BD, Tome LIX, Le camouflage du matériel militaire dans la Loire 1940-1944 ou l’épopée des anciens de la Diana, pages 207 à 252, La Diana, 2000.

 

Le CAMOUFLAGE du MATERIEL MILITAIRE

dans la Loire

1940-1944

ou

L’EPOPEE des ANCIENS de la DIANA

Communication de M. Ph.de Loisy

__________

Ce n’est pas sans émotion que je m’adresse à vous aujourd’hui, car je prends ainsi la succession de mon arrière- grand-père Maurice de Boissieu qui a fait de nombreuses communications à votre association avant d’en devenir le président de 1919 à 1928.

Et cette émotion est plus forte encore car elle me permet d’évoquer l’action de nombreux membres de la Diana, et non des moindres, qui n’ont pas hésité à faire leur devoir dans les circonstances difficiles de la dernière guerre, et n’ont eu pour toute gratification que la satisfaction du devoir accompli. Mais il ne faut pas oublier tous ceux qui dans les administrations, les industries et les usines d’armement de la Loire ont contribué à fabriquer et à cacher du matériel interdit.

Prologue

Le 10 mai 1940, le capitaine de Loisy du 3e bureau (opérations) est de permanence à l’état-major de la IVe Armée du général Requin.

A 6h du matin le téléphone sonne, l’attaque allemande lui est annoncée, aussitôt il réveille le chef d’état-major lui demandant s’il faut réveiller le général, celui-ci lui dit d’attendre confirmation…

La IVe Armée reflua et le capitaine de Loisy fut chargé de défendre les ponts de la Charité-sur-Loire.

La seule unité cohérente de la IVe Armée fut la 14e D.I. du général de Lattre qui, après avoir glorieusement combattu sur l’Aisne, avait reconstitué ses effectifs au cours de la retraite en incorporant des unités décimées ou à l’abandon (il ne faut pas oublier que les seules transmissions disponibles en 1940 étaient le téléphone de campagne et l’estafette, très insuffisants pour la guerre de mouvement).

Le 22 juin 1940 l’armistice est signée à Rethondes. La France est accablée par sa défaite.

Le 30 juin l’état-major de la IVe Armée devint état-major de la 13e Région militaire (Clermont-Ferrand). Parmi les officiers le capitaine Perny était au 4e Bureau (matériel).

Ainsi allait naître le CDM (Camouflage du Matériel) de la 13e région qui deviendra R6 dans la Résistance dont dépendait le département de la Loire.

Dès la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, l’armée a réquisitionné pour la mobilisation du matériel civil : camions, voitures, camionnettes, motos, side-cars, mais aussi des chevaux de selle et de trait avec leur harnachement et leur équipement pour servir à l’artillerie hippomobile. Une partie de ce matériel a été payé aux civils, il est donc devenu propriété de l’armée, quant à l’autre partie l’armée n’en est devenue que l’usufruitière.

Par ailleurs des missions d’achat ont été envoyées à l’étranger, en Italie pour des camions (l’Italie n’entrera en guerre que le 19 mai 1940), et aux Etats-Unis pour l’achat de camions et d’armement : avions, canons… La mission américaine sera dirigée par Jean Monnet avec le capitaine René de Chambrun descendant de Lafayette et gendre de Pierre Laval. On se souvient que le général de Gaulle, sous-secrétaire d’état à la Guerre, décida le 17 juin 1940 de dérouter sur l’Angleterre un cargo chargé de canons antiaériens américains. Le lendemain, 18 juin, il devait prononcer son fameux appel à la BBC.

La convention d’armistice sera mise au point début juillet avec la réunion de la commission d’armistice franco-allemande à Wiesbaden (comme en 1919). Elle stipule dans son article 2 : Les armes, munitions et matériels de guerre de toutes espèces restant en territoire non occupé, dans la mesure ou ceux-ci n’auraient pas été laissées à la disposition du gouvernement français pour l’armement des unités autorisées devront être entreposées ou mis en sécurité sous contrôle allemand et italien.

Ainsi va naître la première Résistance avec ses quatre phases successives, dans lesquelles le département de la Loire jouera un rôle non négligeable :

Le Camouflage, La Structuration, Le Sauvetage, La Mise à Disposition.

Le Camouflage

Le camouflage du matériel naquit de 2 initiatives :

– celle de l’état-major,

– celle du commandant Mollard et des officiers du matériel.

Le 29 juin 1940, soit 7 jours après l’armistice, le général Colson secrétaire d’état à la guerre (adjoint terre du général Weygand) prescrit à toutes les régions militaires de récupérer le matériel militaire abandonné et de le regrouper dans des dépôts créés à cet effet où il sera inventorié et gardé ; cette instruction concerne :

– les armes et munitions,

– les véhicules automobiles, les chevaux,

– les matériels d’artillerie (optique,topographie),

– l’habillement,

– le matériel de génie,

– le matériel de santé.

En corollaire à cette note officielle, suite à une discussion le 30 juin entre les généraux Weygand, Grandsard, de Lattre et M. Rivaud sur le cours Sablon à Clermont-Ferrand, le général Colson convoque, les généraux commandants de régions. Le 2 juillet, il leur remet une note manuscrite confidentielle, leur demandant de camoufler le maximum de matériel militaire, donc de le sortir des parcs et de le soustraire aux commissions d’armistice. De la même façon le général Weygand demande (ordre verbal) de ne pas rentrer dans les parcs les canons de 47 antichars et les canons de 25 antiaériens (et pour cause, ils n’ont pas d’équivalent).

Cette note est le premier et le seul ordre de résistance officiel de Vichy. C’est un peu la réponse à l’appel du 18 juin.

Un responsable est nommé pour s’occuper de cette activité, le commandant Mollard. Ancien officier de cavalerie, il est passé dans le matériel. Mollard et un certain nombre d’officiers et de sous-officiers du matériel et d’autres armes, n’avaient pas attendu l’ordre supérieur pour mettre à l’abri des matériels de tous ordres qui traînaient sur les routes : chars, canons, véhicules, roulantes… Certains membres des services spéciaux n’hésitèrent pas à aller en territoire occupé, fin juin, avant la mise en place de la ligne de démarcation, récupérer du matériel militaire dans les parcs (avant guerre, le service du matériel n’existait pas, c’était une dépendance de l’artillerie, et le matériel était stocké dans les parcs d’artillerie).

Le commandant Mollard est responsable du CDM métropolitain (que l’on appellera au départ conservation du matériel avant que le nom définitif devienne Camouflage du Matériel). Le CDM Afrique du Nord est autonome. Mollard fera par la suite plusieurs missions en Afrique du Nord pour comparer les méthodes et les résultats. Tous deux dépendent de L’EMA (Etat-Major de l’Armée) 1er Bureau B1 (chancellerie) colonel Humbert, sous-chef colonel Henri Zeller.

Mollard est chef du bureau matériel, il a pour assistant le commandant Chapuis et le lieutenant Arnaud, du train. Parallèlement à cette création du CDM, le général Colson créa le 25 août 1940 un corps civil du service du matériel sous la direction du général de la Bretoigne du Mazel. Le service du matériel n’était pas prévu dans la composition de l’armée d’armistice, il sera donc « civilisé ».

Le général Colson fera partir pour l’Afrique du Nord et l’Afrique Noire, fin juin début juillet 40, le maximum de matériel (chars, artillerie…). On se souvient des escadrons de chars Somua du 12 Chasseurs d’Afrique qui partiront pour Dakar. Le mot d’ordre à l’époque est Nous sommes dans la situation de la Prusse après Iéna, il faut tout faire pour reprendre le combat un jour, car la guerre sera longue.

L’EMA espère former une armée de métier motorisée comme celle qu’avait préconisée le colonel de Gaulle dans son livre  » Vers l’armée de métier « . Et là il faudra déchanter dès juillet 1940.

La France aura droit à une armée de transition, (Ubergangsherr) destinée au maintien de l’ordre sur le modèle de la Reichswehr de 1919. Les Allemands sont décidés à faire ravaler à la France le Diktat de Versailles.

L’armistice laissait à la France une armée métropolitaine de métier de 100.000 h (chiffre jamais atteint, car les engagés préféraient voir du pays et partir en Afrique du Nord), aucun char, un nombre limité d’automitrailleuses, 64 soit 8 par régiment, aucune artillerie lourde, seul le canon de 75 modèle 97 était accepté avec traction hippomobile, ni arme antichar, ni mitrailleuse lourde…

Le commandement

En juillet 40 c’est sans doute le colonel Isenhart qui commande le district de la Loire. Il applique la note officielle de regroupement du matériel en créant différents dépôts :

– celui de St-Etienne avec du matériel divers (dissous en septembre 40),

– celui de Montrond-les-Bains pour le matériel roulant (dissous en Avril 41),

– celui de Mably pour les canons,

– celui de Roanne pour les chars, il comprend 1 hangar et 3 halles (dissous en 41).

Chaque dépôt est composé d’un officier de l’Artillerie, du Train, du Génie, des services de l’Intendance et de la Santé. En plus du personnel de manutention et de gardiennage, on peut supposer qu’il y en eut un à St-Chamond, mais il n’en a pas été retrouvé trace, sa durée a dù être très brève.

Il ne faut pas oublier que le département de la Loire est un département stratégique, il existe en effet un arsenal à Roanne où l’on fabriquait des obus avant guerre. Il a été en partie évacué fin juin 40, mais les Allemands ont réussi à emmener une partie des machines, des moteurs électriques et des ceintures de cuivre pour obus. Ceci prouve que les Allemands savaient très bien où ils allaient et que la 5e colonne n’était pas une invention de militaires en mal de sensations.

Il y avait également dans la Loire la manufacture d’armes de St-Etienne, la MAS, qui fabriquait le dernier né des fusils français, le MAS 36, ainsi que la mitrailleuse lourde modèle 35 calibre 13,5, le fusil mitrailleur 24-29 très précis, rustique mais fragile à l’oeilleton et aux lèvres du chargeur. II ne faut pas oublier le pistolet mitrailleur MAS 38, à crosse en bois, qui a donné de bons résultats pour les quelques troupes qui en étaient équipées en 40, mais dont le calibre 7,65 se révélera insuffisant. Pour donner une idée de la production, la MAS sortait 25.000 pièces par mois en 40.

Il n’y a pas de parcs d’artillerie, dans la Loire, ceux-ci sont à Clermont et à Lyon.

En dehors des établissements de l’état trois établissements sont importants :

– les Ateliers foréziens à St-Etienne,

– les Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt à St-Chamond, qui fabriquaient le meilleur char de l’époque, le B1 bis,

– les Forges du Lignon à Boën, trois établissements qui travaillent directement pour l’armée.

Au moment de l’armistice ces établissements disposent de matériels finis sortis des chaînes de fabrication, qui n’ont pas encore été livrés aux parcs d’artillerie, et de matériels partiellement finis faute de pièces fabriquées dans d’autres établissements et non encore livrées. Il s’agit donc d’une tâche considérable pour :

– inventorier ce matériel,

– le sortir des usines,

– le cacher dans un endroit sûr.

Au début tout le monde se met à la tâche, la priorité est donnée à la sortie des matériels des entrepôts (on les déplace pour les regrouper et ils n’arriveront jamais à destination), ou encore mieux, ils n’entrent pas dans les dépôts. Pour la sécurité du stockage, on verra plus tard. C’est ainsi que dès sa nomination officielle le 6 juillet 1940 au commandement du département de la Loire, le capitaine de Loisy se met en chasse. Issu par sa mère (Boissieu) et sa grand-mère (Thiollière de l’Isle) de vieilles familles foréziennes, il a ses entrées partout. Et ce même 6 juillet 1940, avec le général Bouchery son voisin à Cuzieu, il rencontre à Feurs, Georges Guichard, Marguerite Gonon et le comte Guy de Neufbourg, tous membres de la Diana et auteurs du recueil des Chartes du Forez.

