BD, Tome 63,LA MAISON JEAN-BAPTISTE DAVID AU XIXe SIÈCLE,Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon, pages 211 à 228, La Diana, 2004.

 

LA MAISON JEAN-BAPTISTE DAVID AU XIXe SIÈCLE 

Communication de M. Gérard Michel Thermeau

 

Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon

_______________

 

Des grandes entreprises qui se sont fait gloire d’oeuvrer dans le ruban au XIXe siècle, la maison Jean-Baptiste David est celle qui a laissé le moins de souvenirs. Epitalon, Colcombet, Giron, Balaÿ, Staron, Forest, Neyret, pour citer quelques noms parmi les plus prestigieux, évoquent encore aujourd’hui des échos, et pour deux d’entre eux, continuent une activité industrielle 1 . Il n’en va pas de même de la maison David : la famille, au moins la branche dite David de Sauzéa, bénéficie au sein même de notre société, d’une notoriété incontestable mais ce nom n’est pas associé à l’industrie du ruban. Il m’a donc semblé intéressant d’évoquer, au travers de documents exclusivement publics ou puisés dans les archives publiques, ce que l’on peut savoir de l’activité de cette société au XIXe siècle. L’étude de ce secteur se heurte, comme on le sait, à la rareté de la documentation disponible. Société en nom collectif, les maisons de ruban n’ont pas laissé d’archives, à peu d’exception près 2 .

Jean-Baptiste David appartenait à une vieille famille de robe du Forez : les David exercent la charge de notaire à

1 Neyret Frères et G. Balaÿ.

2 Les archives comptables d’Epitalon et des archives, en cours de classement, de Giron se trouvent au Archives Départementales de la Loire.

Saint-Rambert au XVIe siècle 3 . Son grand-père Jean-Baptiste était, en 1690, conseiller au baillage du Forez, lieutenant en la châtellenie de Saint-Victor. Son père, Pierre – André (décédé à Saint-Rambert, le 17 janvier 1823), écuyer du Roi et juge au prieuré de Saint-Rambert, avait cependant, en épousant, le 21 avril 1781, Jeanne Thiollière de l’Isle, fille et sœur de fabricants de rubans, introduit la famille dans le négoce stéphanois. La Révolution en détruisant l’Ancien Régime et les rêves de noblesse, va d’autant plus renforcer cet enracinement stéphanois et mercantile. Certes, un de ses fils, Frédéric-Claude-Antoine resté célibataire 4 , se place dans une tradition nobiliaire par sa carrière militaire : capitaine de cuirassiers sous l’Empire, il est fait chevalier de la Légion d’Honneur et chevalier de Saint Ferdinand d’Espagne­ puis exerce des fonctions de notable comme conseiller général et maire de la Fouillouse (1843-1848 puis 1848-1867).

Mais les sœurs de Jean-Baptiste épousent quasiment toutes des négociants de Saint Etienne : Marguerite-Joséphine (20 avril 1791- Saint Etienne 1 er novembre 1846), ouvre la voie, le 23 août 1812, en s’unissant à Jean-Claude Peyret-Dubois, marchand quincaillier qui devient fabricant de rubans5 .

Colombe-Émilie dite Amélie (Montbrison, 17 avril 1792 – Saint-­Etienne, 1 er mai l858) épouse, le 5 février 1816, André-Simon Nicolas-Boutérieux (Saint ­Etienne, 29 mai 1779 – Amélie-les-Bains, Pyrénées-Orientales, 21 mars 1854), important fabricant de ruban rue du Chambon, associé avec sa mère et son frère Fleury 6 . Marie-Thérèse dite Eulalie (Saint Etienne, 21 août 1794 –

3 E. Salomon : Les châteaux historiques du Forez . Tome I, p. 34-35.

4 A. D. L. 3 Q 7638, n° 264 f° 173 v° : il lègue ses biens à ses neveux.

5 Jeanne-Louise issue de cette union, devait épouser en 1832, Henri Palluat de Besset, important marchand de soie associé à Philippe Testenoire.

6 Jeanne-Louise, issue de cette union devait épouser en 1843, Augustin-Emmanuel Guitton qui devait hériter du commerce Vve Nicolas et fils.

1866) devient l’épouse, le 21 avril 1817, d’un autre négociant de la rue du Chambon, Benoît Descours (Saint Etienne, 20 août 1780 – Saint-Etienne, 21 janvier 1857), beau-frère de Nicolas-Boutérieux

7 . Enfin, pour conclure brillamment cette liste d’unions, Andrée-Anne dite Andrine, en 1822, devenait la femme de Christophe Balaÿ

8 (Saint Etienne, 27 mars 1786 – Brignais, 15 août 1838), un des nombreux fils de Jean-François, le fameux négociant de la rue Saint-Jacques.

