus durables, presque familières, se retrouvent dans une minorité de déclarations. Ces expressions sont employées concurremment avec “commerce” dans son acception de “liaison illicite entre deux personnes de sexe différent”. l’aspect légal, juridique, fait donc pendant dans une même déclaration avec l’aspect moral et religieux. cette dualité se retrouve encore dans l’expression “faits et oeuvres” aussi souvent employée.
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Presque toutes les déclarantes sont de jeunes domestiques (25 cas sur 30). Plus de la moitié d’entre elles ont atteint l’âge de 25 ans, âge de la majorité pour l’Ancien Régime. Une seule a moins de 20 ans et deux seulement dépassent l’âge de trente ans. Toutes, à l’exception de deux jeunes veuves, sont “filles”, c’est à dire célibataires.
Elle sont issues des milieux populaires dans lesquels se recrute naturellement la domesticité. Le monde rural est le plus représenté : filles de laboureurs, de vignerons, de jardiniers, de journaliers (11 cas), ainsi que celui du petit artisanat : deux filles de cordonniers, une fille de serrurier… On trouve une “orpheline depuis son enfance”(8) et une enfant naturelle “élevée dans la maison de charité du Puy-en-Velay”(9). Seule une domestique au château de Bellegarde-en-Forez (10) se dit fille d’un chirurgien, encore d’agit-il d’un chirurgien de campagne.
Leur niveau d’instruction est faible : deux seulement sur trente, savent signer, elles n’ont plus de soutien familial : père et mère décédés (3 cas), père décédé (9 cas), mère décédée (3 cas), enfant naturel (2 cas).
La majorité des déclarantes sont foréziennes : 19 cas dont le lieu de naissance est connu. Beaucoup sont nées dans les paroisses des monts du Forez (Saint-Bonnet-le-Courreau, Roche, Bard, Saint-Jean-Soleymieux, Marols), zone à démographie vigoureuse fournissant de nombreux domestiques. Trois sont natives de Montbrison. Plusieurs enfin viennent d’Auvergne (Ambert, Saint-Anthème, Saillant), du Velay, du Lyonnais. Ces femmes ont choisi Montbrison pour venir y accoucher ce qui confirme que la tradition hospitalière de la ville était connue dans un large secteur dépassant sensiblement les limites du Forez.
Le plus souvent ces servantes trouvent à se placer tout près de leur village natal. Parfois, elles n’ont même pas à le quitter pour “prendre une condition”. Il y a cependant quelques notables exceptions. Marguerite Guillermy (11), la concubine du nommé Saint-Germain, occupe de multiples places et échoue près de l’hôtel-Dieu de Lyon. Marguerite Robert (12) séduite par le soldat Jean Lafond dit “Saint-Jean” a servi à Metz, en Lorraine, où elle l’avait peut-être suivi. Claudine Gorand (13) rencontre l’ouvrier coutellier Berlier alors qu’elle est servante à l’auberge du Cheval blanc, rue des Carmes, à Marseille.
Les emplois tenus par ces domestiques sont variés mais concernent, pour les trois quarts des cas, le monde rural. Elles sont filles de ferme, vachères, bergères, domestique chez un vigneron, chambrière chez un meunier ou un château, voire servante dans une auberge ou même une cure de village. Les autres sont employées dans les auberges ou les bonnes maisons de la ville.
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Les séducteurs peuvent être classés en trois groupes de même importance : les maîtres ou des gens de leur famille ou de leur entourage (10 cas), des domestiques masculins de la même maison ou d’une maison voisine (11 cas) ou, enfin, d’autres personnes avec qui les servantes ont pu entrer en contact (9 cas) : soldats, ouvriers, marchand, colporteur… On pouvait s’y attendre : ce sont les gens avec qui les servantes sont le plus habituellement en relation, à la maison ou dans la rue (14).