Le capitaine de Loisy pose la question essentielle :

«  Y-a-t-il des Foréziens susceptibles de cacher des armes? « 

Georges Guichard propose son neveu Paul qui a à la Celle St Martin près de Cleppé, Chambéon et Poncins une usine désaffectée, donc de grands bâtiments vides. Il n’y cachera pas moins de 16 autochenilles comme on disait à l’époque, (photo 1). Elles servaient aussi bien au transport de troupes motorisées que de tracteur d’artillerie des divisions légères mécaniques et des divisions cuirassées qui ont été formées en 1940. La livraison aura lieu en août 1940.

Le comte Guy de Neufbourg reçoit, le 12 juillet, 800.000 cartouches pour mitrailleuse lourde de 13,5, soit 60 tonnes qu’il cache dans une ferme désaffectée à Biterne sur la commune d’Arthun. De même le comte de Poncins cachera dans les dépendances (aujourd’hui détruites) du château du Palais à Feurs des automitrailleuses (sont-ce bien des automitrailleuses ou des autochenilles ? personne n’a pu le préciser). Surtout dès le mois d’août 1940, le maximum de chevaux et de matériel hippique est distribué dans les fermes, à charge pour elles de nourrir les chevaux, d’entretenir le matériel et de le rétrocéder à la demande.

Le capitaine de Loisy n’est pas le dernier à donner l’exemple, c’est ainsi qu’il cache 15 fusils-mitrailleurs 24/29 en caisses dans le grenier du garage et dans la cave de la métairie du château de la Doue à St-Galmier (aujourd’hui La rose des vents) C’est la résidence de sa mère et c’est là qu’il s’est installé avec ses 5 enfants dès sa nomination.

A St-Vincent-de-Boisset, près de Roanne, quelques 300 fusils Lebels sont aperçus dans la cour d’une ferme, ils y restèrent quelques jours avant d’être transférés ailleurs.

Les unités militaires

Elles ne furent pas en reste, dès son arrivée à St-Etienne, vers le 20 juillet 1940, le 5e R.I. (Navarre sans peur) s’installe à la caserne Grouchy. Le colonel de Foville qui le commande prend les choses en main. Il commence par compléter l’armement de son unité en allant dans les entrepôts enlever le matériel nécessaire, il en prend même en surnombre parce qu’on le lui demande sans doute. Et il le garde en stock. II touchera des fusils MAS 36, puisque la MAS les a enfin fabriqués et qu’ils équiperont toute l’armée d’armistice. A-t-il reversé ses Lebels ?

A Roanne, le 9e Bataillon du Génie du commandant Legrand n’est apparemment pas encore en place à la caserne Combe à ce moment là . Ce n’est que le 20 août que l’articulation et la localisation des unités de l’armée d’armistice sont arrêtées. Néanmoins les unités de la place de Roanne se livrent à la même opération.

Il y eut un chassé croisé permanent d’armement entre les dépôts d’une part, les dépôts et les unités d’autre part, ce qui facilita d’autant la sortie des matériels.

Position allemande

Au départ les Allemands ont une position simple, il s’agit :

– d’ inventorier le matériel interdit par la convention d’armistice,

– de neutraliser le matériel en surnombre,

– et surtout d’empêcher le réarmement français.

Pour ce faire ils vont créer une commission de contrôle dirigée par général Vogl avec siège à Bourges. Il a sous ses ordres 3 sous commissions

N°1
N°2
N°3
Clermont
Lyon
Toulouse
Lt Col Danzl
Major von Hardt
Col von Brandenstein
coté français
 
 
Cdt Lo
Ingénieur Burnichon
Capitaine Michon

Il est bien entendu que les Allemands :

– doivent être accompagnés par leur homologues français, ce qui donnera lieu à des manifestations d’hostilité en zone libre,

– doivent passer par la voie hiérarchique pour faire leurs observations au commandant du dépôt, qui lui-même rend compte à l’officier qui dirige la région.

– Et surtout toute visite doit être annoncée 48 h à l’avance…

Bref, tout est mis en oeuvre pour créer le maximum de freins administratifs et faciliter le travail de camouflage du matériel.

Les Allemands enragent, ils trouvent les français pas korrekts, ils ont perdu la guerre, ils ont signé un armistice, ils n’ont qu’à l’appliquer. C’est logique, c’est simple, mais les français cherchent à finasser et pour s’excuser, parlent de malentendus…

Les premières visites de dépôts ont lieu le 10 août 1940

Le responsable de la Loire est :

Capitaine Thalmann à Roanne-Commandant Jeannaud coté français

adjoint M. Eckart Capitaine Radel Capitaine Reibell Lieutenant Engel

Déjà une large partie des matériels n’est pas rentrée dans les dépôts ou y a juste transité, les fusils Lebels de St-Vincent-de-Boisset en sont un exemple. Dès les premières visites, les divergences s’étalent : les Allemands voudraient contrôler totalement les dépôts, les Français s’y opposent. Les Allemands demandent que tous les transferts vers les unités aient lieu avec leur visa, les Français estiment que cela est contraire à la convention d’armistice qui dit bien que le matériel doit être laissé pour équiper l’armée. Le reste n’est qu’une formalité et que pour faire avancer rapidement l’équipement des unités, il est indispensable de les laisser prendre dans les dépôts le matériel nécessaire.Tout est noté naturellement …

Aussi les Allemands chaque fois, qu’ils entrent dans un dépôt, ne retrouvent pas ce qu’ils avaient vu et compté la dernière fois. En fait jusqu’en septembre 40 on pourra sortir ce que l’on veut des dépôts sans difficultés.

Et puis le 23 Août 1940 la tension monte d’un cran et le capitaine Weyel fait une note à la commission d’armistice :

-30 chars de 20 t. ont été enlevés à Roanne (il s’agit sans doute de chars D1, seul char répondant à cette catégorie)

-19 canons de 105 motorisés enlevés à Mably

-10 canons de 47 antichars

-14 canons de 25

Là, il est clair que le CDM a fait du bon travail, mais la commission a beaucoup de peine à expliquer qu’il s’agit de matériels qui ont été transférés et que l’on va retrouver dans un autre dépôt….

Du reste il faut impérativement regrouper les matériels par catégorie, ce qui va donner lieu à un nouveau chassé croisé. Ainsi les 43.000 obus de 25 et les 19.200 obus de 75 de DCA stockés à St-Chamond seront envoyés sur Lyon.

Chaque transfert permet au CDM de faire disparaître du matériel…

La Structuration du CDM

Le CDM proprement dit, va se structurer sur l’ensemble du territoire avec ses services propres. On peut étudier cette structuration sous les rubriques suivantes, sans que celles ci soient bien découpées dans le temps, elles se chevauchent au contraire entre octobre 1940 et novembre 1942.

– la mise en place,

– la clandestinité,

– les groupes mobiles,

– les sociétés de transport,

– le financement,

– les fabrications.

La Mise en Place

C’est en effet avec le départ du général Weygand pour l’Afrique du Nord le 10 octobre 1940 et l’arrivée du général Picquendar comme chef d’état-major de l’armée de terre que le CDM prend son essor. Il est surtout organisé par région avec un responsable régional.

Pour La 13e région, Clermont, c’est le capitaine Perny. Officiellement il dépend du général commandant la région, général Grandsard puis Lenclud, en fait il est autonome, il en est de même des responsables départementaux. L’adjoint du capitaine Perny est un aspirant de réserve du 8e Dragon d’Issoire, Maurice Mathieu. Il s’est porté volontaire dès septembre 1940. II coiffera directement le Puy-de-Dôme, le Cantal, la Hte-Loire et l’Allier. La création officielle du CDM Loire est du 10 Novembre 1940.

Il semble que le premier responsable CDM ait été le commandant Chapuis puis ce sera le capitaine de Loisy à compter du 2 Janvier 42 jusqu’au 15 juillet 44. En fait Loisy est depuis le 15 novembre 1940 au district de Montbrison, adjoint du lieutenant-colonel Mayeur (ancien commandant de l’artillerie de la 1ère division cuirassée).

Outre Loisy, il y a un autre officier, le capitaine Poirel (capitaine à la retraite qui sert comme employé civil, officiellement adjoint au centre de démobilisation de la Loire depuis le 1er Septembre 1941). Loisy fera de Poirel son adjoint et l’enverra sur Roanne à compter de juillet 1942. Cette équipe est complétée par le fidèle adjudant Louvier et les gendarmes Faure et Schneider. Il faut également mentionner un ancien sous-officier devenu garagiste près de Neulise, sans doute à St-Marcel-de-Félines et qui s’occupait de l’entretien du matériel roulant.

Et puis petit à petit on mettra au point la méthodologie du camouflage dans la Loire : le matériel devra être stocké dans des caches qui soient à la fois peu visibles et faciles d’accès. Peu visibles de manière à ce que personne ne puisse rien remarquer. Faciles d’accès car il fallait pouvoir :

– nettoyer cet armement au moins une fois par an, le regraisser et le mettre en caisse ; ce n’était rien lorsqu’il s’agissait de 10 ou 20 fusils, mais lorsqu’il y en a 300 c’est énorme, d’autant plus que le nettoyage se faisait de nuit, afin de ne pas attirer l’attention ;

– enlever le matériel à tout moment, s’il était détecté, c’est à dire si l’on voyait quelque rôdeur venir subitement observer les lieux d’un peu trop près. L’enlèvement du matériel se faisait également de nuit pour les mêmes raisons que précédemment. Le capitaine de Loisy utilisait son personnel, mais il pouvait aussi utiliser des gens de passage. C’est ainsi que le jeune Jean Geistodt, son beau-frère, venu lui rendre visite à Montbrison, se vit conduire une camionnette chargée d’armes, escortée par la voiture de Loisy, vers une ferme où l’on s’empressa de les dissimuler. II fallait pour cela disposer de camions, voire de porte-chars, et cela nécessitait l’aide de la gendarmerie pour bloquer les routes d’accès à l’itinéraire emprunté. Dans la Loire les grottes ne seront pas utilisées, pas plus que les forteresses.

La mission, de simple au départ, s’élargit. Il faut stocker l’optique, les carburants, et les matériaux stratégiques, ceux que l’on ne trouve pas en Europe : cuivre, tungstène, nickel.

La Clandestinité

La clandestinité apparaît très vite comme une nécessité impérative. Elle s’impose au commandant Mollard lorsqu’en novembre 1940, lors d’une visite à son responsable régional à Marseille, le commandant Navereau, il rencontre le ministre de la guerre, le général Huntziger. Celui-ci, Lorrain d’origine, mais né en Bretagne, est anti Allemand. Il se sent lié par l’armistice qu’il a signé au nom de la France à Rethondes et reste impressionné par l’écrasement de ses troupes en juin 40. Il estime que les Allemands étant les plus forts, il faut adopter un profil bas. Mollard lui ayant parlé de ses activités CDM, Huntziger lui intime l’ordre de cesser immédiatement toute activité dans ce sens. Soutenu par le général Picquendar et surtout par le colonel Henri Zeller, Mollard n’en fit rien mais disparut des registres, bien qu’étant toujours responsable du matériel à B1. Il prit contact avec les services spéciaux interdits par l’armistice, devenus Travaux Ruraux du colonel Rivet et du capitaine Paillole chargé du contre-espionnage.

A compter du 1er mars 1941 il devient gérant des établissements Etienne Dubourg et Cie, au capital de 250.000 F machines agricoles, gazogènes, mécanique générale.