 

Jean-Baptiste David, le fondateur  :

En 1797 dans les temps troublés du Directoire, Jean-Baptiste David (25 décembre 1782 – Saint Etienne, 19 janvier 1855), qui n’a pas quinze ans, entre comme commis dans la fabrique de son oncle, François Thiollière-Duchamps, le moins connu des fils de Thiollière de l’Isle . Devenu son associé, la maison ayant pour raison sociale Thiollière & David sous l’Empire, il paie 166 francs de patente en 1816 rue d’Artois . Son oncle, ardent

Lucien Thiollier : Notices industrielles. Bustes et portraits. Saint Etienne 1894, p. 25-31. Le buste de J. B. David est reproduit, ainsi que son portrait. Le buste avait été offert par ses deux fils à la chambre de commerce en 1893.

Son frère aîné, Thiollière-Dutreuil, avait pris, associé avec Thiollière-Neyron, la direction de la maison Thiollière de l’Isle installée rue Neuve. Son autre frère, Thiollière-Laroche, maire de Montaud sous la Restauration , installé rue des Jardins, devait être le premier à adapter la mécanique Jacquard aux métiers de rubans. Né en 1768, Thiollière-Duchamps avait épousé Claudine Rosalie Tamisier, mais il décède sans postérité à Brignais, le 30 septembre 1830, laissant 124 700 francs dans le bureau de Saint Etienne (A. D. L. 3 Q 7605 f° 63 n° 225 f° 65 n°231).

Cette rue prend le nom de rue de la Bourse. Thiollière-Duchamps , associé principal paie 333 francs de patente.

janséniste lui avait abandonné l’affaire. Un temps associé avec son frère cadet, Jean-­Baptiste va poursuivre seul la carrière de fabricant et créer une nouvelle branche d’activité à Saint-Étienne. Son oncle possédait deux métiers à fabriquer des rubans de velours assez rudimentaires qu’il avait apportés après le siège de Lyon en 1793 . Jean-Baptiste s’ingénie à en perfectionner le mécanisme et, grâce au financement de son père, qui lui constitue un capital de 80 000 francs, le métier devient enfin opérationnel en 1804 . La maison David se spécialise dès lors dans la production de velours double-pièce : elle est récompensée d’une médaille d’argent à l’exposition de 1839. A la fin du XIXe siècle, on considérait que le métier à velours double-pièce avait produit plus d’un milliard de francs depuis sa création .

Il était le frère préféré du fameux soutien des Jansénistes, Thiollière-Duchaussy, qui l’avait avantagé dans son testament ainsi que Jeanne, mère de Jean-Baptiste David.

L. J. Gras : Histoire de la rubanerie. p. 292 : l’inventeur avait été tué au siège de Lyon en 1793, selon une notice de la maison David réalisée à l’occasion de 1878. L’anecdote est développée par L. Thiollier dans Bustes et portraits  : En 1793, M . Thiollière du Champ, fabricant de rubans à Saint Etienne, partit, comme tant d’autres, avec les gardes nationales de Saint Etienne et de Montbrison, pour défendre la ville de Lyon assiégée, il eut comme compagnon d’armes un Lyonnais, dont le nom n’a malheureusement pas été conservé, qui lui montra un métier de son invention. Au bout de peu de temps, les deux compagnons étaient devenus amis intimes. Aussi, ce jeune Lyonnais, ayant été blessé mortellement, légua et recommanda son métier à M. Thiollière du Champ. Celui-ci l’apporta à Saint Etienne et le déposa dans sa propriété du Vernay, située dans le voisinage de la place actuelle de la Badouillère ( !). Thiollier confond visiblement la propriété du Vernay située à Saint Galmier, avec une autre propriété des Thiollière. L’historicité de l’épisode reste problématique.

Thiollier, op. cit. p. 27.

Dictionnaire biographique de la Loire , Paris 1899.

Il en existait alors près de huit mille en Europe continentale .

Ayant fait ses preuves comme fabriquant Jean-Baptiste David peut enfin fonder un foyer en épousant Jeanne-Aubine de Sauzéa (1797-Saint Etienne, 27 octobre 1847) d’une famille de fabricants de rubans a qui l’on prête une noble extraction, le contrat étant signé devant Duplain-Crozet à Saint Rambert, le 4 mai 1820.

Thiollier nous donne quelques renseignements sur son caractère « vif et bouillant » : Ceux qui l’ont connu n’ont pas oublié cette physionomie fine et railleuse. Nous avons souvent entendu vanter sa générosité pour ses ouvriers, sa bonté pour les siens. Estimé de ses pairs, Jean-Baptiste occupe de nombreuses fonctions, parcourant toutes les étapes du cursus honorum du parfait négociant : juge consulaire (1831) puis président du tribunal de commerce (1837-1840), membre de la Chambre de Commerce (1835-1842) qu’il préside en 1840, mais aussi administrateur des hospices de Saint-Étienne (1835-1840), administrateur (1836-1842) puis censeur (1842-1851) de la Banque de France. Il participe enfin au développement de la fabrique de faux de Massenet à la Terrasse en 1839 .

