BD, Tome LXIV, LES CAHIERS DE DOLEANCES DU TIERS ETAT DE LA VILLE DE SAINT-ETIENNE, Communication de Monsieur Michel Bourlier, pages 300 à 342, La Diana, 2005.

 

 

LES CAHIERS DE DOLEANCES DU TIERS ETAT DE LA VILLE DE SAINT-ETIENNE

3 mars 1789

 

Communication de Monsieur Michel Bourlier

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Les doléances exprimées à Saint-Etienne rejoignent par bien des points celles que l’on pourrait retrouver dans l’ensemble de la province du Forez comme dans le Royaume tout entier : fidélité au régime monarchique affiché, tempérée par une permanence parlementaire, égalité des droits, liberté du travail, meilleures assise et répartition de l’impôt, restructuration d’institutions publiques comme tribunaux ou maréchaussée, unification des droits de douane…

Cependant, la ville la plus peuplée du Forez en 1789 se trouve confrontée à un fabuleux paradoxe. Dans une situation administrative féodale figée et depuis longtemps explosive, elle doit assurer, dans la modernité, les exigences de sa vocation industrielle…

L’esprit stéphanois si particulier va donc s’exprimer, avec un accent bien spécifique, sur des points précis qui demandent à être commentés dans leur extrême originalité. Ils seront signalés au lecteur par le sigle * :

I – Maintien du principe monarchique, les droits du Prince et de ses sujets sont également sacrés, pas de France sans roi.

II – Institution d’une monarchie parlementaire, avec la constitution d’états généraux à rassembler périodiquement en cas de besoin et tous les trois ou cinq ans.

III – Les membres du tiers état y seront représentés en proportion égale à ceux de la noblesse et du clergé réunis.

IV – Les membres du tiers état ne seront jamais issus ni de la noblesse, ni du clergé, ni d’aucun emploi lucratif de finances, ni des fermiers généraux, ni des gens d’affaires. Cette mention très vague est significative de la situation stéphanoise au siècle des Lumières sur ce dernier point *. Elle est prémonitoire du XIXe siècle qui suivra.

V – Chaque province décidera seule de l’opportunité des lois la concernant directement. C’est reconnaître déjà un statut à part pour le Forez, province industrielle dont l’essor doit être accompagné *.

VI – Aucune imposition ne sera consentie sans l’agrément préalable de la nation toute entière.

VII – La protection du gouvernement de la France est l’affaire de tous. En conséquence tous les biens de quelque origine qu’ils soient seront assujettis dans une égale proportion à l’impôt (Exemption des privilèges de la noblesse).

VIII – Les députés pourront décider au cas par cas des provinces de la suppression ou de la réduction d’impôts. Un département à vocation économique progresse effectivement d’essors en crises. Cela mérite que l’on s’y arrête. Le quotidien de la vie économique de la Loire sur les siècles à venir va donner raison à nos députés*.

IX – Apurement, réduction de la dette nationale et réduction des dépenses (dépenses publiques … déjà !).

X – Suppression de tous les péages nuisibles. Le négoce local en connaît là tous les inconvénients. Ils varient à l’infini, du nord au sud, de l’est à l’ouest. L’enjeu du négoce local est depuis toujours de les éviter au maximum et ce par n’importe quel itinéraire détourné.

Suppression du droit de laod . Ce vieux droit seigneurial sur les mutations immobilières est un reste de la féodalité. Il est tellement vétuste qu’on ne sait plus l’orthographier !…. En pleine révolution industrielle déjà, ce droit seigneurial s’exerce encore à Saint-Etienne en 1789*. Le roi vient d’acquérir le marquisat de Saint-Priest et Saint-Etienne au prix exorbitant de 1 355 000 £ aux Gilbert de Voisins, héritiers Peyrenc de Moras en 1787 . Pèse encore sur la ville le poids de nombreuses rentes nobles assorties de droit de laod sur les biens immobiliers situés dans leur emprise : rente noble de la Croix et de Martinas (aux Chovet de la Chance – terrier de 1775 !), rente noble du Soleil (aux Barralon), rente noble de la Bessée (descendance Allard), rente noble de la Merlée , outre celles liées aux si nombreuses fondations religieuses (Abbaye de Valbenoîte, Prieuré de Sainte-Foy du Châtelet à Saint-Victor). Ce droit de laod représentait le versement par l’acquéreur d’une proportion du 1/6 ème de la valeur déclarée du bien immobilier concerné .

Il était pour ce qui concerne l’Abbaye de Valbenoîte de mi-laod, et, compte tenu de sa petitesse, réglé de façon trentenaire – Règlement par l’Hôtel Dieu le 23 mai 1780 – Le receveur prieur est alors Dom Claude Henry (A.D.L. dossier 524 du fonds 29 J). Les Recteurs de l’Hôtel Dieu intervenants à l’acte sont Pierre Antoine Fromage, Claude Ravel de Montagny, et le curé de Notre Dame.

