BD, Tome LIX, Excursion du 2 septembre 2000, pages 281 à 298, La Diana, 2000.

 

BULLETIN DE LA DIANA

__________

EXCURSION DU 2 SEPTEMBRE 2000

RAVEL – GLAINE-MONTAIGUT – AULTERIBE – SAINT-DIER – LES MARTINANCHES.

Par Mme Claude Beaudinat

__________

Cette sortie, chez notre riche voisin le Puy-de-Dôme, eut un franc succès, quelques 150 personnes ont tenu à visiter cette partie livradoise du département. Le programme, très dense, était propre à intéresser les Dianistes, amateurs éclairés d’histoire, d’architecture civile, militaire ou religieuse, de symbolique romane, de mobilier français des XVIIe et XVIIIe siècles, d’héraldique, de jardins, voire même de céramique et de géologie.

Pour des raisons pratiques, les visiteurs ayant choisi le car commencèrent la journée par Glaine-Montaigut, alors que les autres se consacraient à Ravel. Cette heureuse décision de notre président évita toute attente.

Château de Ravel.

Le château, situé à 436m. d’altitude, domine la plaine de Limagne. De la terrasse du sobre jardin, la vue s’étend de Lezoux à droite jusqu’à Billom à gauche, deux petites villes aux mérites différents : Lezoux un des centres les plus importants de poteries sigillées gallo-romaines (avec la Graufesenque et Banassac) et Billom capitale française de la culture de l’ail, il s’y tient d’ailleurs une fois l’an une foire à l’ail qui auréole les rues médiévales d’un fumet fort apéritif et propre à chasser bien des maux, diaboliques ou non !

Lezoux mérite un détour pour son musée de la poterie gallo-romaine récemment rénové. C’est le Dr. Plique qui commença les fouilles dès 1879, Il découvrit plus de 160 fours d’artisans, environ 3000 noms de potiers différents inscrits sur près de 15000 estampilles. (1)

Le jardin à la française de Ravel, large de 60m., aurait été dessiné par Le Nôtre. Combien de fois avons-nous entendu cette affirmation, nuancée ou non ? Or on ne possède que peu d’écrits d’André Le Nôtre (1613 – 1700), quelques lettres et quelques dessins. On le connaît surtout grâce aux témoignages de Saint-Simon, de Mme de Sévigné et de Claude Desgots son neveu. Il fut maître-jardinier de la cour durant 30 ans et résidait au château des Tuileries. On connaît ses créations majeures – au nombre de 11 – mais on peut supposer qu’il a mis la main à de nombreux jardins et a envoyé des idées de plan. Il n’est pas le créateur des “jardins à la française” nés un quart de siècle avant lui. Ce sont ses apports qui ont fait sa gloire : allongement des perspectives, création des miroirs d’eau, art des légères dénivellations et effet téléobjectif rapprochant les lointains. Mais ce que l’on connaît le moins en général c’est Le Nôtre amateur d’oeuvres d’art (2) . Son immense collection est connue grâce à deux documents : la donation du 5 mai 1693 faite à Louis XIV et l’inventaire après décès du 24 décembre 1700.

_______________

1 – Congrès archéologique de France, LIIe session, Séances générales tenues à Montbrison en 1885, p. 283.

2 – Revue de L’objet d’art, N° 349, Juillet 2000.

_______________

Le château de Ravel, vaste quadrilatère irrégulier; est flanqué de six tours et d’un donjon. Au cours des siècles il fut remanié, agrandi, embelli tant de fois que l’on remarque très vite son manque d’unité de style. Trois grandes époques de construction se révèlent dominantes : le Moyen-âge (pour les murs et tours est), le XVIIe siècle (cour d’honneur) et le XVIIIe siècle (aile occidentale). Les premières mentions de la seigneurie de Ravel datent du XIIe siècle avec : en 1147 un Pierre de Revel, vers 1171 un Bernard de Revel, auxquels succèdent Hugues, Eldin Chaulet, Chatard.

Au début du XIIIe siècle, le roi de France se mêle des affaires d’Auvergne : en 1212 Philippe-Auguste intervient dans les démêlés qui opposent deux frères, le comte Gui II et l’évêque de Clermont, Robert. Le roi confisque les biens du comte et réunit ainsi le comté d’Auvergne au royaume pour un temps.

