BD, Tome 58, Un village de la montagne forézienne au XVIIIe siècle, histoire démographique, pages 169 à 210, Montbrison, 1999.

 

Communication de Mme VIALLARD

 

Réaliser la monographie d’une modeste paroisse des “Montagnes du soir”, comptant 1000 âmes environ, à l’aube du 19e siècle, semble facile au premier abord, mais dans la pratique, l’exercice est périlleux: pas ou peu de sources et un travail de fourmis très long pour un maigre résultat.
Aussi, nous sommes nous contentés, dans un premier temps, d’analyser les mouvements de la population à partir des registres paroissiaux et d’état civil. La méthode utilisée rejoint celle mise au point par le démographe Louis Heury et l’historien Pierre Goubert, dans les années 50 et préconisée dans le guide d’histoire locale publié en 1990.
Nous avons retenu la méthode la plus complexe, car la plus riche en enseignements – celle du dépouillement systématique de chaque acte, sur des fiches séparées, selon la nature de l’évènement : baptème, mariage, mortuaire. Ces fiches annuelles, organisées en tableaux à colonnes, où chaque variable peut être facilement comptabilisée pourraient être utilisées sur micro-informatique pour exploitation ultérieure des données.
Ce premier travail terminé, pour la période allant du 1er janvier 1750 au 31 décembre 1829, nous avons procédé pour chaque couple uni du 1er janvier 1750 au 31 décembre 1799, soit 50 ans, à la reconstitution des familles.
Le matériau utilisé constitue une série communale complète. Les registres sont bien conservés et obéissent à partir de 1737 aux règles établies par la Déclaration de 1736 régissant la tenue des registres par les ecclésiastiques ; mais les âges des époux ne sont pas toujours mentionnés et certains indices nous portent à croire que les actes n’étaient pas tous rédigés au moment de la cérémonie, lorsque les paroissiens étaient illettrés, d’où des omissions et des erreurs. Nous avons donc dû, avant toute exploitation des données, procéder à la critique serrée des registres.
Le cadre de cette étude porte sur la paroisse de St-Georges- sur-Couzan, comptant 1100 h. en 1791, et 1041 selon le dénombrement de l’An V après amputation d’une partie de son territoire, au profit de Chalmazel (village de Chancolon) et de St-Bonnet le Courreau ( La Roffin )
C’était une paroisse … “au relief très accidenté, pentueux et scabreux, au sol ingrat, isolée de la plaine et des villes du fait de l’absence ou du mauvais état des voies de communication, sans foire ni marché, et, de sucroît, traversée sur toute sa longueur par le Lignon, qui coule dans des gorges étroites et abruptes qui sont réliées par des ponts antiques d’une hauteur considérable, en très mauvais état..” selon la description faite au Préfet par le conseil municipal en 1807.
Malgré ce tableau assez noir de la situation, ce “pays vert” jouissait d’une réputation plus élogieuse dans le domaine climatique. Par rapport à la plaine malsaine dont on a dépeint les tristes conditions de vie et l’état sanitaire de la population dans les cahiers de doléances, il bénéficiait d’un climat sain, relativement tempéré bien que froid et on disait de ses habitants qu’ils étaient “frugaux, sobres et opiniâtres au travail ”. D’autres documents révèlent qu’ils avaient le teint frais des gens en bonne santé. C’est une des raison, sans doute, pour laquelle les bourgeois et commercants de Boën et Montbrison, chirurgiens, avocats au Parlement, commissaires en droits seigneuriaux, huissier royal, garde du Roy….envoyaient leurs enfants en nourrice à St-Georges.
Sur la carte de Cassini figurent les villages, tels qu’ils existent aujourd’hui ; on y touve 3 moulins sur le Lignon, mais aucune route.
La paroisse était répartie en zones d’habitations groupées, entourées de biens communaux importants et formait avant la révolution deux communautés civiles : St-Georges-en- Chatelneuf, dans sa partie haute, y compris le bourg, avec 98 feux et St-Georges-sur-Couzan, dans sa partie basse, avec 41 feux, partage qui correspondait aux deux seigneureries qui avaient possédé le pays.
En 1789, les habitants étaient pour la plupart des petits propriétaires, les anciens fiefs avaient été vendus, le seigneur était le roi.
Dans le domaine religieux, l’Almanach de Lyon de 1770 cite St Georges-en-Chatelneuf ou “sur-Couzan”, comme grande paroisse dont la nomination à la cure revient au Chapitre de St-Nizier de Lyon : c’est ainsi qu’en avait été pourvu Messire Emmanuel PAPON de Goutelas, curé en 1662 (visite pastorale de Mgr de Neuville le 26-6-1662). De plus, il apparaît à la lecture des registres, qu’à partir de 1749, les curés désignés sont des docteurs en théologie et pour deux d’entre eux au moins, des oratoriens professeurs au séminaire St-Charles à Lyon.

LE MOUVEMENT DE LA POPULATION

Pour réaliser cette étude, nous avons relevé sur les registres paroissiaux et d’état-civil 5170 actes et procédé à la reconstitution de 332 familles.

1° Partie: courbe paroissiale longue

Le graphique N° 1 qu’on appelle courbe paroissiale longue porte en abscisse les années, et en ordonnée le nombre de baptèmes ou naissances, décès et mariages. Elle traduit le mouvement naturel de la population de 1750 à 1949. Elle met en évidence “ les clochers de mortalité ” et permet la comparaison avec des études similaires.

2° partie: Moyenne par décennies

Le Graphique N°2, à partir des mêmes variables et pour les mêmes périodes établit les moyennes annuelles par décennies.
Si la 1ère courbe présente d’importants écarts, on s’aperçoit que les moyennnes annuelles par décennies sont plus régulières et ce second graphique est plus significatif.
Pendant la période pré-révolutionnaire 1750-1789 et jusqu’en 1800, la moyenne annuelle des naissances se situe entre 29 et 30 et celle des décès entre 27 et 28, soit un excédent constant des naissances, ce qui n’était pas la cas pour la plaine du Forez, par exemple.
Le taux de natalité – rapport du nombre de naissances sur le nombre d’habitants – est de 29, 6 pour 1000 habitants, chiffre très bas pour l’époque. La fécondité était, en France, très élevée au XVIIIe siècle, avec des dispenses régionales ; c’est ainsi qu’on constate que la démographie urbaine tourne à plein régime, car les citadines qui ne nourissent pas leur bébé, suppriment la stérilité provisoire due à l’allaitement. A St- Georges, au contraire, les mères allaitaient leur enfant et en prenaient d’autres en nourrice; il y avait également, dans la population, un fort taux de célibataires, et les pères étaient longtemps absents, pour le travail à la scie.
Le taux de natalité est donc inférieur à celui relevé dans d’autres études, notamment celle de Philippe ARIES pour la commune de Monnaie en Touraine, qui relève un taux moyen de 47/1000 pour la période de 1760-1780 et pour une population d’un millier d’habitants. Toujours pour la même période, les taux les plus bas sont relevés dans le Languedoc: 40/1000, à Melan (04): 35/1000.
A partir de 1800 et jusqu’en 1819,( période qui correspond aux guerres de l’empire) on constate une chute du nombre de naissances et une reprise à partir de 1820 (mêmes chiffres que pendant la période 1750-1800) chiffre dépassé après 1830 jusqu’en 1900, date du déclin régulier de la natalité dû à l’exode rural.
Ces courbes nous donnent un aperçu du mouvement de la population, mais nous allons y revenir, en procèdant à l’examen plus approfondi: des actes étudiés séparément mariages, naissances, décès, et des familles reconstituées.