Je ne vois pas de droit de laod perçu par la couronne sur le domaine royal auquel Saint-Etienne est rattaché depuis 1787. Il y a déjà les droits d’insinuation et d’enregistrement. Il n’aurait guère pesé par rapport aux droits d’entrée, de sortie ou de contrôle des marchandises. Le prix versé par la Couronne pour la terre féodale des marquis de Saint-Priest et de Saint-Etienne accuse en 1787 une plus value de trois fois et demi de celui consenti en 1724 pour la cession par les derniers représentants de la première race de nos seigneurs aux Peyrenc de Moras (financiers de l’entourage de Madame de Pompadour) !

La ville (Philippe Testenoire-Lafayette, Histoire de Saint-Etienne – Imprimerie Théolier) rapporte à la couronne en 1789, 495.000 livres au total, dont entre autres : 50.000 de droits de douanes, 35.000 de droits de contrôles (multiples), 90.000 d’aides et de droits d’octroi, 125. 000 pour le grenier à sel et 65. 000 pour le tabac.

XI – Accession libre pour tous les membres du tiers état aux rangs d’officiers (*), aux dignités ecclésiastiques, à la magistrature. Le roi, dans son équité, conservera cependant la liberté des choix et des priorités. Il faut s’arrêter un temps sur les « officiers ». C’est ici un point spécifique, lié à la création de la Manufacture Royale d’Armes. L’établissement obéit, déjà et sans qu’aucun historien ne s’y soit attardé, à un statut militaire. Cela induit toute une pesante hiérarchie de Contrôleurs, de Commissaires ordinaires des Guerres. J’en vois l’indication précise avec la présence curieuse en l’église de Notre Dame de Saint-Etienne d’une chapelle funéraire réservée aux Officiers. On y ensevelit le 5 janvier 1770 Messire Marc Siméon bourgeois de cette ville, ancien échevin, âgé d’environ 70 ans, administrateur, entrepreneur des Armes pour le Roy .

Pour le clergé stéphanois, le Seigneur nomme à la cure. Cela donne lieu sans doute à des intrigues qui dépassent parfois

Marc Siméon, portrait peint conservé aux Amis du Vieux Saint-Etienne avec ceux de la famille Hospital (alliance qui valut à son gendre le titre de contrôleur des guerres !). Comme toujours ici on se focalise petitement en matière d’entrepreneurs du roi en sa manufacture à Saint-Etienne sur les dynasties des Girard, de Saint-Peyrieux (leur gendre), des Carrier et de leur fracassante faillite. Il y en eut bien d’autres : rappelons simplement les Duchon, les Jourjon, les Royet, les Gaudin, les Dareste, les Barallon, les Siméon. Il faudrait y ajouter le listing impressionnant (c’est déjà le Service Public et sa hiérarchie) des familles de contrôleurs des guerres… Si elles apportaient ici, grâce au ciel, un air nouveau venu d’ailleurs, bien que bénéficiant du premier degré de noblesse (écuyer) et de l’exemption de la taille, toutes n’avaient pas droit de sépulture familiale en nos églises ! C’était en quelque sorte la reconnaissance dernière d’un logement de fonction ! L’analyste Beneyton raconte combien le 15 août annuel, fête traditionnelle des rois de France, était attendu par la population jusqu’à la fin du siècle des Lumières. ­Des cavalcades d’officiers en uniformes rutilants se lançaient au galop, dans le fracas des salves de tirs à blanc, jusqu’au domaine de Tardy, dernière demeure (devenue royale depuis 1787) de la Seigneurie de Saint-Etienne et Saint-Priest.

les coteries locales. L’on voit ainsi un curé de la Grande Eglise signer en 1765 : J. Marion, Bachelier de la Faculté de Paris, Prieur du Ledat, Archiprêtre, curé de Saint-Etienne. Les curés issus d’ici étaient plus discrets .

XII – Egalité d’application des peines à tous les individus quelle que soit leur appartenance (est-ce le vieux souvenir local du marquis Gilbert de Chalus de Saint-Priest marquis de Saint-Etienne, condamné par contumace à mort le 30 avril 1667, pour avoir empêché les stéphanois de vaquer à leurs affaires par des moyens allant jusqu’au crime . )

XIII – Avec l’abolition de toutes concessions et plus spécialement celle de charbon de terre, et plus particulièrement celle du Marquis d’ Osmond dans sa terre de Roche (*), c’est un point de vue bien local cette fois, qui est développé là. Désormais le propriétaire du sol l’est aussi du sous-sol… nuance bien locale. Elle aboutira à la fois à la multiplication des exploitations et à cette si curieuse notion de propriété tréfoncière propre à la Loire et apurée seulement de façon définitive en … 1964 .

