BD, Tome 63,LES DIFFICILES CIRCONSTANCES DE LA NAISSANCE DE LA LEGION D ‘HONNEUR ET QUELQUES EXEMPLES DE SON ATTRIBUTION DANS LA LOIRE , Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon, pages 283 à 297, La Diana, 2004.

 

LES DIFFICILES CIRCONSTANCES DE LA NAISSANCE DE LA LEGION D ‘HONNEUR ET QUELQUES EXEMPLES DE SON ATTRIBUTION DANS LA LOIRE

Communication de Mme M.-P. Souchon

Compte rendu par M Philippe Pouzols-Napoléon

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Le Général de Gaulle avait coutume de plaisanter : Comment voulez-vous gouverner un pays où rivalisent plus de 400 sortes de fromages ? Par cette boutade, il soulignait le

Le texte de cette communication reprend celui d’une conférence présentée par l’auteur dans les locaux de la Diana le 19 juillet 2002 à l’occasion de l’inauguration de l’exposition de la Légion d’Honneur et que nous publions pour le bicentenaire de la remise de la première décoration (1804).

caractère individualiste, volontiers querelleur, que les Français ont hérité des Gaulois et que déjà Jules César pointait du doigt dans La guerre des Gaules .

En dépit de ce trait de caractère, permanent sur plus de 2000 ans d’histoire, la France fut l’un des premiers pays européens à réaliser son unité : unité presque contre nature, faite autour de la monarchie des Capétiens qui régnèrent plus de 1000 ans sur la France.

Ces rois, incarnant l’État, s’appuyant sur un pouvoir détenu de droit divin, ont su fidéliser par des terres, des rentes, des décorations, tel l’ordre du Saint-Esprit créé par Henri III ou l’ordre militaire de Saint-Louis créé par Louis XIV, de grands féodaux devenus les piliers de leur régime. Mais, faute d’y associer la Nation toute entière, cette aristocratie fermée et privilégiée sépara le roi de son peuple, avec pour conséquence la terrible tornade révolutionnaire qui rendit les Français à leurs affrontements fratricides.

Aussi, Bonaparte, à son arrivée au pouvoir en 1799, eut-il pour préoccupation essentielle de redonner une cohésion à un pays à nouveau profondément divisé : un des instruments de ce retour à la cohésion de la France fut la création de la Légion d’Honneur en 1802, par le Premier Consul.

J’évoquerai tout d’abord dans quelles conditions, et face à quelles réticences Bonaparte su imposer cette décoration qui se donnait pour mission de rassembler tous les Français, civils ou militaires au service d’une nation, plus que d’un gouvernement.

Puis, je soulignerai par des exemples pris dans le département de la Loire , que les régimes politiques successifs de la France au XIXe et au XXe siècles, ont tous conservé précieusement le caractère fédérateur de la Légion d’Honneur : le maire de Montbrison Claude Lachèze, la ville de Roanne, l’École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne, dont les mérites ont été reconnus par l’attribution de la Légion d’Honneur, sont nos témoins. Ainsi que le souhaitait Bonaparte, grâce à eux et à bien d’autres Français aux mérites éminents , la Légion d’Honneur est devenue ce ciment de la Nation qui fédère un peuple, et par là, contribue à la grandeur et à la pérennité de la France.

 

La naissance de la Légion d’Honneur :

