BD, Tome VI, Le traité de 1173 entre le comte de Forez et l’église de Lyon. – Le château de Reculion. – Communication de M. Vincent Durand., pages 303 à 309, La Diana, 1892.

Le traité de 1173 entre le comte de Forez et l’église de Lyon. – Le château de Reculion. – Communication de M. Vincent Durand.

M. Vincent Durand s’exprime ainsi :

Je désire vous soumettre un petit problème de géographie forézienne que soulève le traité de 1173 entre le comte de Forez et l’église de Lyon.

Ce traité a été publié plusieurs fois (1). Je ne crois donc pas nécessaire d’en lire le texte, et me contenterai de vous en rappeler les dispositions générales.

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(1) La Mure, Histoire du diocèse de Lyon, p. 308 ; Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, t. III, p. 28; – Ménestrier, Histoire consulaire de Lyon, preuves, p, 37: il a purement et simplement reproduit le texte de la Mure; – Aug. Bernard, Histoire du Forez, t. I, preuves, p. 4; – Monfalcon, Lugdunensis historix monumenta, p. 393.

J’ai suivi dans mes citations une copie très soignée d’Aug. Bernard, d’après l’original des archives nationales (P. 14001, cote 845), laquelle fait partie de son Cartulaire général de Lyonnais, Forez et Beaujolais, à la bibliothèque de la Diana.

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Les deux parties, voulant établir entre elles une paix durable, conviennent de ce qui suit. A l’archevêque et à l’église de Lyon le comte cède tous les biens qu’il possède et les hommages qui lui sont adressés à Lyon même et au delà du Rhône, de Vienne à Bourgoin et de Bourgoin à Anthon, au confluent du Rhône et de l’Ain, ne se réservant dans cette région que les héritages qui lui pourraient échoir par droit de parenté. Sur la rive gauche de la Saône, il leur abandonne la suzeraineté du château de Péroges, de Birieu et de Montanay, en face de l’embouchure de l’Azergues. De son côté, l’église cède au comte, sous la réserve de certains revenus et de la suzeraineté de quelques châteaux, l’universalité de ce qu’elle possède sur la rive gauche de la Loire, au midi d’une ligne menée d’Amions à Urfé, puis à Cervière, et de là à Thiers. Au nord de cette ligne, chaque partie conserve ses possessions, l’église s’interdisant néanmoins de construire ou d’acquérir des places fortes en Roannais. Cet échange opéré entre leurs possessions les plus lointaines, les parties règlent leur frontière dans la région comprise entre le Rhône et la Saône d’une part et la Loire de l’autre. C’est là que le traité de 1173 a laissé dans notre géographie politique les traces les plus durables et qu’ainsi il mérite d’être considéré comme le véritable acte de naissance du Lyonnais et du Forez et, par suite, du département actuel de la Loire. En effet et sauf quelques modifications de détail introduites dans le cours des siècles, la ligne de démarcation qu’il institue entre les possessions et les zônes d’influence respectives du comte et de l’église correspond assez exactement à celle qui, jusqu’à la Révolution, a séparé le Forez du Lyonnais. Ainsi, du nord au sud, la limite, depuis les frontières beaujolaises, n’a pas cessé de partir de Villechenève pour aboutir à Sorbiers. De même, de l’est à l’ouest, la ligne séparative passait par un point situé entre Saint-Jean-Bonnefonts et Rochetaillée, pour atteindre le Rhône à Chavanay qui, attribué à l’église en 1173, devint forézien par la suite. La plus importante rectification de frontière se produisit à l’extrémité occidentale de la même ligne. L’église s’était réservée par le traité une étroite bande de territoire comprenant Saint-Jean-Bonnefonts, Villars, Saint-Genès-l’Erm, Saint-Victor, et aboutissant à la Loire. Il semble qu’elle ait voulu ainsi avoir un pied sur ce fleuve, de même que le comte continuait à en avoir un sur le Rhône par Maleval et la grande route, strata, venant de Forez par la croix de Montviol, route dont il retint la police. C’est sans doute pour éviter réciproquement que leurs communications ne fussent interceptées, que les parties contractantes neutralisèrent alors la région comprise entre la Tour-en-Jarez et Saint-Priest d’une part, et Saint-Chamond de l’autre, en stipulant qu’il ne pourrait y être élevé de fortifications. Cette langue de terrain, pénétrant comme un coin dans les possessions du comte, devait revenir et revint en effet au Forez.