Les séducteurs ont tous une attitude assez voisine caractérisée surtout par l’indifférence. Dans la majorité des cas (17 sur 30), ils disparaissent sans qu’on ait d’autres précisions sur leur sort. C’est d’ailleurs facile car la population des domestiques de sexe masculin est très mobile, beaucoup moins stable semble-t-il que celle des servantes qui restent souvent plusieurs années dans la même maison.
Quelques uns fuient en entrant au service du roi : Pierre Courranin qui a engrossé Marie Chirat (15) à Savigneux s’engage au régiment de Perche ; Saint-Germain, le séducteur de Brigitte Cros (16) à Saint-Paul-d’Uzore, entre dans les Gardes Lorraine ; “le nommé François” de Marat (Auvergne) abandonne Claudine Goutaratte (17) pour devenir milicien ; André Boulet, garçon boulanger, qui se dit originaire du Berry, quitte Marie Reymondier (18) pour servir dans le régiment de Maugiron cavalerie.
Rares sont ceux qui s’occupent des couches en plaçant leur victime à Montbrison. Antoine Michel, avant de devenir soldat, charge un de ses amis de gérer ses biens et de pourvoir aux besoins de Brigitte Cros (19), la servante qu’il a séduite. Un seul est présent au moment de la déclaration ; il s’agit de Jean Viot qui est responsable de la grossesse de Barthélémye Gorand (20). Il avait placé sa victime à Montbrison. Devant les recteurs de l’hôtel-Dieu il “convient de la vérité de tout” mais déclare “qu’il ne se trouve pas en état quant à présent de fournir aux frais des couches et aliments de ladite Gorand”. Il semble que certaines sages-femmes ou matrones de la ville se soient spécialisées dans l’hébergement des filles en mal d’enfant comme “la nommée Massonne de derrière Saint-André” ou “la nommée Chatel”, femme du garde de l’hôpital qui habite quartier de La Porcherie.
Il y a aussi une tentative de compensation financière. Un vigneron du faubourg de La Madeleine, Guy Gras, un notable – il est en 1744 l’un des maîtres en charge de la confrérie de Saint-Vincent de la ville (21) -, utilise ses écus et ses relations pour fuir ses responsabilités. Il incite sa servante, Marie Dusson (22) à faire une fausse déclaration mettant en cause un domestique sous la promesse de payer trois cents livres pour faciliter le mariage.
Christophe Guyot, le marchand de Néronde, ne manifeste, semble-t-il, aucun regret envers Jeanne Poncet (23 ) avec qui il s’était engagé et se marie… avec une autre. La situation la plus rocambolesque est celle du sieur Pauche, curé de Saint-Georges-près-de-Craponne (aujourd’hui Saint-Georges-Lagricol) et de sa jeune servante Marie Cournet ( 24) , “élève d’une maison de charité du Puy”. Il abuse de la domestique, la menace de mort. Tandis qu’il se rend au chevet d’un paroissien mourant elle en profité pour fuir. Sous un déguisement, il la poursuit et vient la relancer jusqu’à Montbrison. Il la rejoint dans une grange et utilise un somnifère pour endormir une autre pauvresse qui se trouvait là… Tous les ingrédients ainsi que l’ambiance d’un roman à la manière de Rétif de la Bretonne se trouvent réunis dans l’aventure de la pauvre Marie.
Encore plus cruelle est la situation imposée à Antoinette Roze (25). Son maître, Simon Compaignon, traiteur et aubergiste à Montbrison, abuse d’elle à deux reprises. Quand elle annonce qu’elle est enceinte, il l’oblige à se retirer à la campagne, dans un domaine qu’il possède au hameau du Palais, paroisse de Bard. C’est là qu’elle accouche d’un garçon qui est baptisé “la nuit suivante” dans l’église du village (26). Son enfant, dont elle ne connaît même pas le nom de baptême, lui est aussitôt enlevé pour être placé en nourrice “chez une pauvre au lieu de la Rochette paroisse de Lérignieu où il est extremement mal nourry et entretenu dans l’espérance de le faire mourir ou de trouver occasion à pouvoir l’exposer”. “Etant menacée d’être tuée de même que son enfant”, c’est un véritable appel au secours qu’elle adresse aux recteurs de Sainte-Anne.