 

André-Marie David, le successeur :

Jean-Baptiste avait eu le souci de l’avenir. Il laissait trois fils et une fille. Jeanne (29 avril 1825-1897) avait épousé, le 8 novembre 1846, Louis-Guillaume dit William Neyrand (St-Julien-en-Jarez, 1 er août 1816-St-Chamond, 11 juillet 1883), un des associés de la maison Neyrand frères et Thiollière, une des plus importantes sociétés sidérurgiques de France

Thiollier, op. cit. p. 29.

Thiollier, op. cit. p. 30.

Comme quoi le ruban ne dédaigne pas toujours l’acier.

époque . Des trois fils, seul Jean-Claude-Hippolyte (29 avril 1822-Lyon, 16 juillet 1888) reste célibataire, mais il laisse un enfant naturel reconnu, à Paris à son décès.

L’entreprise est désormais dirigée par le fils aîné, André-Marie (Saint-Étienne, 10 février 1821-La Talaudière, 30 mai 1894) qui épouse, à Saint-Étienne, le 25 août 1849 , Marie-Anne-Elisabeth dite Emma Colcombet (Saint-Étienne, 12 octobre 1828-Neris-les-­Bains, Allier, 21 juillet 1881), fille d’André-Thomas, ancien fabricant de rubans et maire de Saint-Genest-Lerpt . Des neuf enfants issus de cette union, six vivent encore en 1894 :

1. Marie- Jean -Baptiste-Claude-François (Saint-Étienne, 19 juin 1850-Le Havre, 5 septembre 1914), artiste-peintre à Paris, marié, le 13 décembre 1876 , à Chalain-le-Comtal, avec Louise Balaÿ (Saint-Étienne, 18 août 1855 – 13 janvier 1919).

2. Jeanne-Marie-Lucie (Saint-Étienne, 19 juillet 1851) religieuse à l’Immaculée Conception de Lourdes.

3. André-Thomas Marie dit Adrien (Saint-Étienne, 26 mars 1856), en épousant, à Saint-Étienne, le 15 février 1878, Pauline-Magdeleine-Claudine Serre (Saint-Étienne, 13 mars 1857), devait participer à la société de rubans Serre & Cie.

Installé à Lorette, l’établissement est classé au 17e rang des sociétés sidérurgiques par l’Enquête de 1843.

Le contrat devant Testenoire, du même jour, établit un régime dotal modifié qui exclut la communauté : les époux Colcombet donnent à leur fille une maison (à l’angle des rues de Foy et de Ste-Catherine évaluée 130 000 F ) et la somme de 20 000 F payable après leur mort.

Elle est donc la nièce de François Colcombet, fondateur de la fameuse entreprise Colcombet F. & fils mais aussi la petite-fille d’André-Antoine Neyron (de Méons), ancien fabricant de rubans et exploitant de mines, ancien maire de Saint-Etienne et d’Outre-Furens.

Deux jours plus tôt devant Me Desjoyaux, le contrat a établi le régime dotal avec société d’acquêt, l’apport des David étant de 260 000 F et celui des Balaÿ de 200 000 F (à payer dans les dix ans).

4. Adèle-Jeanne-Françoise (Saint-Étienne, 10 novembre 1860) mariée, le 14 octobre 1879, à Prosper-Louis-Henri-Ennemond Fayard de Mille (Lyon, 3 septembre 1851), juge suppléant, fils d’un conseiller à la cour d’appel lyonnais.

5. Renée-Marie-Guillaume (1865) célibataire, rentière à la Chazotte.

6. « Titan » épouse du comte de Saint-Jean d’Estiennes de Prunières.

7. Hippolyte-Jean-Marie (Saint-Étienne, 5 octobre 1867), propriétaire à Londres, marié à Saint-Paul-en-Jarez, le 4 janvier 1900, à Anne-Marie-Alexandra-Humberte-Isabelle Poidebard, d’une célèbre famille de mouliniers en soie, dont la mère, née Hervier de Romans est apparentée à de vieilles maisons françaises.