La volonté claire et forte de réconcilier les Français en les mettant tous au service de la Nation fut bien l’idée directrice de Bonaparte en créant la Légion d’Honneur. Après la paix d’Amiens avec l’Angleterre (4 germinal An X), après la signature du concordat avec le pape, ramenant la paix religieuse en France (25 germinal An X), Bonaparte veut enfin conforter la paix civile. L’heure est alors venue d’une grande mesure pacificatrice : le rappel en masse des émigrés, accompagné d’une décision d’amnistie générale. Mais une véritable crainte s’impose : le retour de ces 100 000 Français en exil, avides de retrouver leurs places et leurs biens, n’ayant rien oublié ni rien appris , suivant le mot de Chateaubriand, pouvait faire renaître des conflits entre les partisans de l’Ancien Régime et la Société Nouvelle , issue de la Révolution. Le souci du Premier Consul fut donc d’intégrer dans une nation solidaire tous les Français de bonne volonté : dans cet état d’esprit, il place Talleyrand à la tête du ministère des Affaires Étrangères, et Fouché à la direction de la Police : L’un garde ma gauche, l’autre ma droite – J’ouvre une grande route où tous peuvent aboutir dit-­il. Il était très frappé de l’émiettement de la société française qui ne parvenait pas à se rassembler autour d’un pouvoir politique pourtant fort et très centralisé : Ainsi, dit-il, on a tout détruit, il s’agit de recréer – Il y a un gouvernement, des pouvoirs, mais tout le reste de la Nation , qu’est-ce ? Des grains de sable ; nous sommes épars, sans système, sans réunion, sans contact – Il faut jeter sur le sol de France quelques masses de granit . Une de ces masses fut la

Discussion du 18 Floréal An X au Conseil d’État. Cité par Roederer – Journal p. 123.

Légion d’Honneur (l’autre étant la réforme de l’Instruction publique).

Avec la Légion d’Honneur, le Premier Consul conçut l’idée d’organiser une sorte de noblesse démocratique qui, formée des meilleurs éléments de la France nouvelle et fondée comme très anciennement l’autre aristocratie sur les services rendus au pays, ferait oublier la société privilégiée que la révolution avait brisée a : un état-major de 30000 citoyens, groupés en légions (par souci du retour à l’Antique) qui se renouvellerait sans cesse et serait lié par serment au nouveau régime.

Dotée d’une pension civile, cette décoration cependant ne pouvait être une simple association d’intérêts: il fallait lui donner un idéal. L’Ancien Régime en avait un: la fidélité au souverain de droit divin, notion incompatible avec l’idéal révolutionnaire. L’idéal voulu par Bonaparte fut donc l’Honneur, l’honneur d’être au service de la Nation toute entière. La Légion d’Honneur devint ainsi un élément de cohésion pour la Société Nouvelle , une sanction accordée à la valeur, à toutes les valeurs, comme le souligne l’article l er fondamental du projet de loi a : en exécution de l’article 87 de la Constitution , concernant les récompenses militaires et pour récompenser aussi les services et les vertus civiles, il sera formé une Légion d’Honneur .

On imagine mal le tumulte inouï que déchaîna ce projet : Il n’est pas possible aujourd’hui, écrira trente ans plus tard la duchesse d’Abrantès, d’en donner une juste idée . Au nom des principes de 1789 : Égalité et Liberté, une violente opposition se manifeste :

– Défenseurs de la Liberté , certains craignent que le gouvernement ne se serve de cette décoration pour asservir une élite par l’appât du gain. En réponse, Bonaparte fait savoir que les nominations seront faîtes, non par le pouvoir exécutif (lui, en l’occurrence) mais par un Grand Conseil regroupant les trois

Duchesse d’Abrantès – Mémoires – T. IV, p. 206.

Consuls, les représentants du Sénat, du corps législatif, du Tribunat et du Conseil d’État. Ce Grand Conseil élirait lui-même son Grand Chancelier.

– Mais les protestations les plus véhémentes se déchaînent au nom de l’Égalité. Les survivants de la Révolution voient dans l’établissement de cette distinction la restauration d’une noblesse : les Français ne veulent plus de caste ! Cette opposition se manifeste dans les assemblées : dans un prodigieux plaidoyer au Conseil d’État, Bonaparte insiste sur la nécessité de reconnaître les services rendus à la Patrie , aussi bien militaires que civils. Le Conseil d’État résiste et la loi ne passe qu’à quatre voix de majorité.