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Dans un tiers des cas ces amours passagères peuvent être qualifiées de simples et banales. Un garçon et une fille, tous deux employés chez le même maître, éprouvent de l’attirance. Il y a promesse de mariage, La fille cède aux avances du garçon. Il s’ensuit une liaison de quelques mois. L’amourette imprudemment conduite aboutit à une grossesse et le galant ne tient pas sa promesse. C’est le cas, entre autres, de Catherine Serre (27), servante au château de Bellegarde, et de Pierre Bernard, employé au même lieu, qui éprouvent une “amitié commune” et se sont promis mariage, promesse que le valet ne tient pas. Pour Claudine Gorand (28) travaillant à Marseille, c’est le mal du pays qui l’a fait se lier avec “le nommé Berlier, garçon coutelier, natif de Saint-Etienne-de-Furant” qui vient souvent boire chez l’aubergiste qui l’emploie : “étant de la même province il la connut charnellement” pendant le carnaval. La fille fait parfois preuve d’une naïveté étonnante comme Françoise Fayet (29 ), qui cède aux avances d’un colporteur qu’elle a rencontré alors qu’elle garde les bêtes au pâturage. L’homme ne veut pas dire son nom et promet simplement qu’il reviendra dans une quinzaine pour la demander en mariage. Tout se passe en une demi-journée.
Les relations préconjugales n’avaient rien d’exceptionnel. Elles étaient même un comportement fréquent dans certaines régions (30). La fille, dès lors qu’on lui avait promis le mariage, ne se sentait nullement coupable. D’ailleurs pour la plupart des couples tout se régularisait rapidement par le mariage.
L’histoire personnelle de Marie Dusson que nous avons déjà évoquée est beaucoup moins claire. La servante de Guy Gras, vigneron du faubourg de La Madeleine, fait successivement deux déclarations et avoue qu’elle a menti. Quels liens avait-elle avec son ancien galant ? Ne recherchait-elle pas le mariage à tout prix ?
Dans beaucoup de situations, même s’il y a des affinités et promesse de mariage, les filles subissent des pressions. Elles sont “suivies”, “poursuivies”, “vivement sollicitées” par des amoureux qui n’hésitent pas à employer la force. Ainsi, après la veillée, au domaine de Bullieu (Savigneux), Pierre Courranin “oblige presque tous les soirs” Marie Chirat ( 31) “a se dérober de la compagnie” pour l’entraîner vers les gerbiers.
Dans la moitié environ des cas on peut dire qu’une liaison s’est établie, parfois durant plusieurs années, avec des relations sexuelles régulières. Il y avait là, sans doute, une situation plus ou moins acceptée. ces liaisons commencent souvent en automne, le temps des vendanges, de la levée du regain et des premiers froids : trois cas en septembre, sept en octobre. Elles cessent avec l’annonce de la grossesse ou un départ de la maison, au moment des fêtes de Noël qui servent ordinairement de terme pour l’engagement des domestiques. Notons d’ailleurs l’importance des fêtes religieuses : la Toussaint, Noël, Pâques, la Trinité, la Saint-Jean, la Saint-Michel, la Saint-Luc, la fête de la Croix, celle de Notre-Dame de septembre… et des travaux agricoles : le temps des semailles, la levée du regain, les vendanges… qui sont, dans le calendrier, les vrais points de repère e toutes les déclarantes. Nous sommes dans une société rurale encore fortement imprégnée de religion.
La violence paraît prévaloir dans l’autre moitié des situations étudiées. Des gestes intempestifs témoignent de violentes pulsions. Christophe Guyot, le marchand de Néronde, n’hésite pas à monter “sur le couvert (32) de la maison voisine” pour entrer dans la chambre de Jeanne Poncet (33) qu’il courtise. Quant à l’ouvrier Rambert Moulin, il passe par une fenêtre pour atteindre le logis d’Antoinette Moulager (34) qui vit chez sa tante à la Fouillouse. Il y a aussi des violences avec menaces de mort, nous l’avons vu, envers la servante du curé de Saint-Georges et envers Antoinette Roze employée à l’auberge de Simon Compaignon.