André-Marie maintient la réputation de l’entreprise fondée par son père qui reçoit des récompenses aux deux expositions universelles parisiennes : une médaille de 1 ere classe en 1855, une médaille d’argent en 1867. La maison paie en 1865 la 1 ere patente de ruban ( 4 230 F ) et le Second Empire marque l’apogée de la société qui a fait d’un article bon marché, le ruban velours, un produit de qualité : aujourd’hui, elle ne connaît plus de limites à ses innovations et à ses recherches vraiment artistiques note la délégation stéphanoise lors de l’Exposition de 1867. En 1855, la maison J.-B. David fait travailler 120 métiers à Saint­ Etienne et 8 métiers réunis à Bourg-Argental , tout en ayant son propre moulinage à Saint-­Rambert. En 1865, elle possède 200 métiers velours dispersés dans la ville et fait de grandes affaires à l’intérieur comme à l’étranger . Les rubans et la passementerie courante, les galons boiteux, les taffetas noirs

Archives municipales de Saint-Étienne, 1 G 361-362 : patentes de 1865.

Archives municipales de Saint-Étienne, 1 G 356 : patentes de 1855.

et rubans velours de bonne qualité sont leurs principaux genres de fabrication .

Alfred Darcel remarque, dans l’Illustration, en 1862 , une des clés de la réussite de la maison : M. J.-B. D avid nous semble former la transition entre les fabricants de rubans unis et ceux qui s’appliquent à ce qu’on appelle la nouveauté. Les velours forment la base principale de son industrie : velours noirs larges pouvant satisfaire à toutes les exigences de la mode par leur dimension et leur qualité ; puis les velours façonnés et brochés d’un petit dessin de couleur d’un effet piquant et d’une belle réussite de fabrication. A ces produits, qui lui avaient fait obtenir une médaille de première classe en 1855, M . J.-B. David joint la fabrication des rubans en taffetas noir et brun, et celle des galons unis, d’une grande régularité de tissu . Des patrons, contremaîtres et ouvriers appartenant aux diverses industries de Saint Etienne dans un compte-rendu pour la Chambre de Commerce à l’occasion de l’Exposition de 1867 ne tarissent pas d’éloges sur l’entreprise David .

Notre fabrique de velours était dignement et noblement représentée à l’Exposition. Cette branche importante de notre industrie locale a fait depuis quelques années des progrès immenses (… )

Qui aurait dit, il y a vingt ans, alors que, à part celles qui faisaient l’article de montagne, toutes les maisons ne produisaient que des velours unis à picot ou sans picots, qu’on arriverait un jour à orner les bords des velours de vraies petites miniatures et de tours de force de fabrique ? (… ) et cependant aujourd’hui, le fabricant veloutier a franchi toute distance. Son rôle n’est plus d’être producteur au meilleur marché possible

Archives Départementales de la Loire , 13 J 279 : exposition universelle de 1862.

Article reproduit dans le Mémorial du 13 août 1862.

Archives Départementales de la Loire , 13 J 256 : exposition universelle de 1867.

d’une marchandise unie, à laquelle le goût et l’imagination restaient étrangers. A force de recherches et d’intelligence il est devenu innovateur et véritablement artiste.

A qui l’honneur de ce progrès inappréciable, à qui la palme de ce succès pour un article humble et souvent délaissé qui glissait lentement de nos mains pour aller s’implanter sur le sol étranger, où l’appelait le bon marché de la main d’oeuvre ? Nous le disons hautement : cet honneur revient à la maison Jean-Baptiste David. Cette maison a bien mérité de ses concitoyens. (… ) La maison Jean-Baptiste David a débuté dans cette voie nouvelle par des bords ronds, satin couleur sur velours noir. (… ) Depuis la création de ces articles elle a plus que doublé son matériel de métiers, et son nom, déjà connu dans les cinq parties du monde, grandit sans cesse avec celui de notre fabrique. (… ) Nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer ici un regret, regret bien sincère, c’est qu’une maison si méritante n’ait pas obtenu à l’Exposition universelle la distinction honorifique qui est d’ordinaire la récompense de grands services industriels et commerciaux rendus au pays.

André, un temps juge consulaire (1854-1859), se retire peu à peu des affaires après la chute de l’Empire. En 1875, la maison Jean-Baptiste David paie une patente de 6.509 francs pour 416 métiers. Elle possède 307 métiers dans la ville mais une évolution commence à se faire sentir dans l’organisation de la production. En effet, si la moitié des métiers est dispersée entre 34 ateliers familiaux, l’autre moitié est concentrée dans deux fabriques, rue d’Annonay et au Mont.

Sa mère était, nous l’avons vu, une Sauzéa. Le dernier à porter ce nom, Hippolyte de Sauzéa (Saint-Rambert, 23 août 1798 – Saint-Étienne, 16 juin 1883), riche et excentrique célibataire, n’ayant pas de descendant direct, lègue à sa mort l’essentiel de sa fortune, 2 500 000 francs, aux Hospices de Saint-Étienne . S’il laisse des biens de famille à ses collatéraux et charge son neveu, André David, d’être son exécuteur testamentaire, le scandale est énorme, amplifié par un procès retentissant. A compter de cette date, les David de la branche ont relevé ce nom de Sauzéa.