Même opposition du Tribunat, du Corps Législatif… Les amis de Bonaparte eux-mêmes ne se privent pas de railler l’institution: le général Moreau la tourne grossièrement en ridicule, en décernant à son chef de cuisine l’ordre de la casserole d’honneur . Les royalistes se déchaînent parlant de mascarade: une caricature anglaise montre Bonaparte coupant ses rubans dans un bonnet rouge.

La caricature n’avait pas absolument tort : la Légion d’Honneur était bien dans l’esprit de Bonaparte une institution démocratique que – moins que personne – les amis de la Révolution eussent dû combattre. Mais Bonaparte n’en est pas encore à brusquer les hommes et les choses: la loi votée, il attend deux ans avant de la promulguer, le 22 messidor An XII, et de distribuer 30 000 croix, cordons, cravates et plaques du nouvel ordre.

Esprit pratique et précis, Bonaparte fixe lui-même la forme de la décoration: le savant Monge lui demande comment il l’imagine : une étoile répond-il. Pourquoi une étoile ? Beaucoup d’hypothèses ont été avancées : étoile des armoiries

Roederer – Mai 1802 – T III p. 441.

Remacle – Relations – p. 238.

familiales des Bonaparte, ou bonne étoile qui le guida, tel un berger, des pyramides d’Égypte au Palais des Tuileries ?

L’interprétation la plus vraisemblable veut que Bonaparte ait repris l’étoile de l’ordre de Saint-Louis laïcisé et démocratisé par l’adjonction d’une cinquième branche : union symbolique des figures du passé et des hommes qu’il entend désormais honorer sans la moindre distinction d’origine, pour leur seul mérite. Ainsi la Révolution n’apparaît plus comme une rupture absolue, mais devient continuatrice de l’effort national. Le ruban rouge est celui du sacrifice : dans le contexte de l’époque, la victoire de Valmy sur les Prussiens marque le sursaut de la France. Dans la pièce de théâtre d’ E. Rostand, L’Aiglon , Flambeau, vétéran des guerres d’Empire, évoque de façon émouvante cette notion de sacrifice :

Monseigneur, il fallait voir ça sur les poitrines,

Là, sur le drap bombé, goutte de sang ardent

Qui descendait et devenait en descendant

De l’or, de l’émail avec de la verdure,

C’était comme un bijou, coulant d’une blessure…

Le 15 juillet 1804, aux Invalides, un dimanche pour associer le peuple de Paris à cette fête célébrant à la fois l’anniversaire de la prise de la Bastille , et la première remise de Légion d’Honneur, Napoléon distribue les premières Croix. De la cérémonie fastueuse et émouvante, on retient surtout le geste symbolique de l’Empereur qui remet son propre cordon de la Légion d’Honneur au vieux Cardinal Caprara, envoyé du Pape, qui avait célébré en personne la cérémonie : c’est un acte politique ; un enfant de la Révolution , ami de Robespierre, élève à cette dignité nouvelle un représentant du Pape : c’est l’inespérée réconciliation civile que la France attendait.

D’autres légionnaires, des militaires essentiellement, patientent encore un mois pour recevoir leur insigne : au camp de Boulogne, le 16 août 1804, se déroule la 2ème cérémonie devant plus de 100 000 hommes de l’armée des Côtes, groupés en vue du débarquement en Angleterre.

Plus de 2000 insignes sont distribués ce jour-là, pour la plupart à des vétérans des guerres révolutionnaires.

La cérémonie de Boulogne, d’un éclat sans précédent et inégalé par la suite, donne à la Légion d’Honneur un immense prestige dans toute l’armée, dans la France entière et en Europe même.