Dans quatre cas au moins, nous pouvons parler de viol caractérisé. Antoinette Roze, la servante dont nous avons déjà parlé, subit des violences de la part de son maître dans la fenière de l’auberge. Catherine Bruyère (35), servante dans la maison Arnaud, à Trécisse (Saint-Bonnet-le-Courreau), est agressée par le père du maître dans le pâquier du Champ-de-la-Clef. Brigitte Cros (36) est assaillie par son patron, le nommé Saint-Germain déjà cité, dans un pré de Saint-Paul-d’Uzore. Anne Montpabol (37), servante chez le sieur Goutard, bourgeois de Sury, est envoyée “relier et relever la vigne” dans le domaine de Boisset-St-Priest. Elle doit passer la nuit dans la “loge” du vignoble. C’est là qu’elle est attaquée par le sieur Morel, beau frère du maître, qui entre dans le logis “en criant et jurant que ce domaine lui appartenait” et “qu’il brûlerait tout”.
Pour ces dernières situations, on ne peut évidemment parler de liaison, tout se passe avec violence dans un lieu isolé. Et le nombre de relations est précisément compté : une (3 cas), deux (2 cas), trois (4 cas), quatre (1 cas). La promiscuité ou au contraire, l’isolement, favorisent le passage à l’acte : les servantes et le maître dormant dans la même chambre au faubourg de La Madeleine, le château de Bellegarde abandonné à la domesticité, la garde des troupeaux sur les hautes chaumes… Ce sont les amours des bois et des prés, des fenils et des gerbiers. Cette violence d’ailleurs ne devait guère émouvoir les autorités et le public tant, sous l’Ancien Régime, c’est une donnée permanente dans les comportements conjugaux et sociaux.
Les sentiments sont à peine évoqués (38). Se trouvent seulement mentionnées une fois “l’amitié commune” qu’éprouvaient deux serviteurs au château de Bellegarde et “l’émotion” éprouvée par la femme. Il faut attendre la fin du XVIIIème siècle pour que, en ce qui concerne le couple, ils prennent la coloration moderne. C’est alors, selon l’expression d’Edward Shorter (39), “l’irruption de l’amour”. Les termes “amour” et “passion” remplaceront désormais souvent le mot “amitié”.
L’homme est, bien sûr, celui qui “a corrompu”, “a ravi son honneur” à la fille mais il n’est pas formellement désapprouvé sinon dans un seul cas, celui du curé de Saint-Georges-près-Craponne qui fait preuve “d’assiduités criminelles” envers sa servante… Quelques phrases dénotent un peu de pitié envers la femme séduite : “elle a eu le malheur”, “elle a eu la faiblesse et le malheur”, “tel est le sort qu’elle éprouve”… mais avec un certain fatalisme. Finalement ces déclarations de grossesse paraissent assez “neutres” et ne comportent, explicitement, aucun jugement moral, aucune condamnation pour les faits relatés. Les rôles sont bien fixés : l’homme dominant et la femme subissant, plus ou moins consentante et quelquefois suspectée de libertinage. Ce sont bien les modèles admis par la société du XVIIIème siècle (40).
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La plupart des déclarations sont faites après le sixième mois (22 cas). Dans trois cas l’enfant est déjà né mais il y a une explication à ces déclarations tardives qui sont, en quelque sorte, des régularisations. Catherine Serre, la servante de Bellegarde, dit avoir déjà fait une déclaration au cours de sa grossesse mais craint qu’elle n’ait pas été enregistrée et elle la renouvelle trois semaines après la naissance de son fils Jean-Baptiste. Quant à Benoite Phalipon ( 41), de Marols, elle a longtemps espéré que le père de son enfant, Simon Beauvironnois, l’épouserait. Elle s’adresse aux recteurs de l’hôtel-Dieu alors que sa fille a plus de deux ans parce qu’elle se trouve dans “la dernière nécessité”. Quant à Antoinette Roze (42) qu’on a séparée de son fils, sa déclaration est un véritable appel désespéré.
