BD, Tome 58, Henri Tardivi, bibliophile stéphanois (1854-1915), pages 229 à 233, Montbrison, 1999.

 

Communication de M. Alain Collet

Henri Tardivi, né à Marseille en 1854, mort à Saint-Etienne le 3 mars 1915, plusieurs fois lauréat de l’école de Montpellier, docteur en pharmacie, fut à la fois pharmacien et bibliophile ( ). Il apparaît pour la première fois, semble-t-il, dans l’Annuaire de la Loire de l’année 1881. L’adresse de son officine est au 15, place Marengo, Saint-Etienne ; elle ne changera pas jusqu’à l’annuaire de 1914 ( ). Sur la liste des habitants, il habite au 17 de la même place ( ).
Si ces points de repères permettent de situer, pour l’essentiel, la carrière d’Henri Tardivi, nous avons en revanche peu d’informations sur sa bibliothèque qui paraît avoir été importante si l’on en juge par quelques indices : la mention de « bibliophile » donnée dans la notice nécrologique, la qualité des volumes et la présence d’un ex-libris gravé, dont nous allons parler, enfin leur numéro de classement au sein de la bibliothèque.
En ce qui concerne la qualité de bibliophile, elle n’a pu être décernée sans l’assentiment de ses contemporains dont un certain nombre a vraisemblablement eu accès à la collection ; il est néanmoins difficile d’en déduire plus sur les centres d’intérêt et les motivations particulières de cet amateur en l’absence de cata-logues ( ), de témoignages ou d’autres documents plus précis (5).
Mais le titre de l’ouvrage en deux volumes in-octavo que nous présentons aujourd’hui est une des meilleures preuves de cette belle bibliothèque privée aujourd’hui dispersée (6). Il s’agit de l’édition originale suivante :

SENEQUE. – Les Epistres de Seneque. Nouvelle traduction. Par feu Monsieur Pintrel. Reveuë & imprimée par les soins de Mr. de La Fontaine. Tome premier [- second]. – A Paris : chez Claude Barbin, 1681. – 2 vol. ; 8°.

TCHEMERZINE VI, édition originale, extrêmement rare. – Tome 1 : 10 f., 555 p. : 1 f., titre ; 8 f., table ; 1 f., privilège ; p. 1-555, Epîtres. Tome 2 : 6 f., 540 p. : 1 f., titre ; 5 f., table ; p. 1-540, Epîtres ; les pages des titres portant le nom de La Fontaine sont des cartons. – Reliure, basane, 17e s., avec des pièces de titres rapportées fin 18e s. ou début 19e s. Ex-libris gravé du pharmacien (mortier à gauche… ) collé sur le contreplat supérieur du vol. 2 (9, 5 cm x 7, 5 cm) avec dans le cartouche central : « BIBLIOTHEQUE DE HENRI TARDIVI N° 2560 » (« Ant. Cotton del. » ; « Imp. Berret & Wargoutz »).

Avenir Tchemerzine, auteur de la Bibliographie d’éditions originales et rares d’auteurs français des XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe s. (Paris, 1932) qui porte son nom, déclare lui-même dans son commentaire qu’il n’a pu donner de « cliché [de la page de titre], n’ayant pas eu le livre entre les mains », en raison assurément de sa très grande rareté . L’exemplaire ici décrit, malgré sa reliure d’origine fragilisée, est néanmoins dans un bon état de conservation si l’on tient compte de cette rareté (cf. les reproductions des volumes, de l’ex-libris et des deux pages de titre).
La présence de cartons pour les titres, c’est à dire d’une nouvelle feuille de titre tirée spécialement pour une remise en vente, appelle quelques explications. Elles font partie des « délices » de la bibliophilie… La traduction – non sans mérites – de feu M. Pintrel, ami de La Fontaine, fut revue et corrigée (avant son impression) par l’auteur célèbre qui prit le soin de traduire en vers les passages de Virgile, d’Euripide et d’autres poètes cités par Sénèque. La traduction parut d’abord de façon totalement anonyme… et sans succès ( ). L’éditeur demanda alors à La Fontaine de bien vouloir consentir à faire apparaître les deux noms – et surtout le sien – sur une nouvelle page de titre. Celui-ci accepta et le livre connut « un prompt débit » ( ).
Le numéro que porte l’ex-libris – n° 2560 – est important lui aussi car il peut nous donner un ordre de grandeur de la collection ; si le bibliophile a en effet classé ses ouvrages selon le classement dit « des libraires » du XIXe s. – à savoir : Théologie, Jurisprudence, Sciences et Arts, Belles Lettres, Histoire – on peut imaginer qu’il possédait au moins 3 000 volumes.
Signalons enfin que la Bibliothèque Municipale de Lyon possède un autre livre issu de cette bibliothèque privée, avec le même ex-libris au putto assis sur le cartouche( ).

Henri Tardivi, discret lecteur de livres rares, a peut-être été un amateur insoucieux du destin de sa collection dont seules témoignent aujourd’hui de précieuses épaves.

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