BD, Tome VI, Le sceau d’Amplepuis. – Communication de M. le comte de Marsy, directeur de la Société française d’archéologie. – Observations de MM. E. Brassart et Vincent Durand., pages 148 à 152, La Diana, 1892.

Le sceau d’Amplepuis. – Communication de M. le comte de Marsy, directeur de la Société française d’archéologie. – Observations de MM. E. Brassart et Vincent Durand.

M. E. Brassart donne lecture de la lettre suivante, que M. le comte de Marsy a bien voulu lui adresser pour être communiquée à la Société :

Je viens de lire avec intérêt la notice consacrée par notre confrère M. E. Brassart à un sceau du XlVe siècle, récemment découvert dans la sacristie de l’église de Saint‑Loup près Tarare, et qu’il propose de considérer comme le sceau municipal d’Amplepuis.

Il me paraît difficile d’admettre cette identification et voici les motifs qui me portent à la repousser

La forme ogivale et les faibles dimensions de ce sceau en feraient un exemple presque unique. Je ne trouve dans l‘Inventaire des sceaux des Archives Nationales, de Douet d’Arcq, et dans les diverses publications de Demay et de Lecoy de la Marche, que des sceaux ronds pour les villes, ou seulement en forme d’écu, et deux de forme ogivale ou ovale, ceux de Noyon et de Laon. Ces deux sceaux ont des dimensions qui atteignent 0 m 08 de diamètre. Presque tous les sceaux muni­cipaux dépassent (au moins jusqu’au XVe siècle 0 m 06 (1), celui d’Amplepuis n’aurait que 0 m 035.

Le texte de la légende, S. Borgii de Amploputeo, diffère de tous ceux que l’on rencontre et où on ne trouve que la forme Burgus et encore fort rarement, car je ne vois guère à citer que le n° 5629 de l’Inv. des Arch. nat., sceau de Castres, portant sig. universitatis Burgi Castrensis (1303), et un sceau de La Grasse, de la même date.

Aussi je proposerais de voir dans la curieuse matrice signalée par notre confrère M. E. Brassart, non pas un sceau municipal, mais un sceau de personnage et sans doute d’ecclésiastique. La forme ogivale du sceau, généralement adoptée par les membres du clergé, la représentation de la Vierge et les termes de la légende me paraissent autant d’arguments à invoquer pour faire de ce sceau celui d’un prêtre, originaire d’Amplepuis, et en ayant pris le nom suivant l’usage habituel au moyen‑âge. Comment faut‑il lire le prénom ? Borgeois ou Bourgeois, Borges ou Bourges : on a le choix.

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(1) Le sceau d’Olargues cité par Douet d’Arcq ne peut, je crois, être utilement invoqué, sa légende étant illisible et même son attribution douteuse.

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Le détail, signalé par M. Brassart, des traces de mutilation que présente ce sceau viendraient aussi à l’appui de cette hypothèse, car on a souvent, au moyen-âge, détruit ou altéré les sceaux des particuliers, au moment de leur mort, afin de prévenir la fabrication d’actes faux authentiqués par leur apposition ; dans d’autres circonstances, on plaçait le sceau dans la tombe du défunt, et la découverte de cette matrice dans la sacristie pourrait donner à penser qu’elle a été trouvée dans quelque remaniement du dallage de l’église de Saint-Loup.

Un jour, peut-être, la mention de Bourgeois d’Amplepuis dans un acte ou l’apposition de son sceau comme témoin ou partie viendront établir ce que peut avoir d’exact la supposition que je prie mes confrères de la Diana d’accueillir avec leur amabilité habituelle.

La rectification proposée par M. de Marsy, ajoute M. E. Brassart, consiste à traduire sceau de Bourges ou Bourgeois d’Amplepuis au lieu de sceau du bourg d’Amplepuis. Ce changement me met dans la posture du singe de la fable, avec cette différence qu’au lieu de prendre le Pirée pour un homme, j’aurais pris un homme pour le Pirée.

