BD, Tome 58, La plume et les gouffres, un ouvrage consacré à un sociétaire de La Diana ; Edouard-Alfred Martel, pages 257 à 262, Montbrison, 1999.

 

Communication de † Robert Périchon

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Edouard-Alfred MARTEL est né le 01 Juillet 1859, dans la région parisienne. Ses études furent essentiellement de Droit, mais le principal de sa carrière a été consacré à celles des grottes, des gouffres, cavernes et autres cavités ; il avait été impressionné, dès son enfance, par quelques visites de grottes pyrénéennes en compagnie de son père (1).
Au cours de son existence, E.-A. MARTEL parcourut de nombreuses régions d’Europe et du monde, souvent accompagné de son épouse, née Marie-Amélie-Françoise-Aline de LAUNAY (2). On lui doit, entre autres, de nombreuses découvertes, non seulement de lacs souterrains ; par exemple celui de la Cueva del Drac (Baléares), et également celles de nombreux gouffres ou cavités (l’Aven Armand), ainsi que de sérieuses études scientifiques portant sur l’hydrogéologie, élucidant nombre de phénomènes des mondes souterrains, dont certains éléments touchaient à l’hygiène publique, la contamination et la protection des sources, fustigeant la pratique de faire de certaines pertes de rivières, comme de la plupart des avens, des entrepôts de voirie. Dans un pays calcaire couvert de vignobles, dont nous tairons le nom, MARTEL indiquait aux habitants d’alentour le danger qu’il y avait à utiliser l’eau de certaines sources, il lui fut répondu que cela n’avait aucune importance car dans le pays on n’y buvait que du vin pur .

Edouard-Alfred Martel
1859 – 1938
d’après un dessin d’Henri Rudaux

Il explora, tantôt pour son plaisir, tantôt comme chargé de mission, les Causses, le Jura, la Savoie, le Dauphiné, les Pyrénées, la Bretagne et le Vercors. A l’étranger, le Péloponnèse, la Norvège, l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, les Baléares, le Caucase, la Turquie, ainsi que plusieurs sites des Etats-Unis. La plupart des missions étaient, cependant, financées par MARTEL lui-même, sauf quelques-unes, prises en charge par le Ministère de l’Agriculture.
MARTEL suscita nombre de vocations, les encouragea, les conseilla ; une partie de son temps était consacré à faire obtenir des subventions (rares déjà !) aux plus jeunes.
A sa mort, le 03 Juin 1938, la spéléologie, devenue science, était en plein essor. Il s’était retiré en Forez, au château de Saint Thomas la Garde (3) depuis 1922. En principe, c’est son épouse qui hérita de sa bibliothèque et de sa documentation. Il avait à peu près perdu la vue. Les Foréziens ignoraient le personnage et son œuvre. La société de la DIANA, que le monde souterrain ne préoccupait pas particulièrement, ignora également MARTEL, bien qu’il fut sociétaire depuis le 6 octobre 1922.
Les différents travaux de MARTEL furent l’occasion d’une abondante correspondance dont l’essentiel, semble-t-il, a été conservé.
Dans la liste de ses correspondants, nous n’avons relevé celui d’aucun membre de la DIANA. Dans l’ouvrage que nous évoquons ici, les lettres de E.-A. MARTEL ont été réunies, mais leur présentation plus ou moins bien organisée. Pour l’essentiel, elles portent sur un certain nombre de problèmes scientifiques relatifs aux grottes naturelles, à la circulation et à la qualité des eaux souterraines, auxquelles s’intéressait même le Ministre des Armées (p.238 ; lettre n° 384, en 1909).
L’origine de ces lettres est par conséquent variée, il est d’ailleurs possible qu’une partie de cette correspondance ait échappé aux auteurs. La famille de MARTEL a fourni un certain nombre de documents ainsi que celle de Norbert CASTERET. Différents Clubs Spéléologiques ont été mis également à contribution. Au total, 1580 documents épistolaires ont été réunis dont 1034 ont été retenus pour l’ouvrage La Plume et les Gouffres ; au final, ont été sélectionnés 425 documents manuscrits, écrits de la main même de MARTEL.
L’ouvrage La Plume et les Gouffres se divise en dix chapitres inégaux. Quelques-uns sont consacrés à la vie de MARTEL et les autres sont relatifs à sa correspondance. Une bibliographie a été établie ainsi qu’une table des lettres.
L’ensemble, même s’il comporte quelques maladresses et n’est pas le fait de professionnels, est cependant un excellent document évoquant les débuts et l’évolution de la spéléologie en France. Il constitue un outil de travail pour toute personne passionnée par cette recherche.
L’ouvrage n’est pas, non plus, sans évoquer les querelles des pionniers : on se souvient surtout de la méfiance des préhistoriens à l’encontre d’ E.-A. MARTEL, en raison de découvertes intempestives de céramiques mélangées à des vestiges paléolithiques. La découverte avait été effectuée sur le Causse Méjean, dans une grotte des Gorges de la Jonte (Nabrigas). Il s’est avéré plus tard que le mobilier découvert provenait de couches différentes mélangées alors par les fouilleurs ! (4).
Un autre intérêt de l’ouvrage est cette réunion importante de documents, retraçant les débuts de la spéléologie et montrant les difficultés ainsi que les erreurs et les réussites des premiers explorateurs.
On accusait MARTEL dont les idées et les raisonnements étaient souvent péremptoires, de bloquer l’évolution de la recherche en France tant ses disciples craignaient de contrer le « maître ». Il semble, cependant, avoir conservé avec presque tous, d’excellentes relations. De sévères querelles subsistaient cependant entre le fondateur de la Société Française de Spéléologie et l’un de ses présidents : Robert de JOLY. Rappelons celle concernant la plus grande stalactite de l’Aven Armand, dont les mesures effectuées par Robert de JOLY s’avérèrent différentes de celles effectuées par MARTEL, entre autres (5).
Cet ouvrage a plusieurs mérites, hormis celui de nous faire connaître plus en détail la vie de ce chercheur qui avait adopté notre région pour y terminer sa vie, ce travail nous fait pénétrer par le menu dans l’histoire d’une science : la spéléologie (6) ; il nous fait connaître également attitudes et comportements des chercheurs ou des savants, comme on disait à l’époque.
L’ouvrage est abondamment illustré.

