BD, Tome VI, Cimetière de la Croix de Sainte-Agathe, à, Savignieu. – Communication de M. T. Rochigneux. – Observations de M. Vincent Durand., pages 206 à 212, La Diana, 1892.

Cimetière de la Croix de Sainte-Agathe, à, Savignieu. – Communication de M. T. Rochigneux. – Observations de M. Vincent Durand.

M. Rochigneux s’exprime en ces termes :

J’ai eu l’occasion, il y a quelque temps, de faire sur le territoire de la commune de Savignieu, en la compagnie de MM. Brassart, Gabriel Morel et Boulin, une constatation me paraissant présenter un intérêt archéologique tout spécial : il s?agit de la découverte, loin de toute agglomération moderne de quelque importance, d’un cimetière antique enfermé dans une enceinte fortifiée ; son emplacement porte dans le pays le nom significatif de cimetière de la Croix de Sainte-Agathe ou seulement fort de Sainte-Agathe. Resté propriété communale jusqu’à la date de 1823, époque où il fut mis à l’enchère et acheté par M. Régis de Meaux, ce lieu-dit fait aujourd’hui partie de la ferme de Bel~Air, située à 150 mètres en midi, et des domaines de Merlieu qui sont la propriété de notre éminent collègue, M. le vicomte de Meaux. Il porte les n os 314 et 334, section A dite de Vergnon, du plan cadastral de Savignieu.

Le cimetière de Sainte-Agathe occupe le point culminant et un des angles de direction d’un petit plateau qui domine le cours de l’Escotayet et une assez vaste étendue de plaine, à l’ouest, au nord et à l’est. Il présente une double pente en est et ouest et, dans son ensemble, affectait autrefois, si nous nous en référons aux données du plan cadastral, la forme d’un losange plus particulièrement allongé vers le levant avec une sorte de redan tourné vers le sud-est (1). La face orientale est aujourd’hui complètement bouleversée et l’on ne remarque sur son emplacement nul mouvement de terrain révélateur, mais le fossé nord remplacé par un chemin déjà ancien est assez apparent ; celui d’ouest est aussi parfaitement reconnaissable, toutefois le glissement des terres d’amont et des nivellements intentionnels en auront bientôt fait disparaître la trace. Quant au fossé du midi, presque intact ainsi que son prolongement sud-est, il offre l’aspect d’un petit vallon dont la coupe donne plus de 15 mètres d’écartement au sommet sur près de 5 mètres de profondeur, avec des talus assez rapides. Les dimensions extrêmes du terrain ainsi délimité sont 125 mètres de longueur environ sur 34 mètres de largeur.

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(1) D’après le parcellaire, deux amorces de chemins aujourd’hui supprimés traversaient cet emplacement dans le premier quart de ce siècle ; l’état actuel des lieux ne nous permet pas de juger s’ils étaient le prolongement des anciennes entrées de la fortification ou simplement des servitudes établies insensiblement, depuis l’abandon du cimetière, en vue d’abréger certaines distances.

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D’après le fermier, M. Bouchet, la tradition d’ancien cimetière prêtée à ce lieu était, avant la mise récente en culture, corroborée par l’existence de nombreuses cavités rectangulaires paraissant le résultat du creusement des anciennes fosses à inhumation et du tassement de leurs terres: comme preuve de ce dire, on voit actuellement sur le sol du cimetière des ossements humains que la charrue y ramène à chaque labour. Quant à l’appellation secondaire de Croix dite, nous ne savons pourquoi, de Sainte-Agathe, elle est justifiée par la présence, au point culminant du tertre, d’un socle carré en forme de pyramide tronquée aux angles rabattus, et d’un dé cubique à partie supérieure chanfreinée, qui portaient une croix de fer actuellement disparue : socle et dé gisent aujourd’hui renversés sur le massif de maçonnerie qui les portait jadis et sont menacés d’une dispersion et destruction prochaines.