LES MARIAGES

Le mariage était l’acte essentiel à partir duquel se constituait la famille ; ce n’était pas un simple accord entre deux individus, mais un acte véritablement social. La formule que nous avons relevée sur un contrat de mariage de 1674 illustre parfaitement cet état de chose :
“Comme ainsi soit que à la louange de Dieu et multiplication de l’humain lignage, mariage a été traité entre parents et amis pour ce étant assemblés, lequel s’accomplira Dieu aydant et sortira son plein et entier effet ainsi qu’il est de bonne coutume entre d’une part…”
Un contrat précédait, en effet, chaque mariage et mention en était faite dans le registre paroissial. Ce n’est qu’à partir de 1792 que l’accord des parties est enrégistré ; avant cette date, seul celui des parents ou des tuteurs était requis ; quand aux majeurs de 25 ans ils agissaient comme maîtres de leurs droits, mais sollicitaient néanmoins, l’aval de leurs parents quand ceux-ci étaient encore en vie.
En cette fin du 18e siècle, le laboureur propriétaire de sa terre, était déjà conscient de la nécessité de ne mettre au monde que des enfants qu’il pourrait nourrir ; or, le seul moyen dont il pouvait disposer était de limiter ou de retarder les unions ; c’est pourquoi on relève une grande irrégularité dans le nombre annuel des mariages. ll y avait les bonnes années, celles où les récoltes étaient satisfaisantes, le travail à la scie fructueux, les années des épousailles avec 9, 10 voire 14 mariages (en 1752) et les années de “vaches maigres” avec 2 ou 3 mariages seulement ( années 1753, 1766, 1771, 1773, 1777, 1780, 1784, 1787). La moyenne annuelle par décennie est irrégulière et en déclin : 6,72 mariages par an de 1750 à 1789, 5,85 mariages par an de 1790 à 1829. Pour une population de 1000 h. environ, ce taux de nuptialité est assez bas pour l’époque, comparativement aux études similaires portant sur d’autres communes.

QUAND SE MARIAIT-T-ON ?

Pour réaliser ce graphique nous avons utilisé la méthode préconisée dans le guide de l’histoire locale : comptabiliser les actes mois par mois, pour une période donnée ; afin de tenir compte de la longueur différente des mois, calculer un nombre journalier moyen, pour chaque mois, en divisant chaque total mensuel par le nombre de jours du mois: 30, 31 ou 28, 29, pour le mois de février, pour tenir compte des années bissextiles. Calculer alors la moyenne des douze nombres journaliers moyens qui devient le chiffre de référence.
Calculer l’écart, en pourcentage, entre le nombre journalier moyen de chaque mois et ce chiffre de référence et le reporter sur un graphique.
Ce graphique (N°3) a été réalisé en deux périodes, car nous avons constaté un changement de comportement après 1790. Pendant la période 1750-1789, sur 269 unions, aucune pendant le carême et l’avent et 45% des mariages au mois de septembre, après les récoltes et avant le départ à la scie.
Après 1790, et jusqu’en 1829, les dates des mariages sont plus étalées; quelques mariages ont lieu en décembre (la plupart après le 25) et pendant le carême; s’agissant de mariages civils, les pratiques religieuses sont moins observées qu’auparavant. D’autre part, si on se marie souvent en septembre, on se marie encore plus en février.

ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES MARIÉS

TABLEAU N° 1 période 1750-1789, 269 mariages

1/ les 2 époux sont de la paroisse ……….Nombre de mariages 153……… soit 56%

2/ L’un des époux est de la paroisse,
l’autre de l’une des 3 paroisses de
Chalmazel, Sauvain, St-Just-en-Bas……Nombre de mariages 69………soit 26%

3/ L’un des époux est de la paroisse,
l’autre de Palogneux, St-Bonnet,
Sail……………………………………..Nombre de mariages 30………soit 11%
(à noter, qu’il n’y à que 2 unions
avec Sail, pays de vignerons ! )
4 / autres…………………………………. Nombre de mariages 25………..soit 9%

Dans ce groupe ethnique, cet isolat, les mariages sont soumis à de solides traditions, à des stratégies matrimoniales; on se marie le plus fréquemment au sein de son petit milieu géographique (ENDOGAMIE), et également dans son milieu socio-professionnel (HOMOGAMIE). Les laboureurs, les scieurs de long épousent les filles ou les veuves des mêmes conditions. Les tisserands constituent également une classe à part.
De cette endogamie locale découle des tares congénitales et une forte mortalité infantile.

TABLEAU N° 2, période 1790-1829, 234 mariages

1/ Les 2 époux sont de la paroisse……124………..53%

2/ L’un des époux est de la paroisse,
l’autre de Chalmazel, Sauvain,
St-Just……………………………..40…………17%

3/ L’autre des autres paroisses
limitrophes…………………………31…………13%

4/ Autres……………………………..39…………16%

A partir de 1790, les échanges sont un peu plus variés : 16% des conjoints sont originaires d’une commune non limitrophe, voire d’un autre département. Il s’agit cependant, la plupart du temps, de personnes résidant déjà dans la commune, en qualité de domestique ou d’apprenti. Ce n’est qu’à partir de 1810, que l’on constate dans la population des notables, officiers ministériels, marchands, cuttivateurs aisés, des mariages avec des conjoints tout à fait “ étrangers à la commune”. Le pays s’ouvre modestement certes, mais peu à peu, sur l’extérieur. Nous dirions, si nous voulions employer un langage savant, qu’à l’instar de ce qui est constaté dans d’autres régions “le tissu cellulaire devient plus poreux, et le pays commence à sortir de son isolationnisme quasi tribal” ( )

CALCUL DE L’ÂGE MOYEN AU 1er MARIAGE

Cette étude est un facteur-clé de la démographie ancienne. Pour le calculer, nous avons retenu l’âge de tous les époux antérieurement célibataires, que leur conjoint soit lui même célibataire ou veuf ( veuve). Les âges figurant sur les registres ont été vérifiés en recherchant les actes de naissance quand cela était possible.
Le tableau 1 ci-dessous fait apparaître :
1/ la moyenne arithmétique, symbole x,
2/ la médiane, qui est la valeur telle qu’il existe un nombre égal d’observations inférieures et supérieures à cette valeur. La médiane ne correspond pas toujours à la moyenne arithmétique, car elle n’est pas influencée, comme cette demière, par les valeurs extrèmes qui peuvent être aberrantes
3/ le mode ou dominante, valeur de la variable ou d’une classe de variables dont la fréquence est maximale. Le mode peut être unique ou multiple

TABLEAU 1 âge moyen au 1°mariage 1740-1829

 
Nombre d’observations
X
médiane
mode entre classes
Hommes
451
28 ans 5 mois
27 et 28 ans