C’est la misère qui a poussé la plupart des femmes à effectuer la déclaration. Elles pourront, après cette formalité, être prise en charge par les recteurs de l’hôpital. De plus l’acte constitue une manière de se pourvoir contre le séducteur. Certaines se sentant plus trahies que véritablement déshonorées, profitent ainsi de l’occasion pour tenter de contraindre un garçon au mariage ou du moins d’en tirer quelque argent.
Peu de ces déclarations (5 cas sur 30) sont faites expressément pour obéir à l’édit d’Henri II. Claudine Goutaratte (43 ) dit agir “de son gré et libre volonté pour que faute ne luy soit imputée n’observer les ordonnances et déclaration de Sa Majesté” et en même temps elle se pourvoit contre “le nommé François”. Les trois déclarations reçues par Franchet (44 ) portent les mêmes formules : “pour se conformer et obéir aux édits, déclarations et ordonnances de nos roys“ en vue de son accouchement ou si “a Dieu ne plaise elle pourrait se blesser”. La crainte d’une fausse couche est là très présente ; à défaut de déclaration la femme pourrait alors subir toute la rigueur de l’édit de 1556.
Dans deux cas l’exposition est évoquée comme ce que les femmes séduites ont voulu éviter. Benoîte Phalipon (45 ), de Marols, supplie les recteurs de Sainte-Anne de l’assister car “elle n’a pas voulu se hazarder à exposer” sa petite fille Catherine née “le jour de la fête de la Sainte-Trinité 1744”. Antoinette Roze ( 46) qui accouche d’un garçon le 26 juillet 1753 déclare un mois plus tard qu’ “elle est sollicitée de toutes parts à exposer sondit enfant ou en cette ville (Montbrison) ou à Saint-Etienne ce qu’elle ne sçaurait faire ce même enfant n’étant point entre ses mains”. Ces mentions confirment que, faute d’une déclaration de grossesse, l’exposition de l’enfant illégitime, son abandon dans un lieu public, était bien une solution habituelle.
Il semble bien que la plupart des femmes aient fait la déclaration de grossesse exigée par les ordonnances royales avec répugnance. C’est un sentiment que l’on comprend aisément. Il leur fallait dévoiler des faits intimes, leur histoire personnelle souvent dramatique devant des gens importants : les recteurs de l’hôtel-Dieu – bourgeois de Montbrison ou chanoines de Notre-Dame – le notaire et les témoins. Il s’agissait pratiquement d’une confession publique. Elles le font, nous semble-t-il, avec une simplicité presque naïve, donnant des détails précis qui renforcent l’impression de véracité de leurs dires.
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Nous avons trouvé trace dans les archives hospitalières de Montbrison de quelques uns des enfants de ces femmes. Peut-être n’ont-ils pas tous été abandonnés, la déclaration de grossesse ayant permis de faire payer quelque indemnité, aux pères ? Ce serait alors un des mérites des édits royaux exigeant la déclaration de grossesse.
Cependant, malgré les très lourds peines encourues, il est certain que dans de nombreux cas les femmes séduites et abandonnées ne satisfaisaient pas à cette obligation. Elles abandonnaient ensuite leur enfant, le plus souvent en l’exposant. Au milieu du XVIIIème siècle, l’édit d’Henri II semble avoir beaucoup perdu de sa force dissuasive. L’illégitimité devient de plus en plus fréquente provenant essentiellement de la multiplication de conceptions prénuptiales (47) . Et, en Forez, comme dans l’ensemble du royaume, nous constatons une progression lente mais constante des abandons tout au long du XVIIIème siècle.
Après la Révolution, la déclaration de grossesse, qui était tombée en désuétude, ne sera pas reprise par la nouvelle législation. Le nombre des enfants trouvés se gonflera démesurément (48 ) et il faudra trouver d’autres mesures pour combattre ce dramatique phénomène social.
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