Après avoir été hébergés par Témoignage Chrétien à Marseille, ses services s’installent avenue Ferdinand Flotte dans une villa fournie par les Travaux Ruraux et reliée à la villa Eole, siège des Travaux Ruraux, par fil direct. Son personnel se compose de : 1 officier de réserve, 3 sous-officiers, un gardien, une cuisinière.

Mollard quant à lui passe son temps entre Marseille et ses succursales.

C’est ainsi que naquirent les appellations clandestines des régions, animées par un correspondant régional, devenu par la suite directeur d’agence.

R1 Rhône-Alpes : – Lyon capitaine Planet puis commandant Desgeorges, enfin commandant Agostini.

– Bourg colonel Devimeux.

R2 Marseille : Commandant Navereau puis colonel Aspe (mort en déportation), colonel Thomas.

R3 Montpellier : Commandant Arnaud.

R4 Toulouse : Commandant Rison puis commandant Cavarrot.

R5 Limoges : Commandant Du Garreau (mort en dŽportation), capitaine Chotin, commandant Cluzet.

Châteauroux Commandant Gatti

R6 Clermont : Commandant Perny, puis colonel Fallotin.

Ce serait donc le CDM qui aurait inventé les régions clandestines et non l’AS. Lorsque l’AS reprendra la désignation des régions, la Loire sera en R1et non en R6 comme avec le CDM.

Les officiers furent envoyés en stage auprès des services spéciaux pour y apprendre les principes de base de la clandestinité : Comment

– ouvrir une enveloppe et la refermer sans que cela se remarque,

– choisir son nom de guerre en gardant ses initiales car le linge était toujours marqué,

– prendre un rendez-vous, ou le donner, avec le maximum de sécurité,

– s’assurer que l’on n’est pas suivi,

– choisir son logement….

C’est ainsi que le capitaine de Loisy suivit ce stage, devint Robert Loibert et qu’il s’installa ainsi que sa famille à compter du 1er janvier 41, 2 avenue de Pleuvey (aujourd’hui le n° 16) à Montbrison. Le domicile de sa mère à St-Galmier manquait de discrétion et faisait courir des risques excessifs à sa famille. Cette maison avait une entrée sur rue, une autre donnant sur l’avenue Alsace-Lorraine, et en arrière-cour, une balustrade facile à escalader en cas de danger. Elle donnait sur le petit chemin longeant le Vizézy, petit cours d’eau qui traverse Montbrison et passe à cet endroit. Pour augmenter la clandestinité, il fut affecté à compter du 1er février 1942 comme chef de cabinet du général Frère, commandant le 2e Groupe de divisions militaires.

Le 2e GDM coiffait les divisions militaires de la Zone ouest (Châteauroux, Limoges, Clermont, Toulouse), le découpage ayant été fait verticalement. A partir de cette date le capitaine de Loisy n’a plus d’affectation dans la Loire, il est donc rayé des registres. II passe son temps à naviguer entre Royat, résidence du général, la Loire et les tournées d’inspection avec le général Frère, ce qui ne l’empèche nullement de poursuivre son activité CDM, mais facilite ses liaisons avec son supérieur le commandant Perny qui habite rue du Port à Clermont-Ferrand. Sa clandestinité fut si bonne, que d’aucuns ont cru qu’il avait disparu…

Il loge en effet avec son cousin le capitaine Roland de Beaumont aux missions diocésaines rue Grégoire de Tours à Clermont-Ferrand. Ils sont les seuls officiers car c’est un foyer où logent des étudiants comme Jacques de La Tour, Urbain de la Rochefoucauld, Jean Mialet ou Jean Geistodt-Kiener, tous en préparation de St-Cyr.

Les groupes mobiles

Pourquoi récupérer et stocker des armes si leur utilisation n’est pas clairement définie ?

Ce fut la tâche de L’ EMA, des généraux Picquendar et Verneau, son successeur à partir de juin 42. Le bureau Opérations B3 est dirigé par le colonel Touzet du Vigier. Ancien chef du 2e régiment de cuirassiers en 40, il commandera la brigade légère mécanique en Tunisie en 42/43, puis la 1ère DB de la Provence à l’Alsace. Il s’agit de rendre un peu plus opérationnelle cette armée d’armistice. Certains ont parlé de doubler les effectifs, en fait il s’agissait de passer de 100.000 à 175.000 hommes et d’articuler ces troupes en groupes mobiles, mobilisables en 6 heures.

Les groupes mobiles ou GM seront motorisés.

Ils comprennent :

– un élément de reconnaissance motorisé, les escadrons des régiments de cavalerie à cheval et à bicyclettes recevront des automitrailleuses,

– les régiments d’infanterie seront doublés soit 6 bataillons pour un GM,

– les groupes d’artillerie seront motorisés, avec tracteurs ou autochenilles,

– le génie et les transmissions seront doublés.

Toutes les régions ne furent pas à la même enseigne, ainsi en 14e région (Lyon) il était prévu 3 GM.

En 13e région R6 il semble que 2 GM étaient prévus.

Mais une fois trouvé l’équipement pour ces GM il faut du personnel. Ce sera la tache de l’intendant Carmille qui créera un fichier central du personnel qui recevra l’approbation de tous (ce sera l’ancêtre de l’INSEE). L’intendant Carmille mourra à Dachau.

Ce sera également le fichier des groupes d’amicales divisionnaires (GAD), associations d’anciens militaires créées par le colonel du Vigier, et surtout actives en zone occupée.

Il ne faut pas oublier les chantiers de jeunesse, dont l’encadrement est formé d’anciens militaires et qui devront le jour J renforcer les régiments de réserve.

La liste ne serait pas complète sans évoquer tous les militaires qui seront envoyés dans les administrations ainsi que la police et la gendarmerie pour que l’armée d’armistice soit conforme à la convention.

Le 11 novembre 42, lors de l’invasion des troupes allemandes, 16 GM pouvaient être mis sur pied sur les 22 programmés.

Dans la Loire :

Il s’agissait de doubler le 5e RI et le 9e Bataillon du Génie à Roanne. Ce qui n’était pas simple, car, outre l’armement, il fallait doubler les équipements, effets, casques, bidons…, sans oublier le matériel roulant, motos, side-cars, voitures, camions… Il fallait surtout resserrer le dispositif, stocker au plus près des troupes utilisatrices et compléter l’armement.

C’est ainsi que les autochenilles stockées chez Paul Guichard partiront vers un régiment d’artillerie et seront remplacées par des pneus, de l’huile, une camionnette Studebacker et d’autres véhicules.

Le comte de Neufbourg reçevra en plus une roulante et 25 fusils-mitrailleurs, une camionnette Peugeot, un side-car, ils iront rejoindre les cartouches à la ferme de Biterne.

Le marquis de Poncins à St-Cyr-les-Vignes reçevra une roulante et d’autres équipements.

A Bellegarde on stockera 2 mitrailleuses Reibel, 3 roulantes, 1 millier de tenues, des rouleaux de ceintures de flanelle, et même 2500 kg de tabac, tout était prévu.

A partir d’août 1941 et 42, par l’intermédiaire du lieutenant colonel de Réals du 9e RCA (Régiment de chasseurs d’Afrique) de Mascara, en permission en métropole, son cousin, et ami du capitaine de Loisy, contact fut pris avec le Vicomte Camille de Meaux. Celui-ci stocka dans l’orangerie du Château d’Ecotay deux chenillettes d’infanterie dissimulées sous du foin, ainsi que de l’armement divers qui fut stocké dans le grenier de l’écurie. Une troisième chenillette sera montée au chalet de la Croix de l’Homme Mort, ainsi que des motocyclettes. Ces chenillettes (photo 2) avaient été conçues pour le ravitaillement des ouvrages de la ligne Maginot, elles équipèrent ensuite les compagnies d’appui des régiments d’Infanterie pour porter les mitrailleuses et les mortiers.

Mademoiselle d’Havrincourt cacha également des armes à Bétias.

De même Madame de Lavernette cacha dans les dépendances du Château de la Plagne à Veauche, une camionnette Citroën et 6 side-cars Monet Goyon. La liste n’est certainement pas exhaustive…

On note beaucoup de châteaux et pour cause. Les dépendances sont vides et le personnel peu nombreux et sûr, à la différence des fermes où les bâtiments sont peu nombreux et encombrés. Autre inconvénient, les familles de paysans de la Loire sont nombreuses, ce qui nuit à la sécurité, mais ce fut également le cas dans d’autres régions comme au château de Virieu dans l’Isère ou au château de Blancas dans le sud-ouest. Par contre en Haute-Loire et en Puy-de-Dôme, le CDM acheta la ferme de la Boue à la Voulte-Chilliac habitée par l’adjudant Honoré et bourrée de munitions. On utilisa 95 dépôts où l’on stocka de tout, de l’automitrailleuse au canon de 25. Parmi ceux-ci, des fermes étaient louées au nom de Maurice Mathieu, les autres étaient des dépendances de propriété.

On fit appel également aux congrégations religieuses. Il n’a été possible de retrouver qu’un stockage chez le curé de Pralong et un autre chez les soeurs de l’hospice à St-Chamond, mais il y en eut certainement d’autres, comme à l’abbaye de la Chaise-Dieu en Hte-Loire. Et pour être oecuménique, il faut signaler le stock du temple de St-Etienne. Il s’agissait de 20 caisses de munitions pour mitrailleuses ainsi que des cartouches en vrac et des grenades. Ce matériel provenait de Balbigny où il avait été abandonné lors de l’avance des troupes allemandes en juin 40. Il n’a pu être précisé si ce dépôt avait été fait par le pasteur ou plus vraisemblablement si on le lui avait confié. Les administrations, police, gendarmerie et autres, reçurent du matériel, à charge pour elles de le reverser. De même le chantier de jeunesse de Noe-les-Renaison qui dura jusqu’en 1944, reçut également du matériel avec les mêmes contraintes. Quant aux unités militaires 5e RI et 9e Génie, elles ne furent pas en reste. Le capitaine Jeanblanc, alors aspirant, se souvient avoir été requis avec d’autres jeunes officiers exclusivement, comme le lieutenant Collin. 3 ou 4 camions du régiment étaient remplis de caisses, ils allaient de nuit les cacher dans les fermes ou les enterrer. Ils rentraient mission accomplie sans savoir où ils étaient allés. Est-ce que le Colonel de Foville était au courant des emplacements ? C’est possible mais cela n’est pas certain.

On cacha également dans les entreprises : c’est ainsi que la Compagnie électrique de la Loire, à St-Etienne, reçut 7 FM 1915 avec 3480 cartouches et 7 fusils Lebels. Les Aciéries de St-Etienne, 3560 cartouches de Lebel. Il ne faut surtout pas croire que tout le monde était volontaire, loin de là. Beaucoup se récusèrent, et non des moindres, ce qui met d’autant en valeur les volontaires.

Et ce qui fait la spécificité de la Loire, c’est qu’une grande partie de ceux qui ont accepté de stocker des armes étaient des membres de la Diana.

Il ne semble pas qu’il y ait d’autre exemple de membres de société d’histoire et d’archéologie qui se soient ainsi engagés ; le fait mérite donc d’être souligné.

La question que l’on peut se poser est de savoir si le doublage des unités a bien été réalisé. Deux faits en apportent la preuve : tout d’abord le 8 juin 1942 le capitaine de Loisy reçoit un témoignage de satisfaction du chef d’état-major de l’armée, le général Picquendar, (ce qui est rare). En voici les termes, tout semble désigner son action CDM : Officier volontaire pour les missions difficiles, n’a ménagé ni son temps ni ses efforts, a obtenu d’excellents résultats grâce à ses connaissances techniques et son sens de l’organisation, donne toute satisfaction. En octobre 1942 il est au tableau pour le grade de commandant.