25-29 ans 29%

20-24 ans 26%

Femmes
463
26 ans 6 mois
25 et 26 ans

20-24 ans 28%

25-29 ans 27%

Ce calcul, réalisé sur une longue période de 90 ans donne une information satisfaisante, en ce qui concerne l’âge des hommes, au 1° mariage, car les variations constatées par décennies, durant cette période, ne sont pas très sensibles. Il en est tout autrement pour la population féminine. Le Tableau N°2, çi-après, établi par décennies, met en évidence le nombre important de mariages de jeunes femmes de moins de 20 ans, dans les décennies 1750 et 1760. Ils constituaient même la classe dominante avec 30 et 34% des mariages. D’autre part, au sein de cette classe, nous avons relevé 11 mariages où l’épouse avait de 12 à 16 ans seulement. Il semble que l’église acceptât ces unions de femmes-enfants, qui avaient, pour certaines, à peine l’âge de la puberté, fixée, par la coutume à 12 ans pour les filles, 14 ans pour les garçons.

TABLEAU 2 âge moyen des épouses au 1er mariage
par classe d’âge de 1740 à 1829

Décennie
Nbre
12-19
20-24
25-29
30-34
35-39
40-44
45-49
50-54
55 et +
1740
55
12.73
18.18
38.18
10.91
14.55
5.45
1750
70
30
31.43
15.7
15.72
5.7
 
 
1.43
 
1760
41
34.15
26.83
19.51
12.19
4.88
2.44
 
 
 
1770
40
5
25
27.50
30
7.5
2.5
2.5
 
 
1780
55
20
21.82
30.91
9.09
5.45
7.27
5.46
 
 
1790
49
6
42
22
16
12
2
 
 
 
1800
43
4.65
27.91
27.91
20.93
18.6
 
 
 
 
1810
60
15
35
23.33
11.67
5
5
1.67
 
3.33
1820
50
10
26
36
12
8
6
2
 
 
Total
463
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Moyenne
 
15.28
28.24
26.78
15.39
9.08
3.41
1.29
 
0.53

Pourquoi mariait-on les filles à un âge si tendre ? et quel était le devenir des couples ainsi formés ? Le mariage précoce avait-il des conséquences sur le nombre d’enfants, sur la durée de la fécondité de la mère, sur sa durée de vie ? C’est pour essayer de répondre à ces questions que nous avons étudié le suivi de ces unions, soit 11 mariages où l’épouse n’avait pas 16 ans.

TABLEAU 3 Tableau de descendance des jeunes filles mariées avant 16 ans

Année du mariage
âge du mariage
âge 1er naissance
Nbre d’enfants
âge au dernier
âge au décès
1760
12a 3m
19a
8
41
70
1759
12a 6m
19a
9
39
55
1755
13a 3m
20a
5
37
61
1759
13a 6m
16a 6m
4
26
 
1785
13a 9m
16a 6m
10
38
75
1752
14a 5m
20a
13
39
70
1760
14a 3m
18a
10
45
63
1764
14a
22a
4
35
57
1755
15a 5m

2e mariage

19a

0

4

44
57
1760
15a

2e mariage

28a

4

2

28
68
1789
15a 9m

2e mariage

20a

3

5

45
 

Nous constatons que ces très jeunes femmes attendaient un délai raisonnable de 4 à 7 ans et même plus, pour devenir mère; il est probable qu’elles ne cohabitaient pas avec leur mari, et l’on peut se demander quel intérêt poussait les parents à agir de la sorte.

Corrélation entre les âges des époux

Le tableau de corrélation ci-après ( Tableau 1 ) établi par classes d’âge, est celui habituellement retenu pour réaliser les statistiques des mariages en France.On peut en déduire que 25% des mariés ont une différence d’âge inférieure à 5 ans (Diagramme 1) Or ce n’est pas totalement exact ; ils se situent seulement dans une même classe d’âge et deux époux ayant l’un 19 ans, l’autre 20 ans n’appartiennent pas à la même classe.
On remarque que les jeunes hommes de moins de 25 ans épousent des femmes plus âgées dans 60% des cas et qu’à partir de 25 ans, le phénomène est inversé: ils choisissent soit des épouses de leur âge, soit des épouses plus jeunes .
Une autre étude, partant d’un calcul, cas par cas, de la différence d’âge entre les époux, sur le même échantillon, nous donne un éclairage complémentaire et un résultat plus exact Tableau (2)
Ce tableau 2 nous révèle que 50% et non 25% des époux ont une différence d’âge de 5 ans au maximum et que les maris sont plus âgés que leurs femmes dans 60% des cas.
L’hypothèse avancée par certains chercheurs, selon laquelle les hommes cherchaient à épouser des femmes plus âgées, afin de limiter le nombre de naissances à venir, n’est pas vérifiée dans cette étude.

TABLE DE CORRÉLATION ENTRE LES ÂGES DES ÉPOUX (1750-1829) (Célibataires : 362)

Une simple signature ne suffit pas à prouver le degré d’instruction des mariés, mais constitue un indice à retenir à défaut d’autres éléments.

Nous avons donc relevé sur les actes de mariage les signatures des célibataires (et non celles des veufs et des veuves) ; le graphique ci-dessus fait apparaître une progression de 16% (décennies 1740-1750) à 73%( 1820-1829) pour les hommes, et de 1 à 11 % pour les femmes, pour les mêmes périodes.
Dans tous les cas, les époux ont signé de leur nom, sans utiliser d’autre signes ou de simples croix . D’autre part une lente évolution est constatée dans la qualité de l’écriture ; tout d’abord, on relève – en dehors des signatures très élaborées des notables, notaires, ecclésiastiques – celles maladroites, avec, parfois, des lettres détachées, celles très appliquées et presque identiques des membres d’une même famille, enfin, la signature personnalisée avec quelques fioritures, à l’exemple de celle du notaire. Pendant la révolution, le maire, fervent patriote, fait précéder la sienne, de 7 points forts appuyés.

En voici quelques exemples

LE VEUVAGE

L’étude des actes de mariage nous permet de calculer la proportion des remariages par rapport à l’ensemble des mariages.

La proportion des remariages est donc de 23,4% pour la 1ère période et chute à 16,7% après 1790. Une deuxième approche faite à partir des fiches familiales dites fermées, au nombre de 290 et concernant les couples unis de 1750 à fin 1799, nous permet une analyse plus poussée. Les veuves sont plus nombreuses que les veufs, seulement après 46 ans et dans de faibles proportions : 54,27% de veuves contre 45,73% de veufs. Avant l’âge de 46 ans, les veufs sont au contaire plus nombreux, du fait du poids de la mortalité féminine par suites de couches. Avant l’âge de 46ans, 68% des veufs se remarient et 50% de veuves ; 75% des uns et des autres ont des enfants en bas âge. Les hommes trouvent plus facilement à se remarier même s’ils ont jusqu’à 4 enfants et ils convolent très rapidement la plupart du temps dans l’année qui suit la mort de leur première épouse ; les femmes se remarient également dans des délais très brefs, ne respectant pas toujours le délai de viduité. Après l’âge de 46 ans les remariages se font plus rares: 13% pour les veufs, et 2,77% pour les femmes.