 

Francisque David et l’apogée de l’entreprise :

Associé avec son frère, Francisque prend naturellement la suite, les fils d’André faisant carrière ailleurs ou dans d’autres activités. François dit Francisque (Saint-Étienne, 25 mars 1828 – Hyères, Var, 3 mars 1902) avait épousé, à Saint-Étienne, le 28 avril 1862 , Anne-Marie-Antoinette Nicolas (Saint-Étienne, 4 juillet 1843), fille du banquier Alphonse Nicolas . Quatre enfants vivent toujours à la mort de leur père dont les fils associés à l’entreprise :

1. Anne-Marie-Louise (Saint-Étienne, 13 février 1863) a épousé, à Saint-Étienne, le 14 février 1885 , Georges-Gabriel Durand (Lyon, 27 avril 1851), négociant à Lyon, fils d’un négociant de Vizille.

Tony Joannon, M. H ippolyte de Sauzéa. Sa vie, ses œuvres et son testament, Paris 1885, 254 p.

Le contrat devant Desjoyaux du même jour, établissait la communauté : les apports des deux époux étaient équivalents, 200 000 F chacun, mais une partie de la dot d’Anne Nicolas était constitué de terrains au Portail-Rouge et au Rond-Point.

Fils d’Antoine Nicolas-Descours et frère de Frédéric Nicolas, Alphonse vivait rue du Chambon, et petit neveu du Chevalier Courbon de Montviol. La banque Girerd, Nicolas & Cie, installée rue de la Bourse , qui a participé à la création des Aciéries de Saint-Étienne, devait être mise en liquidation en décembre 1871.

Le contrat devant Testenoire et Messimy se fait sous le régime dotal, la future recevant 400 000 francs de son père, non compris le trousseau estimé à 20 000 francs.

2. Alphonse -Jean (Saint-Étienne, 7 octobre 1864) s’est marié à Saint-Étienne, le 19 décembre 1891 avec Anaïs-Pierrette-Alexandrine Cote (Saint-Étienne, 8 novembre 1872), fille d’un ancien fabricant de rubans.

3. Joseph -Hippolyte (Saint-Étienne, 13 octobre 1867), propriétaire-rentier à Cerbère (Pyrénées orientales)

4. Elisée (Saint-Étienne, 8 mai 1870), fabricant de rubans, dirige la partie technique de la fabrication vers 1900.

Près de quarante brevets d’invention sont déposés par la maison David entre 1852 et 1883 à l’initiative essentiellement de Francisque soucieux de perfectionner les métiers de velours (14 brevets au moins) mais aussi le cylindrage, le glaçage des fils, le pliage, et de façon générale toutes les opérations du processus de production de plus en plus contrôlé par l’entreprise. Sous la direction de Francisque, l’entreprise s’achemine toujours plus vers le modèle manufacturier. En 1885, la patente, droit principal et droit proportionnel, totalise 3.227 francs . Le droit repose sur 370 métiers à bras mais Jean-Baptiste David ne possède quasiment plus de métiers dispersés dans la ville . Outre deux ateliers non précisés, la patente ne relève que trois ateliers de six métiers et un de cinq métiers. La plupart des métiers sont réunis au sein d’une fabrique, rue Tréfilerie, d’un important atelier, au Mont, et, surtout, apparaît une usine avec 50 métiers mécaniques rue d’Annonay, les trois unités représentant près du tiers de la patente (922 francs). Francisque paie également le droit comme apprêteur d’étoffes et

Le contrat devant Testenoire et Royet se fait également sous le régime dotal : la future apporte son trousseau ( 20 000 F ) et son père lui assure une rente viagère de 20 000 F . David donne 400 000 francs à son fils. Il dirige la maison de velours à la suite de son père.

La liste des brevets figure dans l’ouvrage de Gras, op. cit. p. 302-340.

Elle est moins élevée qu’en 1875 pour plusieurs raisons : Francisque est désormais seul, et la réunion des métiers est moins imposée que la dispersion en petits ateliers.

Mais elle doit en posséder sans doute un certain nombre à la campagne.

découpeur . Hors de Saint-Étienne, une autre usine est créée dans la plaine du Forez, à Boën.