Les compagnies de transport

L’idée vient du colonel du Tertre qui est à la direction du Train à Chamalières avec le colonel Foare, son chef, le commandant Triquignaux et le lieutenant de Brétizel. II la propose au commandant Mollard dès septembre 40. Elle se résume ainsi :

Puisque nous venons de militariser des compagnies de transport en donnant des grades provisoires aux responsables, pourquoi ne pas faire l’opŽration inverse en civilisant les unitŽs du train, qui deviendront des compagnies de transport ?

Le commandant Mollard se rallia immédiatement à la proposition et ce d’autant plus que le 3e bureau demandait une solution pour sortir les unités du train des effectifs de l’armée d’armistice, tout en les gardant sous la main pour pouvoir motoriser les troupes au jour J. II s’agissait de transporter 64 bataillons, soit 80.000 hommes, ce qui nécessitait 8.000 véhicules Ces sociétés passeront à la postérité sous le nom de Sociétés XV, parce que la première verra le jour en septembre 1940 à Marseille en 15e Région. Parmi les plus célèbres citons :

– Les Rapides du Littoral de M. Gagneraud à Nice ; C’est la première.

– La société éclair de M. Fritsch, S/Lt de réserve du train.

– La Société Centrale des Transports Routiers ou SCTR à Châteauroux de M. Veyrenche.

– La Compagnie Provençale des Transports Automobiles à Toulon.

Les compagnies sont donc dirigées par des civils qui prennent en compte les véhicules de l’armée qu’elles s’engagent à entretenir. Le personnel est constitué en grande partie d’anciens officiers et sous-officiers. L’armée les utilise pour ses transports. Le lieutenant Mascaro était le comptable des sociétés. Elles s’engagent à répondre à l’appel au jour J.

Par la suite pour rendre plus crédible leur activité elles auront le droit de passer des contrats avec les entreprises, mais elles seront suspectées de concurrence déloyale.

M. Gagnereau s’engagea à reverser à l’état tous les bénéfices qu’il ferait de cette activité. Les autres firent de même ; M. Fritsch embaucha comme chef d’agence recommandé par Gagnereau, Sylvain Floirat, qui possédait avant guerre un petit atelier de carrosserie à St-Ouen où il montait des cars. Il créa une succursale à Valence pour mettre à la disposition du CDM un atelier de réparation auto important. Parmi les sociétés XV :

– La Régie des Transport de la Loire dont le directeur était M. Chauvet

– L’Entreprise Gatty des frères Raymond et Johannès, dit Jo, Gatty dont le siège était situé 22 rue de la Préfecture (aujourd’hui Charles de Gaulle) à St-Etienne. Ils récupérèrent de nombreux camions. Ce sont sans doute eux qui firent les transferts lourds pour le compte du CDM Loire.

Le Financement

Très vite, pour le commandant Mollard allait se poser le problème du nerf de la guerre, on ne peut pas faire travailler indéfiniment des gens sans les rémunérer ne serait-ce que rembourser leurs frais de déplacement, surtout en période de pénurie. Il alla donc rencontrer le colonel Rivet qui disposait des fonds secrets des services spéciaux. Celui-ci lui offrit début 41, généreusement 100.000 F (équivalent de nos francs actuels), mais ceux-ci furent très vite absorbés par les fabrications. Mollard fit une deuxième tentative quelques mois plus tard. Le col. Rivet donna à nouveau 100.000 F tout en précisant que c’était la dernière fois. Les caisses étaient bien alimentées par les redevances kilométriques des sociétés XV, mais ce n’était pas assez, compte tenu de l’ampleur qu’allaient prendre les fabrications. Le commandant Perny eut alors l’idée de vendre aux entreprises civiles les matériels de transport dépareillés que le CDM ne pourrait pas entretenir. Le commandant Mollard s’insurgea tout d’abord contre cette proposition, et puis nécessité faisant loi, il s’y rallia.

Par une savante désorganisation des parcs sous contrôle allemand, les véhicules étaient enlevés de nuit, démarqués, maquillés et vendus grâce à des faux papiers fournis par la préfecture. La responsabilité des ventes fut confié à Sylvain Floirat. La première vente eut lieu le 15 Avril 1941 et rapporta plus de 2 Millions au CDM.

Mais c’était compter sans les Domaines qui s’insurgèrent contre cette intrusion inadmissible dans le pré carré du Ministère des Finances. Après une entrevue mémorable entre M. Boissard directeur des Domaines et le commandant Mollard à Vichy, Mollard obtint la neutralité bienveillante de ce service.

C’est ainsi que l’administration des Domaines effectua des prises en charge fictives et des contrats antidatés avec effet du 6 mai 1941, le matériel pouvait ainsi être revendu sans autorisation.

Mais Sylvain Floirat fit mieux. En mettant en jeu la rivalité des services allemands entre eux, il réussit à prendre contact avec une société allemande très protégée, L’Intercommerciale. Il lui vendit à 3 fois leur valeur d’achat les fameux camions Fiat, évoqués dans le prologue, et qui n’avaient pas de pièces de rechange. On chercha également à vendre aux Allemands toute sorte de matériels, c’est ainsi que le capitaine Poirel, adjoint de Loisy, les approcha à Lyon. Les millions ainsi récoltés ne suffisaient pas encore, les Ets Dubourg souscrivirent 6 marchés fictifs pour un montant de 100 Millions auprès de l’état.

Les Fabrications

Une fois le recensement des matériels camouflés fait, et les besoins estimés pour armer les groupes mobiles, il s’agissait de combler les manques.

La solution fut apportée par un ingénieur des Arts et Métiers de chez Renault, Joseph Restany. Il avait fait partie de la mission française aux U.S.A. et ne voulait pas regagner la zone occupée où il habitait. Chez Renault, il s’occupait de la fabrication des chars R 35.

Mollard le reçut à Vichy durant l’hiver 40 et, en avril 41, il le rencontra à nouveau à Montpellier et lui parla des auto-mitrailleuses Panhard A.M.C. (Photo 3). C’étaient d’excellents engins avec inverseurs qui permettaient de s’échapper sans faire demi-tour. Elles avaient été évacuées d’Ivry sans tourelles car celles-ci n’avaient pas été livrées. Elles étaient fabriquées chez Caille dans le Nord. Il n’était donc plus possible de se les procurer. Or il y en avait 45. Restany accepta de les fabriquer, avec l’aide de M. Boulle, ingénieur de l’école centrale, lieutenant de chars de réserve, qui s’occupait de fabrication d’armement à l’atelier de Rueil, et M. Delmas qui dirigeait une usine.

Le lieu de fabrication retenu fut Castres, du fait de l’éloignement de la ville, de la présence d’un parc d’artillerie, d’unités militaires comme le 3e Dragon dont les cadres pourraient apporter leur aide pour les essais, et surtout de quelques usines métallurgiques.

Il fallait trouver la matière première et tout d’abord les tôles blindées. Celles-ci vinrent de La Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt à St-Chamond. Son directeur, M. Berthier écouta d’une oreille inquiète le 25 février 1941 le commandant Mollard lui demander ses tôles de 25 mm. Il voulait bien les lui donner mais elles avaient été inventoriées par la commission de contrôle qui venait régulièrement et il ne voyait pas comment les sortir.

Après une visite des ateliers et un temps de réflexion, Mollard trouva la solution. Puisqu’il existait des ateliers dont le sol était en terre battue, il suffisait de mettre ces plaques sur le sol, une fois que la commission de contrôle les aurait bien repérées, on les remplacerait par des tôles ordinaires. II convoqua son adjoint M. Melay et son chef d’atelier M. Lhomme et leur dit de mettre à sa disposition les 40 tonnes de tôles de 20 et de 25mm. Ainsi fut fait. Les tôles furent découpées en différentes tailles à St-Chamond. Elles étaient acheminées par la route à Castres puis, pour des raisons de sécurité, rechargées vers les différents établissements, car ils dûrent s’installer également près de Sarlat. Maurice Mathieu fit de nombreux voyages avec 5 ou 6 sous-officiers du 8e Dragon et des camions civils pour cet approvisionnement.

Il fallut refaire tous les plans qui n’étaient pas disponibles. On disposait de 20 canons de 47, les autres auraient des canons de 25. Là aussi les plans furent faits sur mesure. Pour les cercles, ce furent les Forges et Aciéries de Combeplaine à Rive-de-Gier. Pour les billes de roulement, les services de la production industrielle de St-Etienne, M. Lacombe, intervinrent auprès de MM. Valette et Gauraud industriels qui acceptèrent les commandes du CDM ou plus exactement des Ets Dubourg.

La première tourelle fut terminée le 1er octobre 1941 et l’ensemble des tourelles le 28 Janvier 1942. Un camion atelier alla dans les régiments de cavalerie ajuster les tourelles sur les châssis qui durent être sortis de leur cache. Le général Olleris se souvenait que colonel, commandant le 8e Dragon à Issoire, il avait 24 automitrailleuses complètes à entretenir au lieu des 8 officielles. 6 étaient stockées sous du foin dans une ferme à St-Germain-Lembron.

Après les tourelles il fallut faire des masques de canon pour les automitrailleuses officielles, ceux-ci ayant été enlevés par les Allemands. La tâche la plus considérable fut celle de construire 225 nouvelles automitrailleuses pour renforcer les GM. Les Américains avaient livrés des camions 4×4 Dodge et non GMC comme il est écrit parfois. Puisque les fabrications marchaient si bien et sans trop de difficultés, pourquoi ne pas transformer les camions en automitrailleuses ?

Mais là il fallut carrément refabriquer des tôles de blindage ; pour cela le CDM dut procurer les matières premières charbon et fer à des entreprises. Ce furent :

– la Compagnie des Fonderies, Forges et Aciéries de St-Etienne,

– la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt à St-Chamond,

– la Compagnie d’électrochimie, d’électrométallurgie et des Aciéries électrique d’Ugine,

– La SNCF accepta de démonter les tôles de son train blindé.

Le total donna 670 tonnes d’acier spécial de différentes épaisseurs.

Les Dodge furent enlevés des parcs, mais surtout des unités, qui reçurent un matériel moins performant. II fallut ensuite démonter les plateaux et les cabines. Le châssis nu subit ensuite pas moins de 14 transformations, notamment son raccourcissement et la réduction de son empattement. Le CDM fut puissamment aidé par l’arsenal de Tarbes, la manufacture d’armes de Tulle et les parcs d’artillerie de Castres et Toulouse. L’arsenal de Roanne ne livra, par esprit de clocher, que des outillages obsolètes, et le parc de Limoges refusa de coopérer… Le consensus était loin d’être général.

On mesure le travail de dessin qui fut nécessaire pour créer une automitrailleuse ex nihilo. Les ateliers furent installés près de Sarlat et, entre octobre 1941 et mai 1942, les 225 châssis étaient prêts à recevoir leur blindage. Par contre la fabrication des carcasses fut plus lente du fait des déplacements nécessaires à la sécurité, mais surtout de la pénurie de carburant. Fin octobre 1942, 80 tourelles étaient prêtes à être montées. Les différentes photos (4 et 5) montrent l’état du véhicule avant et après transformation. La première présentation eut lieu le 17 octobre 1942 au château de la Carrière à Marquay en Dordogne, l’automitrailleuse était tout à fait convenable. Puis après quelques ajustages, elle fut présentée au colonel Mollard vers le 23 octobre et au général Picquendar le 27 qui exprima sa satisfaction. La construction en série pouvait commencer, les événements en décidèrent autrement.