LES PROFESSIONS DES EPOUX

Sur les actes de mariage, la profession ou le métier de la femme est rarement indiqué; nous relevons seulement quelques domestiques. Quant aux hommes, 61% se déclarent laboureurs, 14% scieurs de long et 5% journaliers; la confection d’un tableau ne présente pas d’intérêt car les professions des pères, figurant sur les actes de naissance sont très variables ; les célibataires ne conservent pas la même occupation après leur mariage : le domestique devient laboureur, scieur de long, puis cultivateur et propriétaire. La majorité des habitants cultivaient leurs terres et exercaient une autre activité d’appoint, principalement celle de scieur de long et aussi sabotier, charpentier, plus rarement marchand. Au sommet de l’échelle sociale, il y a le notaire, le notable par excellence, tout naturellement élu en 1789 comme représentant de la communauté et acquéreur des biens nationaux. Viennent ensuite les marchands aisés, – dont certains jouent le rôle de banquier en prêtant de l’argent au taux de 5% – , les cabaretiers, le maréchal, les meuniers et les nombreux tisserands. Après 1790 apparaissent d’autres professions : l’officier de santé, qui devient maire en 1798, l’horloger, le boulanger, l’instituteur en…1821, le Juge de paix et l’huissier. Les jeunes femmes recevaient des enfants en nourrice.

LE “ PHYSIQUE ” de nos ancêtres

Nous n’avons pas de documents, gravures, écrits, témoignages qui nous permettent de nous représenter l’aspect physique des hommes et des femmes du XVIIIe siècle. Cependant, s’agissant des hommes, nous avons pu, à partir de l’étude d’une série de passeports commencée le 23 thermidor an VI, terminée le 25 floréal an VIII, dégager certains “traits” de nos ancêtres. ( ) Les passeports, en effet, sont très détaillés ; outre la taille, la teinte des cheveux et des yeux, ils décrivent la forme du nez, de la bouche, du menton, du front et du visage ; ils signalent des éléments particuliers… nez gros, large et écrasé, nez relevé, nez tourné par le côté droit, nez bien fait, visage ridé, cicatrice, marques de petite vérole, yeux tournés à droite…etc. De l’étude de ces 223 passeports “exploitables” nous en avons conclu que : 47 hommes soit 21% sont blonds ou chatains clairs et qu’ils ont les yeux bleus, gris-bleus ou gris. 78 hommes soit 35% sont chatains : 65% d’entre eux ont les yeux bleus, gris-bleus ou gris. 35% ont les yeux jaunes, oranges ou roux. 98 hommes soit 44% sont chatains foncés, bruns ou noirs. 50% ont les yeux gris, 7% bleus ou gris-bleus, 43% jaunes, oranges, roux.
Nous n’avons pas tenu compte des cheveux gris des hommes agés au nombre de 7.
Pour conclure, nous pouvons dire que la moitié des jeunes hommes avaient les cheveux et les yeux clairs (yeux bleus, gris-bleus, et gris) et l’autre moitié une teinte de cheveux plus sombre mais avec une majorité d’yeux gris. Au total, 53% des hommes avaient des yeux gris, 13% bleus ou gris-bleu et 34% jaunes, jaunâtres, orangers ou roux.
Quant à la taille, elle n’était pas très élevée avec une moyenne de 1m 652. Les classes dominantes étant : Tailles 1m60-1m64 : 27,39% ; 1m65-1m69 : 29,56%
Les tailles de 1m70 et au dessus réprésentaient 24,34%
Le plus petit mesurait 1m 476 et avait 19 ans, et le plus grand atteignait 1m 842.

A noter que sur les 230 passeports, 24 font état de traces de petite vérole, ce qui laisse supposer que des épidémies de variole ont sévi dans le canton.

LA NAISSANCE

La courbe parroissiale longue et les graphiques 1 et 2 nous ont fourni le nombre des naissances annuelles et pardécennies ; nous n’y reviendrons pas. Nous avons recherché ensuite le taux de masculinité à la naissance et le pourcentage de naissances gémellaires.

Taux de masculinité à la naissance

Nous avons observé un léger excédent du nombre de garçons: 52,20% contre 47,80% pour les filles, sur 2272 naissances , pour la période allant du 1.1.1750 au 31.12.1829

Pourcentage de naissances gémellaires

Pendant la même période de référence, les jumeaux , au nombre de 70, représentent 3% des nouveaux-nés, mais ils sont très inégalement répartis pendant ces 80 années ; les seules décennies 1770-1780 ont fourni 36 jumeaux et pendant cette même période 4 familles ont eu 2 fois des jumeaux.

NOS ANCETRES ETAIENT-ILS VERTUEUX
Respectaient-ils les préceptes de l’Eglise?

La règle religieuse interdisait tout rapport sexuel hors mariage, et, pour les gens mariés, pendant le temps du carême et de l’avent. De plus, un édit royal prescrivait que les filles célibataires et les veuves enceintes devaient déclarer leur grossesse auprès d’un officier ministériel, généralement un notaire, afin de ne pouvoir ensuite se débarrasser impunément de leur enfant. Pour vérifier l’observation ou non de ces préceptes, nous avons recherché:
1/ Les naissances d’enfants illégitimes
2/ Le nombre de conceptions prénuptiales et avons réalisé :
3/ Le tableau du mouvement mensuel des conceptions.

1°) Naissances d’enfants illégitimes

a/ période 1750-1789
Décennies Nombres d’enfants
1750 néant
1760 2
1770 6 dont 1 légitimé au mariage de ses parents
1780 1
s/total 9 sur 1183 naissances………………….soit 0,76%
b/ période 1790-1829
1790 1
1800 6 dont 2 extrérieures à la commune, 1 légitimé
1810 2
1820 3
s/total 12 sur 1089 naissances soit 1,10 %
TOTAL 21 sur 2272  » …………………….soit 0,92%
pour 80 années.
Ces taux d’illégitimité sont très bas.

2° Les conceptions prénuptiales

Les enfants nés moins de 9 mois après le mariage de leurs parents représentent 5,22% des premiers-nés. Ce taux est élevé par rapport à celui d’illégitimité; il semble que si la vertu des filles étaient étroitement gardée, une certaine liberté leur était octroyée dès que le mariage était décidé entre les parents, la dot fixée, les arrangements terminés et que les fiançés fêtaient assez souvent, Pâques avant les Rameaux ! Cas extrême: un enfant est né le lendemain du mariage de ses parents.