XIV – Autre point de vue bien local que celui de la cherté du fer (*) qui ne peut plus tenir tête à la concurrence étrangère (anglaise notamment) d’où la nécessité d’abolir les taxations sur la circulation des fers et fontes nationaux comme des droits

L’ancien confesseur de Madame Duchesse d’Orléans, Guy Colombet avait donné le ton d’une humilité plus convaincante. Il était originaire de Saint-Amour en Franche Comté.

Décapité en effigie, sur la Place du Pré de la Foire dans une liesse immense ( la Place du Peuple étrange coïncidence !) pour venir mourir réellement dans sa bien bonne ville le 30 avril 1682 et se faire ensevelir en sa chapelle seigneuriale à la Grande Eglise.

Vingt ans après la nationalisation en 1946 des mines de la Loire et la création des Houillères du Bassin de la Loire , suivie vingt ans plus tard de leur fusion dans les Houillères du Bassin du Centre et du Midi, fermées en 1993 après un demi siècle d’unification.

d’entrées des fers de Suède, des fontes de Savoie… La fin de la royauté s’accompagnera au contraire de l’abolition des édits royaux d’interdiction d’importations dans le Royaume ! La quincaillerie locale assistera à sa chute définitive .

XV – La construction d’une nouvelle voie d’intérêt national de Saint-Etienne à Roanne, par la Fouillouse , Neulise et l’Hôpital-sur-Rhins est impérieusement réclamée. (*) Si l’on gomme le Canal des deux mers avec allégresse, sa suzeraineté et ses droits de justice obsolètes, on fuit aussi la tutelle lyonnaise. En dehors de Roanne et des habitudes ancestrales point de salut ! D’où le découpage peu historique du département qui, après la chute de la capitale des Gaules insurgée, viendra sectionner le département de Rhône et Loire, avec la création d’un département de la Loire qui englobera une partie du Lyonnais .

L’expropriation au profit de la nation des Ursulines et des Minimes au sud de la ville de Saint-Etienne, celle des Dominicaines au nord, va permettre à un certain Pierre Antoine Del Gabbio de transformer ce projet en chantier.

Mais quelle est la composante de cette poignée d’hommes porteurs des idées exprimées ? Ils représentent à

L’anglais Joseph Alcoock, est déjà installé à Roanne. Il obtiendra l’adjudication de la fonte des cloches de toute notre province pour fondre les canons nécessaires à la défense de la République ! Elles sont acheminées en « flaons » sur la généralité des finances de Lyon- A.D.L. série Q – 460.

L’ordre revenu, la fabrication de l’acier à l’anglaise fait évoluer nos fabrications artisanales vers l’industrie … Les alliances croisées Jackson, Peugeot et Japy, accélèrent le mouvement. L’outillage diversifié à l’infini quitte Saint-Etienne où il a donné d’énormes fortunes. Il se concentre ailleurs, dans une production industrialisée que l’individualisme de l’artisan stéphanois ne pouvait supporter.

Dans ma longue carrière administrative, les esprits malins du corps préfectoral, n’y comprenant rien, faisaient le bien vilain jeu de mots, affectant au plan phonétique, de parler « des rois nègres » pour définir la mentalité de cet arrondissement.

l’époque quand même une ville de quelque 28 140 habitants   !

 

COMPOSITION DU TIERS ETAT

POUR LA VILLE DE SAINT-ETIENNE :

 

Dès l’ordonnance du 17 février 1789 du Grand Bailli du Forez, les directives pour la tenue de l’assemblée du tiers état sont connues. Les villes de Montbrison (4400 habitants), Roanne (764I), Saint-Etienne (28 140), font l’objet d’un régime d’élection d’assemblée municipale spécifiquement différent des agglomérations moins importantes (proportion de représentants liée au nombre de « feux »). Dans nos cités foréziennes l’assemblée sera composée comme suit :

– un représentant pour 100 membres de chaque corporation d’arts et métiers reconnue, deux représentants pour 100 pour les corporations d’arts libéraux .

– deux représentants pour 100 dans celles de négociants, d’armateurs et autres corps autorisés

– Les habitants ne se trouvant pas compris dans aucun des corps désignés ont droit encore à 2 représentants pour 100.

Ce système, pour le moins complexe, ouvre déjà la porte à toutes les possibilités d’interprétation et à tous les débats. Comment affirmer, de plus, devant des professions dûment

Les chiffres de population sont ceux donnés par Etienne Fournial et Jean-Pierre Gutton dans les Cahiers de doléances de la province du Forez, et des paroisses du Lyonnais et Beaujolais formant le département de la Loire Ed. Protat Macon – 1964 – Lyon- ancienne Librairie Louis Brun et Librairie générale Henri Georg, 1888. Ils ont été repris dans l’Enquête sur les structures administratives et les ordres privilégiés en Forez à la veille de la Révolution – René de Becdelièvre coordinateur – Université de Saint-Etienne C.L.E.R.S.R., 1991.

