BD, Tome VI, Origine du Lyonnais Roannais. – Communication de M. Vincent Durand., pages 231 à 250, La Diana, 1892.

 

Origine du Lyonnais Roannais. – Communication de M. Vincent Durand.

La partie septentrionale du territoire qui forme aujourd’hui le département de la Loire était jadis morcelée en lambeaux bizarrement enchevêtrés et appartenant respectivement au Forez, à la Bourgogne et au Lyonnais. Cette dernière province possédait ainsi plusieurs enclaves isolées entre elles et séparées du Lyonnais proprement dit par toute l’épaisseur du Beaujolais. La principale avait pour centre Charlieu avec tout ou partie d’une quinzaine de paroisses et, pour satellite, le petit territoire de Régny et Naconne enfermé en plein Beaujolais. L’autre groupe comprenait Changy, Ambierle et partie des paroisses de Sail-les-Bains, Vivans et Saint-Bonnet des Cars.

Quelle est l’origine de cette extension singulière du Lyonnais dans le val de la Loire ? Auguste Bernard, dans les Éclaircissements joints aux cartulaires de Savigny et d’Ainay et aussi dans l’Histoire territoriale du Lyonnais, œuvre posthume, a émis l’opinion que le canton dont il s’agit était un membre de l’ancien comté ecclésiastique de Lyon, tel qu’il se trouva constitué à la suite du célèbre traité de 1173 entre l’archevêque et l’église de Lyon et le comte de Forez. L’archevêque, dit-il, aurait gardé Ambierle et quelques paroisses voisines en vertu de l’article 3 du traité, portant qu’au nord d’Amions, sur la rive gauche de la Loire, chacune des parties conserverait ses possessions, sous la seule réserve que l’archevêque ne pourrait élever de fortifications dans les siennes. Quant à Charlieu et à son territoire, ils auraient appartenu de temps immémorial à l’église de Lyon ou du moins auraient passé dès le Xe siècle, avec le pagus Tulveonensis dont ils dépendaient, du comté de Mâcon dans celui de Lyon : d’où l’on pourrait conclure qu’ils n’a\ tile ut été séparés matériellement du Lyonnais que pur la formation plus récente de la seigneurie de Beaujolais (1).

Sans avoir jamais, que je sache, rétracté explicitement ces assertions, Auguste Bernard paraît les avoir graduellement abandonnées, car dans son Addition à l’Histoire de Charlieu, il admet l’existence, aux portes de cette ville, d’un domaine de la couronne jadis possédé par le roi Boson et qui, après avoir passé de ses ‘successeurs rois de Bourgogne aux rois de France, aurait été le noyau de la châtellenie royale de Charlieu dont, avec M. de Sevelinges, il ne fait plus remonter l’annexion au Lyonnais qu’au XV siècle (2). Enfin, dans son Essai historique sur les vicomtes rie Lyon, de Vienne et de Mâcon, un des derniers écrits sortis de sa plume, il propose une nouvelle et ingénieuse hypothèse, à savoir que le territoire dont devait par la suite se composer cette châtellenie le faisait au XII e siècle partie des domaines du vicomte de Mâcon (3).

Les recherches auxquelles j’ai ou l’occasion de me livrer pour écrire l’abrégé de l’histoire de Charlieu placé en tête du livre de M. Thiollier, l’Art roman à Charlieu et en Brionnais, m’ont conduit, sur ce point demeuré obscur de notre histoire provinciale, je ne dirai pas à des conclusions, mais à des considérations que je demande la permission du vous exposer.

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(1) Cartul. de Savigny et d’Ainay (1853), p. 1080. ( Cf. Lettre au sujet de la géographie de Charlieu, dans la Revue du Lyonnais, t. XVI, 1858, p. 160). – Histoire territoriale du Lyonnais, dans les Mémoires de la Diana, t. 1, p. 182; t. 111, p. 13 et 21. Cette histoire, composée vers 1847 ou 1848, fut reprise et retouchée par l’auteur en 1865.

(2) Addit. à l’hist. de Charlieu (1857), p. 6, 2?, 43.

(3) Revue Forézienne, t. 1, 1868, p. 154, 167 et suiv.