3° Tableau mensuel des conceptions

Pour réaliser ce tableau, nous avons eu recours à la même méthode que celle utilisée pour la réalisation du mouvement mensuel des mariages (page 176) Nous avons considéré que le délai entre la conception et la naissance était de 9 mois exactement ; c’est à dire que les naissances de novembre, par exemple, ont été converties en conceptions de février et ainsi de suite.
Ce tableau a été partagé en deux périodes, en raison des différences constatées entre les années pré-révolutionnaires – années où l’influence du clergé était la plus grande – et les années postérieures à 1790 qui témoignent d’un certain relâchement dans la pratique religieuse pour certains. Avant la révolution, pas de conceptions pendant le carême et l’avent; après 1790, ces interdits sont moins observés. Dans les deux tableaux, les mois chauds de Juillet et Août sont les mois privilégiés pour concevoir “les enfants de l’été”. La raison en est que les géniteurs étaient souvent absents à la mauvaise saison, en raison de leur migration saisonnière, pour le travail de scieurs de long, si bien que les deux diagrammes sont fortement influencés par ce phénomène. Pendant les beaux jours, et la période des récoltes, les hommes étaient rentrés chez eux et, en ces temps heureux, où il ne semble pas qu’il y ait de déficience en ce domaine, nos vaillants laboureurs accomplissaient leur devoir conjugal, aussi bien que leurs rudes tâches agricoles, sans problème.

INTERVALLE INTERGENESIQUE

Cette étude a été faite à partir de la reconstitution des familles, fondées du 1-1-1750 au 31-12-1799, soit 266 familles totalisant 1343 enfants.
L’intervalle intergénésique est le délai écoulé entre deux naissances au sein d’une même famille; et on appelle protogénésique le délai écoulé entre le mariage et la première naissance.

1 – Intervalle protogénésique

En règle générale ( ) la moitié des femmes mariées deviennent mères dans la 1ère année du mariage et 85 % d’entre elles sont mères avant 2 ans.
A St-Georges, la situation est plus complexe et ne correspond pas à la normale comme en témoigne le tableau ci dessous .

Tableau intervalle protogénésique

La moyenne est très élevée : 26 mois et la médiane se situe entre 20 et 21 mois ; c’est à dire que la moitié des femmes mariées sont mères entre le 1er jour et le 20ème mois après leur mariage et 64,17% seulement le deviennent avant 2 ans de mariage.
Les naissances tardives de plus de 4 ans après les épousailles représentent 13% du total – 1 enfant est né après 7ans, 4 après 8 ans, 1après 10 ans, 1 après 12 ans et 1 après 13 ans. Une des raisons de ces délais plus longs que la normale, pourrait être attribuée au très jeune âge des filles à leur mariage ; 19% des épouses au 1er mariage avait moins de 20 ans et ne devenaient mères que plusieurs années après (voir tableau de descendance des jeunes filles mariées avant 16 ans) page 180.

2 – Intervalles intergénésique

En règle générale, entre le 1er et le 2e enfant, l’intervalle se situe entre 20 et 25 mois en moyenne et pour les naissances suivantes entre 24 et 30 mois. D’autre part, il est de 28 à 32 mois entre l’avant-avant-dernier et l’avant-dernier et de 32 à 38 mois entre l’avant-dernier et le dernier.
A St-Georges, l’intervalle intergénésique moyen est de 26,8 mois ; il n’y a pas de variations notables entre le rang des enfants, l’intervalle étant plutôt décroissant:

Par contre, on note un écart plus grand dans certaines familles, spécialement celles de 7 enfants et plus, entre l’avant-avant-dernier et l’avant-dernier, de 38m (sur 11 observations) et entre l’avant-dernier et le dernier, de 43m (sur 129 observations). Cette constatation est en rapport avec l’étude suivante.

ÂGE DE LA MERE AU DERNIER ENFANT

Cette étude a été faite à partir des familles “dites complètes” dans lesquelles les deux époux sont vivants quand la femme a 45 ans ou plus.
Si les jeunes femmes ne devenaient mères qu’à partir de 26 ans et plus rarement entre 20 et 25 ans, la période de fécondité de l’ensemble des femmes se prolongeait jusqu’à…51ans ! Dans 50% des cas, la mère avait au moins 42 ans ; nous en avons relevé 26 de 43 ans, 12 de 44, 12 de 45, 6 de 46, 3 de 47, 2 de 48, 1 de 49 et 1 de 51ans. Dans 32% des cas de 38 à 42 ans et dans 17% de 28 à 37 ans et pour 7 d’entre elles, il s’agissait d’un enfant unique. C’est dans les familles où la mère avait plus de 42 ans à la dernière naissance, qu’on relève les intervalles intergénésiques les plus élevés entre les derniers enfants.

LE CHOIX DES PRENOMS

Le répertoire des prénoms attribués aux garçons et aux filles étaient fort réduit et la tradition pesait lourdement sur le choix des parents ; nous avons noté cependant une évolution à partir de 1800.
Au XVIIIe siècle, dans de nombreuses familles, le prénom du père était attribué au fils ainé, puis venaient les prénoms des parrains et des marraines, régulièrement les grands-parents, puis les oncles et les tantes ; les ainés étaient les parrains des plus jeunes ; le prénom de l’enfant décédé était attribué au nouveau-né suivant. Enfin, les notaires, les praticiens, les notables et les ecclésiastiques portaient aussi les enfants sur les fonds baptismaux et leur donnaient leur prénom : Balthazard, Gaspard, Armand(e), Sybille, Gilbert(e), Etienne, rapidement abandonnés à la deuxième génération!
Pour les garçons, pas de prénom dominant (15%), mais 10 prénoms importants (de 5 à 14,9%), dans l’ordre, Pierre, Jean, Jean-Marie, Antoine, Mathieu, Martin, Jean-Baptiste, Claude, André et Georges (5,27%). Ces 10 prénoms servaient à identifier 86% des garcons.
Pour les filles, l’éventail était encore plus restreint ! 3 prénoms dominants : Jeanne ou Jeanne-Marie, Claudine et Marie et 1prénom important : Antoinette (13%) ; soit 4 prénoms utilisés pour dénommer 73% des filles.
Mais à partir de 1790 et pour les filles seulement, sont apparus des prénoms de circonstance : Marianne ou Marie-Anne, (7 fois), Franciade, Marie-sextile et par contre, en 1793, Marie-Antoinette et 2 Reine, prénoms jamais choisis jusque là et dont le choix frisait la provocation.
Pendant cette 2ème partie du XVIIIe siècle les prénoms plus anciens ont été progressivement abandonnés Annet, Bathélémy, Mathie, Gérome (F), Isabeau, Péronne, Perrine et Jeanneton.
A partir de 1800, on constate une double évolution; d’abord, l’apparition des prénoms multiples : 2, 3 voire 4 dans 20% des cas, privilège réservé autrefois aux notables et la multiplification des prénoms ; sont apparus après 1810 : Zaccharie, Félicité, Justine, Angélique, Romaine, Zoé, Victoire, Blandine, Philippine, Césarine… et pour les garçons ; Eugène, Eloïs, Alexandre, Théodore, Ambroise, Grégoire, Ferdinand, Victor, nouveautés totalement inconnues au siècle précédent, avec cependant la persistance des mêmes prénoms dominants et importants. Contrairement à ce qui a été constaté dans d’autres régions, le prénom des saints protecteurs de la paroisse, Georges et Marie-Magdeleine, n’était pas particulièrement recherché Aussitôt l’enfant né et pourvu d’un prénom, il était conduit à l’église, bien emmitouflé, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, le jour même ou le lendemain de sa naissance, pour y être baptisé, en compagnie de ses parrains et marraines, de son père, quand il n’était pas absent, ou d’autres témoins. En cas de risque de mort, il était ondoyé à la maison.
Après 1802, les actes paroissiaux font foi que les baptêmes avaient toujours lieu le jour ou le lendemain de la naissance, selon le rite de l’église sainte, catholique, apostolique et romaine (mention qui ne figurait pas sur les anciens registres). Même les sans-culottes les plus engagés, tel que Martin Bourge, cité dans la liste des terroristes ( ) a fait baptiser chacun de ses 16 enfants, dont 4 sont devenus prêtres et ce bien qu’il ait écrit : .. “ Le peuple a appris avec joie l’établissement des fêtes décadaires; il a oublié les anciennes fêtes du fanatisme et va célébrer avec enthousiasme, la fête de la Raison ; ses temples ont partout succédé à ces maisons de superstitions qu’on appelait église ; le peuple a enfin les yeux désillés…” ( )
Il en va de même pour Claude Charles, Commissaire du Pouvoir Exécutlf en l’an VI, ensuite maire, qui le 15 vendémiaire an VII (6-10-1798) a donné l’ordre à l’agent et à l’adjoint de la commune, de faire abattre dans la décade, toutes les croix ou autres signes religieux, en recourant, au besoin, à la gendarmerie nationale ; il a interdit également de faire sonner les cloches, en dehors des cas prévus par la loi ( ) .Ce révolutionnaire très déterminé a également fait baptiser chacun de ses 8 enfants et…les croix sont restées debout.
Par contre, en 1816, la jeune Marguerite M. née le 15 Octobre n’a pas été baptisée, car ses parents appartenaient à la secte des « bleus » ou des béguins, selon ce qui est rapporté dans un acte de mariage de 1839 ; elle a été baptisée et a fait sa première communion le jour de son mariage.