Les arts libéraux étaient ceux sur lesquels l’esprit a plus de part que la main, la grammaire la rhétorique, la philosophie, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la musique … Il faut croire que les enseignants de ces diverses matières n’arrivent pas à cent.

reconnues qu’on exerce une activité marginale non comprise dans la nomenclature du quotidien d’une cité. Cela donnera lieu à la reconnaissance des bourgeois vivant noblement (cette appellation grinçante, prophétie du siècle à venir, couvrira en quelque sorte les retraités du temps !).

 

SAINT-ETIENNE LE MALENTENDU DE L’HISTOIRE

 

L’organisation municipale stéphanoise à la veille de la Révolution française reste encore basée sur la désignation de leurs représentants par les corporations reconnues et homologuées dans la ville. Si cette constatation peut s’appliquer à peu de choses près à l’ensemble des villes du royaume, la situation présente au cas précis une distorsion en opposition flagrante avec les réalités d’une vocation économique pressante. L’on constate aussi le rayonnement extra-muros d’un certain nombre de ces représentants qui annonce la prochaine suprématie de la cité stéphanoise en Forez.

Non maîtrisé, un phénomène d’une telle ampleur ne fait qu’accuser l’usure des institutions maintenues dans un régime monarchique à la recherche d’un second souffle. La royauté va payer de façon effroyable l’enfermement à Versailles. Nécessaire aux temps de la jeunesse d’un Louis XIV confronté à la Fronde , cette exclusion, les intrigues qui l’ont accompagné au point de l’aveugler, ont constitué peu à peu un écran irrémédiable entre le roi le mieux intentionné d’une dynastie multiséculaire et les réalités fondamentales du royaume à une époque charnière.

Au plan du Royaume le ministre Turgot sensibilise Louis XVI à la nécessité d’assurer la liberté du travail au moment même où les premières révolutions industrielles amorcent un virage définitif pour l’économie du pays. Le décret du 12 mars 1776 portant suppression des corporations, maîtrises et jurandes est reporté l’année suivante en dépit de la déclaration du roi affirmant il n’ y a que M. Turgot et moi qui aimons le peuple. Les corporations n’en sont pas moins discréditées, l’application de leur règlement interne exige des responsabilités quotidiennes de police professionnelle reposant sur de malheureux délégués, accablés de contentieux divers. Depuis toujours la royauté a besoin d’argent …. on en profite pour obliger ces corporations à des emprunts diversifiés qui alourdissent par contre d’autant la dette d’un Etat en faillite.

Rattachée à la couronne à la confiscation des biens du connétable de Bourbon, la province du Forez le sait bien. Les biens de la couronne sont inaliénables. Ils sont imprescriptibles, d’où une foison de fonctions publiques monnayées dans une province dont la ville la plus revenante reste Saint-Etienne depuis Jacques d’ Urfé, bailli de la province. L’énorme machine qui entoure la monarchie devient désormais d’un appétit financier insatiable. Les corporations instituées font partie du système. Elles se voient contraintes de placer des capitaux auprès du Trésor Public, sensés constituer des rentes au denier vingt. Libre à leurs délégués respectifs d’en répartir le prélèvement. Cette fabuleuse confusion des genres, multipliée à l’infini, augmente d’heure en heure la dette de l’Etat. Elle sera fatale au régime.

Au plan local de Saint-Etienne la prétention d’apparence démocratique de l’assemblée municipale se trouve en réalité radicalement faussée par l’histoire même d’une cité placée dès ses premiers balbutiements sous la tutelle d’un Seigneur et Maître : le marquis de Saint-Priest et de Saint-Etienne. Sur un village de quelques vilains et ruraux, cette tutelle s’explique. Sur une ville industrielle de 28.140 habitants c’est l’enfer ! Le poids d’une féodalité aussi obsolète (la couronne ne rachète la seigneurie de Saint-Etienne qu’en 1787) pèsera d’une façon définitive sur le développement d’une ville tôt devenue, par l’ingéniosité de ses habitants, la plus revenante de la Province (dès 1570).

D’incessants malentendus entre Seigneurs et décideurs économiques vont ici développer un esprit d’insoumission bien particulier. Il stupéfie encore les grands administrateurs venus d’ailleurs. De multiples créneaux d’activités se développent ici en fonction des orientations d’une nation toute entière (défense du territoire : armes blanches et de tir), de ses besoins (coutellerie et quincaille), de ses modes et de sa culture (des moulins à café aux rubans en passant par les boucles de chaussures). Pour échapper à la tutelle seigneuriale, les décideurs de ces industries récusent toute officialisation susceptible de contraintes comme d’impositions nouvelles. Maîtres absolus de la sous-traitance, ils entendent exercer dans la plus grande liberté.