En 1283, Philippe III le Hardi achète Ravel à Chatard pour 1200 livres. En 1294, Philippe IV le Bel donne Ravel à son conseiller Pierre Flote.

Attardons nous un instant sur ce seigneur des lieux. Né sans doute en Languedoc dans la 2ème moitié du XIIIe siècle, il reçut une formation juridique à la célèbre université de Montpellier. Il fut homme de confiance du dauphin de Viennois Humbert et de sa famille. Dès le début du règne de Philippe IV, en 1285, on le voit à ses côtés. Il juge au Parlement de Toulouse en 1291. A partir de 1296, Pierre Flote organise la lutte avec la papauté afin que le roi s’affirme comme le maître du clergé français, comme le seul souverain en France. Il mène les négociations avec l’Angleterre, avec l’Empire, avec les Guelfes d’Italie. Il est le premier parmi les laïques à remplir les fonctions de garde du sceau, à partir de 1299, conséquence de ses compétences reconnues par le Roi. Le pape Boniface VIII porte un jugement sévère sur Pierre Flote, ce qui ne peut surprendre :

Il n’a rien fait, depuis qu’il est conseiller du roi, que de faire tomber le roi et le royaume de mal en pis dans leurs relations avec l’Eglise” (3). Ou encore : “ Pierre Flotte, ce bélial , borgne de corps, mais tout à fait aveugle d’esprit.” (4).

Il meurt en chevalier, au désastre de Courtrai en juillet 1302. Il eut un fils Guillaume Flote, qui fut garde des sceaux de 1339 à 1348. Ce Guillaume fonda le couvent des Augustins à Ennezat en 1352 (4).

Pierre Flote posséda donc Ravel de 1294 à 1302. Au regard de ses fonctions auprès du roi et surtout de la charge de garde du sceau – on a besoin du garde car on a besoin du sceau – on peut affirmer que le chancelier ne séjourna guère au château. On lui attribue cependant l’aménagement et la décoration de la salle des États Généraux de la noblesse d’Auvergne, nous y reviendrons.

Guillaume eut un fils, Pierre, surnommé Floton de Ravel, amiral de France. Ce dernier eut un fils Guillaume, ce qui contribua à induire en erreur François de Valois, auteur d’une histoire généalogique des chanceliers de France, qui crut qu’il s’agissait d’un seul et même Guillaume qui aurait donc vécu plus de cent ans. Ce Guillaume II – qui pour la petite histoire fit empoisonner son épouse, Marguerite de Beaumont, car elle “se gouvernait mal de son corps” ! – eut un fils Antoine, surnommé également Floton de Ravel, tué à la bataille de Rosebecque en 1382. Sa seule fille Jeanne, sans descendance, institua pour héritier, en 1431, André de Chauvigny.

Aux siècles suivants, par le fait des alliances, Ravel passa aux familles d’Amboise, de la Rochefoucauld, de Comboursier du Terrail.

En 1647, Marie de Comboursier du Terrail épouse son cousin Jean IV d’Estaing, fils de Jean III (qui eut 7 fils et 3 filles). La famille d’Estaing a son berceau à Estaing, en Rouergue, situé au confluent du Lot et de la Coussane. Par suite de mariages, d’héritages ou de donations « les branches de cette illustre famille s’étendront sur un grand nombre de fiefs et de châteaux, depuis Landorre au sud de Rodez jusqu’à Ravel aux portes de Clermont.» (5).

_______________

3 – Jean Favier, Philippe le Bel, Fayard 1978.

4 – Ad. Michel, L’ancienne Auvergne et le Velay, Imp. Desrosiers, 1846.

5 – Jean Anglade, Les grands heures de l’Auvergne, Perrin, 1977, page 128.

_______________

La famille d’Estaing va faire de Ravel une demeure d’agrément en élargissant et perçant des fenêtres, en créant la galerie sur la façade nord, en faisant exécuter des travaux de soutènement et en aménageant la “Chambre du Roy” et le bel escalier à balustres.