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Tout d’abord, il convient de rappeler un fait qu’on perd trop souvent de vue, c’est qu’au moyen âge, et plus spécialement du X e au XII e siècles, si les circonscriptions diocésaines, images des cités romaines du IV, siècle, avaient le caractère d’homogénéité et de fixité qu’elles présentent encore de nos jours, il n’en était pas de même des circonscriptions provinciales ; ou pour mieux dire, la province, dans le sens que l’antiquité donnait à ce mot et que les modernes lui ont restitué, existait plutôt comme appellation régionale et traditionnelle que comme véritable unité administrative. Le Forez, le Lyonnais, c’étaient les domaines immédiats du comte de Forez, des comtes de Lyon, et l’ensemble des fiefs relevant de leur suzeraineté. Mais à côté de ces domaines et de ces fiefs, d’autres seigneuries relevant d’autres suzerains on même indépendantes pouvaient coexister. C’est ainsi, par exemple, que les châteaux célèbres d’Urfé et de Châteaumorand, bien que situés en Forez, ont pourtant relevé du sire de Beaujeu, et que le Beaujolais lui-même, formé aux dépens des comtés primitifs de Lyon et de Mâcon, jouissait sous ses puissants seigneurs d’une véritable autonomie, saris être exempt non plus d’enclaves soumises à une autre domination.

Revenons à un traité de 1173, invoqué par Auguste Bernard à l’appui du premier des systèmes par lesquels il a essayé d’expliquer la formation de ce que j’appellerai le Lyonnais-Roannais. J’observe que dans ce traité, aucune des possessions de l’archevêque situées au nord d’Amions, sur la rive gauche de la Loire, n’est nommément désignée: c’est par une pure conjecture qu’Auguste Bernard y fait figurer Ambierle. Incontestablement, ce lieu faisait partie du comté primitif de Lyon: perinentem de comitatu Lucdunensi, dit une charte de l’an 902 (1) ; mais rien ne prouve qu’il ait appartenu au XII e siècle à l’archevêque. En fait, il était depuis 938 placé dans l’obédience de Cluny, dont on connaît les amples privilèges (2). Le prieur d’Ambierle était seigneur du lieu, avec toute justice. Mais il n’est pas d’indépendance véritable, si l’on ne dispose d’une force suffisante pour la faire respecter. Une charte de l’an 972 nous apprend qu’un seigneur nommé Hugues indemnisa l’abbaye de Cluny au sujet du château d’Ambierle, pro emendatione castelli quod fuit ad Ambertam, qu’il avait, l’emploi du temps passé permet de le croire, pris de force et ruiné (3). Plus tard, on voit le vicomte de Mâcon en possession de la garde d’Ambierle. Il s’y conduisait sans doute moins en gardien qu’en maître et en déprédateur, car, en 1169, à la demande du prieur Artaud et d’Etienne, abbé de Cluny, Louis VII prit le monastère sous sa protection spéciale, pour y rester à perpétuité, sans jamais pouvoir être remis entre les mains d’un autre seigneur (4).

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(1) Charte de Cluny, n° 78

(2) La Mure. Histoire du Diocèse de Lyon, p.236; 295 – cf. Charte de Cluny, n° 499

(3) Charte de Cluny, n° 1321

(4) Ambertam cum omnibus appenditiis suis in manu et protrctione suscipimus, decernentes ut ecclesia et possessiones suæ universæ in perpetuum sub regio permaneant domino et protectione, autoritate etiam regia, prohibentes ne alicui hominum nostrorum aut alii unquam homini liceat eam aliquo modo ad aliam transferre potestatem. (Ménestrier, Histoire consulaire de Lyon, p. 399).

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Il semble que le vicomte n’ait pas renoncé volontiers à ses prétentions sur Ambierle ; à la fin pourtant, par accord passé à Ambierle même, le 1er septembre 1180, avec, Thibaud, abbé de Cluny, il abandonna à celui-ci, en réparation des maux nombreux qu’il avait causés à Cluny, non ,seulement la garde.mais encore tout son fief du même lieu, ainsi qu’une foule d’autres. droits dans les environs (1).

Je regarde la mise d’Ambierle, sous la protection permanente, et immédiate du roi de France comme l’origine de la circonscription territoriale qui fut plus tard le Lyonnais du val de la Loire. En effet, la garde royale ne détruisait pas les droits temporaires des églises et monastères qui en obtenaient le bénéfice et qu’elle avait précisément pour objet de protéger, mais elle y superposait l’autorité plus immédiate du souverain exercée par des officiers qui, à leurs fonctions militaires, joignaient la connaissance des cas royaux. Elle impliquait pour les sénéchaux et baillis le droit de tenir leurs assises dans les lieux où elle s’étendait, faculté qui leur était refusée sur les terres de tout autre seigneur ecclésiastique ou laïque (2).

