BD, Tome VI, Le Chirat Gros, commune de Saint Laurent en Solore. Renseignements supplémentaires donnés par M. Vincent Durand., pages 28 à 31, La Diana, 1891.

 

Le Chirat Gros, commune de Saint Laurent en Solore. Renseignements supplémentaires donnés par M. Vincent Durand.

M. Vincent Durand dit que le lieu de Chirat Gros, commune de Saint Laurent en Solore, dont vient de parler M. Rochigneux, est des plus curieux à visiter. C’est un dôme basaltique, d’un relief de 10 à 15 mètres au dessus des champs voisins et d’une altitude absolue de 829 mètres, qui émerge d’un plateau faiblement incliné, entre les hameaux du Bruchet, de la Vorgère et de l’Estra, Strata; ce dernier ainsi appelé d’une très vieille route montant de la vallée de l’Anzon et qui passe à 150 mètres seulement en midi de la butte. Le sommet de celle ci est une étroite plateforme, allongée du sud ouest au nord est et dont l’extrémité orientale disparaît sous une couche épaisse et sensiblement horizontale de blocs de basalte, arrachés, ce semble, à la colline elle même et du volume de forts moellons. On n’aperçoit sur ces blocs aucun vestige de ciment; un certain nombre ont subi l’action d’un feu tellement violent, que sur quelques points ils présentent un commencement de fusion. Les flancs de la butte, à partir d’une faible distance de l’arête qui en limite le sommet, sont couverts, jusqu’à leur base et sur tout le pourtour, d’un prodigieux éboulis de blocs, plusieurs centaines de mètres cubes, pareils à ceux qu’on observe au dessus: d’où le nom de Chirat Gros, le mot Chirat désignant, comme on sait, un amas de pierres.

A une dizaine de mètres du pied de la butte, en nord, naît une source intarissable. Elle est enfermée, avec le monticule lui même, dans une espèce d’enceinte polygonale, délimitée par une terrasse qui domine d’un à deux mètres les champs contigus et dont les talus laissent voir un amoncellement des mêmes blocs. Les côtés est et ouest de l’enceinte se prolongent à l’aspect du midi jusqu’à la route antique et entre, ces prolongements sont étagées plusieurs autres terrasses soutenues par des murs en pierre sèche, d’aspect moderne. Il serait donc imprudent de faire des hypothèses hâtives sur l’âge et la destination de ces ouvrages supplémentaires, dans un pays où les cultivateurs ont multiplié les murs de clôture rustiques, tant pour défendre leurs héritages que pour les débarrasser des pierres qui les encombraient. Toutefois, la connexion qui semble exister entre l’enceinte principale et le mamelon qu’elle, entoure, la circonstance qu’elle assurait aux occupants, quels qu’ils fussent, l’accès à l’eau potable, porte à croire qu’elle n’a pas été établie en vue de satisfaire seulement à des nécessités agricoles.

Des fragments de tuiles à rebords et de poteries antiques apparaissent à la surface des champs voisins, particulièrement au nord et à l’ouest du mamelon.

Chaque année, le jour de la Saint Jean, c’est à dire au solstice d’été, une assemblée de charité a lieu au Chirat Gros et on y distribue des aumônes aux pauvres. Les habitants du voisinage sont persuadés que s’ils manquaient à cette coutume, ils en seraient punis par la perte de leurs récoltes. Il est difficile, de ne pas reconnaître ici une de ces observances populaires dont l’origine se perd dans la nuit des temps et dont le christianisme a modifié le caractère primitif; et l’on ne fera pas conjecture trop hardie en supposant que le culte d’Apollon Bélénus a été en honneur sur cette colline.

Mais quelle hypothèse faire sur l’extraordinaire quantité de blocs détachés dont elle est couverte et qu’aucune cause naturelle ne semble avoir pu arracher et précipiter sur ses flancs ? L’étroite esplanade qui la. couronne aurait elle été élargie par un mur de soutènement construit, soit entièrement en pierres sèches, soit en pierres et poutres de bois noyées dans la masse, à la mode gauloise? Serions-nous en présence des ruines d’un véritable rempart ? Les deux suppositions peuvent tort bien se concilier, si l’on admet que le Chirat Gros a été à la fois un lieu d’adoration et le réduit central d’un petit oppidum.

Quant aux traces de calcination profonde, de fusion même, que portent un certain nombre de blocs, il est assez malaisé d’en donner une explication certaine. On peut songer à l’incendie d’un édifice dans lequel le bois serait entré dans une forte proportion, à de grands feux entretenus sur ce point dans un but religieux ou pour servir de signaux. La coutume des feux de la Saint Jean, aujourd’hui inconnue au Chirat Gros, mais que l’assemblée tenue encore le même jour permet de supposer dans le passé, suffirait peut être à donner la raison des faits observés. L’hypothèse de constructions reliées par un ciment vitreux, comme à Villeret et Saint Alban doit d’ailleurs être écartée: les blocs sont trop volumineux, leur fusion superficielle est trop imparfaite, et nulle part on ne remarque d’adhérence entre eux.

La séance est levée.

Le Président,

Vincent DURAND.

Le membre faisant fonction de secrétaire,

Eleuthère BRASSART.

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