L’autre grande fabrication entreprise par le CDM fut celle des pistolets-mitrailleurs MAS 38. Elle fut réalisée à la MAS à St-Etienne. La commission d’armistice avait autorisé la fabrication des MAS 38. Les Français en demandèrent 16.000. Les Allemands accordèrent 10.000. La MAS en fabriqua 16.000 en 1942, on procéda comme précédemment au point de vue approvisionnement. C’est le CDM qui fournit la matière première, en sus.

Sur les 16.000 pistolets-mitrailleurs, 9.000 partirent pour l’Afrique, un millier fut livré à l’armée d’armistice et le reste fut caché par le CDM.

Il y eut d’autres fabrications, mais de moindre importance et elles ne concernèrent pas la Loire ; toutefois il y a lieu de mentionner la mise au point d’une grenade à fusil antichar à charge creuse qui fut transmise aux alliés et équipa les armées de la victoire.

Le matériel soustrait aux Allemands représente :

85.000 armes individuelles,

9.500 mitrailleuses et F.M.,

200 mortiers,

55 canons de 75 + 9000 obus de 75,

90 canons de 25,

18 canons de 47 avec les munitions correspondantes,

1.000 tonnes de munitions d’infanterie,

150.000 grenades,

11.000 camions,

3.500 voitures,

500 tracteurs d’artillerie, des pièces de rechanges de toute sorte et des accessoires automobiles

1.000 tonnes d’essence + huile + graisses … du matériel de Génie + beaucoup d’optique, du matériel des transmissions, de l’habillement

100 ambulances et 31 wagons de pansements

L’estimation de ce matériel a été faite pour un montant de 20 milliards de F.

Cela représente environ 15 % du matériel disponible dans sa catégorie le 17 juillet 1940 (hors matériel destiné à l’armée d’armistice).

La Position allemande

Des l’automne 40 l’Allemagne infiltre en zone libre un nombre considérable d’agents pour surveiller le pays, 2.000 seront interceptés, 500 neutralisés. Puisque les Français n’étaient pas corrects, il était indispensable que le matériel interdit soit livré à l’Allemagne, ainsi que le matériel en surnombre. Le solde resterait dans les dépôts sous contrôle.

La France argua du fait qu’une partie des véhicules auto-mobiles avaient été enlevés à l’économie nationale, et non payés, ils devaient donc être restitués à celle-ci. Là on se livra à une querelle sémantique qui n’eut rien à envier aux querelles byzantines. Qu’est-ce qu’un matériel militaire en ce qui concerne les véhicules automobiles ? Un matériel militaire est un véhicule qui :

– appartenait aux unités avant 1939,

– était stocké pour la mobilisation dans les parcs d’artillerie,

– était commandé avant le 3 septembre 1939.

Sont donc exclus les véhicules :

– de réquisition,

– achetés à l’étranger, italien, américain…,

– livrés après sept 1939.

Vers décembre 1940, se posa la question des véhicules laissés par les armées belges et anglaises. Les Allemands exigèrent leur livraison.

Alors eut lieu l’un des épisodes les plus tristes et les plus méconnus de cette période : la livraison des matériels à l’Allemagne à partir de la zone libre. Du 7 octobre au 31 mars 1941 la France livra à l’Allemagne pas moins de 324 trains de matériels et de munitions, soit 14.895 wagons.

On peut évaluer à partir de l’estimation précédente le montant du matériel de l’armée d’armistice à 30 milliards, soit 23% du matériel restant en juillet 40 et à 62% le matériel livré, représentant environ 83 milliards de Francs. Les trains franchirent la ligne de démarcation pour être déchargés, les Allemands se gausseront de la forge de campagne modèle 1850, des vieux canons de 90, des fusils Gras 1866/74 et des mitrailleuses 1907…. Que va faire l’Allemagne de tout ce matériel qui s’ajoute à celui récupéré en zone occupée ? Aucune étude précise n’a été faite en Allemagne à ce jour sur le sujet. Néanmoins on peut répartir les matériels en 3 catégories : les matériels ferraillés, vendus, réutilisés.

Les matériels ferraillés

Ce sont tous les matériels obsolètes, auquel il y a lieu d’ajouter les matériels détruits pendant la bataille, les fusils et sans doute aussi une partie des chars B1bis. L’Allemagne aura de plus en plus besoin de matière première pour son industrie de guerre et les ferrailles sont les bienvenues.

Les matériels vendus

Ils sont de 2 sortes, les matériels finis et les autres. Les matériels finis seront vendus à la Roumanie et à l’Italie qui étaient déjà équipées en partie de matériels français et très demandeuses des munitions correspondantes. II y avait même dans les entrepôts des matériels commandés à la France, destinés à ces pays et non livrés en juin 40.

Les autres, il s’agit essentiellement des machine-outils et autres outillages, qui seront vendus, ou plus exactement troqués, à l’URSS contre des matières premières. C’est ainsi que vraisemblablement l’Allemagne livra un moteur diesel d’avion en V et en aluminium qui venait sans doute de chez Hispano-Suiza. Ce moteur équipera le futur char russe T 34..

Les matériels réutilisés

Ils sont également de deux sortes, les matériels modifiés et les non-modifiés.

Les non-modifiés concernent essentiellement les canons, le 105 court modèle 34 et le 105 long modèle 36, l’antichar de 47, l’antiaérien de 25, pour ne citer que ceux-là.

Les matériels modifiés interviendront essentiellement en 42, c’est à dire après l’échec devant Moscou. L’Allemagne a perdu beaucoup de matériels et pratique la récupération et la transformation. C’est ainsi que le canon de 75 modèle 97 sera équipé d’un frein de bouche et deviendra antichar. Les chars Renault Hotchkiss Somua se verront retirer leur tourelle et transformés en obusiers motorisés ou équipés d’un bitube antiaérien, pour une partie d’entre eux.

Mais dès janvier 41, l’Allemagne demande l’achat de 13.000 camions dont les camions à viande qui seront vendus sans roue de secours. Sabotage! disent les Allemands… La livraison sera dirigée par le commandant Mollard qui veillera au sabotage de ce matériel, sabotage détectable seulement à terme. En échange elle autorise la sortie de 5000 véhicules des entrepôts et la transformation de 2000 véhicules en gazogènes. On voit que la souveraineté de Vichy était limitée.

En avril 1941, l’Allemagne fait terminer les chars et autres automitrailleuses inachevés, elle fait fabriquer des tracteurs d’artillerie chez Somua en zone occupée. On ne se gausse plus du matériel français… et il est clair qu’ils préparent quelque chose. L’invasion de l’URSS aura lieu le 22 juin 1941…

Le Sauvetage

Pour bien comprendre ce qui va suivre il faut faire un léger retour en arrière.

Dès 1940, il paraît clair que la reconquète du continent européen ne pourra se faire qu’à partir d’une base sûre. L’Afrique du Nord répond parfaitement à cette désignation. C’est la raison pour laquelle il y fut envoyé l’aviation et le maximum d’armement. Lorsque le général Giraud s’évade de Koenigstein le 17 Avril 1942, il rencontre la plupart des chefs militaires et Mollard dès le 1er mai. Il a aidé à son évasion, préparée par l’EMA et réalisée par le GAD. Le lieutenant-colonel Mollard (il vient d’être promu le 25 juin) le prend en main avec le colonel Zeller. Ils lui expliquent leur travail et leurs projets, que Giraud approuve.

Les Américains prennent contact avec lui et comptent sur lui pour rallier l’Afrique du Nord au moment du débarquement. C’est ainsi que début octobre 1942 Giraud d”ne chez le général Frère, le capitaine de Loisy étant présent. Il lui annonce le débarquement des Américains en Afrique avec un débarquement qu’il pense simultané en Provence (en fait il n’en sera jamais question) et désigne Frère comme commandant des troupes françaises de métropole, c’est à dire des 16 GM, chargés de protéger la tête de pont américaine.

Lorsque le 4 novembre 1942, le général Frère reçoit la note du général Giraud, le nommant commandant en chef civil et militaire, il envoie Loisy chez l’amiral Darlan. Aussi le 5 novembre, lorsque le capitaine de Loisy se rend à l’état-major de l’amiral Darlan dirigé par le général Revers (dernier chef de l’ORA) il voit le capitaine de Nadaillac (futur chef du génie en Vercors). Celui-ci lui dit : L’amiral est parti ce matin à Alger, car il va se passer quelque chose en Afrique du Nord. II ne lui parle pas du tout de la maladie du fils de l’amiral. Il n’est que temps de mettre un terme à la légende selon laquelle le départ de l’amiral pour Alger était dû à la seule maladie de son fils et sa présence au moment du débarquement, fortuite.

Le 8 novembre, le débarquement a lieu en AFN, mais rien ne semble prévu pour la France, le général Frère approuve les ordres de mobilisation et d’ouverture des dépôts CDM, mais devant l’absence de débarquement en France, ne voit pas l’utilité de sacrifier l’armée d’armistice dans une lutte sans espoir. Aussi le 11 novembre, date d’entrée des troupes allemandes en zone libre, il demandera à Jean Geistodt-Kiener, venu retrouver son beau-frère Loisy, de l’aider à brûler les papiers compromettants. Il lui conseillera de passer son examen de St-Cyr et de gagner l’Afrique du Nord. Requis pour le STO, il tentera avec son camarade Mialet de passer les Pyrénées. Trahi par son guide il sera arrêté par les Allemands, transféré au fort de Blaye, où il fera la connaissance d’Elie de St-Marc. Ils partiront pour Compiègne puis Buchenwald où il partagera son châlit avec le commandant Ailleret (chef de L’ORA pour la zone nord, depuis octobre 43, et futur chef d’état-major des armées).

Le 27 Novembre, jour de la dissolution de l’armée, un officier s’attarde au siège de l’EMA : le colonel Henri Zeller. Il jette les bases de L’OMA (Organisation Métropolitaine de l’armée) qui deviendra l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée), fondée avec les généraux Verneau, Grandsard, Olleris, Lenclud, Gilliot et son adjoint le Lieutenant-colonel Pfister. Il leur faut un chef : tous s’accordent sur le nom du général Frère. Il a une aura incontestée chez tous les chefs militaires, il a été nommé par le général Giraud.

S’il fallait garder un souvenir du général Frère, outre ses brillants états de service, c’est son caractère profondément humain ; il aimait répéter, il faut se faire obéir d’amitié.

Le CDM

Dès le débarquement en AFN, le Lieutenant-colonel Mollard est rappelé à Vichy. Il donne l’ordre d’ouverture des dépôts pour le renforcement des unités, mais aucune mesure de mobilisation ne sera prise. Le 11 novembre il faudra les refermer. Entre le 11 et le 27 novembre date d’encerclement des casernes, l’ordre a été donné de sortir le maximum de matériel et de le confier au CDM, mais celui-ci est submergé. Toutefois le CDM prend le contrôle de tout le matériel restant.

Dès leur entrée, les Allemands ont exigé la déclaration des armes et Laval a fait les lois des 3 et 5 décembre 1942 stipulant que les armes doivent être déclarées et déposées dans les gendarmeries et tout détenteur de dépôt sera puni de la peine de mort (art 7).

Les Allemands se sont précipités sur les dépôts clandestins qu’ils avaient détectés. C’est ainsi qu’une note comminatoire est adressée par le major Schultz à la commission de contrôle :

– des dépôts clandestins ont été découverts en Haute-Vienne, en fait il s’agit des pièces des automitrailleuses qui ont été démontées et enterrées dans la région de Sarlat le 11 novembre et dont l’emplacement a été dénoncé par un alsacien.

– 16 dépôts à Volvic ; 3 de ces dépôts ont déjà été déménagés ! ! !