Les grandes industries y restent libres. Saint-Etienne sera la capitale de l’industrie libérale. Les fortunes s’y édifient dans cette indépendance affichée, selon le même mode, des siècles durant.

On s’installe, on recrute, on fabrique, généralement dans l’anonymat de la sous-traitance la plus absolue. C’est le règne des grossistes en tout genre. Les grandes fortunes se font là. Pour vendre on emprunte les voies de terre et d’eau les moins encombrées de péages. C’est là le seul impératif. La réussite consiste à prendre comptoirs sur rue dans les villes phares du royaume, les ports en particulier (surtout les ports francs comme un temps Marseille) :

– les plus rapprochés bien sûr, sur la Loire , Saint-Rambert, Roanne et Nantes, sur le Rhône Saint-Alban, Condrieu, Vienne et Lyon…

– les plus éloignés parce qu’ouverts sur l’empire colonial du temps : Bordeaux, sur l’Orient : Marseille, sur l’étranger, La Rochelle , Nantes sur la vallée de la Loire et … Paris. Voituriers et marchands de chez nous envahissent les villes aux grandes foires internationales et libres (de droits spécifiques), les cités marquantes de l’Italie, l’Espagne et du Portugal …

N‘oublions pas que la petite nièce d’Abraham Peyrenc de Moras – héritière du marquisat à son décès en 1776 – est la propre fille du comte de Merle, ambassadeur de France au Portugal. Elle épouse Pierre Gilbert de Voisins, marquis de Bellegarde et Grobois, président à mortier du Parlement de Paris. Il meurt révolutionnairement à Paris le 25 Brumaire an II. Il avait vendu au roi sa seigneurie en 1787. Ombres funestes les deux parties à l’acte meurent guillotinées.­

La formation à Bordeaux est, dès la fin du XVIe siècle, le passage obligé des fils de familles du négoce stéphanois.

L’exemple est donné. Il sera suivi à la lettre de génération en génération. L’élève qui ne l’aurait pas tété du sein maternel l’apprend instinctivement du maître. C’est ici la recette, ou la rançon du succès ! Chaque perfectionnement industriel nouveau (les métiers à la zurichoise par exemple au XVIIIe siècle permettent de tisser trente pièces à la fois) apporte un nouvel essor. Jaillit aussitôt un nouvel essaim de fortunes. Assises dans la tradition d’une indépendance confirmée, elles font venir leurs ouvriers de Suisse, affichent une farouche jalousie des prérogatives acquises. Indépendantes à l’excès, les familles se regroupent parfois officieusement dans des assemblées de négociants censés partager les mêmes préoccupations mais prêts à s’entre-dévorer. C’est l’argent roi dans une économie libérale.

 

Les Mines :

A l’origine l’exploitation des ressources carbonifères de notre sol faisait l’objet d’un privilège seigneurial permettant au seul Seigneur de toucher un dixième du produit de toute exploitation située dans son fief. Les litiges incessants nés de ce droit conduisent déjà Charles VI à le détourner au profit exclusif de la couronne. Henri IV, sur les conseils avisés de son ministre Sully, conscient du développement à venir de l’industrie naissante, essaye de rendre à ces exploitations une certaine liberté en supprimant ce droit seigneurial du 1/10e. Les différends connaissent dès lors dans la région une ampleur telle qu’en 1657 Louis XIV d’un trait de plume remet l’entière propriété de nos ressources minières à la couronne. Il en accorde

ambassadeur de France au Portugal. Elle épouse Pierre Gilbert de Voisins, marquis de Bellegarde et Grobois, président à mortier du Parlement de Paris. Il meurt révolutionnairement à Paris le 25 Brumaire an II. Il avait vendu au roi sa seigneurie en 1787. Ombres funestes les deux parties à l’acte meurent guillotinées.­

la suite pour 30 ans au Sieur de la Vrillere. C’est peu à peu, après autorisation expresse royale et en fonction de leur droit seigneurial, que de grands propriétaires terriens retrouvent ce droit d’exploitation .

Ils l’afferment parfois à des tiers, par crainte de déroger à la noblesse dont ils relèvent. Ce système est supprimé en 1739. A partir de 1744 l ‘autorisation d’exploiter relève de la seule autorité du Contrôleur général des Finances du Royaume !