Si je me suis réellement rendu coupable d’une telle confusion, je vous prie de m’excuser et de m’accorder le bénéfice des circonstances atténuantes. Voici les raisons qui m’avaient conduit à l’interprétation que j’ai cru pouvoir proposer.

Par sa forme elliptique, le sceau dont il s’agit n’a guère pu appartenir qu’à un particulier de l’ordre ecclésiastique, ou à une collectivité religieuse ou même civile.

Dans la première hypothèse, celle du sceau d’un ecclésiastique, il semble que le prénom du propriétaire devrait être énoncé. En effet, comme l’établit parfaitement M. le comte de Marsy, le sceau d’un individu est une propriété exclusive. Le prénom devant le nom de famille, quand celui-ci est exprimé, est donc indispensable. Mais le mot Borgii ne semble pas un prénom. J’ai compulsé l’excellente liste onomastique contenue dans le Répertoire des sources historiques de M. l’abbé U. Chevalier. Toutes les appellations similaires sont des noms patronymiques.

D’autre part, on ne connaît aucune famille du nom d’Amplepuis, ville qui a appartenu jusqu’au VIe siècle à différentes branches de la famille de Beaujeu. On ne signale qu’un seul personnage ayant porté ce nom, savoir Girin ou Garin d’Amplepuis, viguier de Lyon pour le roi en 1272 (1), puis sénéchal de Beaucaire et de Carcassonne (2), peut-être un cadet de la maison de Beaujeu.

Enfin, le mot Borgius n’est pas davantage le nom d’une fonction ou dignité ecclésiastique dont le possesseur du sceau pouvait se contenter de prendre le titre, sans énoncer son nom et son prénom, comme on en voit quelques exemples, notamment dans le sceau, cité par Gras (3), d’un archiprêtre de Montbrison, lequel porte la simple légende, S. archipresbiteri de Montebrusonis.

Reste l’hypothèse d’une collectivité. Gras décrit précisément un sceau ogival du XlVe siècle, ayant presque les mêmes dimensions que le nôtre, 0 m 035 de hauteur au lieu de 0 m 032, et portant également au milieu la représentation de la Vierge et de l’Enfant Jésus (4). Il a appartenu aux Cordeliers de Montbrison.

On pourrait penser que le sceau d’Amplepuis est aussi celui d’un établissement religieux quelconque de cette ville. Mais le mot Borgii, s’il n’est ni un prénom, ni un nom de famille ou de dignité, ne peut trop être traduit que par bourg. Voilà pourquoi J’ai cru pouvoir attribuer ce sceau à la communauté des habitants de la ville.

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(1) Aubret, Mémoires pour servir à l’histoire de Dombes, I, p. 568.

(2) Dom Vaissette, Histoire de Languedoc, IV, p. 45 et 91.

(3) Revue Forézienne, année 1868, p. 129.

(11) Revue Forézienne, année 1870, p. 271.

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Que si l’on objecte que sa forme ogivale, ses petites dimensions, sont inusitées pour les sceaux municipaux, je ferai observer que dans notre région on manque de termes de comparaison ; car si une douzaine de chartes de franchises accordées à des villes foréziennes sont parvenues jusqu’à nous, aucun sceau ancien des communautés d’habitants créés par elles ne nous est connu. Il en est de même pour le Lyonnais, Lyon excepté.

M. Vincent Durand dit que les membres de certains ordres monastiques faisaient suivre leur nom de religion de celui de leur lieu d’origine. Mais le premier était toujours précédé de la qualification de frater et l’absence de ce mot sur le sceau d’Amplepuis exclut la possibilité de l’attribuer à un clerc régulier, alors même qu’on devrait reconnaître dans Borgii un prénom resté jusqu’à présent inconnu. La même difficulté n’existerait pas pour un clerc séculier. Toutefois et tout bien considéré, il semble préférable de traduire borgii par bourg. A la vérité la forme borgium n’a pas encore été signalée, mais on trouve burgium dans Ducange, et la substitution vulgaire de l’o à l’u, dont on a un exemple dans borgiosia pour burgesia, s’explique facilement en l’espèce par le roman forézien, dans lequel bourg se dit borc, la consonne finale restant muette.

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