Il faut déclarer les dépôts clandestins

C’est alors que Laval déclarera 234 dépôts au maréchal von Rundstedt, commandant les armées de l’ouest. Qui a établi cette liste ? il n’a pas été possible de déterminer la source, mais elle a été établie au plus haut niveau. Il est temps de mettre un terme à la légende qui voulait que ce soient les préfets. Les préfets n’ont reçu que la liste des dépôts (parmi les 234) situés dans leur département. Ce chiffre de 234 est un chiffre faible.

En R6, nous avons vu qu’il y avait 95 dépôts (hors Loire) admettons 110 au total pour R6, en multipliant par le nombre de régions, on aboutit à 1000 dépôts environ ; 234 ne représente donc à peu près que 25%.

1/4 des dépôts ont donc été déclarés.

On en est parfaitement conscient dans les hauts lieux de la collaboration puisqu’une note du 10 Janvier 43 est adressée aux commissaires régionaux (qui ont pris la succession des régions militaires) par le général Bridoux, « secrétaire d’état à la guerre » (dont le fils était à la LVF), leur demandant de déclarer les dépôts sur le territoire de leur commandement. Une note marginale du général Delmotte, son chef d’état-major, indique que copie de cette note du 10 janvier a été remise par Laval à von Rundstedt. II lui remettra également la liste des officiers (appelée l’annuaire) qui venait d’être remise à jour par le général Frère et le capitaine de Loisy. Le 29 mars 1943 Laval étend le principe du matériel de guerre aux casques, masques à gaz, optique, matériel de transmission, véhicules….

C’est alors un vent de panique qui souffle sur le territoire, les propriétaires demandent au CDM de les débarrasser de ces matériels encombrants. Le lieutenant-colonel Mollard prescrit alors d’enterrer le matériel (un an ou 2 en terre ne les endommagera pas trop) ou de le jeter dans les lacs et les rivières pour que les Allemands ne le récupèrent pas. Les sociétés XV prirent leur autonomie et grâce aux Domaines, reçurent des titres de propriétés authentiques et antidatés.. M. Amiel, directeur des Domaines, fut mis en prison pendant 2 mois par les Allemands. La section autonome continua à fonctionner sous les ordres du commandant Triquigneaux et à émettre des commandes fictives. II sera arrêté une première fois en février 43, puis relâché quelques jours plus tard. Le Lieutenant-colonel Mollard quitte la villa Flote à Marseille dès le 11 novembre 42 pour Penne-d’Agenais dans le Lot-et-Garonne. II crée au printemps 43 le réseau Maurice, destiné à faciliter le passage des personnels grillés sur l’Afrique du Nord. C’est grâce à lui que 300 officiers et 100 aviateurs alliés purent gagner l’Espagne.

Dans la Loire

Examinons cette période douloureuse sous trois aspects : le Camouflage, les Déclarations d’armes, la Dissolution des unités militaires, les Représailles.

Le Camouflage

Dès le débarquement en AFN le comte de Neufbourg décide de déplacer son dépôt (qui est le plus important du Forez), avec l’aide des frères Petrus et Paul Durand, les 2 frères Michel, les 2 frères Merle et Alfred Petit, ancien maréchal des logis chef de la gendarmerie. C’est ainsi que dans les nuits du 9 au 10 et du 10 au 11 novembre, ils transporteront avec des chevaux tirant des tombereaux montés sur roues à pneus les 60 tonnes de munitions de la ferme de Biterne à l’étang de la Loge où les caisses seront immergées. Ceci ne représentait aucun risque de détérioration, les caisses de munitions sont zinguées et scellées au plomb. Les 25 FM sont graissés, emballés et dissimulés dans les terriers à lapins sous les hangars à foin, la voiture, la roulante et le side-car seront dissimulés sous un fagotier. Marguerite Gonon fera le guet.

L’action du Comte de Neufbourg mérite d’être soulignée, car il l’a faite de sa propre initiative et il a même fait école car immerger les munitions sera une des directives du CDM.

Dès qu’il apprend la livraison des dépôts, (il sera un des seuls prévenus) le capitaine de Loisy, qui était, rappelons-le, auprès du général Frère, se précipite dans la Loire pour déplacer les dépôts dénoncés.

Les dépôts du Palais et d’Ecotay sont déplacés, celui de la Plagne est emmené le plus officiellement du monde par la gendarmerie en janvier 43. Elle renforce l’équipement de ses unités avec le matériel CDM. La préfecture fera une immatriculation antidatée. C’est ainsi que la gendarmerie de la Loire sera équipée de 7 camionnettes, 19 side-cars, 11 motos, 6 voitures provenant des dépôts CDM.

Les autres dépôts ne seront pas inquiétés et une partie du matériel ira sans doute aux administrations des eaux et forêts et des ponts et chaussées. Les traces n’ont pu être retrouvées dans ces administrations.

Les Allemands saisiront la camionnette Studebacker et d’autres véhicules au Marais, sur dénonciation, au début de février 1943.

Les Déclarations d’armes.

Ce n’est pas la première fois que l’on exige la déclaration des armes. Déjà en 39 elles avait été demandées et finalement on ne savait plus en 41 que faire de ce matériel qu’il fallait entretenir. On avait rendu aux chasseurs leurs armes….

Cette fois-ci, c’était sérieux et tout le monde déclara ses armes ; il fallait déclarer tout, même les munitions, le matériel de fabrication des munitions, les armes de chasse y compris les fusils à broche et les sabres…

L’étude de ces déclarations est fort peu intéressante pour le camouflage : on notera tout de même la déclaration : de 7 FM + 3.480 cartouches et 7 Lebels par la Compagnie électrique de la Loire, de 72 fusils Gras par la mairie de Montbrison !!! de 13 Lebels par l’Entrepôt d’Effets de Roanne (l’intendance), de 5 Lebels par un inconnu, d’un fusil antichar par une association laïque de Roanne, de 3.560 cartouches de Lebel aux Aciéries de St-Etienne. Tout cela est modeste, sauf les cartouches de Lebel, les fusils Gras sont obsolètes et sans munitions. On est donc très loin dans la Loire de la panique qui sévit ailleurs.

Par ailleurs, les déclarations sont intéressantes car elles montrent que :

– tout le monde possédait une arme,

– les seules armes de guerre en nombre sont des fusils allemands K 98 fabriqués à Spandau ou Dantzig. Ce sont des trophées de la guerre 14/18,

– il y a beaucoup de revolvers et pistolets, environ 1/3 des armes dans la Loire,

– la Loire est bien le haut lieu de la fabrication des armes,

– toutes les entreprises possèdent des armes de poing et des munitions en nombre,

– les armuriers les plus cotés sont Verney-Caron et Darne. On note un Purdey déclaré par une entreprise,

– beaucoup de déclarations seront au nom des entreprises,

– de nombreuses déclarations seront faites dans l’anonymat, armes déposées en mairie et récupérées par la gendarmerie.

En comparaison avec l’ensemble de la zone libre, les armes de poing ne représentent que 13 % de l’ensemble du territoire. Les armes automatiques sont au nombre de 471 unités. L’état général est fait le 17 juin 1943. Les Allemands ne sont pas satisfaits. Une nouvelle amnistie est proposée le 16 août 1943, à peine 3.000 armes seront alors récupéréŽes. Oberg, chef de la SS en France, écrit à Bousquet, secrétaire général de la police :  » il n’y a pas de mitraillette, pas d’armes parachutées, les Français ne jouent pas le jeu, il n’y aura plus d’amnistie « . Les armes de chasse seront presque toutes rendues à la Libération, sauf près de 10.000 prélevées par les Allemands. Les autres armes serviront pour l’équipement de la police.

La Dissolution des unités militaires.

C’est le général Suffren qui commande la subdivision en 1942. La dissolution des unités est intervenue le 27 novembre 1942. II n’a pas été possible de retrouver trace du désarmement du 9e Génie à Roanne. A St-Etienne, à la caserne Grouchy, le lieutenant Collin est officier de permanence. Les Allemands envahissent la caserne et exigent le départ des sous-officiers et soldats. Le lieutenant Collin sauve le drapeau du régiment qu’il remettra au colonel de Foville. L’après-midi, il faudra rechercher les hommes pour leur donner leur ordre de démobilisation, en fait ils sont en permission jusqu’au 28 février 43. Le pécule correspondant sera envoyé par la poste.

Quant aux officiers, ils sont aussi en permission jusqu’au 28 février, puis, en permission de 6 mois renouvelable, pour ceux qui n’auront pas trouvé de place dans la police, les eaux et forêts, les ponts et chaussées, l’administration, voire les entreprises civiles ou la gendarmerie. Certains préféreront partir pour l’AFN via l’Espagne, notamment les aviateurs, artilleurs et cavaliers blindés.

La gendarmerie sera à effectif complet et on créera un 4e escadron à cheval au 4e régiment de la garde qui sera stationné à St-Etienne. Son armement et son équipement seront fournis intégralement par le CDM.

Les dépôts du matériel et de l’intendance sont maintenus, c’est ainsi que le magasin d’effet de Roanne subsistera jusqu’à la Libération.

Il en est de même des directions du bâtiment et des établissements de santé.

A la subdivision on maintient 1 officier supérieur, 1 officier subalterne, 3 chanceliers (officiers devenus civils), un archiviste et 5 sous-officiers. Le colonel de Foville dirigera la subdivision, jusqu’en septembre 42, puis le colonel Taillan. Aux districts, Roanne et Montbrison, il est maintenu 1 officier supérieur, 1 officier subalterne, et 2 chanceliers. A Roanne il y a en plus un centre de démobilisation avec 1 officier (le capitaine Poirel du CDM) et 5 sous-officiers, et un centre d’hébergement avec 3 officiers et 5 sous-officiers.

Une fois l’évacuation des locaux opérée, on désigna une équipe pour inventorier le matériel de décembre 42 au 15 avril 43. Elle est composée de 4 officiers et 20 sous-officiers pour les régiments d’infanterie, et 4 officiers et 14 sous-officiers pour les bataillons du génie. Les évacuations de casernes ne furent pas aussi brutales partout, dans l’Ain, elles furent plus progressives, certaines mêmes n’eurent pas lieu . A La Palisse, dans l’Allier, les Allemands oublièrent la caserne d’un bataillon du 152e RI. Il était commandé par le commandant Colliou, qui évacua et cacha son matériel selon les ordres de l’OMA.

A l’arsenal à Roanne, le colonel Berclet est expulsé par les Allemands qui saisissent 15.000 l de carburant, de l’huile et des matériaux non ferreux. C’est le commandant Prette qui lui succède. Les Allemands font arrêter la fabrication des bicyclettes et des gazogènes et reprennent la fabrication des obus.

A la MAS, les Allemands prennent en main la production et font produire le fusil Mauser K8. Le colonel de Vals fait cacher les matrices du fusil MAS 36 et du PM Mac 38 comme il avait fait cacher les matrices de la mitrailleuse Reybel en 40. La production du Mauser ne sera pas importante du fait des retards et des sabotages, sans doute moins nombreux qu’il n’a été dit, le risque étant trop important.

Mais il est un domaine où le CDM resta actif, c’est celui des motos. Peugeot à Sochaux envoyait ses motos en pièces détachées à sa filiale Automoto à St-Etienne, qui les remontait et les livrait au CDM suite à une commande des Ets Dubourg…

Les Représailles

Celles-ci débutèrent très tôt dans la Loire avec l’arrestation dès novembre 42 des gendarmes Faure et Schneider du CDM et de la Brigade de Feurs. Celle-ci était particulièrement sûre puisque c’est elle qui protégea le parachutage de Feurs le 1er septembre 42, et sans doute le pick-up du 12 février 1943 du capitaine Lejeune qui établira le premier contact entre l’OMA et l’Intelligence Service.