Les premières mentions de ces exploitations dans l’agglomération concerneront de fait, comme le montrent les actes paroissiaux, les mines du Clapier, passées par l’héritage des Solleysel à la famille Giry de Vaux. L’histoire célèbre des mines de Roche-la-Molière illustre parfaitement l’immensité du malentendu avec une concession accordée par une autorisation royale qui n’a en aucun cas prévu le dédommagement des dégâts de surface. Le Parlement en opposition depuis toujours à l’autorité royale renvoie d’examen en examen. Toute révision de la concession accordée s’avère impossible, d’où l’échec orchestré au ralenti du duc de Béthune-Charost puis l’enlisement dans des difficultés sans fin de son successeur le Comte de Boigne dont les biens seront confisqués par l’ordre nouveau .

Or, malentendu d’autant plus grand, dès 1704 les habitants de Saint-Etienne revendiquent l’exclusivité de l’exploitation, pour leurs propres besoins (domestiques ou

C’est sans doute l’explication de cette course locale au premier degré de noblesse, possible avec par exemple l’acquisition de la charge d’Héraut poursuivant d’armes de France, dans une province que depuis Henri IV aucun monarque n’a visité … Voir à ce propos l’article de l’auteur dans les A. M. V. S. E : Histoire et mémoire – Charges de cour et intérêts économiques . Ce sera le cas des Martignat, hérauts d’armes de France au titre du Dauphiné. Les Brunand sont aussi nobles pour l’exploitation de leurs « creuses » minières (la rue des Creuses). Ce manuscrit a été déposé à la Diana.

Jean-Claude Saby – Ombres et Lumières – le comte de Boigne reprend ici la concession royale accordée au duc de Bethune-Charost.- Les de Boigne seront grassement indemnisés sous la Restauration dans le cadre du « milliard des émigrés » Série Q. A. D. L.

industriels), d’une « réserve » minière personnelle. En partant de la place de la ville, cette réserve entoure en 1724 la cité sur un rayon de 5 160 mètres réduits en 1763 à 3 898 mètres . (à l’époque 2 650 toises ramenées à 2 000). En 1788 la réserve est bornée. En 1786 vingt mines y sont officiellement installées avec moins de 170 ouvriers. Nous sommes cependant alors dans le premier bassin houiller de France  !

 

L’armement :

Toujours ici, en fonction de la présence conjointe de la pierre (meulage) et du charbon (forge), l’armement est encouragé depuis François 1er lancé au galop dans ses rêves coûteux d’Italie. Après une interminable succession de balbutiements et d’échecs, il ne connaît de volonté réelle de maîtrise gouvernementale qu’avec d’abord les timides magasins du Roi , promus tardivement Manufacture Royale. Derrière les mots, moyennant quelques contraintes (épreuve des armes), ce n’est là que la matérialisation de privilèges exorbitants partagés entre quelques grands armuriers spécialisés en armes de guerre et armes de marine. Ceux-ci, nantis du titre ronflant d’ Entrepreneur du Roi en sa Manufacture, hissés au-dessus d’une pesante hiérarchie administrative de « contrôleurs », de commissaires ordinaires des guerres, continuent librement, tous apparentés, à sous-traiter avec les meilleurs artisans locaux du genre. Mais, à côte de l’arme réglementaire, la part reste belle pour les négociants d’armes de luxe, d’armes de chasse. De plus, jusqu’à l’effondrement de la Monarchie , bien des régiments au service du Roi restent propriétés privées. Les grands armuriers locaux les équipent donc en toute liberté. L’épreuve des armes reste comprise comme une entrave aux libertés du négoce.

Les mines de Roche la Molière et de Firminy se trouvent dans la réserve ! – Leur exploitation concédée au Sieur de La Gardette demeurait liée à l’aménagement très coûteux de la Loire – François Mouleyre – C’était hier – les Mines à Saint-Etienne. A.M. V.S.E. N ° 202 juillet 2001.L’armement lui-même affiche l’ampleur du malentendu…

Paradoxe éternel de la cité la plus incomprise qui soit, c’est pour l’achat d’un régiment pour son fils que Françoise des Friches de Brasseuse – Percigny cède le marquisat de Saint-Etienne au financier Peyrenc de Moras membre de l’entourage immédiat de la marquise de Pompadour .

Au plan de l’assemblée municipale, les marchands (fabricants) ou maîtres armuriers désignent à la veille de la Révolution de 1789, annuellement deux représentants professionnels pour la trentaine de spécialisations concernées dans de multiples sous-traitances. Elles concernent aussi bien les pièces mécaniques ou métalliques de l’arme, que son montage ou son aspect extérieur, son bois (en pied de vache ou pas !), sculpture, marqueterie, quadrillage, incrustations d’or ou d’argent, la dorure, le bronzage de son canon, la gravure inégalée de son chien comme de ses pièces de mise à feu. Elles occupent ainsi un peuple immense d’ouvriers spécialisés avant la lettre comme autant de journaliers anonymes !