En vertu de l’ordonnance de Louis VII rendue, j’insiste sur ce point, du consentement et à la requête de l’abbé de Cluny, Ambierle et ses dépendances devinrent donc, si je puis m’exprimer ainsi, pays de protectorat. En d’autres termes, ils se trouvèrent placés dans la condition des provinces unies à la couronne, une telle union n’ayant d’autre conséquence que de supprimer un degré de l’échelle féodale, en laissant subsister les droits des vassaux du grand feudataire dont le fief était éteint.

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(1) Aug. Bernard, Les vicomtes de Mâcon, dans la Revue Forézienne, t. 1, p. 168.

(2) Inhibentes ne predictas assisias teneant (senescalli et baillivi nostri) in terris, villis, locis prelatorum, baronum, vassalorum, et aliorum quorumcumque subjectorum nostrorum, aut in quibus nos justitiam, dominium, aut gardiam non habemus (Ordonnance de Philippe-le-Bel, 1302).

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Une dizaine d’années après Ambierle, le prieuré de Charlieu entra pareillement dans la garde immédiate du roi, comme nous l’apprend une charte de Philippe-Auguste datée de la première année de son règne, c’est-à-dire de 1180 ou 1181 (1). Vers la même époque ou peu après, le roi acquit à Charlieu des droits de seigneurie directe. Ces droits furent-ils le prix de la protection accordée au monastère ? Passèrent-ils des mains d’un baron du pays à celles du roi par achat ou par confiscation ? C’est ce que je n’ai pas réussi à découvrir. Quoi qu’il en soit, le petit territoire sur lequel le roi, soit à titre de gardien, soit à titre de seigneur direct, venait d’étendre son domaine, et dont Ambierle et Charlieu marquaient à peu près les deux extrémités, partait avoir été placé sous l’autorité supérieure du bailli de Bourges. Il était, en effet, trop peu important pour former un bailliage particulier. C’était une simple prévôté ou châtellenie. L’acquisition du comté de Mâcon par saint Louis, en 1238, le fit passer dans le ressort du bailli royal institué en cette ville.

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(1) Aug, Bernard, Addition à l’Histoire de Charlieu, p. 10.

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C’est encore comme gardien et défenseur spécial que le roi de France parait avoir établi sa supériorité immédiate à Briennon, autre membre de la châtellenie de Charlieu. Trois maisons religieuses y avaient des biens: le prieuré de Noailly qui avait un prieuré secondaire à Maltaverne, le prieuré de Marcigny qui possédait la plus grande partie du territoire, et à Briennon un château avec justice, enfin l’abbaye de la Bénisson-Dieu, construite à la limite extrême de la paroisse. Il est incontestable que cette dernière dépendait autrefois du Brionnais: cela résulte de plusieurs titres, notamment d’un accord passé eu 1279 entre Jean de Châteauvilain, seigneur de Semur, et l’abbaye de la Bénisson-Dieu (1), et de la cession faite par le même, l’an 1290, au prieuré de Marcigny de la haute justice sur les hommes du monastère à Briennon (2). Marcigny fondé par les seigneurs de Semur, enrichi de leurs dons, gouverné à diverses reprises par des membres de leur famille, n’eut cependant pas toujours à se, louer de leurs procédés. Au commencement du XIV e siècle, un différend s’éleva entre eux au sujet, du château de Briennon. Le prieur de Marcigny invoqua l’autorité, du roi et celui-ci fit mettre le château en sa main. Jean de Châteauvilain protesta contre cette saisie et, chose curieuse, trouva un appui dans les religieuses de Marcigny, qui reconnurent que leur prieuré était de la garde des seigneurs de Semur, nonobstant les prétentions contraires de leur, qui s’était mis en a garde des rois de France (3). Un nouveau conflit éclata sons le gendre et successeur de Jean Il de Châteauvillain, Guichard VI de Beaujeu. Celui-ci, au mépris de I’autorité du bailli de Mâcon et, du gardiateur royal établi à Marcigny,, entreprit violemment sur la justice du monastère. Une horrible exécution, celle d’un certain nombre de lépreux, 23 selon Courtépée, que ses gens firent brûler dans la léproserie de Marcigny, et divers autres excès attirèrent sur lui toute la sévérité du Parlement.