En 1729, naît au château Charles-Henri Théodat d’Estaing. Il fut baptisé à l’église du village le 26 novembre suivant, avec comme parrain et marraine deux pauvres nommés Jean Beline, et Anne Brunebarbe. On connaît la suite : il servit dans l’armée de terre au Régiment de Rouergue, puis aux Indes aux côtés de Lally-Tollendal. Blessé, il est fait prisonnier par les Anglais en 1758 qui le libèrent sur parole à condition qu’il ne les combatte plus.

En 1763, il est nommé Gouverneur des Iles-sous-le-vent. Son zèle pour tenter de réformer les conditions sociales et économiques de la population lui attire l’hostilité des potentats locaux. Il est rappelé en France. Il profite de ce séjour pour faire exécuter d’importants travaux à Ravel. Un descriptif de 1770 présente cette demeure comme “la plus somptueuse d’Auvergne”. On y signale des statues de marbre dans le parc, la galerie avec portraits et tableaux, vues de ports de mer et plans de villes à la plume. Une pièce est entourée de glaces de haut en bas de sorte que l’image du visiteur s’y reproduit onze fois (6).

_______________

6 – Jean Anglade, Les grands heures de l’Auvergne, Perrin, 1977, page 133.

_______________

En 1783, il est commandant en chef de l’escadre franco-espagnole de Cadix.

En 1785, il est nommé gouverneur général de la Touraine.

En 1789, il est commandant général de la garde nationale à Versailles.

En 1792 il est promu Amiral de France, titre confirmé en 1793.

Malgré son républicanisme, il fut guillotiné le 28 avril 1794, peut-être parce qu’il ne chargea pas Marie-Antoinette à son procès ?

Il avait épousé Marie du Rousselet de Château-Renault. Il est mort sans descendant. On montre, à Ravel, la fenêtre d’où son fils, tout jeune, bascula et se tua.

La marquise de Boysseulh hérita du château et le vendit en 1806 à Charles de Riberolles de Beaucène (1752-1827). Il y créa une manufacture de faïences, dans une région vouée à la céramique depuis la période gallo-romaine.

Le château appartient toujours aux membres de la famille de Riberolles.

Les dianistes ont particulièrement apprécié la visite des différentes salles, chacun y trouvant matière à satisfaire ses goûts dominants : mobilier, faïences, tableaux, tapisseries, tomettes régionales, voire même odeur balsamique persistante des feux de bois dans la salle à manger d’hiver.

Mais les plus enthousiastes furent certainement les amateurs d’héraldique, qui se sont attardés dans la salle des écussons et surtout dans la salle des États du XIIIe siècle, devant cette admirable frise héraldique, avec les armes de France, de Navarre, de Flote (fascé d’or et d’azur de 6 pièces), de Forez, etc.. et l’on a regretté que les médaillons de bois historiés ne soient plus en place au plafond… mais chacun espère les y admirer un jour prochain, car cette salle mérite hautement une prompte restauration.

Glaine-Montaigut

«Les églises d’Auvergne sont peut-être les plus romanes des églises romanes, car on y trouve le meilleur de l’esprit de l’art roman », lequel est fait de sagesse, d’équilibre et de spiritualité.

L’église de Glaine, si elle ne peut rivaliser avec la splendeur de Notre-Dame du Port où le génie de Saint-Austremoine (Issoire) reste un rare bijou d’une harmonie séduisante.

Quelques membres de la Diana ont déjà visité Glaine le 30 août 1986. Le lecteur trouvera le compte-rendu dans le Bulletin n° 1 du tome L, année 1987, rédigé par Jean Bruel.

La restauration, terminée en 1997, est une remarquable réussite qui donne une idée de la décoration primitive, toute de lumière et de spiritualité heureuse, car n’était-ce pas ce que l’homme devait trouver dans ces lieux ?

L’édifice attire déjà de l’extérieur : les modillons sont à remarquer par leurs plaisants visages et la sirène, dont nous reparlerons. L’homme entre par séduction non par tentation.

Les 34 chapiteaux méritent toute notre attention ; les sculptures sont mises en relief par la restauration récente : singes accroupis, feuilles d’acanthe, atlantes, centaures, homme portant un fardeau, oiseaux buvant au même calice, aigles et sirènes…

Certes l’art roman a un côté tératologique, mais quel était le but du sculpteur ? Les motifs cités ci-dessus ne sont pas des exceptions en Auvergne, on les retrouve dans de nombreuses églises et souvent dans des associations semblables de chapiteaux, ce qui conforte dans leur interprétation symbolique.