A l’origine, l’ensemble des membres de la Légion d’Honneur devait atteindre un nombre maximum de 4 922. Dès la fin de 1804, l ‘Empereur a plus que doublé ce nombre. En 1814, le nombre des Légionnaires vivants est supérieur à 32 000. Des militaires, bien sûr, dont quelques-uns se sont distingués sous l’Ancien Régime, comme J.B. de Rochambeau, élevé à la dignité d’officier dès 1804. Mais aussi des civils, en proportion moindre, puisqu’ils ne représentent que 5% des effectifs : des médecins, tel Corvisart, des industriels comme Oberkampf, directeur de la manufacture d’impression sur toile de Jouy ou encore J.B. Delessert qui crée la première manufacture de sucre de betterave… et aussi des artistes comme David ou Vivant Denon, des personnalités étrangères telles Volta ou Goethe…

Mais la Légion d’Honneur n’aurait pas rempli la mission assignée par l’Empereur si elle n’avait honoré que l’élite la plus représentative des hommes de l’époque : par la volonté de l’Empereur, elle fût attribuée jusque dans la France profonde des provinces : le département de la Loire l’illustre de façon significative.

 

L’exemple de Claude Lachèze :

Tout d’abord, l’exemple d’un homme, Claude Lachèze , maire de Montbrison de 1800 à 1812. Claude Lachèze fut l’un

Marcel Vitte et Lawrence Kilbourne : Grands notables du Premier Empire – T. 16 : Loire et Saône et Loire – Paris CNRS – Sur Lachèze, notice p. 34-35.

Claude Latta: « Histoire de Montbrison ». Ed. Horvath 1994.

des Français de bonne volonté et de mérite qui réussirent à sortir la France de l’ornière révolutionnaire.

Né en 1774, il est le fils d’un procureur du roi au bailliage de Montbrison : il incarne donc la continuité. Néanmoins il sait profiter de la Révolution en achetant des biens d’église, déclarés biens nationaux . Puis il s’oppose à ses excès en rejoignant de jeunes Muscadins qui font régner la Terreur Blanche sur la ville, après la chute de Javogues. Il a enfin la bonne idée de se rallier au Général Bonaparte qui le désigne alors comme maire de Montbrison (à cette époque, les maires n’étaient pas élus mais nommés).

Claude Lachèze sert le régime de Napoléon avec zèle. Sous le consulat il fait célébrer â Montbrison avec tout l’éclat et la pompe possibles l’anniversaire du 18 brumaire, une journée dont l’objet doit être si cher au coeur des Français.. . En 1810, le mariage de l’Empereur et de l’archiduchesse Marie-Louise est l’occasion de grandes fêtes au cours desquelles d’anciens soldats de la grande armée épousent de jeunes montbrisonnaises dotées par l’Empereur . Et il n’est de victoire napoléonienne qui ne soit célébrée rituellement par un Te Deum à Notre-Dame, auquel la population de Montbrison est conviée .

Ce zèle déployé à la cause de l’Empereur serait-il, à lui seul, responsable de la Légion d’Honneur que Claude Lachèze arbore fièrement sur le buste qui le représente au premier étage de la mairie ? Il semble que non. En réalité, Claude Lachèze fut surtout un grand maire de Montbrison, et ces démonstrations de fidélité à l’Empire ne sont que l’écume d’une action municipale profonde.

M. Vitte et L. Kilbourne – op. cit. p. 35.

Délibérations du conseil municipal – 16 brumaire An X.

Marguerite Fournier : Comment fut fêté à Montbrison le mariage de l’Empereur – Village de Forez n°10 – p. 5-7.

Journal du département de la Loire , cité par Claude Latta dans Histoire de Montbrison . Op. cit.