 

La rubanerie  :

La rubanerie stéphanoise avait connu en 1743 le rejet de la part du Conseil Supérieur du Commerce d’une tentative de regroupement dans une corporation unique homologuée. Les marchands (fabricants) de rubans désignent donc à l’assemblée communale deux représentants censés soutenir les intérêts dans la sous-traitance locale des quinze spécialités différentes au moins regroupées dans les métiers de l

Endettée, empruntant sur les droits d’entrée des vins dans la ville, Françoise des Friches de Brasseuse de Percigny acquiert pour son fils François de Saint Priest le 05 juillet 1709 le régiment des Dragons de Sommery pour la bagatelle de 60.000 livres . Elle mariera sa fille Jeanne-Catherine de Saint-Priest au comte de Montgiron seigneur d’Ampuis. Quand elle meurt au couvent de Sainte Colombe, Saint-Etienne l’a oubliée. Elle fut la plus proche de notre cité par le coeur et par la présence réelle dans la ville. Ses deux enfants sont les seuls de cette illustre lignée baptisés à Saint-Etienne à la connaissance de l’auteur. ­

mouliniers et tixotiers de soies aux donneurs d’eau (nécessaire à la tenue du tissage) on disait les calendreurs, aux gaufreurs, cylindreurs, passementiers, faiseurs de lacets, fabricants de bas de soies !

 

La quincaillerie locale :

La quincaille cache, sous ce label peu glorieux, l’un des fleurons les plus brillants des activités stéphanoises de l’époque. Elle regroupe plus de cinquante spécialités. On y voit la fabrique totalement oubliée des boucles de chaussures, en passant par les innombrables forgeurs de ferronneries de bâtiments (les fiches ) , sans oublier les rafraîchissants « moulins à café » ou le matériel agricole ancestral. Mille ateliers retentissent dans toute l’agglomération d’un vacarme assourdissant. C’est le bonheur des foires de Beaucaire comme des exportations jusqu’au Levant ! La notion contemporaine d’environnement n’est pas née ! La représentativité de la quincaillerie à l’assemblée municipale fait l’objet d’une trinité aussi étrange que fallacieuse dans son apparente démocratie :

• »Marchands » ou maîtres quincailliers (les grossistes qui sous-traitent) sont appelés à désigner en 1788 à l’assemblée commune deux représentants ! (Ils comptent dans les plus grosses fortunes du temps, les Duon, seigneurs de Roche-­La-Molière, en sortent directement en passant par la charge de conseiller du Roi !)

•  » Limeurs et forgeurs » ont droit à deux représentants en 1788 à l’assemblée municipale. Nos syndicats y verraient une parité affichée certes entre patronat et ouvriers mais scandaleuse.

• « Fourbisseurs » ont aussi droit à un représentant spécifique. (Ils avaient formé un siècle plus tôt corporation indépendante).

Cahiers de la Rotonde –   Fenêtres de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles -janvier 1997 – Paris- Ere Graphique pour la Commission du Vieux Paris – Jean-François Belhoste – Guy Michel Leproux – Claude Landes et Michel Bourlier – A.D.L.

Les corporations stéphanoises en l’état en 1789 :

Etudions ces corporations de plus près dans cet espace maîtrisable que constitue la ville la plus peuplée de l’Election et demain sa capitale .

A/ Les professions réglementées au plan national parce que visant :

– les fonctionnaires du Roi : juges et élus désignés.

– la santé publique : les médecins.

– la légalisation des transactions en tout genre, les notaires rattachés au bailliage de Forez.

 

B/ Les vieilles corporations survivantes qui, la coutellerie mise à part, ne représentent donc que de petits intérêts morcelés sur des activités mineures ou la survivance d’usages anciens.

La coutellerie seule maintient les usages anciens car venue d’une jurande transférée en 1604 de la paroisse du Chambon à Saint-Etienne. La corporation des fourbisseurs avait disparu. Celle des tailleurs de pierre était si importante qu’elle eut chapelle en l’église paroissiale aussi. La confusion était férocement entretenue au quotidien par la multiplication des confréries religieuses qui déployaient leurs fastes et des prérogatives jalouses dans toutes les manifestations du temps. La plus importante était de loin celle du Saint-Esprit. Elle couvre depuis 1296 tous les métiers du fer, de l’armement à la quincaille. Le peuple mélange, dans l’aveuglement le plus absolu, fêtes profanes et religieuses avec l’allégresse innocente décrite par l’analyste Beyneton.

Pour les années 1788-1789 on peut dresser la liste suivante :

1. Fonctionnaires du roi : juges, élus.

2. Médecins.

3. Notaires.

J.B. Galley : l’Election de St-Etienne à la fin de l’ancien régime. Imprimerie Menard, 1903.