L’Exposition de 1878 avait consacré la direction de Francisque qui est salué en ces termes par J. Lafond :

Mais avant de poursuivre ma marche au hasard parmi les exposants, que je n’aurai jamais la prétention de classer selon leur mérite, je tiens à parler de celui qui, si j’en crois des renseignements assez sûrs, a pris dans l’estime du jury et dans son rapport, la première place après M. Rebour, je veux dire M. Francisque David. La marque à la clé de la maison J. B. David est connue dans le monde entier. Ce qui met au premier rang la maison David, c’est qu’elle a créé cette industrie, c’est son ancienneté, c’est l’importance de son chiffre d’affaires et surtout les progrès qu’elle a fait réaliser constamment à son industrie. Son chiffre d’affaires est de quatre à six millions. Quant aux progrès dûs à son initiative et à ses inventions, il me faudrait des pages pour en donner la simple nomenclature. Cinquante brevets, dont le plus grand nombre tombés aujourd’hui dans le domaine public a enrichi le commerce, sont là pour attester combien ses incessantes recherches ont été fructueuses. C’est dans un genre moins brillant que celui de M. Rebour, une preuve de grand talent commercial.

On s’accorde à reconnaître dans M. F. David un fabricant de premier ordre ; il ne faut pas oublier quels services il a rendus à l’industrie des soies en France par les rapports qu’il a réussi à établir, après une lutte pénible et des sacrifices coûteux, avec la Chine et le Japon. Enfin, à tous ces titres se joignent des fonctions publiques remplies avec autant de désintéressement que de dévouement et de générosité.

Dès 1875, Francisque était désigné comme apprêteur, payant alors une patente distincte de celle relevant de l’entreprise encore dirigée par son frère.

Le département de la Loire à l’Exposition universelle de 1878 , Montbrison, 1878, p. 53

officielles plus nombreuses que son frère et qui rappelle davantage le parcours de son père Jean-Baptiste : juge consulaire (1863-1872) membre (1872) et surtout trésorier (1873-1876) de la Chambre de commerce, président-­fondateur de la Chambre syndicale des Tissus (1872-1875 ; 1878-1881) , administrateur de la Banque de France et membre du bureau de bienfaisance de Saint-Étienne. Il se montre aussi un patron social par des institutions de bienfaisance et de secours sur le modèle des établissements Colcombet : à Boën, une caisse d’épargne centralise les économies des ouvrières, qui sont logées gratuitement , bénéficient de repas à prix réduits au restaurant de l’usine mais aussi de leçons de musique pour leur distraction. I1 remplit de nombreuses missions pour défendre les intérêts de l’industrie du ruban. En 1891, il fait partie de la délégation des Chambres de Commerce de Lyon, Saint-Étienne et Calais qui tentent en vain d’obtenir la franchise douanière des filés de schappe . Chargé de mission par Jules Roche, ministre du Commerce, il se rend à Zurich pour prouver que la production des filés de coton n’était pas plus coûteuse en France qu’en Suisse puis il gagne Manchester mais sans réussir à empêcher un vote négatif du Sénat très protectionniste .

Le début du XXe siècle marque l’apogée de l’entreprise. Si bureaux, magasins et ateliers sont toujours installés entre la rue de la Bourse et de la Paix (369 720 francs), la maison David possède encore 70 métiers dispersés dans la ville mais, sans oublier la fabrique de rubans de la rue d’Annonay, surtout trois

Gras, op. cit. , p. 205.

Mais il ne s’agit pas, semble-t-il, d’une usine-couvent : le logement est facultatif et non obligatoire.

Gras, op. cit. , p. 536.

Gras, op. cit. , p. 537.

Saint-Étienne, rue Paillon ; l’usine de Tence (Haute-Loire) ; l’usine la plus considérable est à Boën (498.000 francs) avec 246 métiers actionnés par la vapeur. Il faut ajouter un moulinage dans le canton d’Ambert (Puy-de-Dôme). Ainsi l’intégration verticale du processus de production est-il complet, très loin de l’image traditionnelle de ces fabricants qui ne fabriquent rien, et Francisque est qualifié à la fois : d’importateur, filateur, tordeur de soie, teinturier-glaceur de fils de coton, tisseur de rubans et de velours, apprêteur, propriétaire d’usines de tissage mécanique, exportateur de rubans, fabricant de pièces brevetées pour métiers à tisser. L’entreprise pèse alors 3,7 millions de francs si on additionne bâtiments, matériels, équipements, traites, créances, marchandises et matières premières.

 

Des fortunes considérables :

Le père, Jean-Baptiste, laisse déjà, en 1855, 1.720.161 francs dont deux tiers en biens mobiliers ( 1.074.161 F ) reflétant pour l’essentiel la valeur de son entreprise . Les immeubles (divers domaines, dont la Chazotte , représentant une cinquantaine d’ha) sont estimés à 636.000 F .

La fortune de l’épouse d’André, Emma, dépasse le million (1.015.000 francs) avec des immeubles hérités de sa famille . Le total de la succession d’André-Marie s’élève

Dictionnaire biographique de la Loire , Paris, 1899.