Excellent gestionnaire, les délibérations du conseil municipal nous le montrent soucieux de rétablir un système de contributions équitable, d’établir des rôles et d’en suivre le recouvrement . Il entretient avec le ministre de l’Intérieur une correspondance assidue , rendant compte de l’évolution du prix du pain, nourriture essentielle à l’époque, de l’état d’esprit de la population qui s’efforce d’échapper à la conscription par tous les moyens: il assiste en personne aux séances de mensurations des conscrits, veillant à ce qu’aucun d’entre eux ne rentre la tête dans les épaules en passant sous la toise dans l’espoir d’être déclaré trop petit pour le service militaire. Et surtout, il soigne et embellit sa ville : Montbrison lui doit en grande partie son aspect actuel. Les remparts qui ceignaient la ville s’étaient progressivement dégradés aux XVIIe et XVIIIe siècles, et une partie des fossés formait un véritable cloaque responsable de dangereuses épidémies. Leur démolition ordonnée par Javogues en 1793 est achevée en 1799, et les fossés comblés. Claude Lachèze fait alors aménager les boulevards plantés de platanes et de tilleuls, sous la responsabilité des riverains en 1801 et 1808-1809 : les plans de 1808 et le premier cadastre de 1809 indiquent bien l’emplacement du boulevard circulaire, dans son tracé et ses dimensions actuels . De chaque côté du boulevard, se construisent alors des hôtels particuliers, tel celui de JB d’Allard (le musée d’Allard) édifié en 1812 grâce au concours d’une main d’oeuvre de prisonniers espagnols .

Soucieux de la salubrité de la ville, Claude Lachèze organise le transfert des cimetières de paroisse dans un cimetière communal aménagé extra-muros. Dès le début de son mandat, i1 fait appliquer les dispositions du Concordat qui rétablit et

Conseil municipal du 28 thermidor An IX.

Correspondance de Claude Lachèze – Archives départementales de la Loire.

Claude Latta : Histoire de Montbrison op. cit.

R. Palluat de Besset cité par Claude Latta dans Histoire de Montbrison .

organise le culte catholique ; dans une délibération du conseil municipal, il élude prudemment le problème du pillage des églises : le conseil trouve les églises en bon état et bien pourvues des objets du culte…

Conformément aux voeux de l’Empereur, il crée un collège impérial dans l’ancien couvent des Ursulines: les 7 gendarmes qui y avaient pris asile sont priés d’aller se loger ailleurs …

L’ancien couvent des Oratoriens, qui avait formé les gentilshommes d’Ancien Régime, était en effet, devenu préfecture du département.

Et l’on pourrait citer encore bien d’autres actions bénéfiques pour la ville de Montbrison, qui vont de l’obligation de l’adoption du système décimal par les commerçants à l’équipement de la ville en fontaines publiques , ou à l’organisation d’une souscription pour la création d’un théâtre .

Une telle activité et tant de compétences justifiaient sans doute l’attribution de la Légion d’Honneur. Quand fut-elle décernée à Claude Lachèze ? Mes recherches aux archives du département furent vaines ; la réorganisation du service avec une nouvelle nomenclature et un éclatement des dossiers ont leur part dans cet échec. Il est vraisemblable que cette décoration fut décernée à Claude Lachèze sous l’Empire, peut être à la suite de ce rapport confidentiel du préfet daté de 1810, où ses mérites sont mis en valeur… d’autant, ajoute le préfet, que nous le tenons car il a la réputation d’aimer les femmes!

Sa carrière politique se prolonge au-delà de 1812, date à laquelle il quitte la mairie de Montbrison pour devenir conseiller de préfecture.

Claude Latta: Histoire de Montbrison. Op. cit.

Délibération du conseil municipal du 20 floréal An XI.

Délibération du conseil municipal du 25 prairial An XI.

Arrêté du l er frimaire An XII.

Délibération du conseil municipal du 15 vendémiaire An X.

Conseil municipal – l er août 1810.

Pendant les Cent jours, il fait partie des derniers fidèles de l’empereur, et est élu au corps législatif. La Restauration l’écarte de la vie politique mais il redevient député de l’arrondissement de Saint-Etienne en 1830, sous Louis-Philippe. Il ne fait plus parler de lui, jusqu’à sa mort dont la date même parait incertaine. En reconnaissance de son action municipale, la ville de Montbrison donne alors son nom à une partie importante du boulevard de ceinture de la ville.

