BD, Tome VI, Les pics basaltiques du Forez, leurs antiquités et leurs traditions. Communication de M. Rochigneux., pages 24 à 28, La Diana, 1891.

 

Les pics basaltiques du Forez, leurs antiquités et leurs traditions. Communication de M. Rochigneux.

M. Rochigneux lit la note suivante :

Je crois devoir signaler aux archéologues en quête de vieilles traditions une coutume singulière qui se perpétue au mont d’Isoure. Chaque année, le premier dimanche de mai, dans l’après dînée, les jeunes gens des villages environnants, garçons et filles, s’assemblent, gravissent les pentes escarpées de la montagne et, parvenus sur l’esplanade qui relie les ruines des deux chapelles de Notre-Dame et de Sainte Geneviève, s’y livrent, en face d’un panorama incomparable, à des danses rustiques qui durent très souvent de longues heures.

Pendant que cette « jeunesse » s’adonne à ses ébats chorégraphiques, les conscrits, drapeau en tête, arrivent à leur tour suivis de près par les restaurateurs des lieux voisins ; les premiers se mêlent aux danses, et la soirée se termine invariablement par des agapes champêtres et enfin le sac en règle des panicules parfumées des buissons de lilas qui croissent librement dans les jardins abandonnés de l’ancien séminaire.

Le sommet du mont Isoure (540 mètres) aujourd’hui complètement désert, étant couvert de restes antiques (1), de même que sa base et une partie de ses flancs, j’incline à rapprocher l’usage dont je viens de parler de ce qui se pratique sur d’autres montagnes autrefois occupées, au mont Beuvray notamment, et présume qu’on doit voir, dans cette assemblée, une tradition, un reste des vieilles coutumes gauloises.

Mais ce que je tiens à faire remarquer surtout, c’est que le mont d’Isoure, en tant que butte de soulèvement, n’est pas le seul en Forez (2) qui conserve des vieilles ruines et rappelle d’anciennes coutumes. Dans l’antiquité, comme au moyen âge d’ailleurs, il y eut, au point de vue de l’histoire, une sorte de similitude, un lien commun entre le plus grand nombre des pics basaltiques de nos régions.

_______________

(1) Sur l’emplacement des édifices religieux élevés sur le sommet de la montagne au XVIIe et XVIIIe siècles, le moindre coup de pioche met au jour des matériaux de tout genre, briques en demi cercle, tuiles à rebords, poterie grossière, tessons de vases samiens, etc. Un énorme pan de mur en pierres appareillées, rappelant les constructions romaines trouvées récemment devant l’église de Saint Paul d’Uzore, y gît encore à demi couché et semble avoir appartenu à une sorte d’acropole qui devait s’apercevoir des extrémités de notre immense plaine. A Chalain et à Saint Paul, on fait accroire aux enfants trop indiscrets que leur plus jeune frère ou sœur a été trouvé derrière cette massive muraille.

Nous lisons dans un carnet de notes laissées par le regretté M. Octave de la Bastie, témoin oculaire, qu’au commencement de ce siècle, les femmes des mariniers, de Saint Rambert et de Saint Just sur Loire, venaient encore sur l’emplacement des ruines en pélérinage contre la fièvre. En s’en allant, pour utiliser leur voyage, elles emportaient de grande quantité de mousse pour le calfeutrage des bateaux.

(2) Un exemple fameux de pic basaltique occupé dans l’antiquité en dehors de notre Forez, est le Puy de Dôme.

_______________

Plus que tous autres sommets en effet, presque toutes ces pyramides ou dômes émergeant de notre plaine ou perçant les flancs de nos montagnes, laissent voir ou cachent des restes de constructions ou de travaux antiques. Et c’est près de ces buttes escarpées, complètement abandonnées aujourd’hui, qu’il faut surtout aller chercher les vieilles traditions et les vieilles légendes: si elles disparaissent ailleurs, elles sont là encore très vivaces, grâce à une sorte de respect religieux qui protège ces sommets.