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(1) Huillard-Bréholles, n° 656 – Abbé Baché, L’abbaye de la Bénisson-Dieu, p. 77.

(2) Huillard-Bréholles, n° 828.

(3) Huillard-Bréholles, n° 1436.

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Par arrêt, du 31 mars 1325, il fut condamné a l’amende énorme de 10 000 livres tournois, plus d’un demi-million de francs de nos jours, envers le roi, et a 500 livres tournois de dommages intérêts envers le monastère, sans préjudice d’autres réparations (1). Je ne doute pas que de cet évènement ne date la perte de ses droits de suzeraineté sur Briennon, et c’est alors aussi peut-être que la Noaille, Saint-Bonnet de Cray et Iguerande, où la transaction de 1219 déjà citée lui reconnaissait également suzeraineté, garde et ressort, furent démembrés du Brionnais et réunis à la châtellenie royale de Charlieu. Uri demi-million n’a jamais été une somme aisée à rassembler, et je ne serais pas étonné que l’amende encourue par Guichard de Beaujeu ait été convertie en cession de partie de son domaine féodal.

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(1) ibid. n° 1768. – Courtépée, Description générale du duché de Bourgogne, éd. 1848, t. III, p. 128 — Pour la valeur de l’argent en 1325, voyez la note d’A. Barban, Mémoires de la Diana t.. VIII, P. 26.

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J’ignore si l’abbaye de la Bénisson-Dieu eut à cette époque lieu de se plaindre elle-même des seigneurs de Semur; mais on voit, par les pièces d’un procès qu’elle eut alors avec le comte de Forez, qu’elle s’était mise aussi sous la protection du roi et cri avait reçu un gardiateur. En 1340, les religieux s’appuyant probablement sur une charte, de Louis V11, datée de 11410 et où, d’après la trop courte analyse de ce document donnée par le Gallia Christiana, ce prince prenait la qualité de fondateur de J’abbaye, et sur une autre, charte de Saint Louis, de, l’an 1248, publiée par l’abbé Baché, soutenaient que leur monastère et tous ses membres étaient en 1a garde royale. L’abbé Baché remarque que, prise dans toute son étendue, cette, prétention n’était pas fondée et, de fait, la plupart des possessions de la Bénisson-Dieu restèrent sous l’autorité supérieure dit cointe de Forez. Mais du moins l’abbaye elle-même demeura-t-elle unie à la châtellenie de Charlieu, territoire de la couronne (1).

J’ai dit qu’une troisième maison religieuse, celle de Noailly, était possessionnée, à Briennon. Elle vécut apparemment en bonne intelligence avec, les sires de Semur et ne fit rien pour s ‘affranchir de leur mouvance, et voilà. pourquoi la parcelle de Maltaverne, enclavée dans la paroisse de Briennon, est restée jusqu’à la Révolution dans la dépendance du baillage de Semur, comme un dernier témoin de la domination des puissants barons, de cette ville.

Il est curieux de trouver à Régny, cette autre petite enclave lyonnaise aujourd’hui comprise dans notre département,, une tradition donnant au ressort direct qu’y avait le roi une origine analogue à celle que J’ai cru pouvoir lui assigner à Ambierle et à Charlieu. Les religieux, du prieuré de Régny auraient cherché dans l’autorité royale un abri contre les vexations des sires de Beaujeu (2).

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(1) L’abbé Baché, L’abbaye de la Bénisson-Dieu, p. 12, 82, 84 et suivantes, 291.

(2) « Dans la paroisse, de Régny….la justice appartient à l’ordre de Cluny. Cette terre est toute enclavée dans le Beaujolais ; cependant les appels sont relevés à Lyon et les impositions se paient à Roanne. On présume dans le pays, et feu M. Desvernay,.juge du lieu, homme respectable, mort il y a 15 ans dans un âge très avancé,, me l’a rapporté comme une tradition, que les princes de Beaujeu, peu religieux, vexaient, les Bénédictins qui étaient à Régny et que ceux-ci, ne pouvant avoir satisfaction à la cour de leurs seigneurs, parvinrent a être distraits de leur mouvance pour être mis sous celle du Roi. La crainte qu’on les traitât ensuite trop rigoureusement, eux et leurs gens et justiciables, dans la répartition des, impôts du Beaujolais, a dû décider à réunir ce canton avec le Roannais quant à la partie des finances, attendu que Lyon était trop éloigné » (Brisson, Mémoires historiques et économiques sur le Beaujolais, 1770, P. 48).