Claude Lachèze est notre premier exemple dans le département de la Loire. Le deuxième est celui d’une ville a : Roanne , décorée, elle aussi, de la Légion d’Honneur.

 

 

 

 

La reconnaissance de la résistance d’une ville :

La ville de Roanne doit cette distinction au comportement héroïque de ses habitants en 1814: la Campagne de France a alors raison de Napoléon, les alliés autrichiens et prussiens envahissent le pays. Les Autrichiens occupent Lyon, puis se dirigent vers Roanne : à leur tête, le Général Hardegg établit un campement provisoire à Saint-Symphorien-de-Lay. Le maire de Roanne, François Populle, organise alors la résistance. Fin mars 1814, des membres de la Garde Nationale de la ville de Roanne, aidés de mariniers, effectuent une expédition nocturne sur Saint-Symphorien-de-Lay pour surprendre les Autrichiens: expédition réussie qui laisse les Français maîtres du terrain. Mais en avril, les Autrichiens, désireux de prendre leur revanche, resserrent leur étau autour de Roanne. Leurs troupes se livrent au pillage dans les villages environnants, tandis que le Général Hardegg dicte ses conditions au maire de Roanne : la ville devait se rendre à discrétion, l’ennemi pénétrerait dans la

Source unique: Claude Latta : François Populle, maire, député, sous-préfet de Roanne – 1777-1846 . Bulletin de la Diana Tome X n° X septembre 2002.

ville, où il aurait la liberté de piller pendant deux heures, et les partisans du combat de Saint-Symphorien-de-Lay seraient livrés à l’ennemi.

Le maire de la ville, François Populle, soutenu par la population, refuse avec indignation ces conditions : Vos soldats demandent deux heures de pillage ! Nous leur répondrons par deux heures de tocsin : 20 000 paysans armés accourront à notre secours, et alors… on verra . Pour faire bonne mesure, François Populle menace de faire sauter le pont sur la Loire entre Roanne et le Coteau : cet axe était de première importance pour la progression des armées autrichiennes. La fermeté de l’attitude du maire, la détermination de l’ensemble de la population permettent d’éviter le pillage: les Autrichiens entrent dans Roanne sans incident majeur: bien qu’occupée par l’ennemi, la ville est sauvée.

Quelques jours plus tard, sur le chemin de l’île d’Elbe, Napoléon fait étape à Roanne et, apprenant la conduite patriotique des Roannais, déclare au Général Drouot qui l’accompagne : Cette ville a mérité la Croix… Mais il n’était plus en son pouvoir de la lui donner … Ce n’est qu’en 1864, cinquante ans plus tard, que le duc de Persigny désireux de faire quelque chose pour sa chère ville de Roanne incite Monsieur Bouiller, maire de Roanne, à solliciter pour sa ville la croix de la Légion d’Honneur, envisagée par Napoléon I er . Il intervient en ce sens auprès de Napoléon III et obtient gain de cause : par un décret de mai 1864, Napoléon III voulant perpétuer le souvenir de la résistance énergique opposée par la ville à l’invasion étrangère lui accorde la Légion d’Honneur, avec, ce qui est exceptionnel, le droit de faire figurer les insignes de l’ordre dans ses armoiries où elles remplacent désormais l’ancre des mariniers placée au-dessus du croissant qui, lui, subsista.

La ville reçut une nouvelle devise : Crescam et lucebo : je croîtrai et je brillerai, qui correspond à la nouvelle ambition économique de la cité. C’est ainsi que tardivement Roanne rejoignit les trois premières villes honorées pour leur résistance à l’ennemi en 1814: Châlon-sur-Saône, Tournus et Saint-Jean-de-Losne, décorées par Napoléon pendant les Cent jours… Quatre villes qui tinrent tête aux envahisseurs par le seul courage de leurs habitants, alors que Paris se rendait sans avoir véritablement combattu.