Parmi les plus intéressantes de ces montagnes, an point de vue qui nous occupe, signalons brièvement le puy de Rochon (540 mètres), sur les flancs duquel on trouve de la tuile à rebords descendue vraisemblablement du sommet, couronné actuellement par une statue monumentale de la Vierge ; le pic de Curtieu (600 m.), où la poterie antique pullule sur un petit plateau d’accès difficile, au pied même de la carrière de basalte (1) ; le mont Semioure (1.012 m.), où l’on a recueilli des silex taillés et sur lequel se perpétue la coutume de se réunir le 24 juin dans le voisinage immédiat de l’emplacement du pilier de la justice de Châtelneuf ; le mont Chaud Abri (1.036 m.) au centre, et peut être au point de jonction d’un réseau de clusels rayonnant dans toutes les directions (2). On a trouvé récemment au Mont, commune d’Essertines, de la tuile antique tout près d’une petite éminence basaltique à demi-rasée.

_______________

(1) Des carriers m’ont assuré qu’en outre une aire bétonnée avait été découverte à l’entrée même de la carrière actuelle: elle est actuellement recouverte de graviers.

(2) Les uns se dirigent à l’est sur Tresailles, Arcy et le Chevalard, d’autres au sud et à l’ouest, sur Chavassieu, le Crozet, le bourg de Lérignieu et Dovézy, enfin les autres au nord est et ouest, sur les Brosses, Seynaud et, croit on, Monvadan.

_______________

Le pic de Bard (836 m.), qui éveille, dit Gras, l’idée d’un gigantesque tumulus, (1) laisse apercevoir, parmi la mousse, des amoncellements de pierres paraissant triées à la main et des débris, rarissimes il est vrai, de tuiles à rebords, associées à de la tuile à crochets du XVIIe siècle : nous sommes tentés de croire que la procession qui se déroule sur ses pentes le jour de l’Ascension est la transformation de quelque ancienne pratique païenne (2).

Plus près de nous, sur la boursouflure du puy de Moulou (569 m.) un défoncement a fait découvrir il y a moins de dix ans, les restes d’une construction soignée et flanquée de contreforts, non loin d’un puits présumé antique (3). Le pic de Saint-Romain (488 m.) dont les traditions tendent à disparaître, fourmille de tuiles à rebords. Quant au pic de Monsupt (616 m.) (4) et au mont Claret (599 m.), ils sont connus par des vestiges divers (5) et par leurs cluzels que le vulgaire croit l’œuvre des fades ou fées (6).

_______________

(1) Gras (L. P.) : Essai de classification des monuments préhistoriques du Forez, p. 48.

(2) Le village de Bard, situé à peu de distance, est luimême bâti sur l’emplacement d’une localité très ancienne; il en reste des pierres de petit appareil et quantité de tuiles à rebords.

(3) D’après les renseignements fournis par le propriétaire du sol et ses ouvriers, le monument du Puy de Moulou, pavé en opus signinum, ressemblerait étrangement au petit temple mis au jour en 1886, à la Pierre Murée, près de Chalain d’Isoure. Certains débris recueillis par MM. Morel laissent supposer qu’il y existait une sorte, de piscine.

(4) V. sur Monsupt, le travail de M. Durand, dans le Bulletin de la Diana, tome III,. page 389.

(5) Meules en laves, poteries anciennes.

(6) On pourrait peut être signaler aussi la butte de Montbrison (435 m.) sur laquelle on a trouvé quelques tuiles à rebords, le mont Verdun (443 m.) dont le nom a une saveur toute gauloise, le culot de la Garde, à cheval sur la voie Bolène, et les buttes de Châtelneuf et de Lavieu, mais les constructions du moyen âge y ont pris un tel développement qu’on ne peut qu’émettre des conjectures sur une occupation plus ancienne.

_______________

Je pourrais en citer d’autres encore et des plus curieux, tels que le puy Griot (673 m.), le puy de Marcilly (585 m.), le Chirat Gros et môme la boursouflure de Bossieu (433m.), sur laquelle on présume avoir trouvé récemment de la tuile ancienne, mais ces sommets ont été savamment décrits par M. Vincent Durand, dans sa belle monographie du canton de, Boën, publié dans le Forez pittoresque (1) : je ne puis faire mieux que d’y renvoyer le lecteur.

En terminant, j’émets le vœu qu’une enquête complète soit entreprise sur les antiquités, les traditions et les coutumes conservées spécialement sur nos monts basaltiques; je ne, doute pas qu’une telle étude n’amène des révélations d’un haut intérêt pour l’histoire, de notre vieille terre ségusiave !

_______________

(1) Thiollier (Félix) : Le Forez pittoresque et monumental, pages 310, 322, 328 et 329.

_______________