Archives départementales de la Loire , 3 Q 7621 n° 67 f° 2 ; 3 Q 7622 n° 464 f° 191 ; 3 Q 7623, n° 53 f° 22 v°.

Mobilier de magasin 68.000 F ; marchandises 400.199 F ; créances 478.816 F .

Archives départementales de la Loire , 3 Q 7664 n° 25 f° 83.

La grande maison Colcombet, place de l’Hôtel de ville, qui abrite le Cercle et le domaine de l’ Étrat.

à 2.711.525 francs , mais cette fortune est mobilière pour les trois quart (2.023.659 francs).

Les valeurs, pour un total de 1 608 178 francs, déposés chez plusieurs banquiers (Verne à Paris; au Crédit Lyonnais; Ramel et Brechigmac; Banque de France à Lyon), se composent d’obligations ( 617.367,08 F ) d’actions ( 819.363 F ) et de rentes d’État de pays étrangers (Russie, Hongrie, Espagne et Portugal). Outre les rentes, les valeurs étrangères représentent le quart du total ( 408.084 F ), essentiellement des actions et des obligations de chemins de fer (Autriche-Hongrie, Espagne, Italie), ce qui est vrai aussi des valeurs françaises. Il faut noter cependant des intérêts dans diverses publications : part du journal des chemins de . fer, 15 actions de la société des publications industrielles et scientifiques, 15 actions du journal le Bulletin des travaux ( 4.125 F ). Meubles, espèces, créances, loyers, droits de tréfonds constituent le reste du mobilier.

L’immobilier totalise 375.152,86 francs : au domaine de la Chazotte ( 47 ha 14 a 21 c) avec son château (le tout 153 501 francs), hérité de son père, sur les communes de la Talaudière et St-Jean-Bonnefonds, dans la banlieue de Saint-Étienne, s’ajoutent divers immeubles et terrains dans la ville même, notamment des entrepôts au Gris-de-Lin.

La fortune de Francisque dépasse de très loin celle de son père et de son frère : 12 500 445 francs, dont un énorme paquet de valeurs boursières, soit la moitié du total (6 690 549 francs) extrêmement diversifié mais sans grande originalité, actions et obligations du Crédit Lyonnais et de Suez, dans les chemins de fer, les Mines et les entreprises métallurgiques. Les valeurs étrangères occupent plus de la moitié du portefeuille : elles sont autrichiennes, italiennes, espagnoles, russes et suisses, mais on trouve aussi de la

Archives départementales de la Loire , 3 Q 7707 n° 784 f° 58 v°, 3 Q 10 124 n° 170 f ‘ 45

rente prussienne, danoise, norvégienne et chinoise. Les traites, créances, matières premières et marchandises totalisent 1.651.496 francs. Les comptes bancaires à Saint-Étienne, Genève et Hyères représentent 732.017 francs. L’immobilier, s’il atteint les deux millions, pèse seulement le sixième de la succession : outre les bâtiments à usage industriel (927.872 francs), il consiste en immeubles à Saint-Étienne (487.400) et domaines à la Fouillouse (l36 750 francs) mais aussi en un grand nombre de parcelles dispersées sur 13 autres communes du département, surtout à l’ouest de Boën, où s’élève le « château » des Genettes à Sail-sous-Couzan. Hors de la Loire , Francisque possède, entre autres, une villa à Hyères (100.000 francs) des terrains et des sources d’eau minérales dans l’Allier (86.750 francs).

 

Annexe 1 : Brevets d’invention déposés par la maison Jean-Baptiste David (1852-1883)  :

3 avril 1852 : pour des procédés de fabrication du velours.

7 mai 1852 : pour des procédés de fabrication d’une nouvelle espèce d’étoffe. Il s’agit principalement de velours et de rubans présentant une double étoffe dédoublée par découpure.

22 avril 1856 : pour un appareil servant à assouplir les soies. Cet appareil consiste en une table sur laquelle tourne un cylindre en forme de cône tronqué qui passant sur la soie l’assouplit, ce qui remplace l’opération du battage et du chevillage.

7 février 1860 : pour un appareil à glacer les fils.

13 novembre 1861 : brevet de 15 ans. Plateaux propres à faire mouvoir sur le métier de rubans-velours à rasoir, les planches de poil de velours à deux planches.

15 novembre 1861 : brevet de 15 ans. Procédé propre à régler l’embuvage du poil sur le métier de rubans-velours au rasoir.

16 janvier 1862 : brevet de 15 ans. Velours au rasoir, à poil dégagé et retourné après fabrication.

6 mai 1862 : brevet de 15 ans. Procédé de fabrication d’étoffes superposées par chaînes ou trames, etc.

13 juin 1862 : brevet de 15 ans. Système de remettage sur le métier de rubans-velours double pièce.

