BD, Tome VI, Ordre d’arrestation en 1602 d’Honoré d’Urfé et de Gaspard de Genetines. – Communication de M. l’abbé Reure., pages 231 à 236, La Diana, 1892.

Ordre d’arrestation en 1602 d’Honoré d’Urfé et de Gaspard de Genetines. – Communication de M. l’abbé Reure.

M. l’abbé Reure s’exprime ainsi :

Messieurs, le document dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture est curieux à plus d’un point de vue. On croit généralement que le traité de Vervins, la convention d’Angers et l’édit de Nantes marquent le terme de la Ligue, l’apaisement général des esprits, la fin de toutes les haines du côté des ligueurs, de toutes les poursuites du côté du pouvoir royal. Cependant, au commencement du XVII e siècle, il restait encore bien des rancunes attardées, et l’ordre donné par le roi, en 1602, d’arrêter Honoré d’Urfé et Gaspard de Genetines, autrefois fougueux ligueurs, suffirait à le prouver.

Quant à l’intérêt forézien de cette pièce, je n’ai pas besoin d’y insister. On sait que la notice consacrée par Aug. Bernard à Honoré d’Urfé, dans sou beau livre sur les d’Urfé, renferme fort peu de renseignements biographiques, en dehors de, ceux qu’Honoré nous a donnés lui-même dans ses ouvrages. Comment Aug. Bernard, cet érudit si consciencieux et si chercheur, n’a-t-il pas eu l’idée d’interroger les belles archives de Châteaumorand où il était presque certain d’avarice de rencontrer des choses toutes nouvelles ou bien a-t-il essayé de le faire, et aurait-il été éconduit ? Je le soupçonnerais à l’espèce d’âpreté avec laquelle il parle de Diane de Châteaumorand, qu’il s’obstine à appeler Diane Le Long de Chenillac, comme si ce nom de Châteaumorand lui semblait trop grand pour celle qu’Honoré d’Urfé avait eu le malheur d’épouser. Quoi qu’il en soit, si Aug. Bernard eût voulu ou pu pénétrer dans les archives de Châteaumorand, il y aurait trouvé un grand nombre de pièces qui auraient élargi son travail, et qui, à bien des égards, l’auraient transformé. C’est parmi ces documents restés inconnus à Aug. Bernard, que je choisis celui que je vais communiquer è la Société de la Diana.

Anthoine Thomé, prévost général de nosseigneurs les mareschaulx de France au pays de Lyonnoys, Jehan de Chastillon, son lieutenant, Benoist Ranyne, lieutenant du sieur prévost des mareschaulx au pays de Fourestz, sçavoir faisons que, sur le commandement que nous a esté faict par monseigneur de la Guiche, gouverneur et lieutenant général par le roy en la ville de Lyon, pays de Lyonnoys, Fourestz et Beaujolloys, nous somes assemblez avec nos troppes et archers, et renduz l’Hospital près de Roanne, la nuict du unziesme juillet mil six cens et deux; où, après avoir veu la commission de mon dict seigneur du dixiesme du dict moys, et nous estoit Chasteaumorand cogneu fort bien fossoyé, et imprenable sans troppes et canons, le dict Thomé se seroit à l’heure mesmes achemyné à Roanne, aux fins de veoir s’il y pourroit employer les troppes estantz logées à Sainct Romain (1) ; mais luy ayant esté respondu par aulcuns cappitaines des dictes troppes, logés à Roanne au Iogys du lyon d’or, qu’ilz n’avoient aulcun commandement de leur chef, sans lequel ilz ne s’y pouvoient achemyner, le dict Thomé seroit avancé pour trouver les troppes conduittes par le cappitaine Gagemont, et les y employer. Et nos dictz Chastillon et Ranyne aurrions attendu à Sainct Germain Lespinasse, d’où, sur les neuf heures du soir, somes partys, et le dict Thomé trouvé à La Pacodière, et tous ensemble achemynez au dict lieu de Chasteaumorand, sans aulcunes aultres troppes, pour estre celles du dict Gagemont au delà la rivière de Loyre, esloignez du dict ehasteàu de plus de dix lieues. Et arrivez au dict lieu de Chasteaumorand, ne le pouvant approcher à cause du fossé, ny mesmes saisir la basse cour, nous somes renduz au lieu de Sainct Martin d’Estraulx, plus prochain village, et environ une heure après minuict, nous somes saisys des personnes de messire Jehan Grymaud, curé du dict lieu, et M e Mathieu Guerpillon, procureur d’office, aux fins d’estrc présentz, et .nous assister aux commandementz que nous entendrons faire au sieur d’Urfé, seigneur du dict lieu, et Gaspard de Genetines, sieur de la Thenodière, son lieutenant. Et advenu le jour du sabmedy treziesme du dict moys, nous somes allez au dict chasteau, proche du dict Sainct Martin d’ung demy quart de lieue : où, après avoir par plusieurs et dyverses foys appellé, et, pour estre encores matin nul respondant, avons faict donner troys chamades de trompettes, auxquelles plusieurs de la maison, esveillez, se sont mys aux fenestres, et entre aultres ung nomé Jehan Neyral, soy disant vallet dechambre de la dicte dame d’Urfé (2), auquel nous avons faict entendre que avons commandement et commission de monseigneur de la Guiche, gouverneur par te roy en la ville de Lyon, pays de Lyonnoys, Fourestz et Beaujolloys, d’entrer dans le chasteau et y faire perquisition des choses contenues en la dicte commission.