Dès 1848, l’abbé Crosnier a tenté de dresser une liste des attributs et des symboles de l’iconographie chrétienne (7). De nombreux auteurs se penchent encore sur ce problème et les controverses foisonnent au point qu’il devient difficile de se faire une opinion, de ne point se fourvoyer dans les différentes thèses élaborées. Il faut être fin observateur et ne point se laisser abuser. Mais ne sommes-nous pas trop éloignés de la mentalité médiévale ?
Ainsi la Sirène, si présente dans le roman auvergnat, en Velay et même en Forez (Cf. Champdieu), est-elle le symbole de la volupté, l’image du démon associé au sexe féminin (8) ? Ou est-elle un symbole aquatique signalant les courants d’eau sous le sanctuaire (9) ? Ne serait-elle pas plutôt la représentation des deux vies du chrétien : vie biologique et vie spirituelle (7) ?.. ou symbolise-t-elle la séduction de la parole, le risque de la connaissance qui fait l’homme l’égal des dieux (10) ?

Il semble difficile de trancher, l’exégèse peut conduire à oublier l’essentiel : quel message voulait transmettre le sculpteur au commun des chrétiens qui fréquentait l’église aux XIe et XIIe siècles ? Message facilement compréhensible, à coup sûr, pour un homme ne sachant ni lire ni écrire.

Notons que la sirène n’est jamais loin des chapiteaux à feuilles d’acanthe symbolisant l’espoir, le renouveau (11).

_______________

7 – Abbé Crosnier, « Des attributs et des symboles », Bulletin monumental, 1848, p. 308 à 339.

8 – Cassagnes Brouquet S, Les Anges et les démons, Ed. du Rouergue, 1993.

9 – Jacques Bonvin, Dictionnaire énergétique et symbolique de l’art roman, Ed. Mosaïque, 1996.

10 – P. Burger et A. Crémilleux; La sirène et le chapiteau roman-Velay, Ed. du Roure, 1997.

11 – Anne et Robert Blanc, Nouvelles clefs pour l’art roman, Ed. Deruy, 1987.

_______________

L’aigle semble poser moins de problème: les auteurs sont unanimes: il est symbole de puissance, c’est l’oiseau solaire, l’oiseau lumière.

Il est intéressant de voir à quelles sources ont puisé ces sculpteurs. On consultera à ce sujet les études de Denise Jalabert : en ce qui concerne la sirène dans le Bulletin Monumental de 1936 (pages 433 à 471) et pour l’aigle dans le Bulletin monumental de 1938 (pages 173 à 194), deux études très poussées sur l’origine et les évolutions de ces éléments du bestiaire roman.

Il apparaît évident à tous qu’il sera nécessaire de revenir pour une observation (ou une recherche) plus poussée de ces chapiteaux et de leur charge symbolique : deux oiseaux buvant au même calice (Eucharistie) ; homme portant le fardeau de son propre corps animal, lourd fardeau si l’on en juge par les traits grimaçants de son visage ; atlantes ou hommes soutenant l’église ; centaures chassant du sanctuaire les âmes dominées par les passions ; singes accroupis ; oiseaux sortant de la bouche (Vérité, Bonne parole).

Nous quittons Glaine la blonde après un dernier regard sur la Déisis (Dieu en majesté) du XIIe siècle d’après un thème byzantin et un tour extérieur du monument en songeant à ces paroles d’Emile Mâle « Il y a peu de choses plus parfaites dans l’art roman que ces chevets auvergnats » (12).

Le déjeuner – fort-apprécié – fut servi “Chez la mère Dépalle”, restaurant célèbre dans la région depuis plus de 50 ans et où tout “bitord” (thiernois) qui se respecte a dû aller déjeuner et danser au moins une fois dans sa vie. D’aucuns se sont réjouis de ne point y déguster ces puissantes spécialités du pays coutelier (soupe aux choux, moulet, rapoutet, millard, pompes, pompelettes ou canquelins…) car la sieste eut été nécessaire, or trois visites restaient à faire !

Aulteribe

Contrairement à Ravel, l’histoire du château d’Aulteribe (Alta ripa) ne comporte pas d’événements majeurs. Il n’a pas eu de visites illustres, de séjours de rois, de sièges héroïques, de possesseurs de célébrité insigne.