Au traité de 1173 se rattache une question de géographie locale qui est jusqu’à présent restée sans solution.

Un article de ce document est ainsi conçu Citra Ligerim vero concesserunt (archiepiscopus et ecclesia) a Balbiniaco et Poliaco usque ad Vetulam Canevam, que infra terminos comitis est, quidquid juris habebant in mandamento Donziaci usque ad mandarnenturn Chamosseti, et a mandamento Reculionis usque ad inandamenturn Sancti Simphoriani : ita quod Maringe et Mais rernanerent infra terminos comitis. C’est la version de l’original des archives nationales (P. 14001, cote 845). Une bulle confirmative du traité de 1173 par le pape Alexandre III, en date du l er avril 1174, aux archives du Rhône (G. 125, no 6), donne la variante, in mandamento Reculionis. La même bulle a été imprimée dans les preuves de l’Histoire du diocèse de Lyon par La Mure, p. 308, et dans celles de son Histoire des ducs de Bourbon, t. III, p. 28; on y lit respectivement, a mandamentoet in mandamento ; mais, de plus, au mot Reculionis est substitué celui de Curnilionis, leçon suivie par tous les autres éditeurs et qui est certainement fautive. En effet, le texte de La Mure dérive, ainsi qu’il l’annonce lui‑même, d’une copie insérée au Livre des compositions du comté de Forez, aujourd’hui conservé à la bibliothèque de Saint-Etienne : or ce dernier porte très distinctement a mandamento Reculionis, comme l’original des archives nationales.

Où était situé ce lieu fort de Reculio (cette qualité résulte de son titre de chef-lieu de mandement (1)?

Si l’on se reporte au texte ci-dessus, on voit que le mandement de Donzy, dans la terre du comte, y est mis en regard de celui de Chamousset, dans la terre de l’église, et que le mandement de Reculio est mis en regard de celui de Saint-Symphorien. Et comme il est expliqué à cette occasion que la limite doit être établie de manière à laisser Mays et Maringe au comte, il semble que ces deux localités soient comprises entre Donzy et Reculio. On voit de plus, par un autre passage du traité, que Mays était lui-même chef-lieu de mandement: Et Greziacum et Argenteriarn usque ad mandamentum de Mais. Le même titre est attribué, à Châtelus. Castellutium et Fontanesium, cum mandamentis x mandamentum Castellucii, infra terminos ecclesie habetur. Ces indications combinées paraissent resserrer le site de Reculio dans un canton assez étroit, entre Mays et son mandement au N., Saint‑Symphorien et son mandement à l’E., Châtelus et son mandement au S.

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(1) Le mandement était la circonscription territoriale dont les habitants fournissaient la garnison d’une place forte, où ils étaient tenus de se rendre dès qu’ils y étaient mandés, ordinairement à cor et à cri.

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Ce point admis, toutes les vraisemblances me semblent se réunir pour placer Reculio à la Tour, autrefois la Tour-Saint-Romain, à un kilomètre environ en soir de Chazelles-sur-Lyon, sur la route conduisant à Saint-Galmier. Il existait autrefois en ce lieu une tour commandant le chemin, sans doute ancienne voie romaine, de Feurs au Pont-Français et de là à Vienne (1) et, à côté de cette tour, une église, Saint-Romain-le-Vieux, Sanctus Romanus Vetulus, Sanctus Romanus Vetus, qui parait avoir été la paroisse primitive de Chazelles. L’église de Saint-Romain-le-Vieux figure en 1184 dans la liste des possessions de l’Ile-Barbe confirmées à cette abbaye par le pape Lucius III (2); elle figure encore, concurremment avec la commanderie de Chazelles, Hospitale de Chasaleto, dans le pouillé du XIII e siècle publié par Aug. Bernard (3); elle disparaît des pouillés suivants, soit qu’elle ait été détruite, soit que le titre paroissial ait été transporté à Chazelles. Quant au donjon voisin, qui portait sans doute ombrage aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, il paraît avoir été abandonné de bonne heure.