Le 9 Janvier 1943, c’est au tour du capitaine Poirel d’être arrêté par une section spéciale venue de Paris. Les Allemands le soupçonnent d’être du 2e Bureau. L’affaire fera grand bruit et donnera lieu à une note du général représentant à Vichy le commandant en chef ouest au général Bridoux. Il réclame le renvoi immédiat de l’adjoint administratif Fromont du bureau de liquidation du 5e Ri et du lieutenant-colonel Briguet commandant le district de Roanne qui a cherché à protéger Poirel. Le capitaine Poirel sera déporté.

On voit que la souveraineté de Vichy, de limitée, est devenue fictive.

Quant au comte de Neufbourg, il figurait sur la liste des dépôts. II eut droit, par 4 fois, à la visite de la gendarmerie qui ne trouva rien et pour cause ; de plus c’était celle de Feurs. Puis ce fut, par 2 fois, la visite du capitaine Otto, de la Wehrmacht, qui ne trouve rien non plus. Neufbourg lui dira « si vous étiez à ma place, que feriez-vous ?». « La même chose que vous» répondit-il. Le 1er septembre 1943, c’est au tour de la Gestapo. Neufbourg est emmené à Feurs, à l’Hôtel du Parc, il est torturé et roué de coups, il a 3 fractures : au front, à une pommette et à la mâchoire droite. A demi inconscient, il entend les Allemands dire dans l’appareil : « der Graf hat gar nichts, le comte n’a rien». Il finit la nuit dans un réduit, puis on le passe à tabac avant de l’emmener à St-Etienne, à la Gestapo au Nouvel Hôtel à Châteaucreux, puis à la caserne Grouchy. II y resta 16 jours. Marguerite Gonon alla tous les jours lui rendre visite, elle fit même une déposition écrite.

Les habitants d’Arthun firent une pétition, mais elle fut interceptée ; de son côté le Vicomte de Meaux, de la Corporation paysanne, fit une demande officielle, sans succès.

Finalement Marguerite Gonon rencontra Neumann qui accepta de le libérer le 17 septembre 1943. Entre-temps, le 1er septembre 43, l’étang de la Loge était au plus bas et les caisses commençaient à apparaître. Marguerite Gonon eut l’idée d’ouvrir les vannes de l’étang Tote, l’eau recouvrit à nouveau les caisses. Une autre personne sur la liste fut le fermier du château de Montrond, M. Rigaud. La Gestapo vint 3 fois chez lui à la recherche de tonneaux de tungstène et le “tabassa” pour le faire avouer. Son fils affirma qu’il n’y en avait jamais eu. Ce n’était pas impossible pourtant, le château de Montrond appartenant à la propre tante du capitaine de Loisy.

Quant au capitaine de Loisy, dès le 11 janvier 1943, il apprend, sans doute par les Travaux Ruraux, que le capitaine Poirel est arrêté et que les Allemands le recherchent. Après avoir pris ses dispositions, brûlé ses archives, il disparaît comme c’est la règle dans les services spéciaux quand on est grillé. Il va d’abord à Tournon en Ardèche chez le vigneron de son grand-père Boissieu. Puis ne voulant pas faire courir trop de risques à cet homme courageux, il est envoyé dans une communauté protestante dans la montagne où la vie frugale était agrémentée par la lecture de la Bible. Après un mois, il revient à Montbrison, met au point avec sa femme un code : si les Allemands le cherchent, un chiffon blanc sera attaché au balcon. Un jour les Allemands viennent. Il se précipite dans le jardin, saute la balustrade du fond et se réfugie dans le Vizézy ; il n’allait pas prendre la rue Alsace-Lorraine, où était le siège de la Gestapo. II reprend son service auprès du général Frère qui l’envoie en mission auprès de nombreux chefs militaires. Désormais, il est armé d’un pistolet 6,35 ; un jour lors d’un contrôle en gare, il a juste le temps de le glisser dans le seau à charbon. On devine la tête de l’employé venu recharger le poêle…

Au printemps 43, Marguerite Gonon, lui fit rencontrer les principaux responsables de l’AS Loire qui cherchaient un chef. Il ne leur fit pas bonne impression. Il n’allait pas révéler ses fonctions auprès du général Frère, il n’était en effet pas disponible. Le général Frère écrira : officier d’une intelligence vive,… discret, connaît bien la troupe, caractère ferme, sait se faire aimer de tous ses subordonnés, a un tempérament de chef.

L’ORA prend forme et s’étoffe. Le débarquement pourrait avoir lieu à l’automne 43. Il faudra des troupes pour fixer les troupes allemandes à l’intérieur des terres et des officiers pour les encadrer. Le général Frère conseille aux officiers appartenant aux armes non-techniques de rester pour cela en France et de se considérer comme l’avant-garde de l’armée d’Afrique. Mais l’étau se resserre autour de lui. Il refuse cependant de changer de domicile et de partir pour l’AFN. Le général Georges partira en avril 43. Les Allemands, furieux, feront des arrestations préventives.

Le général Frère est arrêté le 13 juin 1943 vers 13 heures. Loisy passe à 16 h, voit un attroupement d’Allemands, entre chez les soeurs qui l’informent de l’arrestation du général et le conjurent de fuir. II parti à la prison, sans doute de Riom, se faire écrouer pour une semaine, le temps que la situation se calme et qu’on l’oublie.

Le général Frère sera déporté au Struthof avec les généraux Olleris, Gilliot, et Grandsard.

Il mourra le 13 juin 44 et sur son châlit, au moment de mourir, il dira à un adjudant d’aller voir le général de Gaulle et de lui dire qu’il s’est abstenu. Le général Frère avait présidé le tribunal qui avait condamné le général de Gaulle à mort par contumace.

L’adjudant fut reçu à l’Elysée en 1960 par Georges Pompidou, chef de cabinet, et s’acquitta de sa tâche. La froideur des anciens de la France Libre à l’égard du général Frère n’a plus de raison d’être.

Le capitaine de Loisy figure à nouveau sur la liste des suspects, il repart dans la Loire et se souvenant qu’il a été muté au printemps dans les Eaux et Forêts en guise de couverture, prend son service et va à Chalmazel ouvrir la route forestière avec l’aide d’une compagnie de travailleurs espagnols (anciens républicains qui avaient été enrôlés). Le chantier sera terminé en octobre 1943.

Quand il redescend dans la plaine, c’est pour apprendre qu’il est enfin nommé commandant ; les officiers appelleront «promotion von Rundstedt» cette bienveillance tardive (rares seront ceux comme le lieutenant-colonel Navarre du contre-espionnage et le commandant de Loisy qui conserveront leur grade à la Libération).

Mais les mauvaises nouvelles pleuvent. Le débarquement n’aura pas lieu en 43, le colonel Mollard est arrêté à Penne- d’Agenais en septembre 43. Il sera déporté à Buchenwald dont il reviendra. Son fils Roger, qui était à R4, sera également déporté et ne reviendra pas. Sa succession est reprise par le commandant Triquigneaux jusqu’à son arrestation en décembre 43. Le lieutenant de Brétizel prend alors la succession et fusionne en décembre 1943, le CDM avec l’ORA sous l’impulsion du colonel Zeller.

Mais si l’ORA devient importante, elle souffre également des arrestations. Son 2e chef le général Verneau, qui avait succédé au général Frère, est arrêté le 23 octobre 43 avec le commandant Cogny responsable ORA zone Nord. Le colonel Zeller, rentré de Londres, lui avait annoncé le soutien total de Londres et d’Alger. C’est le général Revers qui prend la succession jusqu’à la Libération.

Quand aux sociétés XV, elles furent durement frappées en décembre 43 et la plupart des directeurs arrêtés. Ils firent preuve d’un courage exceptionnel. Néanmoins certaines sociétés réussirent à maintenir leur activité jusqu’à la Libération.

En R6, Maurice Mathieu est démobilisé. Le 8e dragon est dissous. Il reprend ses études à l’école d’Agriculture de Montpellier, où les Allemands l’arrêteront le 7 mai 43 sur dénonciation, le ramèneront à Vichy et le libéreront en juillet.

Au printemps 43, les SS vinrent perquisitionner au domicile du commandant Perny chez Madame de Féligonde, mais celle-ci eut le temps de le prévenir. Il mit ses enfants chez des proches et mena une vie d’errance jusqu’au début 44, date à laquelle il devint gérant d’un asile de fous tenus par les bonnes soeurs au Puy, où il s’installa avec sa famille.

La Mise à Disposition

Celle-ci doit être divisée en 2 phases, l’insurrection et la bataille des frontières.

L’Insurrection

Le débarquement n’ayant pas eu lieu à l’automne 43, il sera reporté au printemps 44. Il est donc indispensable de structurer et d’armer les maquis constitués pour la plupart de réfractaires au STO, mais également de volontaires patriotes.

L’ORA, qui a pris la direction du CDM, demande à chacun des responsables régionaux et départementaux CDM (ou tout au moins à ceux qui sont encore en poste), de prendre contact avec les responsables de la résistance AS et MUR pour la livraison des armes.

Le moins que l’on puisse dire est que cela ne se passa pas bien, sauf avec les unités ORA comme le corps franc Pommies dans la région Toulouse-Pyrénées R4. Cette unité atteint quand même 12.000 hommes à la libération. La brigade Charles Martel du colonel Chomel dans la Vienne, ou le 1er RI du colonel Bertrand dans le Cher, furent également de bons exemples, mais ce ne fut pas la règle générale.

Essayons d’en trouver les causes. Celles-ci étaient tout d’abord d’ordre structurel.

Les caches n’avaient pas été faites pour ravitailler des escouades, mais des sections, voire des compagnies ; il est difficile en effet d’ouvrir un dépôt qui comporte 30 armes pour seulement en prélever 10, l’unité demandeuse étant incapable de stocker le solde, et le dépôt ouvert ne pouvant plus être refermé.

Par ailleurs certains dépôts, dans l’administration, n’étaient pas accessibles, tout au moins pas dans la phase insurrectionnelle, car il faut un minimum de discrétion pour pouvoir enlever un dépôt.

La troisième raison fut parfois un manque de professionnalisme chez les résistants, qui la plupart n’avaient aucune formation militaire (âge moyen 18-24 ans). C’est ainsi par exemple que le colonel Devimeux mit du matériel à la disposition du colonel Romans Petit dans l’Ain, en plusieurs livraisons, et à chaque fois, le matériel fut saisi par les Allemands. A quoi bon avoir pris tant de risques pour cacher du matériel qui finalement est saisi par l’ennemi. On voit que l’entente ne fut pas facile.

Dans La Loire

Le commandant de Loisy entre en contact avec le capitaine Marey, par l’intermédiaire du capitaine Millon qui est l’adjoint du capitaine commandant l’escadron à cheval de la gendarmerie de St-Etienne et qui était présent. L’entretien se passe au printemps 44. Le commandant de Loisy lui dit son activité au CDM et se déclare prêt à lui donner la liste des dépôts. II demande le commandement d’une unité dans le département. Marey refuse. Loisy demande à Marey de servir comme simple soldat. Marey refuse à nouveau, lui demande la liste de ses dépôts et lui intime l’ordre de quitter le département…

Le commandant de Loisy se demandera toujours s’il a bien eu en face de lui le responsable AS ou le responsable FTP. On peut penser que le responsable FTP eut été plus diplomate. Et pourtant à Estivareilles, c’est bien par la diplomatie que le capitaine Marey obtint la reddition de la colonne allemande…

Cette attitude du capitaine Marey est incompréhensible sauf si on se souvient qu’il était petit et capitaine. Il voulait sans doute avoir uniquement des hommes à lui.

