BD, Tome VI, Observations sur la recherche des limites des cités gauloises. Communication de M. Vincent Durand., pages 77 à 81, La Diana, 1891.

 

Observations sur la recherche des limites des cités gauloises. Communication de M. Vincent Durand.

M. Vincent Durand présente les observations suivantes :

Les savants qui se sont occupés de déterminer les limites des anciens peuples de la Gaule s’accordent, par des raisons qui semblent décisives, à regarder le territoire de chacune des cités qui figurent sur la Notice de l’Empire comme représenté par celui dépendant du siège épiscopal établi dans la ville qui en était le chef lieu. Mais ils ont soin de faire remarquer en même temps que cette corrélation n’est rigoureuse que pour l’époque où a été rédigée la Notice. Sans parler en effet des profonds remaniements territoriaux introduits par Auguste, érection de cités nouvelles, réunion de nombre de petits peuples à des cités voisines, il est probable, certain même, que pendant la longue durée de la domination romaine, les autres cités ne conservèrent pas toujours intact le territoire dont elles s’étaient trouvées en possession au lendemain de la conquête (1).

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(1) Par exemple, on sait que Galba punit les Lingons de leur hostilité contre Vindex par une diminution de territoire damno finium (Tacite, Hist. I, c. 53) ; M. de Charmasse croit reconnaître le canton qui leur fut enlevé dans les archiprêtrés éduens de Touillon et de Duesnies (Cartul. de 1’éveché d’Autun, p. xxiij).

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Il importe donc, pour ces âges reculés, de contrôler par tous les moyens les indications déduites des limites diocésaines. Les textes historiques sont, épuisés, ou peu s’en faut, mais il y a encore beaucoup à espérer de l’épigraphie ; on peut tirer notamment très bon parti des bornes itinéraires, où figure, assez souvent le nom de la cité et dont les numéros, partant du chef lieu, forment des séries qui vont à la rencontre de celles fournies par les bornes érigées sur le territoire des cités limitrophes. Les piles en maçonnerie, bornes, tumulus, ayant pu servir de démarcations devront être recherchés. C’est ainsi que le célèbre tumulus de Solaise (Isère), le mons Mercurius des chartes, au confluent du Rhône et de l’Ozon, a été, non sans vraisemblance, considéré comme ayant marqué à une époque donnée la limite des Allobroges et des Ségusiaves, de même qu’il délimita plus tard les diocèses de Lyon et de Vienne (1). Certains noms de lieu, tels que Fin, Fins, dérivés possibles du latin Fines, semblent indiquer une frontière (2). Le même sens est attribué au mot Iguerande, Ingrande (3), et ce mot ne dérivant pas du latin, il évoque le souvenir d’un temps où la langue gauloise avait encore assez d’autorité pour imposer des noms aux monuments et aux lieux habités. Il serait utile de relever avec soin tous ces noms et de fixer avec exactitude sur la carte le site des endroits qui les portent.

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(1) V. Brouchoud, Le tumulus de Solaise et l’ager Octaviensis, dans le Congrès archéologique de Vienne en 1879, p. 179. Il ne serait pas impossible que ce monument ait servi de limite au territoire de la colonie de Lyon plutôt qu’à celui des Ségusiaves proprement dits.
(2) J’avais cru pouvoir ajouter à ces noms celui de Fix ou Fy, en me fondant sur ce que dom Estiennot, M. Aymard et M. l’abbé U. Chevalier donnent à Fix Villeneuve, lieu assis sur la voie antique d’Anicium à Augustonemetum, à la limite précise des deux cités, le nom latin de Fines. Mais M. Augustin Chassaing veut bien m’apprendre que la leçon véritable du texte employé par ces auteurs est Fimes, vocable dérivé lui même de Fimum Canis, appelation naturaliste de ce village au Xe siècle. D’autre part, Feix, Fix, Fy, peuvent venir de fiscus et désigner une ancienne propriété domaniale. Il convient de remarquer néanmoins qu’en Forez, l’i nasal a un son qui se rapproche beaucoup plus de l’i qu’en français, ce qui les a amenés parfois à se substituer l’un à l’autre. Par exemple, ,Champolin, fréquemment écrit ainsi dans les anciens titres, est devenu Champoly.
(3) V. l’abbé Voisin, Topographie et monuments gallo romains de l’arrondissement du Blanc. Congrès archéologique, de Château-roux en 1873, p. 93.

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Pour se borner à notre région, n’est’il pas permis de supposer que la ligne qui va d’Iguerande (2), sur la Loire, à Aiguerande, Agueranda, ancienne paroisse aux portes de Belleville, sur la Saône (3), en passant par ou près la Croix de la Fin (Arcinges) (4), représente approximativement la limite des Ségusiaves et des Éduens avant que la création du diocèse de Mâcon, si bizarrement configuré, ne se soit opérée aux dépens, ce semble, du diocèse d’Autun pour sa partie orientale et de celui de Lyon pour sa partie occidentale ? Dans le midi du Forez, on trouve, sur le parcours de la voie Bolène, dans la commune d’Estivareilles, jadis paroisse frontière du diocèse du Puy, un hameau d’Egarande, dont le nom semble attester que sur ce point la limite traditionnelle des Ségusiaves et des Vellaves est fidèlement représentée par celle des anciens diocèses.

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(2) Vuiranda, Evuiranda, Evaranda, (Bernard et Bruel, Chartes de Cluny, nos 11, 471, 486, etc.)

(3) M. C. Guigue, Cartulaire Lyonnais, ch. 39.

(4) On a prétendu que la croix de la Fin était ainsi nommée d’un combat où les catholiques du pays auraient achevé d’exterminer un parti huguenot en 1570 (Mulsant, Souvenirs du mont Pilat, t. ler, p. 233). Cette étymologie a bien peu de vraisemblance.

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Deux autres Egurande existent dans la Loire. L’un, appelé de ce nom au XVIe siècle (1), et aujourd’hui Guirande, est situé dans la commune des Salles, sur l’extrême limite des diocèses de Lyon et de Clermont, ou des Ségusiaves et des Arvernes, qui là aussi se trouverait vérifiée. L’autre est placé à côté de Rive de Gier, en un point, qui ne correspond à aucune limite diocésaine, non plus que le Fayn, commune de Saint-Jean Bonnefond (2): le territoire propre des Ségusiaves se serait il donc, à un moment donné, arrêté au Gier ?

De même le nom d’Eguerande, aujourd’hui Guérandes, Yvueranda au Xe siècle (3), que porte un hameau de la commune de Chaveyriat (Ain), reste-t il peut être comme un dernier jalon d’une frontière antique délimitant le territoire d’un peuple à déterminer. Même observation au sujet d’Igrande (Allier), situé dans l’intérieur de l’ancien diocèse de Bourges.

Je suis bien éloigné de vouloir donner plus de portée qu’il ne convient à des aperçus dont je sens mieux que personne l’extrême incertitude. Si je me hasarde, non sans hésitation, à vous les soumettre, c’est dans le but d’attirer votre attention sur les côtés multiples du difficile problème de la restitution de la carte des Gaules aux temps voisins de la conquête et l’utilité de l’aborder par les voies les plus diverses. Il en est de la vérité comme de Rome : tous les chemins y conduisent ceux qui ont le désir sincère de l’atteindre.

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(1) Archives de la Loire. B. 1844.

(2) Aujourd’hui le Fay. (Barban, Fiefs du Forez, no 172).

(3) Bernard et Bruel, Chartes de Cluny, no 1077. Cf. Cartul. de Saint Vincent de Mâcon, eh. 313.

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