BD, Tome LXIV, LA CHAPELLE DE BONLIEU, Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon, pages 55 à 73, La Diana, 2005.

 

LA CHAPELLE DE BONLIEU

Petit chef-d’oeuvre ogival construit en briques

Visite d’un vestige cistercien en Forez

Communication de M. Etienne Desfonds

Atelier connaissance du patrimoine par le dessin de La Diana

 

Compte rendu par M. Philippe Pouzols-Napoléon

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Au XIIIe siècle (1212), les moines cisterciens de La Bénisson-Dieu créent, à Bonlieu, une abbaye de moniales. De cet ensemble monastique restent actuellement visibles quelques vestiges de bâtiments en pisé et surtout, la chapelle construite entièrement en briques.

A l’image des constructions du Sud-Ouest de la France , cette chapelle est d’architecture ogivale, aux dimensions modestes : 25 mètres de longueur sur 15 mètres de largeur environ. Son plan est à trois nefs et quatre travées (la dernière travée près du choeur est plus étroite que les autres).

De part et d’autre de l’abside principale viennent se caler deux absides pentagonales pratiquement aveugles (une seule ouverture par abside).

L’austérité et la simplicité du volume de ces deux absides donnent une finesse à l’abside principale de l’extérieur et de l’intérieur l’impression d’un choeur très lumineux en opposition aux deux absides sombres.

Il reste des traces de décor peint sur certaines parties des ogives et du sommet des murs.

Essai de reconstitution de la toiture par l’auteur

A la suite de nombreuses vicissitudes, la vocation monastique du couvent s’est perdue et les bâtiments ont été transformés en exploitation agricole. Une toiture de tuiles romanes a remplacé la toiture prestigieuse de la chapelle et de son clocher de bois. Les bâtiments encore debout ont été réhabilités. Des modifications importantes sont alors faites sur la charpente.

Sur son flanc nord, un bâtiment est adossé. Des contreforts sont arrachés, une ogive est ouverte pour réaliser un passage au dessus de la voûte, en anse de panier, qui coupe horizontalement en deux le volume de la chapelle.

Nous pensons que c’est de cette époque que datent la sacristie collée entre l’abside principale et l’abside sud, ainsi que, à l’intérieur, la cheminée et la communication entre la sacristie et l’intérieur de la chapelle.

La voûte intermédiaire est, elle aussi, construite entièrement en briques. La sacristie est bâtie en matériaux hétérogènes et sa couverture est de tuiles plates.

Tous ces aménagements (à part la construction de la voûte), paraissent maladroitement conçus et réalisés, une sorte de bricolage. Ils donnent à penser qu’à l’époque de sa déconsécration, la chapelle a été réorganisée en bâtiment de ferme par des propriétaires aux petits moyens, il reste des cloisonnements en briques au premier étage, qui délimitaient visiblement des pièces à usage d’habitation (à Montbrison, la chapelle de la Commanderie a subi les mêmes aménagements et a été utilisée de la même façon jusqu’au début du XXe siècle). La vocation de ferme a été pérennisée à Bonlieu jusqu’à nos jours.

La propriété de Bonlieu a évolué au XVIIIe siècle avec l’édification d’une grande demeure de pierres couverte d’ardoises, la création d’un parc, et la dernière intervention sur la chapelle : transformation de la nef sud après décaissement du sol, création de trois ouvertures pour l’installation d’une orangerie pour le jardin de la nouvelle maison.

Dessin n°1 – Vue générale de la chapelle.

Nous lisons facilement sur cette vue l’importance physique de la chapelle : le mur pignon, quatre contreforts, et plus loin les toits coniques qui couvrent les absides. Nous remarquons l’importance du hangar adossé le long du corps principal de la chapelle. Nous voyons également au travers des frondaisons abondantes à l’arrière du couvent, à droite le Mont d’Uzore, le prieuré de Montverdun, deux sites importants décrits dans le roman de l’Astrée, Bonlieu étant lui même présenté comme le Temple de Vestale.

