BD, Tome LXIV, Docteur François GIROUX (1921- 2005), Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon, pages 220 à 228, La Diana, 2005.

 

Docteur François GIROUX (1921- 2005)

Eloge funèbre présenté par M. Francisque Ferret

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Il y a quelques décennies, dans cette salle, un vieux monsieur ou que je jugeais tel, du haut de mes 40 printemps, nous aurait dit qu’il avait le très pénible devoir d’annoncer le décès de François Giroux, membre de notre Conseil et ancien Administrateur du Château de la Bastie  ; ceci avec des mots sans doute sincères, généralement d’usage en pareille circonstance après hélas bien d’autres hommages depuis la naissance de notre Société. Ses funérailles ont été célébrées le 30 mai 2005 à la collégiale Notre-Dame d’Espérance de Montbrison.

Aujourd’hui, par chance ou malchance, au choix, je suis devenu le vieux monsieur, pour tenter de jeter quelques poussières d’histoire, plus simplement poignantes au nom d’une amitié bien ancienne.

Beaucoup de points, dont l’âge certes, nous rapprochaient, malgré nos différences, ne seraient-ce que nos longues vies à Montbrison. Cette ville était facilement qualifiée et péjorativement de paisible cité endormie et sans charme. Elle avait été détrônée de sa préfecture en 1856, puis victime des centralismes successifs d’une époque plus récente, dépouillée des Assises, de l’Ecole Normale, de l’Armée, laissant des vides profonds et malheureux. A cette dimension de sous-préfecture encore mi-rurale, s’attachait facilement la notion de notables connus par leur fonction ou profession, les médecins bien entendu en faisaient partie.

Notre cité avait cependant bien évoluée aux XIXe et XXe siècles, sans devenir industrielle et laide comme sa rivale, Saint-Etienne qui lui avait ravi le pouvoir. Le chemin de fer l’avait desservie, les boulevards abritaient de belles maisons, elle avait son théâtre, une collégiale, un magnifique jardin, un séminaire coté. Bien sûr les rues encore pavées étaient malaisées, l’éclairage pauvre, on garait encore les rares voitures n’importe où dans les rues extrêmement commerçantes fourmillant de petits négoces alimentaires et de cafés. Il y avait cinq ou six agents de police (au lieu de 40 de nos jours mais dans un cadre plus large) pour assurer une paix peu troublée, à part quelques algarades les jours de fête ou de marché. On s’aventurait peu à 500 mètres des boulevards car c’était loin, loin des bourgs de Moingt ou Savigneux voués davantage à l’industrie, il en était ainsi à l’arrivée de François avant l’explosion des Trente Glorieuses aux années 1960.

Arrivé dans cette ancienne capitale du Forez, dix ans après et pour deux ou trois ans m’avait-on dit, j’y suis encore ….. fixé par ses avantages par trop méconnus et sa nature propice à l’histoire, aux rêveries et au cyclotourisme, mes passions .

Chacun fréquentait François en tant que médecin de famille, le terme reste inchangé. Des amis communs avaient rapproché nos épouses dans les cercles des dames bien pensantes, comme on l’exprimait à l’époque et nos enfants furent longtemps condisciples.

Son père, montbrisonnais d’adoption, était ingénieur aux Ponts et Chaussées, chargé du Canal du Forez, institution grandiose du Second Empire un peu méconnue soit dit en passant. Il avait aussi des attaches dans la région de Boën.

 

Ses études s’étaient déroulées bien sûr à Lyon durant la guerre à laquelle il avait échappé.

Son mariage avec Renée Ayrolles l’avait fixé sur ce boulevard où il restera jusqu’à sa retraite, dans une immense maison mal commode mais dotée d’un grand jardin qui avait abrité longtemps une famille de juristes, dont l’un est connu comme photographe amateur de qualité au XIXe siècle, les Dulac.

Renée est une descendante d’une autre famille très connue ici jusqu’à nos jours et rappelée encore, détail pittoresque, par une magnifique inscription de marbre identifiant la façade de leur bel immeuble « Ch. Durel Jay et Naacke », au 12 boulevard Chavassieu. Cette entreprise, existant encore en droit, avait débuté par le négoce  des plantes médicinales puis l’investissement dans l’électricité et la banque jusqu’à la guerre de 1939. Une des demoiselles Jay avait épousé Monsieur Ayrolles, ingénieur dans la métallurgie, père de Renée.

Il ne faut pas oublier qu’en 1947, fin de guerre et de misère, on vivait la fin d’un monde et une transition d’époque.

Montbrison, son canton, et plus loin encore, de Mornand à Saint Bonnet le Courreau, sur une trentaine de kilomètres, avait seulement une demi-douzaine de médecins, un chirurgien exerçant dans sa mini clinique, un hôpital se rapprochant plus de l’Hôtel Dieu tel qu’il était conçu au Moyen-âge, malgré la présence de nombreuses religieuses encore éloignées des thérapeutiques modernes, mais cependant doté d’une remarquable maternité des années 1930 doublée de deux petites maternités privées, quelques religieuses infirmières étaient présentes mais aucun masseur (appelé aujourd’hui kinésithérapeute.) Il n’y avait pas un seul spécialiste, hormis un oculiste opérant les jours de marché dans une arrière-boutique.