J’estime, à défaut de tout document historique, qu’il convient de chercher dans la topographie des lieux, admirablement disposés pour une construction militaire, et aussi dans les conditions de voisinage, l’explication de l’établissement des défenses du cimetière ou fort de Sainte-Agathe. Autour de cette enceinte, en effet, mais plus particulièrement à l’est, sur une assez vaste étendue, les terres recèlent des substructions antiques et laissent voir épars à leur surface des blocs granitiques et basaltiques d’un petit appareil très régulier (1), des moëllons informes de calcaire tirés des affleurements de Merlieu, des cailloux de rivière entiers ou façonnés et équarris, des quartiers de béton de chaux, des tuiles à rebords en quantité, des briques en quart de cercle, des meules à bras, des fragments d’amphores, des poteries usuelles fines on grossières, de pâte jaune, grise, noire ou rouge, avec ou sans engobe, et des verroteries.

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(1) On y trouve pareillement en quantité de la menue pierre basaltique provenant vraisemblablement des buttes de Saint-Romain, Montbrison, ou du mont d’Isoure : nous ne nous expliquons point à quel usage ces matériaux auraient été affectés, si ce n’est à l’empierrement de quelque voie.

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Une source abondante et intarissable, aujourd’hui ramenée vers le bord d’un chemin, servait à l’alimentation de cette ancienne station; la voie Bolène, très rapprochée, y conduisait de l’est par un chemin de raccord également déplace, mais toujours fréquenté, qui passe, dans l’esprit des populations des alentours, pour avoir été l’ancien chemin de Feurs à Moind (1).

Ces conditions de voisinage immédiat et de proximité d’une station et d’une voie antiques, nous font conjecturer que la fortification a pu être établie à l’époque des grandes invasions barbares des IIIe et IVe siècles, pour servir de refuge aux habitants des environs et surtout pour défendre le passage de la voie Bolène et couvrir à distance les abords de Moind: son emplacement aurait, plus tard, été transformé en nécropole.

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(1) Le prolongement occidental de cette voie secondaire, dénommée par les riverains vieux chemin de Montbrison à Lyon, pourrait bien avoir été l’ancienne chaussée conduisant de la Bolène et de la Croix de Sainte-Agathe à la primitive agglomération montbrisonnaise, actuellement le faubourg de la Madeleine. Ce chemin modifié sur quelques points par suite de la création d’étangs, a son parcours jalonné d’antiquités romaines, notamment sur l’emplacement de l’ancien prieuré de Savignieu où l’on vient de découvrir de la tuile à rebords, des tuyaux de chaleur et des monnaies impériales.

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L’origine de cette nouvelle affectation ne peut, en l’absence de fouilles, être expliquée ni déterminée avec précision : nous présumons toutefois qu’elle doit être reportée à une époque antérieure à l’établissement du cimetière paroissial de Savignieu; les inhumations auraient persisté ensuite, sans que nous puissions également en découvrir le motif, et elles s’y seraient même continuées jusqu’en des temps rapprochés de nous. Nous en avons pour témoignage la découverte récente, sur les lieux, d’un fragment de poterie d’un usage funéraire, appartenant à Part du XVe au XVIe siècle, dont M. Brassart nous a fait remarquer l’analogie avec des produits céramiques presque similaires trouvés dans l’ancien cimetière de Saint-Germain-Laval et conservés dans notre musée.

D’après des renseignements communiqués obligeamment par MM. Élie et Gabriel Morel, le lieu dit de Sainte-Agathe était, il y a quelques trente ou quarante ans, l’objet d’une superstitieuse terreur; on y voyait, à la tombée de la nuit, danser des feux follets, et les enfants des fermiers des environs évitaient d’y passer dans la soirée tant leur esprit en était frappé d’épouvante. Ce phénomène était dû à la présence du phosphore s’exhalant des fosses à inhumations.

Nous appelons de tous nos vœux des fouilles qui très certainement amèneront des résultats fructueux. Qu’ils confirment ou modifient nos conjectures, ils seront, s’il n’y a pas eu violation des sépultures, précieux pour l’histoire de cette région.

M. Vincent Durand dit que les puissants fossés qui défendent le cimetière de Sainte-Agathe ne permettent pas de regarder celui-ci comme établi sur l’emplacement d’un camp de marche. D’autre part, sa forme irrégulière en losange est peu conforme aux habitudes romaines. Ce pourrait être un oppidum gaulois ou un château du haut moyen âge, avec ceinture de palissades couronnant le fossé. Des fouilles seules peuvent en décider.