13 juin 1862 : brevet de 15 ans. Montage sur Jacquard du velours double-pièce.

17 avril 1863 : procédé de teinture des étoffes.

2 octobre 1863 : genre de tissus par fil de tour.

6 mars 1867 : battant brocheur pour métiers de velours à doubles pièces superposées.

23 avril 1868 : ourdissoir mécanique.

9 avril 1869 : mécanisme propre à la marche des métiers de tissage et particulièrement des métiers de rubans, de velours, mus par la vapeur, avec lequel le métier s’arrête de lui-même à la rupture d’un fil de trame.

27 mai 1869 : fabrication particulière de tissus à âmes de caoutchouc et autres non élastiques.

21 janvier 1870 : système de rouleaux combinés, appliqués à l’avant et à l’arrière des métiers à fabriquer les étoffes ou rubans élastiques, afin de régulariser la tension des fils de caoutchouc et de perfectionner l’emmachonnage.

25 mars 1870 : système de glaçage de fils.

7 décembre 1871 : engin dit chariot porte-marque destiné à être placé sur les pièces pliées de rubans, lacets, caoutchouc pour chaussures et autres passementeries, etc.

5 mars 1872 : mode de cylindrage des tissus, étoffes, rubans et rubans velours

15 juillet 1872 : système compensateur de tension des chaînes suivant la marche des lisses dans les métiers de tissage.

12 août 1872 : disposition mécanique appliquée à la banquine des métiers de rubans de velours à doubles pièces, avec laquelle on obtient un rasage perfectionné du poil.

7 février 1873 : moyen de donner aux fils de chaîne des rubans taffetas unis, ourdis sur un seul et même billot, une tension et embuvage différents favorables à la bonne fabrication.

16 juin 1874 : procédé avec lequel on dispose des perles à des distances égales et régulières sur un fil où elles sont fixées à l’aide de l’encollage en produisant un article dit cache-point propre à la broderie et au tissage du galon, lacet, passementerie, etc.

15 juillet 1875 : application aux machines à lustrer, dites fil à fil, de rouleaux cylindriques cannelés, en acier ou autre métal, servant à lustrer le fil par l’écrasement du duvet sur l’âme du fil en le maintenant dans la forme cylindrique, et de bascules triangulaires servant à doubler la friction et le brillant du fil.

25 janvier 1876 : mode de pliage des rubans de velours, passementeries, etc., avec lequel la pièce est soutenue également dans toute sa longueur de manière à ce qu’elle ne creuse pas dans le milieu.

29 avril 1876 : procédé servant à arrêter le métier à tisser ou à avertir l’ouvrier toutes les fois que les grands peignes sont entraînés par un embarras quelconque des fils de chaîne qui se produit derrière eux.

18 novembre 1876 : disposition des peignes à tisser avec des dents d’épaisseur graduée sur les bords, pour éviter la rendue, c’est-à-dire le resserrement des fils de chaîne des bords du tissu, produit par la tirée de la trame.

24 mars 1877 : machine dite gaufreuse, imprimeuse, propre à façonner les rubans et étoffes de velours unis par gaufrage et impression en couleur opérés en même temps.

18 septembre 1877 : mode de pliage, dit pliage en caisse, des rubans failles, taffetas, etc. 20 décembre 1877 : Mécanisme Jacquard à double marchure.

5 janvier 1878 : perfectionnement au pliage des rubans de velours.

11 mars 1878 : procédé destiné à fabriquer automatiquement du velours épinglé, à l’aide d’une navette porte-épingle.

3 janvier 1881 : genre de cylindrage de certains articles de rubans et passementeries.

23 novembre 1881 : procédé propre à faire crêper et foisonner les articles franges, chenilles, etc. pour la désagrégation des fils de trame.

28 novembre 1881 : mode de descente automatique des plombs de métiers de rubans.

10 juillet 1882 : brevet de 15 ans. Mode de coupe dit à rasoir-guide des articles velours obtenus aux armures, satin, serge, etc.

8 mai 1883 : perfectionnements aux machines à raser les étoffes et rubans.

5 août 1883 : disposition perfectionnant le débit des chaînes sur différents métiers à tisser.

15 septembre 1883 : boucle perfectionnée pour métiers de rubans de velours à doubles pièces.

11 octobre 1883 : perfectionnements au cylindrage des tissus de velours par l’application d’un vaporisateur.

Annexe 2 : Succession de Francisque DAVID déclaration du 29 août 1902, n° 687. Source : Archives départementales de la Loire , 3 Q 11 862 .

Cette pièce contenant le détail patrimonial n’a pu être publiée dans le présent bulletin faute de place. Nous prions vivement l’auteur et nos lecteurs de bien vouloir nous en excuser.

X