Antérieurement à 1789 on comptait ici 3 médecins dont Richard de Laprade, Intendant des Eaux-Minérales et 3 chirurgiens aux exercices pratiques aléatoires bien sûr. A la fin de la carrière de François Giroux, on comptera plus de 50 médecins dont la moitié de spécialistes, un hôpital et une clinique moderne, une cohorte d’infirmières et de kinés outre diverses branches de santé.

Ceci pour souligner l’intensité de la vie du personnage qui aimait à dire que la médecine était née avec son temps par l’arrivée des antibiotiques annulant la terreur de la tuberculose et autres infections. En effet, la belle époque si souvent affirmée n’était que celle des morts prématurées et des horreurs des épidémies.

Il n’est que de lire un Mémoire de Richard de Laprade en 1779, sur les pestilences des fossés des remparts, des étangs, et l’état de la rivière entraînant des épidémies mortelles.

La ville avec l’arrivée des trente glorieuses a extraordinairement changé depuis les années 60 avec un hôpital, un lycée et maintes rénovations dues aux maires successifs. On imagine très mal de nos jours la vie quotidienne d’un médecin à mi-chemin entre le rural et l’urbain, le travail énorme et le temps nécessaire pour assurer l’essentiel, le plus souvent sans vacances ou repos, les trajets d’hiver en montagne. L’activité de François et des autres tenait encore beaucoup à la petite chirurgie couramment pratiquée, c’était, paraît-il, sa vocation première. Comme les autres, il était aidé par son épouse, chargée de ce que l’on ne nommait pas encore le secrétariat mais exigeait une présence constante. Elle en souffrait à la longue et le disait, c’est compréhensible.

Comment ainsi définir, sans flatterie, dans ce cadre, en dehors des banalités, les traits de cet homme. C’était le sens du service et de l’écoute, l’efficacité alliée à la minutie, un franc parler, le sens inné du bénévolat. Il était exigeant pour lui-même et pour les autres, honnête à tous égards sans mépriser l’argent engendré par sa profession. Ces caractères le rendaient parfois bourru ou difficile, lui attirant des critiques plus ou moins justifiées et ennuis divers.

D’autres que moi ont rendu compte de ses multiples activités bénévoles. Je souligne cependant que, dans les années 60, partageant un sport commun, je le rencontrais en dehors de réunions amicales au ski club avec le début de la station de Chalmazel alors équipée d’un unique remonte-pente …. devenu historique. Au fil des ans, la station prit corps et se développa rapidement après 1970, sous l’action du Département. François était devenu le médecin de la fédération sportive et supervisait les compétitions là et ailleurs, dans les Alpes parfois, comme en 1968 au J. O. Il avait acquis un chalet à la station où il passait de nombreuses fins de semaine. Curiosité méconnue, ce chalet succédait à une ancienne maisonnette de garde-barrière sur la ligne abandonnée de Lyon Montbrison où, je crois me rappeler, il chassait alentour.

On garde le souvenir de François toujours minutieux, impeccable sur les pistes et muni d’un matériel sophistiqué déjà à l’époque, lors de la direction de ces épreuves.

Il pratiqua longtemps le ski, puis continua après sa retraite à fouler à pied les hautes chaumes. Son métier l’avait conduit à devenir médecin des services de lutte contre l’incendie. Ces services étaient loin d’avoir l’importance acquise depuis, avec la prolifération bureaucratique, sans doute utile, mais réduisant la part du bénévolat à la base inhérente à ces activités.

Après la compagnie de Montbrison, il fut appelé à un autre stade plus important au niveau départemental. On lui donna le grade de Commandant qui lui conférait une certaine fierté.

Je n’oublie pas son passage à la Croix Rouge dont il fut membre actif, ainsi qu’à l’ordre des médecins dans lequel il devint vice-président. Il était aussi au Conseil de l’hôpital surtout après sa retraite, me semble-t-il.

Ses nombreuses et valables activités lui avaient valu de multiples distinctions dont l’Ordre du Mérite national, cette décoration nullement galvaudée le valorisait à son juste mérite.

Il prit sa retraite, autant que je m’en souvienne, en 1988 et c’est à cette époque que remonte son entrée dans notre Société où je l’ai côtoyé  dix années, entre 1990 et 2000, presque journellement avec notre ami Jean Bruel, prématurément disparu et dont il voyait, en clinicien averti, la maladie mais d’une façon plus sereine que la mienne.

Il n’était pas historien dans le sens du mot encore qu’amateur de notre histoire locale. M. de Meaux avait ainsi pensé lui confier le poste d’Administrateur de la Bastie d’Urfé, après le départ de notre confrère M. Bedoin, las de son actif bénévolat, après MM. Thiollier et Delomier aux longs règnes. Il était déjà septuagénaire et je voyais mal l’aspect concret de ce rôle délicat dans la survie de ce monument sauvé par La Diana au début du siècle ; je me trompais.