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(1) Saint-Romain-la-Motte près de Roanne.

(2) Diane de Châteaumorand.

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Lequel est rentré, et a faict venir en la dicte fenestre madame d’Urfé, a laquelle avons faict pareillement entendre, et laquelle a faict faire ouverture du chasteau, où nous somes entrez avec les dicts procureur et curé et nos greffiers, et faict perquisition. Ne trouvant dans icelluy les dicts d’Urfé et de Genetines, avons faict veoir l’original de la dicte commission la dicte dame, laquelle dict que le dict sieur son mary est aux champs puys le jour d’hyer; le dict la Thenodière puys troys septmaines ou ung moys n’y a esté ; et que, s’il eust pleu a monseigneur le gouverneur d’envoyer unes lectres ou faire entendre sa volonté, le dict sieur d’Urfé le lust allé trouver; que on ne doibt avoir aulcun ombrage de luy, qu’il est très affectionné serviteur du roy, et que dans le temps que luy sera préfixé, pourveu qu’il soit suffizanee pour l’en advertir, il se rendra où il luy sera ordonné. Et parce que, par la commission, il est mandé de saisir les papiers, nous a la dicte darne conduiet en deux cabinetz, où nous avons veu quelques lectres d’affaires particulières, de visites et de recommandations, tant au dict sieur d’Urfé que à la dicte dame, plusieurs livres imprimez ; nous a en oultre la dicte dame ouvert deux boettes estantz en ung des dicts cabinetz, et dans lesquelles n’a esté trouvé que papiers de baulx a fermes, louages et quictanees. Après laquelle exacte recherche tant de personnes que papiers, et n’ayant trouvé dans la dicte maison que bien peu de domestiques, nulz estrangers, nous avons laissé a la dicte dame coppie de la dicte commission, avec assignation, au pied, au dict sieur d’Urfé et de Genetines, dict la Thenodiére, d’eulx rendre en l’estat mentionné en la dicte commission à Lyon dans lundy prochain. Laquelle dame a demandé plus long délay, pour estre son mary esloigné, et lequel luy a esté baillé a jeudy prochain, dix-huictiesme des présentz moys et an. Laquelle darne a dict qu’elle en advertira le dict sieur d’Urfé, son mary; et pour le dict de Genetines, qu’elle ne sçait où il est, toutesfoys s’en informera pour le luy faire sçavoir. Et a signé la dicte darne avec les dicts Grimaud et Guerpillon, ainsi que dessus. Expédié par nous, greffiers des dicts sieurs prévostz, l’original de quoy est demeuré entre les mains du dict sieur Thorné. Le treziesme juillet an sus dit.

Signé: Tricau et Boulhon.

Suit la teneur de l’ordre d’arrestation.