Les premiers seigneurs connus sont les d’Harcourt, puis les Chaulet (Archives antérieures à 1450) (13).

C’est à cette famille que l’on doit l’essentiel de la construction : plan triangulaire, cour étroite, tours circulaires couvertes de tuiles, tours carrées aux angles de la façade. C’est une maison forte avec éléments de gothique flamboyant (arc, fenêtres en accolades).

En 1472, Nicolas Chaulet, chambellan de Charles VII, marie sa fille Catherine à Charles de La Fayette, (fils de Gilbert III), maréchal de France, seigneur de Pontgibaud, conseiller chambellan de Charles VII puis de Louis XI.
Sous François 1er, la terre passe aux Montboissier-Beaufort-Canillac. Ils la gardent environ deux siècles et aménagent la demeure en ouvrant des fenêtres à gros bossages de style Louis XIII ( visibles sur la galerie intérieure).

En 1775, les Montboissier n’ayant pas de descendant mâle, c’est une fille, Antoinette qui transmet le domaine au marquis Jacques de Pierre de Bernis, issu d’une vieille famille languedocienne. Il ne paraît pas avoir résidé régulièrement à Aulteribe, l’entretien du bâtiment laisse à désirer.

La Révolution éclate. Jacques de Pierre est emprisonné à 80 ans. Son fils aîné, Charles, vicaire à Saint-Sulpice à Paris, réussira à se cacher durant toute la Terreur. Le second Joseph-Balthazar, chevalier de Malte, émigrera.

Le 13 février 1794, le Directoire révolutionnaire du district de Thiers ordonne à la municipalité de Sermentizon de démolir les tours du château, qui est mis sous séquestre.

Sous l’Empire, Joseph Balthazar de Pierre revient en France et rentre en possession du château familial. Il le fait réparer et fait élever, à l’angle sud-ouest, un pavillon carré sans souci d’esthétique.

En 1825, son fils Joseph épouse Henriette Onslow. Cette dernière était la fille de Georges Onslow (1784-1853) issu d’une famille de lords britanniques dont un fils, Edward, émigra en Auvergne en 1781 pour des raisons mal connues ( et épousa Marie de Bourdeilles dont il eut Georges ci-dessus nommé).

Georges Onslow fut un compositeur de talent. Il fut ami de Mendelsshon, de Schumann, de Berlioz. En 1842, il succéda à Chérubini à l’Académie des Beaux-Arts. Déçu par ses échecs dans le domaine lyrique de l’opéra, il a laissé une oeuvre de musique de chambre importante qui mériterait d’être mieux connue (14) . Il a composé 34 quintettes, 36 quatuors à cordes, des trios, des sonates. Il donna trois oeuvres au théâtre : “ L’Alcade de Vega”, “Le Colporteur”, et “le Duc de Guise”.

_______________

14 – Ibidem.

_______________

La mère d’Henriette Onslow était Delphine de Fontanges qui comptait dans sa famille une ancêtre célèbre : Marie Angélique de Scorrailles, duchesse de Fontanges, née au château de Cropière en 1661 et décédée à Port-Royal, le 28 juin 1681. Elle était d’une surprenante beauté et fut favorite de Louis XIV. Elle mit à la mode la coiffure “à la fontange”, qui dura jusqu’en 1713. François de Choisy disait d’elle, dans ses Mémoires : « Elle était belle comme un ange, et sotte comme un panier ». Mme de Sévigné écrira : « La belle Fontanges est morte blessée au service du roi ». On prétendit, à l’époque, qu’elle fut empoisonnée par Mme de Montespan. Or, il semblerait, qu’elle mourut des suites infectieuses de ses couches (son fils ne vécut pas).

Le marquis Joseph de Pierre appréciait, certes, les soirées musicales réunissant les amis de la meilleure société autour de Georges Onslow, à Aulteribe, mais il préférait l’agriculture et la politique, en gentilhomme moderne soucieux de progrès. Il fit défricher 400 hectares de bruyères et de bois afin d’obtenir des terres arables productives et des pâturages. Il se fit élire député du Puy-de-Dôme le 29 février 1852.