Une étude très complète, détaillée et vivante des hauts faits de résistance des Roannais a été conduite par mon collègue et ami Claude Latta, et vous avez pu en prendre connaissance dans le numéro de la Diana qui paraîtra en septembre 2002 : il y signe un long article sur le maire de Roanne concerné par cette période : François Populle.

 

Une institution honorée :

Le dernier exemple dans le département est celui de l’École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne qui reçut la Légion d’Honneur des mains du président de la République Albert Lebrun, le 22 octobre 1933 .

Fondée sous le premier Empire à Geislantern, l’École des Mineurs , comme elle s’appelait à l’époque, est transplantée en 1816 au milieu du Bassin de la Loire par l’ingénieur en chef Beaunier qui en fut réellement le premier directeur.

Successivement installée rue de la Préfecture , puis au château de Chantegrillet, elle prend ses quartiers définitifs sur un terrain vaste et stable, cours Fauriel, en 1926. Depuis son arrivée dans le département de la Loire , cette école a fourni l’essentiel du personnel dirigeant les houillères françaises… et aussi quelques savants tels Fourneyron, Boussingaut, Pierre Termier qui y fut professeur.

Cette école s’est illustrée par le dévouement de ses élèves à la cause publique : une trentaine d’ingénieurs sont morts victimes de leur devoir professionnel : grisou, éboulement, feux

Circulaire mensuelle n°170 bis de la Société amicale des anciens élèves de l’École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne.

de galeries. Mais ce sont surtout les deux guerres mondiales qui mettent à l’épreuve la fidélité de leur engagement.

A la première guerre mondiale, 143 élèves tombent au champ d’honneur sur 468 mobilisés : soit 30% des effectifs, douloureux et glorieux record parmi les écoles civiles. Ses élèves ou anciens élèves ont réuni sur leurs poitrines quatorze médailles militaires, cent soixante quatre croix de chevaliers de la Légion d’Honneur, six rosettes d’officier, une cravate de commandeur et ont obtenu six cent cinquante huit citations à l’ordre de l’armée.

C’est pourquoi le 22 octobre 1933, un décret signé et du ministre de la Guerre et du ministre des Travaux Publics donne une double sanction à la gloire militaire de l’École, et aux mérites civils de ses élèves en lui conférant la Légion d’Honneur.

Lors de la seconde Guerre Mondiale, les élèves de l’École des Mines honorent l’engagement de leurs anciens : à l’issue de la guerre, vingt huit d’entre eux sont morts pour la France , cent vingt six ont reçu la Croix de Guerre et leur rang compte un compagnon de la Libération : par l’exemple, ils furent bien les Honorati souhaités par Bonaparte qui plaçaient l’honneur dans le dévouement sans borne à la Patrie et à la cause publique.

 

En deux siècles d’existence, la Légion d’Honneur a accueilli dans ses rangs, à des grades divers, un million de citoyens : c’est beaucoup et peu à la fois, compte tenu de l’évolution de la population.

Si, dans son premier siècle d’existence, l’Ordre a, dans le domaine civil, un caractère un peu élitiste, le XXe siècle voit s’étendre la diversité des récipiendaires: l’Ordre, plus que jamais, est cette institution ouverte, représentative de l’élite vivante du pays, accueillant côte à côte dans ses rangs des savants, des hommes de lettres, des sportifs, des chanteurs…

L’entrée dans l’ordre de la Légion d’Honneur implique l’acceptation volontaire d’une solidarité humaine au service de toute une nation. C’est ce que voulait Napoléon, et c’est ce qu’ont bien compris tant de citoyens français et parmi eux, nos compatriotes ligériens : Claude Lachèze, les Roannais de 1814 et les élèves de l’École des Mines de Saint-Etienne .

 

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