Une autre raison possible était qu’il ne mesurait pas l’ampleur du CDM et pensait que Loisy bluffait quand il parlait de ses dépôts. Il pensait qu’il n’y en avait plus qu’un, celui du comte de Neufbourg et comme il était en contact avec lui par Marguerite Gonon, il n’y aurait pas de difficultés. Le commandant de Loisy tenta de prendre contact avec d’autres unités de la Loire, qui firent toutes la même réponse : “ il faut en référer au capitaine Marey”, avec la même réponse finale négative. Il semble donc que le commandant de Loisy en fit part au comte de Neufbourg. C’est ainsi que la moitié des FM allèrent au commandant Colliou qui était le chef ORA de l’Allier.
Le comte de Neufbourg livra en mai le reste des FM, puis la camionnette et le side-car en juillet au GMO “Liberté” de Chazelles. En août, on ira chercher dans les étangs 250 000 cartouches.

Le commandant de Loisy rendit compte de la situation à l’état-major. C’est ainsi que le lieutenant-colonel Descours chef d’état-major de R1, sans doute influencé par le commandant Huet, chef militaire du Vercors et beau-frère de Loisy, l’affecta au maquis des Alpes.

Après le bombardement de St-Etienne le 26 mai et le débarquement du 6 juin, Loisy décida d’évacuer sa famille sur le Berry, ce qu’il fit en 2 fois pour limiter les risques. Le voyage dura 12 heures pour 200 Kms. On voit que le plan Vert imaginé par l’état-major pour bloquer les liaisons ferroviaires était très efficace.

Lorsque le 7 juillet 44, profitant d’une permission de son chef, le capitaine Millon se rallie avec son escadron à la résistance, c’est le plan de l’état-major qui se réalise. Il prévoyait le bascule-ment des unités vers la Résistance, mais c’est surtout l’armement du CDM qui renforce les maquis. Une partie de cet armement sera saisi par les Allemands, à la fureur du capitaine Millon.

De même, le dépôt du temple sera vidé au mois de juillet, mais les caisses de munitions seront prises par les Allemands par la suite.

Le 20 Juillet le dépôt de Bellegarde est vidé par les maquis, comme d’autres dans une atmosphère de réquisition plus ou moins forcée qui a tant nui à l’image de la Résistance. Tout cela aurait pu et dû être évité dans la Loire.

La Bataille des Frontières

A la libération de Paris, le commandant Triquignaux sortit de la prison de Fresnes, où il était en instance de départ pour l’Allemagne. Il reprit ses fonctions et proposa un certain nombre de mesures :

– Mise à disposition de la 1ère armée et des unités des poches de l’atlantique du matériel CDM restant. C’est ainsi que tout l’équipement de la division alpine sera français, il en sera de même à la poche de Royan où l’on verra des troupes armées de Lebel. Les américains veulent bien que l’armée française renaisse, mais il ne donneront rien de plus que ce qui est prévu pour la consommation des 8 divisions inscrites à la Troop List.

A Pithiviers est formé le 16 octobre 44 le 13e Dragon avec 1 escadron de chars Somua et un escadron de B1bis destiné à la poche de Royan. Ce même 16 octobre à Pontivy est formé le 19e Dragon avec 15 chars Renault R35. Le 1er janvier 45 le 8e d’Artillerie est formé avec 20 canons de 105 Long de 1936… 0n peut ainsi consulter l’armement des unités FFI homologuées. Il est en grande partie français. Il est impensable que le CDM n’y soit pour rien. Mais c’est certainement dans le domaine des munitions que l’apport a été le plus déterminant, car en temps de guerre la consommation est importante, sur les culots des cartouches des alpins du bataillon Maury, devenu 2e bataillon du 99 RIA, il est gravé « 1er trimestre 1940 cartoucherie de Vincennes ».

– Réintégration et Gratification

Il est nécessaire que l’ensemble du personnel du service du matériel qui a été “civilisé” en 1940 réintègre l’armée, ainsi que tout le personnel CDM qui après 42 eut un emploi civil. Il est nécessaire de faire l’inventaire complet des personnels et de demander pour eux les décorations qu’ils ont méritées, Légion d’honneur, Médaille de la Résistance, Croix de guerre.

– Apuration des comptes

Celui-ci sera fait par un membre de l’inspection des finances et les sociétés XV reverseront leur bénéfice des années de guerre, comme M. Gagneraud s’y était engagé. Les 100 millions de marchés fictifs rapporteront 180 millions à l’État.

Aucune organisation de résistance n’a rapporté à l’état, sauf le CDM.

Dans La Loire

Dès la libération de St-Etienne, on alla chercher à Roanne, au magasin d’effet, les tenues et équipements préservés par le CDM. C’est ainsi que les unités de la Loire furent les mieux équipées de la région. De même on récupéra le dépôt de matériel de Firminy, sans doute un dépôt CDM, car on voit mal pourquoi le 1e RI qui se trouvait à St-Amand dans le Cher et dont l’équipement était à Châteauroux, aurait eu ses armes à Firminy. Les gendarmeries reversèrent les armes en surplus, mitrailleuses Hotchkiss entre autres qui n’ont jamais figuré dans l’armement normal des brigades.

Le commandant de Loisy, lors de son passage à Lyon, début septembre ira récupérer des FM, des mortiers et d’autres matériels dans la Loire pour compléter l’équipement du Bataillon de Chartreuse qu’il avait formé dans les Alpes et qui sera un des plus glorieux issus de la Résistance. II fera sans doute une déclaration au service du matériel à Lyon pour le reste.

Ce n’est qu’à l’automne que le Comte de Neufbourg put vider son étang de la Loge et récupérer, la gendarmerie étant présente, les caisses de munitions (photo 6).

A la MAS on ressortit les matrices cachées et la production put reprendre du fusil 36, du PM 38, de la mitrailleuse Reibel et de la mitrailleuse de 13,5. C’est ainsi que la division alpine reçut des MAS 36 tout neufs. 10.000 personnes travaillaient à la MAS. Chez Manufrance, on fabriqua des pistolets.

A l’arsenal de Roanne, on fabriqua des mortiers de 81 et des canons antichars de 75 en plus des obus. C’est dire si les stocks de matières premières cachés par le CDM furent utiles pour le redémarrage de la production.

Gratification

Aucune gratification ne fut décernée dans la Loire sauf peut-être aux gendarmes Faure et Schneider, à leur retour de déportation.

Le comte de Neufbourg au cours de la visite que lui fit le général de Gaulle après la guerre, refusa toute décoration, estimant avoir fait son devoir. Marguerite Gonon dut attendre 1992 pour être chevalier de la Légion d’honneur.

Lorsque le Comte de Neufbourg écrivit au préfet en 47 pour demander la croix de guerre pour ceux qui avaient transféré les armes en 42,il n’y eut pas de réponse… Lorsqu’au retour du général de Gaulle en 1959 il s’adressa à lui en lui réitérant sa demande, il n’eut pas plus de succès.

Quant au commandant de Loisy, il n’eut pas la moindre médaille ni citation au titre du CDM alors qu’il en eut 5 sur sa croix de guerre. II est vrai qu’il était en Indochine avec la 9e DIC (Division d’Infanterie Coloniale) et qu’on l’oublia dans la distribution. Pourtant sur son dossier le colonel Mollard avait écrit : «très méritant ». Dans le même temps, on lui réclamait tel ou tel matériel qu’il avait stocké…

Oui, vraiment ceux qui ont pris tant de risques pour cacher les armes ont bien eu la satisfaction du devoir accompli. Le colonel Rémy écrira : “La forme particulière des actions des camoufleurs du matériel fit qu’auprès d’elle paraissent bien pâles les romans d’aventures et autres westerns si populaires à l’écran ; leur épopée à le mérite d’être vraie”.

Mais il ne faut pas oublier tous ceux qui en 41,42 et même 43 ont fabriqué dans la Loire du matériel interdit. Qui croira qu’ils ne se rendaient compte de rien ? Et pourtant pas un n’a parlé à une époque où la délation était si bien récompensée. Tout cela éclaire d’un jour nouveau l’histoire de la Résistance dans la Loire.

Le Général de Gaulle écrit dans ses Mémoires : « les premiers actes de résistance étaient venus des militaires…des officiers appartenant à l’État Major de l’armée et des régions soustrayaient du matériel aux commissions d’armistice… Sous l’action des généraux Frère, Delestraint, Verneau, Bloch-Dassault, Durrmeyer et en utilisant les amicales de corps de troupe, des mesures de mobilisations ont été préparées… Ainsi l’armée, malgré la captivité et la mort des meilleurs des siens, se montrait spontanément disposée à encadrer la Résistance Nationale ».

Quand il est rentré de Buchenwald, le colonel Mollard fut atterré, on accusait le CDM de collaboration. Il se battit et c’est ainsi que :

Le CDM est homologué Forces Françaises Combattantes depuis 1947.

Il est classé, en 1957, unité combattante avec campagne double depuis le 1er juillet 40.

Il compte 3.128 membres dont 1.777 homologués seulement. C’est le plus important réseau de la Résistance. Parmi ses membres :

92 sont morts pour la France

106 furent déportés

200 furent internés

Épilogue

– Fin juillet 44 le parachutage de 2 containers destinés au GMO “Liberté” eut lieu au domaine de Pracuminal à Chamboeuf qui appartenait au commandant de Loisy.

– Lorsqu’il assure avec le bataillon de Chartreuse, la sécurité du pont de Loyette sur l’Ain dans l’encerclement de Lyon fin août 1944, le commandant de Loisy a pour voisin une unité du maquis de l’Ain commandé par le capitaine Collin..

– Lorsque le 5 septembre 1944, le commandant de Loisy présente le Bataillon de Chartreuse au général de Lattre, à côté de lui se trouve le GMO 18 juin.(Photo 7)

– Le bataillon de Chartreuse sera la 1ère unité importante à intégrer la 1ère Armée le 4 septembre 1944.

– Lorsque fin octobre 1944 le bataillon de Chartreuse devenu II/23e RIC (Régiment d’infanterie Coloniale), s’apprête à conquérir la trouée de Belfort, il a pour voisin le 1/2 Brigade d’Auvergne du Commandant Colliou, qui deviendra le 152 RI après la prise de Colmar en février 45.

– Le bataillon de Chartreuse fut l’une des plus belles unités issues de la Résistance. C’est lui qui entra le 1er à Grenoble le 22 août 44. C’est lui qui entra le 1er à Lyon avec le bataillon des Chambarrands, le 2 septembre 1944. C’est lui qui déclenchera la bataille d’Alsace le 20 janvier 1945. Ses pertes seront élevées : 200 morts, 430 blessés. C’est dire la dureté des combats. Il sera la seule unité de la Résistance, à poursuivre le combat en Indochine.

BIBLIOGRAPHIE

1) ORA : Colonel de Dainville Lavauzelle 1974.

2) Témoignage et archives Colonel de Loisy.

3) Mes camarades sont morts : Pierre Nord (Colonel Brouillard).

4) Archives CDM SHAT.

5) Archives général Mollard SHAT.

6) Archives EMA, Matériel et Commission d’armistice SHAT.

7) Résistance Loire et Résistance civile dans la Loire : Colonel Gentgen.

8) Archives général Frère SHAT.

9) Témoignage M. de Neufbourg.

10) En ce temps là , et Témoignage Marguerite Gonon.

11) Une entreprise clandestine sous l’occupation allemande : Joseph Restany.

12) Histoire de l’A.N.F. : Olivier de Sugny.

13) Archives de Gendarmerie.

14) Archives départementales de la Loire.

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