COMPOSITION DES FAMILLES

Pour réaliser cette étude, nous avons utilisé les fiches familiales des époux mariés à St-Georges du 1-1-1750 au 31-12- 1799, soit 332 mariages ; parmi ces fiches, nous n’avons retenu que les fiches fermées (MF), celles pour lesquelles nous avons la date du décès du 1er des deux conjoints, soit 293 fiches. A partir de ces fiches, nous avons distingué :
1 – Les familles complètes, c’est à dire non rompues par le décès de l’un ou l’autre des conjoints avant que la femme n’ait atteint 45 ans ( âge considéré comme fin de la période de fécondité).
2 – Les autres familles, dites incomplètes.
Le graphique ci-après : Reconstitution des familles 1750-1799 nous donne le nombre d’enfants par familles:
1/ pour les familles complètes
2/ pour les familles incomplètes
3/ pour la totalité des familles.
De ce graphique, nous pouvons déduire:
1° qu’un peu plus d’une famille sur trois était rompue par la mort d’un conjoint avant le 45e anniversaire de la femme.
2° que les familles sans enfants étaient les plus nombreuses. Mais si l’on veut procéder à une étude de la fécondité, il faut retrancher de cette classe, les couples mariés ( souvent en 2° noce) dont l’épouse a plus de 45 ans, indiqués en pointillé sur le graphique.
3° que les familles de plus de 10 enfants représentent 7,85% seulement des familles complètes et 5% de l’ensemble des familles.
En conclusion, la moyennne du nombre d’enfants des familles complètes est de 5 à 6. Les enfants sont répartis en classes modales de 3 à 8 peu différenciées.

LA “ VIE” SOUS LES CHAUMIERES

… “Au XVIIIe siècle, une grande glaciation ascétique, contemporaine de la contre-réforme, puis du jansénisme austère, prévaut dans nos campagnes…” ( )
S’agissant de St-Georges, nous savons par des documents écrits, que le pays-sous l’impulsion de l’Abbé Darles professeur en théologie, Oratorien du séminaire St Charles à Lyon, et curé de la paroisse de 1766 à 1779 avait subi l’influence du jansénisme et même du béguinisme, secte dérivant du jansénisme ( ). On pourrait donc croire que les habitants étaient très austères, fuyaient les plaisirs profanes et se préoccupaient de la grâce et de leur salut éternel, avant tout. Or, si l’on écoute l’abbé Jacquemond, – janséniste notoire, ami de Darles, Curé de St-Médard-en-Forez en 1784, qui a écrit la vie de Martin Michel, ( ) né à St-Georges en 1755, village de Moizieux, – la vie et les moeurs des habitants de St-Georges ne suivaient pas les sentiers du puritanisme et de la vertu. “…Ils étaient pour lors dans une profonde ignorance de vérités du salut, uniquement occupés des biens et des embarras et ne songeant qu’à procurer à leurs enfants une existence honnète selon leur état sans soupçonner même qu’ils eussent, à leur égard, d’autres devoirs à remplir. Martin, comme les enfants de son âge, aima les plaisirs, les jeux, la dissipation et les danses, fruits ordinaires d’une mauvaise éducation ; il aimait à se trouver dans les veillées ou assemblées nocturnes que tiennent les gens de la campagne, pendant l’hiver, sous prétexte de s’occuper au travail à peu de frais ; il se livrait avec une sorte de fureur au plaisir profane et intense de la danse. Par une suite de ses penchants déréglés pour les folles joies du monde, il eut le malheur de prendre quelque part aux excès du carnaval ; il n’en vint jamais à ces déguisements ridicules qui déshonorent également la raison et la religion, mais à cela près, il se permettait sans scrupules, tous les divertissements scandaleux que le monde aveugle voudrait innocenter. O! combien de fois a-t-il demandé à Dieu de mourir le jour de la quinquagésime, pour expier par le sacrifice de sa vie, les péchés qu’il avait commis en ce jour de débauche et de licence…..”
Comme on peut l’imginer ils en faisaient de belles, nos ancêtres pour le mardi-gras, et aux veillées, ils ne devaient pas s’ennuyer non plus !