Nous comprenons à l’examen de cette vue que l’ensemble conventuel a été, à l’origine, édifié sur une galette assez vaste taillée dans le vallon.

Dessin n°2 – Pignon ouest et hangar.

Façade remarquable par les quatre contreforts en briques et l’enfilade verticale d’ouvertures dans la partie centrale du pignon : ouverture en anse de panier datant de la période de la création du niveau intermédiaire de la chapelle. L’ouverture ogivale, au dessus du portail, de même facture que les autres ogives de la chapelle est de toute évidence d’origine.

L’ouverture supérieure à l’ogive, en appareillage de pierres taillées avec des corbeaux en pierre en couronnement des montants, semble être prévue pour l’installation et le fonctionnement d’une cloche et peut-être d’un appui de charpente. La corniche au sommet du pignon laisse l’impression que la façade et la toiture n’avaient pas, à l’origine la même apparence.

Il semble que l’examen minutieux des parties supérieures du bâtiment permettrait la découverte de vestiges d’appui de la charpente d’origine, de reconstituer la forme de la toiture et du clocher de bois (dont il est question dans certaines archives de Bonlieu).

Une proposition de forme originelle de la toiture ne peut être faite sérieusement qu’à partir de relevés précis du bâtiment, d’un examen archéologique des vestiges et d’ une réflexion s’appuyant sur les architectures de cette époque ( La Bénisson-Dieu par exemple).

La construction du préau de la cour de la ferme ressemble à la construction de cloîtres de la même époque (Montverdun). Sur la gauche de la façade, la construction « bricolée » du hangar et de l’écurie au rez-de-chaussée démontre l’attitude de récupération du bâtiment après l’abandon du couvent par l’ordre cistercien.

Dessin n°3 – Bâtiments en relation avec la chapelle.

Ces bâtiments, faits de pisé et de briques, sont fondés sur des bases en pierre. Certaines ouvertures et charpentes de bois, rappellent les méthodes médiévales de construction. Les deux portails aux anses de panier en briques rappellent eux, par leurs proportions et leurs constructions, le portail de la chapelle. On lit très nettement la corniche barrant le sommet du pignon.

En l’absence d’un examen archéologique sérieux, l’implantation précise des bâtiments conventuels nous échappe. Une étude approfondie des sols nous permettrait de comprendre l’organisation architecturale du couvent.

 

 

Dessin n°4 – Façade latérale de la chapelle côté sud.

Assemblage en alternance de contreforts et de lancettes ogivales. On remarque la fondation de cette façade décaissée pour l’installation du jardin et de l’orangerie dans la travée sud de la chapelle (elle-même décaissée) ; en correspondance avec les lancettes, les ouvertures de l’orangerie ont été aménagées en plein cintre. Les serrureries métalliques sont encore en place. On remarque que « ce décor sur jardin » est parfaitement entretenu et du plus bel effet.

Dessin n°5 – Absides de la chapelle et sacristie.

L’aspect prismatique de l’abside secondaire présente sur la seule ouverture ogivale une sorte de tablier métallique et de grillage : la partie supérieure de celle-ci a été utilisée comme pigeonnier, ce tablier empêchant les pigeons de dégrader l’ouverture.

Le calage « à la diable » du petit bâtiment dénommé sacristie pose des énigmes quant à son aménagement intérieur (aspect improvisé de la porte de communication – Installation d’une cheminée à l’intérieur de l’abside).

Dessin n°6 – Les trois absides vues de l’extérieur.

Trois absides pour trois nefs de l’édifice. L’abside principale a une architecture très raffinée avec des alternances de contreforts et de lancettes de grande allure. Le sommet des contreforts devait, à l’origine, comporter des pinacles décoratifs qui, nous le supposons, n’ont pas résisté aux flammes de l’incendie de la toiture et n’ont pas été remontés au moment de la transformation du bâtiment en ferme. La construction du niveau intérieur de la chapelle a bouché une partie importante des lancettes.