On trouve à cet égard de curieux détails dans une charte du 7 mars 1267 (1268 n. st.), qui fait partie du Livre des compositions du comté de Forez, f° 12 (4). Cet acte est un accord entre Renaud, comte de Forez, et Robert de Montrognon, grand-prieur d’Auvergne, sur les droits de justice appartenant à la maison de Chazelles entre le château de Saint-Galmier et celui de Saint-Symphorien, d’une part, et ceux de Mays, de Bellegarde et de Châtelus, de l’autre, c’est-à-dire précisément dans la région où les termes du traité de 1173 nous conduisent à circonscrire nos recherches.

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(1) V. M.-C. Guigue, Les voies anciennes déterminées par les hôpitaux du moyen-âge, dans les Mémoires de la Société littéraire de Lyon, 1876, p. 345, et le terrier Beauvoir de Chazelles, 1546-1547 (Archives du Rhône, H. 2438), f° 196 et 384.

(2) Le Laboureur, Mazures de l’Isle-Barbe, t. I, p. 117.

(3) Cartul. de Savigny et d’Ainay, p. 913.

(4) L’original est en déficit aux archives nationales. V. Huillard‑Bréholles, Titres de la maison ducale de Bourbon, n° 483.

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Le comte réserve à ses officiers de Saint-Galmier l’exécution des sentences capitales prononcées par ceux du précepteur de Chazelles, mais il renonce à avoir des fourches patibulaires ou tout autre signe de juridiction dans la paroisse de Chazelles et Saint-Romain-le-Vieux, in perrochia de Chasaleto et Sancti Romain Veteris. La tour voisine de l’église de Saint-Romain ne pourra être par lui réparée et il n’y pourra mettre garnison que du consentement des Hospitaliers : Itemest actum quod turris que est apud Sanctum Romanum Veterem, videlicet illa que non est in ecclesia (quia ipsa de ecclesia ad dictum Hospitale pertinet) maneat in futurum sine edificio meliori, et quod nos dictus comes ipsam edificare, seu reedificare, non possimus, construere, seu cooperire, vel munitionem aliquam ponere, vel aliquivis nostrum credere vel tradere, qui aliquis de superius expressis poneret aliquid vel faceret in turri predicta, nisi de voluntate Hospitalis predicti vel ad commodum ejus; et si forte aliquis alius dictam turrim reedificare vellet, nos dictus comes debemus hoc defendere tanquam bonus gardator Hospitalis predicti. Item actum est quod si dicta turris quoquomodo destrueretur, vel ad dissolutionem deveniret, quod solum remaneret Hospitali predicto.

Il résulte de tout ceci que le comte de Forez possédait anciennement, au lieu dont il s’agit, une forteresse, consistant peut-être en une tour unique, mais qui, placée à cheval sur la route, en un point dominant les vallées de l’Anzieu au nord et de la Coise au midi, avait une valeur stratégique sérieuse; trop rapprochée d’ailleurs de Saint-Symphorien pour qu’il soit probable qu’une autre place forte possédant un mandement distinct existât entre deux. Le lieu où s’élevait cette forteresse devait avoir un nom particulier, car celui de la Tour n’est qu’une appellation commune applicable à un donjon quelconque, et celui de Saint-Romain indique simplement le patron de l’église voisine. Rien n’empêche d’admettre que ce nom primitif fût Reculio, ou plutôt Reculion. Il sera tombé en désuétude, comme la vieille tour en ruines, et le vocable de l’église du village aura seul subsisté, pour disparaître lui-même avec celle-ci (1).

La séance est levée.

Le Président,

Cte DE PONCINS.

Le membre faisant fonction de secrétaire,

Éleuthère BRASSART.

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(1) Le département de la Loire renferme, à ma connaissance, deux autres lieux dont le nom rappelle celui de Reculion.

Le premier est le hameau de Reculon, commune de la Chamba, près d’un col remarquable traversé jadis par le chemin de Noirétable à Ambert, et aujourd’hui par un chemin d’intérêt commun.

Le second est un territoire au bord de la Loire, commune de Saint-Victor. Terrier Conchon de Saint-Victor, 1456, copie à la Diana, f° 58 ; réponse de J. Ramier: Item quasdam rippas et montagia… sitas in radio de Costa Plana, incipiendo in pede dicti radii a Petra Agulhon usque ad montagia dicti respondentis nuncupata de, Reculons a parte maritimum fluvium Ligeris (sic), sub annuo et perpetuo censu, etc. – Cf., fo 57.

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