LA TAILLE DES MÉNAGES

Au 18e siècle, il n’était pas question de familles composées uniquement des parents et des enfants, mais de “Feux”. Le feu était l’ensemble des personnes vivant au même foyer, sous le même toit : père, mère, grands-parents, frères et soeurs célibataires ou mariés, et parfois valets et servantes. Le feu était aussi l’unité de base pour la répartition de l’impôt et il y avait en 1788 sur le relevé des tailles : 145 contribuables pour 1091 habitants.
La taille moyenne des ménages était donc de 7,52 personnes/feu. Lors de l’incendie de 1758, le nombre de personnes vivant dans les maisons incendiées est indiqué pour certaines d’entre elles : Pierre Doyat : 9 personnes, Georges Prachay : 3, Martin Laurendon : 7, Martin Mechin : 10. Si l’on veut comparer la situation de St-Georges à celle d’autres paroisses ayant fait l’objet de la même étude, on trouve ( ) : En 1793, dans les montagnes du Livradrois à St-Clément de Valorgue, (63), la moyenne est de 5,73 personnes/feu. En 1793, à St-Ferréol-des-côtes, (63) : 6,49 personnes/feu. En 1779, à Anglards-de-Salers, (15) : 8,53 personnes/feu. En 1747, à Lanobre (15) : 7,1 personnes/feu.
La taille moyenne des ménages à St-Georges est donc plutôt supérieure à la moyenne, mais il s’agit d’un calcul qu’il faut retenir avec prudence.
On imagine que cette vie communautaire, cette promiscuité devait poser quelques problèmes et les actes du Juge de Paix témoignent des différends qui opposaient parfois le gendre au beau-père, les frères entre eux etc…
D’autre part, en cas de maladie épidémique qui frappait un membre de la tribu, – comme on le verra au chapitre des décès- une famille pouvait être, en partie décimée.
Mais cette vie communautaire était aussi sécurisante et c’était…la tradition .
Au 19e siècle, la situation évolue ; le nombre de la population croît, par suite de l’excédent des naissances sur les décès. Le tableau ci-après retrace cette augmentation de la population qui atteint son apogée en 1892 pour décliner ensuite, régulièrement, du fait de l’exode rural ; les naissances chutent et les enfants quittent le pays, pour aller gagner leur vie à la ville, souvent à Paris. C’est au milieu du 19e siècle, période de prospérité, que de grandes et solides maisons en pierres ont remplacé les anciennes masures, dans le bourg et les hameaux, maisons qui existent encore aujourd’hui et qui, trop vastes pour leur propriétaires ont été transformées en auberge, gites, appartements locatifs…


NB: en l’an V, la commune de La Côte-en-Couzan était rattachée au canton de St-Georges ; par contre, Sail n’en faisait pas partie.

Nous avons trouvé le dénombrement de la population et du bétail du canton de St-Georges-en-Couzan, en date du 1° ventôse de l’an 5 ( 19 février 1797 ). Il se présente sur un état en grande largeur, où, sur la même ligne horizontale, figurent, au début,les hommes mariés et veufs et, en finale…les cochons et les juments ! Nous avons recopié cet état, transcrit ci-dessus, mais en dissociant les hommes et le bétail, d’abord parce que c’était plus convenable et ensuite parce que nous n’avons pas trouvé de « papier grand format »! ( )

LES DÉCÈS

La maladie, la vieillesse et la mort

Les anciens n’avaient pas la même attitude que nous devant la mort qui faisait en quelque sorte partie de la vie et il n’existait pas de moyens pour en reculer l’échéance. Les remèdes étaient très rudimentaires et l’on s’en transmettait les recettes de père en fils. Il existait cependant une pharmacopée et nous avons trouvé un Codex imprimé en 1697, contenant 1092 pages où sont répertoriées toutes les maladies connues à cette époque et les moyens de les traiter. Mais ces moyens ne devaient pas être à la portée de toutes les bourses.
A St-Georges, en 1789, la venue d’un officier de santé, François Chapot, a apporté une amélioration dans le domaine médical, dans celui des soins et de l’hygiène ; le citoyen Chapot pratiquait, outre la médecine, les accouchements et la petite chirurgie ; mais le recours à ce praticien coûtait cher et beaucoup réchignaient à payer les honoraires, les frais et les remèdes, qu’ils trouvaient trop onéreux et… ils se retrouvaient devant le Juge de Paix ( ) .
Par ailleurs, il n’y avait pas de sages-femmes professionnelles, à la campagne, et les accouchements entrainaient parfois la mort de la mère, faute de soins appropriés. En 1789, lors de la réunion des états généraux, plusieurs communautés réclament une sage-femme et le cahier de doléances de Ste-Colombe-sur Gand résume bien la situation : “…Ils (les habitants) demandent, en outre, des accoucheuses sages et instruites ; ça été le projet de Mr de Flesselle, intendant de la généralité. La première femme qui veut se mêler d’accoucher est appelée, sans adresse, sans expérience, sans talent ; elle n’est point en état de faciliter un accouchement laborieux…” Nous verrons plus loin que la mort en couches, ou pour suite de couches, était l’une des principales causes de mortalité chez les femmes.

LES DÉCÈS ET LES CAUSES DES DÉCÈS

En faisant un retour en arrière, nous évoquerons les grandes calamités qui ont entraîné la misère et une surmortalité au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle : La peste en 1631 et 1632, l’année terrible de 1694, le “Grand Hyver” de 1709 et la famine et les épidémies de 1710. En 1694, à St-Georges, le nombre des décès a doublé ; en 1709, il est resté stable mais a remonté en 1710. Dans ces années là, on relève les décès de nombreux pauvres, étrangers à la commune.
A partir de 1750, période qui fait l’objet de cette étude, le graphique (de la page 203) met en évidence les clochers de mortalités durant les années : 1754, 1775, 1782 et 1801. En 1754, sur les 49 décès, la moitié sont survenus en mars et avril et souvent dans la même famille, tous âges confondus, adultes et enfants ont été touchés. On peut en conclure qu’il s’agissait d’une maladie épidémique, limitée dans le temps et l’espace.
En 1775, la mort a frappé en août et septembre (20 décès sur 50), les adultes et les enfants, principalement dans un hameau, à Vaux, où 6 personnes, dont 4 enfants de la même famille sont mortes en 1 mois. Pendant ces 2 années, un phénomène identique est relevé à Feurs et à Monnaie en Tourraine en 1775 ( ).
On signale en France, une grippe à extension européenne et une épidémie de pneumonie infectieuse de 1781 à 1785 ( ).
En 1782, sur les 38 décès, 55% sont des enfants, dont 6 jumeaux. En 1801, sur les 39 décès, 61% sont des enfants, décès survenus au printemps et en été.
Dans toutes ces années là, on peut parler de phénomène épidémique, diarrhées, pneumonie, maladies infantiles.
En dehors de ces années noires, le nombre de décès est resté stable, de 28 à 29 par an en moyenne, pendant les 40 années ayant précédé la révolution, et a chuté à 22 et 23 par an, pendant les 30 années suivantes. On constate que cette baisse de la mortalité coïncide avec celle de la natalité, très sensible à partir du début du XIXe s.


LES CAUSES DE LA MORT

Les causes de la mort ne sont pas indiquées sur les actes d’état-civil, mais certains actes paroissiaux de l’ancien régime mentionnent les morts subites ou inopinées, excusant l’absence de confession. Nous en avons relevé 10 de 1753 à 1785, les personnes décédées ayant de 50 à 65 ans.
Autre cause de décès : les accidents qui sont relatés quand lls ont donné lieu à une enquète judiciaire. L’accident le plus fréquent est la noyade dans le Lignon (4 décès) ; à cette époque, avant la construction des barrages, la rivière était beaucoup plus impétueuse que maintenant et il était dangereux de la traverser. On note aussi des chutes d’un arbre, un mort trouvé dans un bois, un autre dans un chemin, les décès des scieurs de long, les morts au service de la patrie et pour les femmes la mortalité pour suite de couches

LA MORTALITE DES FEMMES EN COUCHES ou A LA SUITE DE COUCHES

A partir de la reconstitution des familles (période 1750-1799 ) nous avons relevé 16 décès pour suite de couches sur un effectif de 252 femmes ayant eu au moins 1 enfant, soit un pourcentage de 6%. Nous avons retenu les décès survenus à la naissance de l’enfant et dans les 2 mois suivants. Si nous rapportons ce nombre de décès au nombre d’accouchements, nous obtenons le résultat de 1,7 décès pour 100 accouchements .