A Aulteribe, qu’il jugeait trop austère et sévère, il préférait le château de la Gagère (situé au bord de la D 223, entre les Bournoux et Lezoux) plus ensoleillé et confortable.

Il finit par vendre Aulteribe à sa belle-soeur, Mme Arthur Onslow. La mode est au néo-gothique, on réinvente “un Moyen-âge idéal” sous l’impulsion d’E. Viollet-le-Duc et les rêveries de Walter Scott.

Mme A. Onslow va faire exécuter de nombreux travaux : fausses échauguettes sur le pignon, fossés devant la façade, escalier monumental…, elle va acquérir, durant toute sa vie, pour le château et pour son hôtel particulier de Paris, meubles gothiques et de haute époque, commodes, sièges des meilleurs ébénistes du XVIIIe siècle, tableaux, tapisseries, objets d’art…

Pour éviter la dispersion de tant de trésors accumulés avec passion, elle lègue Aulteribe à un homme sûr, en qui elle a toute confiance : son petit neveu Henri de Pierre. Celui-ci, grand cavalier, fut directeur général des Haras. « Il était l’incarnation du parfait gentilhomme.. il ouvrait sa demeure à tous » (15).

_______________

15 – Ibidem.

_______________

Sa préoccupation essentielle fut d’assurer l’avenir du château et de ses collections, le maintien et la conservation de ce patrimoine familial qu’il avait reçu en héritage.

Le 30 mars 1949, le château est classé monument historique.

Le 10 octobre 1953, plus de 600 objets et oeuvres d’art sont classés après l’inventaire dressé par M. François Enaud, inspecteur principal des monuments historiques.

Le marquis Henri de Pierre décède en octobre 1954. Par testament, il léguait château, terres et collections à la Caisse Nationale des Monuments historiques et des Sites.

N’oublions pas son épouse, issue d’une famille de l’aristocratie belge : les Smet de Nayer, dont la bonté légendaire fit le bonheur des déshérités à quatre pattes : chiens perdus, chats abandonnés, oiseaux, voire mêmes ânes… Tous les amis des animaux de la région se souviennent d’elle avec émotion et reconnaissance.

Le legs fut accepté par décision du conseil d’administration de la Caisse Nationale des Monuments Historiques en juillet 1956, acceptation confirmée par décret du Conseil d’Etat en janvier 1960.

Sous la direction de M. Fr. Enaud, des tranches de travaux judicieux, respectant les strictes volontés du donateur, furent entrepris.

La visite de ce véritable musée du meuble français (époque Louis XIII à Louis XVI) débute par la salle à manger à dominante vert mousse en harmonie avec les imberlines des sièges rayées de rouge, blanc et vert, dont le mobilier est Louis XIII. Le grand salon a un caractère solennel et majestueux accentué par le cramoisi des tentures et des rideaux. Le regard y est attiré par le piano à queue de Georges Onslow (doué d’une virtuosité éblouissante). Suit le petit salon bleu à l’intimité charmante, servant aussi de bibliothèque et de salon de jeu.

La grande chambre d’été est tendue d’une perse à vastes ramages, où s’ébattent des échassiers, donnant à l’ensemble une atmosphère d’une charmante gaieté. Nous pénétrons ensuite dans la longue galerie qui ouvre sur la cour, son éclairement médiocre fut amélioré par M. Douzet, architecte en chef des Monuments Historiques, qui redessina les fenêtres. Parmi les nombreux tableaux nous distinguons le portrait de M.-A. de Fontanges citée plus haut.

Nous visitons ensuite les chambres de l’aile orientale aménagées en 1972 et 1973, chambre rouge, chambre tendue de toile de Jouy au mobilier Louis XVI et ancienne chambre de Mme Onslow tendue de damas jaune assorti à la garniture des sièges Régence.

Nous avons été charmés par les meubles estampillés des plus grands maîtres du XVIIIe siècle : Jean Nicolas Blanchard (reçu maître en 1771), Boudin, Fromageot, Canabas (de son vrai nom Joseph Gegenbach, reçu maître en 1766), Georges Jacob ( reçu maître en 1765), Pierre II Migeon (qui fut parmi les premiers à utiliser l’acajou massif en France, avec son père Pierre), Nicolas Petit (1732-1791), etc.