Le nom de Sainte-Agathe se retrouve appliqué, dès le XVIe siècle, à une croix qui s’élevait sur la voie Bolène, en un carrefour formé par la rencontre du chemin de Messillieu à Moind et d’où se détache un autre chemin tendant au Poulailler. Elle portait aussi le nom de Croix Mialon ou Croix d’Ambrian (1). Bien que distante d’environ deux kilomètres en midi du lieu décrit par M. Rochigneux, il ne serait pas impossible qu’elle en eût tiré son nom, comme située sur un chemin y conduisant : c’est un fait dont on pourrait citer en Forez d’assez nombreux exemples.

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(1) Joltannes Rornio, de Brucheto in territorio de Ruphio, prope crucem vocalam Mialon sine d’Anbrion, juxta iter tendens de Bolena versus les Sales ex sero (13 mai 1441). (Terrier de Saint-Jean des Prés de Montbrison, signé de Conchis. Copie ancienne à la Diana, f° 379).

– Honesta et vidua mulier Ysabella Romieua, du Bruchet, relicta deffuncti Andree Servel, parrochie Modonii, el Ludovicus Romieu ejus filius…. videlicet medietatem quinque jornalatarum vinee vel circa, de responsione Johannis Romieu du Bruchet facta terario Conchiis folio xx, sitam in teritorio appelato de Ruphieu, prope crucem vocatam Myalon seu d’Ambrion nunc vocatam Sancte Aguete, juxta iter tendens de Bollena apud les Sales ex sero, et juxta viollum tendentem de Modonio apud Neycilliacum ex vento. (Terrier de Saint Jean des Prés, signé Vende et autres, 1506 à 1522, f° 201, Copie authentique à la Diana).

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Quant an cimetière lui-même, c’est peut-être celui d’une maladrerie de Sainte-Agathe, dont l’emplacement n’a pas été déterminé jusqu’ici. L’existence de cette maladrerie est établie par une curieuse charte du mois de juin 1301, faisant partie du fonds des titres de Forez aux Archives nationales. Martin de Montrond, frère donné, c’est-à-dire serviteur volontaire de la maladrerie de Moind, s’était marié à la nommée Bonjour, infirme de la maladrerie de Sainte-Agathe. La coutume voulait que le frère qui contractait mariage sortît de la maison et cessât d’avoir part à ses revenus. Moyennant le versement d’une somme de quatre livres de viennois, Martin de Montrond obtient dispense à cet effet et il est autorisé à continuer sa résidence dans la maladrerie de Moind et même à y recevoir sa femme, le plus secrètement possible, un jour et une nuit par semaine (1). Le site de la maladrerie de Moind, dont le patron était saint Lazare, près des eaux minérales, entre Moind et Montbrison, est parfaitement connu. Les termes de l’autorisation font voir clairement que la maladrerie de Sainte-Agathe était un établissement distinct, peut-être consacré aux lépreux du sexe féminin.

La séance est levée.

Le Président,

Cte de Poncins.

Le membre faisant fonction de secrétaire,

Eleuthère Brassart.

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(1) Archives nationales, p. 1402 3 , cote 1382. – Huillard-Bréholles, n° 1081. – Le texte original, obligeamment vérifié à ma demande par M. Alexandre Bruel, sous-chef de section aux archives nationales, porte : (Quum) Marlinus de Monte Rotundo, frater etdonatus domus infirmarie Modoini, contraxerit matrimonium cum Bona Die, infirma domus infirmarie Sancte Agathe, etc. Le mot infirma est certain. Toutefois, le mariage d’une femme atteinte d’un mal aussi justement redouté que la lèpre, avec un homme attaché, à la vérité, au service des lépreux, mais selon toute apparence non lépreux lui-même, paraît une chose si extraordinaire, la dispense accordée semble si peu conforme aux conditions sévères d’isolement imposées à ces malheureux, que je serais disposé à regarder le mot infirma comme ayant ici le sens d’infirmaria. Dom Carpentier, dans ses additions à Ducange, signale une acception analogue donnée parfois au mot leprosus : Leprosi etiam dicti, qui curam leprosorum agebant. (V. D.).

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