LE MOUVEMENT MENSUEL DES DÉCÈS

Nous avons réalisé un seul graphique, adulte-enfant, en deux périodes. Nous constatons que les décès survenaient principalement en mars et avril et qu’il y en avait peu en été, en juillet et en août ; la situation n’a pas évolué après 1790.

APPROCHE DE LA MORTALITE DIFFERENTIELLE SELON L’ÂGE

Nous avons réalisé 3 tableaux :

1- Mortalité infantile et juvénile de la naissance à 15 ans.
2 – Mortalité des adultes de 15 à 59 ans.
3 – Mortalité des vieillards, à partir de 60 ans !

L’examen du 1° tableau nous amène aux conclusions suivantes :

1/ Le taux de la mortalité infantile et juvénile (enfants de moins de 15 ans) est considérable, mais a diminué à partir de 1790. Il représente 39% du total des décès pour la 1ère période et 29% pour la seconde ; quant aux chiffres bruts, ils sont passés 414 à 253.

2/ Mortinatalité et mortalité post-natale

Cette catégorie, à elle seule, représente 18,10% des décès avant 1790 et par rapport aux naissances, le pourcentage de décès atteint 16,22%. A partir de 1790, ce chiffre chute à 6,23%, mais ce dernier chiffre est à prendre avec réserve, car, pendant la révolution, les décès des nouveaux-nés n’étaient peut-être pas tous déclarés. Si les nombres sont exacts, ils traduiraient une diminution fort importante de la mortinatalité et de la mortalité post-natale.
Par ailleurs, il meurt beaucoup plus de garçons (64,5%) que de filles ( 35,5%), soit 2 garçons pour une fille.
Une étude plus approfondie, à partir de la reconstitution des familles, nous permet de cerner les enfants les plus vulnérables : Dans 25% des cas, il s’agit du premier-né (2 sexes confondus) dans 25% des cas, de jumeaux, mais les deux chiffres ne s’additionnant pas, car les jumeaux sont parfois les ainés. 60% des jumeaux décèdent avant 3 mois.
Ces deux catégories, – ainés et jumeaux – sont donc les plus fragiles, ce qui s’explique par les mauvaises conditions dans lesquelles se pratiquent les accouchements et le manque de suivi médical pendant la grossesse.
Tableaux de la mortalité des adultes et des personnes âgées de 60 ans et plus. La mortalité des femmes de 20 à 45 ans est plus importante que celle des hommes, tribut à la maternité. A partir de 60 ans, les écarts sont peu importants entre les hommes et les femmes et, après 80 ans 41 hommes et 53 femmes, pour la 1ère période, et 27 hommes et 26 femmes, pour la 2ème ont atteints l’age de 80 ans et au delà Nous avons recherché les personnes décédées après 90ans, à savoir: 2 femmes célibataires à 90 et 92 ans, 2 veuves à 94 et 95 ans, 1 mendiante veuve à 96 ans et 2 femmes célibataires…centenaires. Du coté des hommes: 1 veuf de 90 ans et 1 célibataire de 92 ans.

CONCLUSION

Voilà la modeste histoire démographique d’une petite communauté du Forez, perdue dans ses montagnes, au 18e siècle.
Avec ses 1000 âmes, elle ne représente certes pas un échantillon très significatif du monde rural. Cependant, ce monde rural est intéressant à étudier car il constitue, en 1789, 80% de la population du royaume.
Avant la Révolution, la paroisse de St-Georges-sur Couzan, enfermée dans une communauté rurale – qui est à la fois un secours pour le faible et un frein à la modernisation – apparaît comme un microcosme autosuffisant, dont les membres vivent frugalement mais sans misère manifeste ; presque tous laboureurs et petits propriétaires, ils pratiquent une activité complémentaire, principalement celle de scieurs de long.
Le paysan est très attaché à sa terre et a le souci de la transmettre intacte à son héritier, quitte, pour ce dernier, à indemniser ses frères et soeurs.
N’ayant aucun moyen de “controle de naissance” mais conscient de la nécessité d’en réduire le nombre, le chef de famille limite le nombre de mariages de ses enfants ou les retarde et par une judicieuse stratégie matrimoniale veille à ce que son bien ne quitte pas la famille. On voit souvent, le frère et la soeur d’une même famille épouser la soeur et le frère du voisin, ou des cousins et cousines ; et l’on constate également qu’un grand nombre de jeunes gens et surtout de jeunes femmes restent célibataires.
Au plan religieux, le pays a été marqué par le Jansénisme, mais n’a pas oublié ses anciennes coutumes d’origine païenne, qui tranchent avec, le puritanisme et l’ascétisme de ce courant religieux.
Après 1790 et surtout 1800, on sent une évolution. La commune est d’ailleurs devenu Chef-lieu du canton et, à ce titre, s’est trouvée mêlée à un monde qui dépassait ses frontières ; ce fut, pour elle, une période très agitée ( ).
Dans le domaine démographique, le taux de mortalité diminue, surtout celui des jeunes enfants; un Officier de santé s’installe au pays, de nouvelles activités sont créées, et les artisans paient la patente. Mais les habitants, dont certains sont encore illettrés, déplorent leur “manque de lumières” et réclament avec insistance un instituteur qui ne sera signalé qu’en 1821!
Le tissu social se modifie et des différences de fortune entre les administrés apparaissent ; les cultivateurs aisés, dont certains ont des propriétés sur d’autres communes, les nouveaux bourgeois ruraux, font exploiter leurs fermes par des grangers et certains vont habiter à Sail ou à Boën.
Les échanges matrimoniaux se diversifient et l’on peut dire qu’une évolution sensible se manifeste, mais ne verra son plein épanouissement qu’au milieu du 19e siècle.

* *
*

BIBLIOGRAPHIE

ARCHIVES MUNICIPALES

ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE LA LOIRE : A.D.L.

ARIES Philippe : « Histoire des populations francaises et leurs attitudes devant la vie depuis le XVIIIe siècle “, Editions du Seuil, 1971.

BERGER Gérard, professeur d’histoire contemporaine, Université Jean Monnet.

CROIX Alain et GUWARC’H Didier “Guide de l’histoire locale” faisons notre histoire, Editions du Seuil, 1990.

DUBY Georges et WALON Armand ( sous la direction de ) “Histoire de la France Rurale”, Editions du Seuil, 1976.

JACQUEMOND (Abbé) “La vie de Martin MICHEL”, Fonds Chaleyer, A.D.L.

LAURENT Benoît “Le jansénisme en Forez” et, du même auteur “Le Béguinisme: des Foréziens en quête de Dieu”, Le Hénaff éditeur, 1980.

LUCAS Colin “La structure de la Terreur : l’exemple de Javogue et du département de la Loire”, Université Jean Monnet, Centre interdiscipinaire d’Etudes et de Recherches sur l’expression contemporaine, 1990.

VESSEREAU André “La statistique” Presse universitaire de France , Que sais-je ?, 1988.

X