L’estampille des meubles devint obligatoire en 1741. Son but essentiel était de protéger les artisans français de la concurrence étrangère. Les ébénistes étaient organisés en corporation. Une jurande, composée d’un président et de six jurés élus pour deux ans parmi les maîtres ébénistes, passe quatre fois par an dans les ateliers parisiens regroupés faubourg Saint-Antoine. Elle s’assure que les artisans exercent leur métier dans les règles de l’art. Lorsque le meuble est jugé de qualité, la jurande autorise d’apposer la marque JME (Jurés Menuisiers Ébénistes) et reçoit 6 sols.

L’estampille est posée au fer chaud : initiale du prénom et nom de l’ébéniste séparés par une fleur de lys ou un point (16).

_______________

16 – Francine Thieffry de Witte, Le mobilier des châteaux de la Renaissance à l’Empire, Ed. Ouest-France, 1999.

_______________

Par décret du 13 février 1791, les maîtrises, jurandes et corporations sont supprimées. L’estampille n’est plus appliquée sauf à de rares exceptions dont l’atelier Jacob, mais la marque JME ne figure plus. L’édit de Turgot du 5 février 1776, marqua le début de cette évolution qui aboutit finalement à l’institution de la patente par la loi du 17 mars 1791. La production n’était plus soumise qu’à deux règles : paiement de la patente et libre concurrence. On imagine les conséquences sur la qualité des meubles produits.

Après un dernier regard sur le parc d’Aulteribe et ses pelouses, où des myriades de cyclamens d’Europe mettaient une touche de porcelaine rose, nous nous dirigeons vers Saint-Dier-d’Auvergne, région éminemment riche en minéraux variés (améthyste, opale, agathe, olivine etc..)

Saint-Dier-d’Auvergne

L’extrême foisonnement de richesses à visiter durant cette journée fit que notre passage à Saint-Dier fut trop bref pour en apprécier tous les intérêts. Il faudra y revenir.

Le prieuré bénédictin dépendait de la Chaise-Dieu. L’église fortifiée du XIIe siècle est en granit. La façade ouest est soutenue par des contreforts, on y remarque les arcatures romanes où alternent granits bleutés et latérites rouges du bassin de Saint-Dier.

La hauteur de l’édifice surprend (après les dimensions modestes de Glaine). La voûte romane est à doubleaux et on note l’absence de coupole.

Ce sont les chapiteaux qui retiennent toute notre attention : là encore nous retrouvons les sirènes non loin des feuilles d’acanthe. Leur visage sévère nous étonne : où est la séduction ? (comme à Glaine ou à Champdieu). Cela va-t-il remettre en question nos notions sur la symbolique ?

Les visages sereins des atlantes nous rassurent : l’église a de bons soutiens.

Il serait extrêmement intéressant de faire l’étude comparative du style des sculptures de Glaine et de Saint-Dier. Nous laisserons ce soin à des spécialistes.

Le temps coule trop vite, les Martinanches nous attend.

Les Martinanches

Le soleil déclinant commençait à sertir des héliodores dans l’eau des douves et à cuivrer les vieilles tours, lorsque nous abordâmes le château des Martinanches.

Sur l’emplacement d’une abbaye et d’une forteresse, dont seules demeurent une tour du XIe siècle et une salle capitulaire du XIIe, Antoine de Martinanches a fait construire ce bâtiment à deux étages au XVIe siècle.

La famille de Riberolles posséda le château. Parmi les membres de cette lignée, on peut citer Barthélemy de Riberolles qui aurait eu 23 enfants. Joseph-Just (1715-1786) fut écuyer et eut 9 enfants. Gilbert (1749-1828) papetier à Thiers, bien qu’inscrit sur les listes de la noblesse, fut élu député aux États généraux par le Tiers-Etat. Après la séparation de l’Assemblée Nationale, il fut maire de Thiers, puis incarcéré comme suspect jusqu’au 9 thermidor.

Charles de Riberolles (1752-1827) acheta Ravel en 1806.

La visite commença par les vastes caves où furent entreposées les armes destinées aux châteaux-forts environnants.

La salle capitulaire du XIIIe siècle, entièrement voûtée, possède une vaste cheminée assez remarquable par son arc en anse de panier surbaissée et par ses landiers monumentaux qui ne semblent pas adaptés à l’âtre. Nous l’avons connue dans une harmonie de rouge autrefois, sa dominante bleue actuelle donne une ambiance moins solennelle, plus intimiste.