Les personnes y ayant collaboré sont nombreuses. Nous pouvons citer :
– Claire et Louis RENOUARD (descendants des héritiers de Martel) – Daniel ANDRÉ – Sœur Marie CASTERET – Louis de LAUNAY (beau-frère de Martel) – Alain GAUTIER – Gérard KALLIATAKIS, ou encore le Professeur Bernard GESE (7).

La Plume et les Gouffres a été édité à l’occasion de l’année MARTEL (1997), conjointement par le Conseil Général de la LOZÈRE, le Conseil Régional de la région Languedoc-Roussillon, le Parc Régional des Cévennes et la Fédération Française de spéléologie et forme un fort volume de 607 pages.

MARTEL avait pris rang parmi les sociétaires de la DIANA en raison de sa notoriété et pour l’aura qui l’accompagnait. Il a fait don de la plupart de ses publications à notre bibliothèque, certaines sont devenues rares et précieuses.
Notons cependant que la géomorphologie du Forez ne lui permettait guère de poursuivre ses travaux et de faire évoluer ses connaissances, raison majeure pour laquelle il ne s’est jamais exprimé à la DIANA, ceci pouvant expliquer une certaine indifférence de nos collègues à son endroit (8).

NOTES

1 – Cf. Norbert CASTERET : E.-A. MARTEL, Gallimard, 1987, p. 17-21.

CASTERET raconte d’ailleurs l’anecdote suivante :  » Dans la grotte de GARGAS, le guide conduisant les touristes faisait généralement se terminer la visite à l’entrée d’un étroit boyau, permettant de passer d’une cavité à une autre. Les spéléologues, d’occasion, renonçaient généralement à se salir dans la boue de l’étroiture. On suppose que l’austère papa de MARTEL, qui à l’époque évoluait en jaquette et haut de forme, fit lui aussi demi-tour, emmenant Edouard-Alfred, probablement déçu, vers la sortie. C’est peut-être l’unique fois ou MARTEL fit demi-tour devant l’entrée d’une galerie souterraine ».

2 – Mme MARTEL suivait son mari dans ses voyages mais pas dans les explorations souterraines. Dans les différentes régions parcourues, elle s’intéressait aux coutumes et aux traditions ; elle achetait des poupées dont la collection a été offerte, par ses nièces, à la ville de MONTBRISON, constituant la base des séries présentées au Musée d’ALLARD.

3 – Commune proche de Montbrison.

4 – La grotte de Nabrigas se situe sur la commune de Meyrueis (Lozère), elle est surtout célèbre par les restes d’URSUS SPELEUS qui y furent découverts.

5 – La Plume et les Gouffres, p.601.

6 – La spéléologie n’est pas une science à part entière, elle fait appel à de multiples disciplines telles que la géologie ou l’hydrogéologie etc… Certains ont voulu en faire un sport avec records à l’appui, il ne semble pas que ce soit la meilleure démarche pour aborder le monde souterrain ! Beaucoup plus passionnant que les exploits sportifs, sont les études, par exemple, de toutes les croyances, superstitions se rattachant au monde souterrain. Cf, par exemple, Jacques BONNET, le livre des grottes le Hénaff, St-Etienne, 1980, 187 pages.

7 – La Plume et les Gouffres, p. 599, lettre du professeur Bernard GESE, auquel on doit quelques belles pages de littérature.

8 – Il me faut exprimer de vrais remerciements à M. Philippe Pouzols-Napoléon qui nous a communiqué de précieuses informations sur Martel et ses relations avec la Diana et à Christelle Pagne qui a effectué l’enregistrement de l’information et la mise en forme du texte.

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