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Les faits que je viens de vous exposer laissent entrevoir, si je ne me trompe, comment s’est formé le territoire de la châtellenie de Charlieu. Les seigneuries ecclésiastiques sur lesquelles s’est étendue la garde royale librement invoquée sont devenues territoire de la couronne. On voit moins bien comment les seigneurs laïques sont entrés dans sa mouvance immédiate. Il faudrait savoir à qui ils portaient originairement leur fief. Plusieurs sans doute étaient vassaux des monastères entrés en la garde du roi : la perte si regrettable des archives d’Ambierle, de Charlieu, de Marcigny, de la Bénisson-Dieu, nous prive à cet égard de grandes lumières. Des cessions plus ou moins volontaires ont dû à plusieurs reprises accroître aussi l’étendue, du ressort du roi; je dis de son ressort, car son domaine particulier, restreint à une censive et à la seigneurie directe d’un seul clocher, était assez peu important (1).

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(1) « Châtellenie de Charlieu. – Cette châtellenie comprend 18 paroisses: … une seule est de la justice du roi ; toutes les autres sont de celles des seigneurs particuliers à qui elles appartiennent » Mémoire sur la généralité de Lyon, par l’intendant d’Herbigny, 1698). – La paroisse dont il s’agit paraît être celle de Saint-Nizier-sous-Charlieu, laquelle pourtant n’était pas toute entière de la justice du roi; par contre, celle-ci comprenait partie d’un petit nombre d’autres paroisses.

On est surpris après cela de voir, par les registres judiciaires des deux derniers siècles, le châtelain royal de Charlieu connaître dans toute l’étendue de la châtellenie non seulement des cas réservés, mais encore des affaires ordinaires. Cette apparente contradiction semble devoir être expliquée par le droit de concours ou prévention, en vertu duquel certains juges royaux retenaient les causes qui étaient évoquées devant eux avant que le juge seigneurial fut saisi.

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Je passe à la seconde partie de la question que je me suis proposé d’examiner avec vous. Comment et quand le territoire de la châtellenie de Charlieu, dans lequel il faut, je pense, renoncer définitivement, comme Aug. Bernard paraît y avoir renoncé le premier, à voir un bloc détaché de l’ancien comté ecclésiastique de Lyon, est-il devenu partie intégrale de la province moderne de Lyonnais? Grâce aux travaux de M. de Sevelinges et d’Aug. Bernard lui-même, ce point est beaucoup mieux éclairci, malgré de petites incertitudes de détail.

J’ai dit qu’après l’acquisition par saint Louis du comté de Mâcon en 1238, les terres de la couronne composant la châtellenie de Charlieu furent placées dans le ressort du bailli royal de Mâcon. Toutes les convenances se réunissaient pour motiver cette attribution : Charlieu, principal membre de la châtellenie, avait incontestablement fait partie du comté carolingien et continuait à dépendre du diocèse de Mâcon; le roi d’ailleurs n’avait aucune possession plus rapprochée à laquelle il pût commodément le rattacher.

Cet état de choses dura jusqu’à la cession du comté de Mâcon par Charles V alors régent, à Jean, comte de Poitiers, son frère, en 1359. Charlieu, non compris dans cette donation, forma pendant quelque temps, avec Saint-Gengoux-le-Royal, un bailliage indépendant. Puis le comté de Mâcon ayant fait retour au domaine du roi, il repassa lui-même sous l’autorité du bailli royal de Mâcon.