La chapelle de Bonlieu, à l’origine, était un petit joyau de briques dont la couverture devait souligner l’élégance de l’ensemble (elle était peut-être d’écailles vernissées comme la toiture de La Bénisson-Dieu ) ce qui, nous le pensons, a influencé l’imaginaire d’Honoré d’Urfé et l’a poussé à en faire un temple de vestales dans le roman de l’Astrée. Cela peut également expliquer que cette chapelle fut la sépulture des Urfé à une certaine époque.

Dessin n°7 – Communication entre le hangar et la partie supérieure de la chapelle.

Montage complexe et rustique de ce grand hangar permettant d’aménager deux niveaux d’utilisation. Visiblement cet aménagement a été fait sans souci architectural : défoncement de l’ouverture de communication avec le corps de la chapelle et montage approximatif de la couverture mettent en évidence un investissement chiche contrastant avec la forme du bâtiment d’origine. Le rez-de-chaussée de ce hangar servait de dépôt, d’écurie et d’étable.

Dessin n°8 – Vue intérieure du niveau sous les ogives.

 

Des trois nefs originelles, toutes les croisées d’ogives sont en place. La réalisation de cet ensemble de briques est remarquable. Nous percevons et pouvons imaginer la luminosité radieuse de l’intérieur de la chapelle. Inévitablement à ce moment de la visite, on mesure de façon physique la spiritualité du lieu. A certains endroits, un décor reste visible (bleu, blanc et noir).

Dessin n°9 – Rez-de-chaussée de la nef principale.

 

La voûte en profil anse de panier, intégralement en briques, est en appui sur un mur de pierres construit entre les piliers de la nef. Un génial désordre accompagne un cuvage impressionnant, témoin de l’activité viticole dans la région. En imaginant la synthèse des dessins n ° 8 et 9, on peut aisément reconstituer les belles proportions du volume de la chapelle.

Dessin n ° 10 – Un petit chapiteau.

 

Petite pièce d’architecture replacée sur la pile en briques d’une porte de communication à droite de la façade (Ouest de la chapelle). Sur la deuxième pile, un autre chapiteau serait posé, il est actuellement couvert de végétation.

Sur le côté gauche, un volume cylindrique en biais semblerait indiquer le départ d’une ogive. La partie supérieure de la tête a un couvre-chef en forme de tailloir (pièce d’appui pour départ de cintre plein ou brisé).

Ces deux observations peuvent faire admettre l’hypothèse que ces figures accompagnaient, à une époque, un porche d’entrée, soit celui du couvent, soit celui de la chapelle ou d’une pièce importante de l’abbaye (réfectoire ou chapitre….)

L’expression du visage peut être aussi indicatrice de sa situation, d’une gravité boudeuse, cette image pourrait engager le visiteur qui passe la porte à une attitude de fatalisme serein pour les choses de la vie.

Conclusion

L’Abbaye de Bonlieu est un patrimoine important dans le pays du roman de l’Astrée. La proximité de la rivière Lignon, de Montverdun, du mont d’Uzore, de la Bastie d’Urfé, de Gouttelas, de Marcilly-le-Châtel, de Montbrison, en fait un fleuron historique dans ce territoire.

Il sera, dans quelques années, le seul témoin spectaculaire et historique de l’activité des briqueteries dans la région.

La qualité et l’originalité de l’architecture de cette chapelle en font un élément important et unique du patrimoine départemental. Espérons que les prochaines décennies permettront de redonner l’éclat et l’esprit à cet édifice.

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont contribué à ce reportage et particulièrement monsieur Charles Perrot et sa famille, propriétaire de Bonlieu, pour l’autorisation qu’il nous a accordée.

Nous précisons également que pour des raisons évidentes de sécurité, le site de Bonlieu n’est pas accessible au public.

 

 

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