Le seigneur de la Guiche, chevalier des ordres du roy, conseiller en son conseil d’estat, cappitaine de cent homes d’armes de ses ordonnances, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en la ville de Lyon, pays de Lyonnoys, Fourestz et Beaujolloys.

Nous ordonnons au sieur Thomé, prévost général de nos seigneurs les mareschaulx de France en l’antier gouvernement de Lyonnoys, come aussi au sieur Ymbert, prévost de nos dicts seigneurs les maresehaulx en Fourestz et Beaujolloys, de se transporter avec leurs archers au lieu de Chasteaumorand et aultres lieux où besoing sera, pour y appréhender et saisir les personnes et papiers de monsieur d’Urfé, et du sieur de la Thenodière, son lieutenant; et après, le conduire seurement prisonnier en ceste ville, suyvant le commandement que Sa Majesté nous en a faict, et [au cas] où ils seroient reffuzantz d’ouvrir les lieulx où vous vous achemynerez, après que vous leur aurez commandé de la part de Sa dicte Majesté et de nous, nous vous permettons et enjoignons de les forcer, et faire en sorte que Sa dicte Majesté demeure hobéie ; et, pour cest effect, vous appellerez et assemblerez les communes circonvoisines, auxquelles nous mandons très expressément vous y assister, sur peyne de désobéissance. Mandons aussi et ordonnons a tous justiciers, officiers, consulz, cappitaines des villes et villages, et a tous aultres subjoetz de Sa Majesté en ce gouvernement, de vous y tenir la main, et donner toute aultre faveur et main forte, si besoing est. Faict a Lyon, ce dixiesme jour de juillet l’an mil six cens et deux. La Guiche. Au plus bas : Par mondict seigneur, Rigrys; et scellé du cachet des armes du dict seigneur.

Teneur de l’assignation.

L’assignation est donnée au dict sieur d’Urfé, seigneur de Chasteaumorand, et de Genetines, dict la Thenodière, d’eulx rendre prisonniers à Lyon, a peyne de rébelion et de déshobéissanee au roy, dans jeudy prochain dix-huictiesme du présent moys de juillet mil si cens et deux. Et ce, parlant Madame d’Urfé, dame de Chasteaumorand, dans le chasteau de Chasteaumorand. Le tout à la forme du procès-verbal y faict par nous prévost et lieutenant dessoubz signez, et en présence des tesmoingz en-icelluy, et que y ont signez: Thomé prévost; Chastillon, lieutenant général dudict sieur prévosi général en Lyonnoys; Ranyne, lieutenant du sieur prévost en Fourestz.

Je ne sais quelle fut l’issue de cette affaire. Mais il est probable qu’Honoré d’Urfé n’eut aucune .peine à écarter les soupçons qui pouvaient peser encore sur sa fidélité ; à ce moment-là, il était beaucoup plus occupé de littérature que de politique. En fin de compte, Henri IV lui garda si peu rancune de ses anciens sentiments de ligueur, qu’il l’attacha à son service en qualité de gentilhomme de la chambre.

Je n’ajouterai qu’un mot. Aug. Bernard paraît croire qu’Honoré d’Urfé vécut très peu de temps avec Diane de Châteaumorand, et qu’il passa au moins les vingt dernières années de sa vie en Savoie, ou dans son château de Virieu en Valromey. Tout cela est inexact, et je n’aurai pas de peine à le prouver dans la notice que j’ai l’intention d’écrire sur Honoré d’Urfé. Il fit d’assez longs séjours à Paris auprès du roi, et vécut au moins douze ans avec Diane ; de là cette conséquence, très intéressante pour nous, qu’une partie notable de l’Astrée, dont le premier livre parut en 1609, a été écrite à Châteaumorand. A partir de l’année 1613 environ, Honoré d’Urfé se fixa, en effet, en Va1romey, et j’ai entre les mains l’inventaire de ses meubles, livres, manuscrits et papiers, fait au château de Virieu, quelques jours après sa mort. Mais il faisait encore de fréquents retours en Forez et à Châteaumorand, et il conserva toujours des rapports suivis:avec son pays d’origine.

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