Nous avons admiré les porcelaines de la compagnie des Indes, les souvenirs d’Alexandre de Riberolles, président de la Cour des Comptes, grand chancelier de la légion d’honneur, les papiers peints à la planche datant du début du XIXe siècle, (notamment celui où des grappes mauves de glycine et des échassiers clairs se détachent sur un fond noir), les meubles, sans oublier les nombreux bouquets de fleurs fraîches du jardin disposés dans toutes les pièces, témoins attendrissants de l’ambiance feutrée d’une demeure habitée et chaleureuse.

Ont participé à cette excursion :

Mme Martine Altot, Mme Yvonne André, M. Gérard Aventurier, M. et Mme Gabriel Balaÿ, M. Fernand Barrot, M. et Mme Alain Béal, M. et Mme Hervé Béal, Mlle Marie Béal, Mme Claude Beaudinat, M. et Mme Christian Bernard, M. et Mme Pierre Bernard, M. Yves Bernard, M. et Mme Jean Berthéas, Mlle Aude Berthet, M. Jean-René Berthet, Dr. et Mme Michel Bertholon, M. Donat-Bollet, Mme Eveline Bon, Mme Monica Bonfort, Mme Marie-Christine Bruel, Mmes Anne, Bernadette, Madeleine Carcel, Mme Jeanne Carcel-Pousset, Mme Joëlle Chalancon, Mme Rolande Charlat, Mme Marie Chartre, MM. Marc et Maurice Chaslot, M. et Mme Roger Chazal, M. Joël Chazal, Mme Sabine Cheramy, M. et Mme Claude Cherrier, Mme Marguerite Chovet, M. Guy David de Beublain, M. Jacques David de Beublain, M. J. David de Beublain, Mlle Michelle de Bruignac, Mme Bertrand de Charpin-Feugerolles, Mme Yvette Debard, Dr. et Mme Yves Delomier, M. et Mme Auguste Demulsant, Mme Chantal Descours, M. Michel Desseignés, Mme Gabrielle Dubanchet, M. et Mme Dominique Dullin, M. et Mme René Dupuis, M. et Mme Dominique Eloy, Mme Thérèse Eyraud, M. et Mme Maurice Fallet, M. et Mme Pierre-Gilles Favier, M. Roger Fayard, M. Dominique Forissier, Mme Renée Frécon, M. Noël Gardon, Mme Maryse Giraud, Mme Marie Gréco, M. et Mme Bernard Grosgeorge, Mme Christiane Guichard, M. Jean Guillaume, M. et Mme Jean Guillot, M. et Mme Jean-Pierre Gutton, M. Jean-Paul Lafond, M. Henri Lambert, M. et Mme Claude Le Connétable, Mme Paulette Lefebvre, M. et Mme Victor Lehaodey, M. Edouard Lejeune, M. et Mme Roger Lienard, M. et Mme Henri Linossier, M. et Mme Paul Mansat, M. et Mme Bernard Marion, Mme Josette Martin, M. et Mme Maurice de Meaux, M. Cyprien Meynard, M. Joseph Monier, Mme Bernadette Monier, Mme Jeanne Morvan, Mme Marie-Rose Moulin, M. et Mme Jacques Neyrand, M. et Mme Paul Ollier, Mme d’Origny, Mme Bernard Palluat de Besset, M. André Passot, M. et Mme Antoine Paul, Mlle Anne-Philippe Paul, Mlle Madeleine Pegon, M. et Mme Robert Perret M. et Mme Claude Pionnier, M. et Mme Pierre Pouzeratte, M. et Mme René Pralas, M. et Mme Xavier Di Falco, M. et Mme Yves de Reals, M. et Mme Serge Romagny, M. Marc Romestaing, M. et Mme Bernard Sabatier, M. Jérôme Sagnard, M. et Mme Denis Simonin, M. Pierre Troton, Mme François d’Ussel, M. et Mme Robert Van Wolleghem, M. et Mme Camille Verchery, M. et Mme Yvon Villemagne, Mme Hélène Villié, Mlle Marie-Claude Vincent, Mme Marie-France Vo, M. et Mme Lucien Thivolet.

X