Cependant les rois de France, continuant à étendre au midi leurs possessions, avaient définitivement joint à leur couronne un nouveau et magnifique fleuron, la ville de Lyon et son territoire. Chose digne de remarque: comme à Ambierle, comme à Charlieu, ils y apparaissent d’abord à titre de pacificateurs et de gardiens. C’est à la requête des bourgeois que saint Louis, en 1270, intervient dans leurs différends avec l’archevêque et que Philippe-le‑Hardi les prend, en 1271, sous sa protection et garde spéciale. Le premier magistrat royal institué à Lyon, porte le titre de gardiateur. Je n’ai pas à retracer ici l’histoire bien connue de l’annexion de Lyon à la France, annexion qui fut consommée en 1312 et suivie de la création en cette ville d’une sénéchaussée dont le chef cumula le titre de sénéchal avec celui de bailli de Mâcon. Cette union sur une même tête des deux offices prépara les habitants du territoire de Charlieu à recevoir de Lyon l’impulsion administrative et la décision en dernier ressort de leurs procès. Une seconde aliénation du comté de Mâcon consentie par Charles VII, en 1435, au profit du duc de Bourgogne, et de laquelle Charlieu fut encore excepté, devint, selon toute apparence, l’occasion de son annexion officielle au Lyonnais (1). Comme je l’ai déjà fait remarquer, cette partie du domaine royal, qui dans sa plus grande étendue, n’a jamais compris qu’une vingtaine de paroisses, était trop peu considérable pour former une unité indépendante. Entourée de tous côtés par les états des ducs de Bourgogne et de Bourbon, elle ne pouvait guère être rattachée qu’au Lyonnais.

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(1) Peut-être même cette annexion, au moins sous certains rapports, remonte-t-elle un peu plus haut. Ce qui pourrait porter à le supposer est une enquête faite pour le due de Bourgogne en 1444 et d’où il résulte que Charlieu avait cessé de contribuer aux tailles avec Mâcon depuis au moins 25 ans ; or cette assertion mérite la plus grande confiance, car elle est peu favorable aux prétentions du duc, qui étaient précisément de faire contribuer de nouveau Charlieu avec Mâcon (V. De Sevelinges,Histoire de Charlieu, p. 163).

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Le retour du Mâconnais à la couronne en 1477 semble avoir laissé notre châtellenie dans sa nouvelle condition. Elle n’en changea pas non plus lors de la confiscation des domaines du duc de Bourbon. Alors assurément elle aurait pu être rattachée soit au Beaujolais, qui lui était limitrophe, soit au Forez, limitrophe aussi et auquel les convenances géographiques eussent dû la faire attribuer. À cette occasion peut‑être elle acquit Changy, que nous savons avoir été jadis une enclave du Bourbonnais (1). Si elle continua à dépendre du Lyonnais, c’est sans doute que personne ne demanda qu’elle en fût distraite; c’est que Charlieu, ville de commerce et de transit, sur la route unissant le Rhône à la Loire, avait avec Lyon des rapports très actifs; c’est enfin qu’un changement de ressort eût porté atteinte à des habitudes prises et lésé certainement de nombreux intérêts. Ne voyons‑nous pas nous‑mêmes quelles difficultés multiples soulève toute rectification de frontières entre communes, cantons ou départements voisins ? À ceux que pourrait étonner cette situation du Charluais, séparé du Lyonnais comme une île de la terre ferme, je rappellerai que dans notre France moderne, méthodiquement découpée en départements, des anomalies analogues ne sont pas sans ‘exemple et que plusieurs communes, et même un canton tout entier, celui de Valréas (Vaucluse), sont enclavés dans le territoire d’un département autre que celui auquel ils appartiennent.

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(1) Huillard-Bréholles, n° 3340 et 7703.

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Bien que Charlieu et sa châtellenie soient ainsi restés jusqu’à la Révolution un membre du Lyonnais, toutefois les mêmes convenances géographiques que j’indiquais il y a un instant les firent comprendre, avec la partie septentrionale du Forez et une partie du Beaujolais, dans la circonscription financière ou élection de Roanne ; et ainsi fut préparée leur annexion future au Forez redevenu sous le nom de département de la Loire une province indépendante, après avoir été momentanément absorbé avec le Lyonnais lui‑même et le Beaujolais dans le grand département de Rhône-et-Loire. On sait en effet que les anciennes élections de Roanne, Montbrison, Saint‑Etienne, Lyon et Villefranche servirent à peu près de cadre aux districts du même nom (1) dans lesquels fut divisé ce département éphémère et dont les trois premiers forment aujourd’hui celui de la Loire.

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(1) Le département de Rhône-et-Loire fut divisé en réalité en six districts, la ville de Lyon et ses faubourgs de Vaise et de la Guillotière composant un district particulier, distinct de celui de la campagne de Lyon qui correspondait au reste de l’ancienne élection : ces deux districts furent réunis en un seul arrondissement par la loi du 28 pluviôse an VIII.

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