Il arrivait à un moment crucial où le Département avait jugé, avec raison, de mettre en valeur le château, pour pallier à la mauvaise image de la Loire , dépouillée au fil des ans de son activité industrielle.

François, comme il faisait toute chose, prit son rôle à cœur dans cette difficile transition, au milieu des échafaudages générant des ennuis quasi quotidiens. Il fallait se débattre avec les gardiens pas toujours à la hauteur et au moment où le château fut victime de deux cambriolages, dont l’un jamais élucidé, lui causant de grands soucis. Sa méticulosité créait aussi des situations difficiles parfois conflictuelles et d’ incessants déplacements, peut-être parfois inutiles.

C’était au moment où la Ville de Montbrison, sous l’égide du Dr. Poirieux, avait entrepris la rénovation totale de nos locaux, leur donnant une nouvelle jeunesse et des moyens plus appropriés pour le renom de la ville.

Un vaste projet fut établi, avec notre assentiment, et des travaux énormes effectués, sous la houlette des Monuments Historiques, laissant, après la rédaction d’un bail de longue durée, la gestion quotidienne à La Diana.

J’ai encore l’image de son 4 x 4 garé devant notre bureau, veillé par son toutou préféré, car il avait aussi la passion des voitures un peu étranges même : à un moment de sa vie, il eut une énorme voiture américaine dont il se servit peu.

 

On le voyait assez rarement à nos conversations décousues du samedi car il demeurait pragmatique, je l’ai déjà dit. En effet, il assurait les comptes du château largement aussi importants que ceux de La Diana , avec le concours bénévole de Renée comme de coutume. Il avait su cependant s’entourer d’une petite équipe, dont l’aide précieuse de Maurice Bayle, dianiste passionné et également méticuleux, pour mettre de l’ordre dans nos archives.

Il s’adjoignit plus tard des auxiliaires à mi-temps, les tâches administratives se compliquant d’année en année et changeant sans arrêt.

Lui et son épouse avaient aussi en charge leurs parents très âgés dont sa propre mère, décédée centenaire. Ils s’en occupaient avec un dévouement en voie de disparition de nos jours.

A cette assiduité au travail d’un retraité bénévole, précisons-le encore, notre ami peinait. Il dut subir un procès injuste intenté par un salarié et procéder à un licenciement pour faute grave. Il résistait mal aux malveillantes insinuations contre lesquelles j’estime personnellement que nous n’avons pas assez réagi pour le comprendre et le défendre. Cette activité a peut-être nui à sa santé, ainsi qu’à celle de son épouse plus gravement atteinte hélas et ils durent renoncer à leur bénévolat.

Ils avaient quitté leur vaste logement pour une coquette villa au-dessus de leur ancien jardin puis hélas pour Saint-Etienne au début de l’an 2000.

J’étais moi-même, je l’avoue, fatigué, victime d’une lourde intervention et je n’ai pas eu le courage, peut-être par lâcheté, je m’en accuse, de voir leur affaiblissement, laissant ce soin à nos amis communs dont Maurice Bayle.

Il faut sans doute rendre hommage à leurs deux enfants, l’un docteur en pharmacie à Rive de Gier tandis que sa sœur avait suivi son époux aux Etats-Unis, exil qui avait beaucoup affecté leurs parents et je ne dis rien hélas de la tristesse qu’il leur reste à cause de l’état de santé de Renée.

A mon tour atteint par la limite d’âge et ne suivant plus le modernisme de l’informatique et de l’internet, j’ai laissé à d’autres le trésor, vaincu par l’euro et les paperasses administratives sans doute nécessaires au regard des Collectivités nous subventionnant mais génératrices de soucis sans importance, chères à l’Administration dévastatrice.

Je laisse percer mon émotion sincère, vous laissant méditer sur notre infime condition humaine où, pourtant grain de poussière, nous contribuons à l’histoire grande ou petite.

Peut-être et sans aucun doute, un autre vieux monsieur, ou pourquoi pas une dame, prendra ma place à mon sujet lorsque je rejoindrai mon ami, au plus ou moins paradis des historiens et bénévoles de tous ordres. Pourquoi ne pas réciter une prière pour son âme,  car il y croyait.

Il restera quelques pages de notre bulletin, je le souhaite, à moins que dans le cours de ce siècle, s’accélère la disparition de la galaxie Guttenberg, transposée sur D.V.D ou autres informatiques, eux-mêmes voués peut-être, avec nos archives et collections, victimes à leur tour du moloch administratif né du principe de précaution, à être enfouis en quelques souterrains anti-atomiques, signe évident de la fin de l’Histoire.

 

Adieu ou au revoir, François.

(né à Largentière (Ardèche) le 28 septembre 1921 – décédé le 26 mai 2005 à Saint-Etienne et inhumé à Montbrison)

 

P. S. : Au moment de clore cet hommage, nous apprenons le décès de M. Henri Bedoin, parti cette semaine à son tour, après François qu’il précéda à la Bastie d’Urfé et y fit un excellent travail. Le temps nous manque pour un éloge mérité.

 

Le Dr François Giroux en compagnie d’Isabelle Denis

en 1994 à la Bastie