4. Bourgeois vivant noblement (personne n’a osé se présenter semble-t-il …).

5. Chirurgiens.

6. Marchands de rubans.

7. Négociants quincailliers.

8. Marchands armuriers.

9. Maîtres couteliers.

10. Fourbisseurs, graveurs, ciseleurs.

11. Forgeurs, canonniers, tailleurs de limes, cloutiers, serruriers, faiseurs de fiches, etc, et toute la quincaille !

12. Mouliniers, chapeliers, teinturiers, emballeurs (quel lien ? les emballeurs expédient tout produit ici fabriqué : de l’arme aux rubans, en passant par la quincaille !)

13. Menuisiers, charpentiers, tourneurs, tonneliers, caissiers.

14. Bridiers, selliers, bâtiers et maréchaux (ferrants).

15. Cordonniers. (Représentation avec les tanneurs).

16. Maîtres tailleurs.

17. Perruquiers (avant 1789 regroupés avec les tailleurs, par quel lien ? l’apparence extérieure ?)

18. Drapiers et toiliers.

19. Boulangers.

20. Bouchers, charcutiers.

21. Epiciers, chandeliers. (Représentation des épiciers seulement).

22. Hôteliers, cabaretiers, taverniers (ces deux dernières professions se multiplient avec la cadence des clubs !).

On constate, avec quelque amusement, que les métiers de bouche dans une ville où le travail est roi tiennent quatre postes dans cette représentation !

Le tout est sans aucune fixité légale. Les délibérations de la commune ne mentionnent jamais les absents, on reste de ce fait dans l’inconnu ! Il y a loin entre la réalité et l’illustration qui accompagne en général dans nos manuels scolaires la rédaction des cahiers de doléances !

On peut surtout en retenir l’état d’ingérence dans lequel le royaume est tombé.

Les rédacteurs du cahier de doléances du tiers état furent pour la ville de Saint­-Etienne au nombre de 31, dont 3 représentants des fonctionnaires du roi (juges et élus) et 28 représentants des corporations ou assimilés.

 

COMPOSITION DES DELEGUES DU TIERS-ETAT A SAINT-ETIENNE

Milieu social et influences : de la formulation des idées au résultat

 

A – Fonctionnaires du roi : juges et élus

 

I – Premier juge civil et criminel : Fromage Juge

Pierre-Antoine Fromage, avocat au Parlement, premier juge civil de Saint-Etienne. Il fut procureur syndic avec M. de Courbon de Saint-Genest à l’Assemblée de département. Né à Saint-Etienne en 1721, il est presque octogénaire quand les fonctions de procureur syndic lui sont confiées. Recteur de l’Hôtel-Dieu, il accompagne le 23 mai 1780 le règlement trentenaire du droit de mi-laod dû par l’Etablissement à l’Abbaye de Valbenoîte . Réfugié à Lyon, après la prise de la ville, il est arrêté, condamné à mort le 6 ventôse an II (24 février 1794), il est exécuté .

 

II – Lieutenants de l’Election :

 

Rambert Gonin ou Gonyn.

A.D.L. fonds 29 J 6 dossier 524 – précité –

L’Assemblée du département de Saint-Etienne et sa commission intermédiaire – Etude avec appendice – P. Tezenas du Montcel – Saint-Etienne Imp. Théolier 1903­.

Son père, Antoine Philippe Gonyn (1715 – 6 octobre 1800 Saint-Rambert-sur-Loire) épouse à Saint-Rambert le 18 novembre 1738 Angélique David, fille de Pierre et Madeleine Ollier. La soeur d’Angélique David, Antoinette, épouse à Saint-Etienne, le 2 novembre 1748, Jean Baptiste Brunand ; leur fille Marie Brunand épouse le 23 septembre 1777, à la Grande-Eglise , Jean-François Gaspard Maussier fils d’Honoré Maussier et de Fleurie Javogues. Cette dernière est la propre tante du conventionnel Claude Javogues. Voici l’aura qui dépasse la cité stéphanoise.

Nous touchons là à cette classe nombreuse des juristes de tout crin qui, dans la tradition de l’opposition parlementaire à la Monarchie , va s’exprimer avec véhémence dans la France toute entière (à commencer par Robespierre) avec la Révolution de 1789.

De l’union d’Antoine Philippe Gonyn, Conseiller du Roi et Lieutenant en l’Election, et d’Angélique David, naît le 24 avril 1743 Rambert Gonyn. Noble et avocat en Parlement il épouse le 8 octobre 1771 à la Grande Eglise de Saint-Etienne Benoîte Neyron fille de Marcelin, négociant ancien échevin de Saint-Etienne, et d’Hélène Desgeorges. Naîtra de cette union Joseph Gonin (né le 28 février 1775 à Saint-Etienne, mort dans cette ville le 29 septembre 1826) et marié à Pierrette Mourgues, fille de Jacques Mourgues qui suit comme député des marchands de rubans. Les coteries s’affichent.

 

François Peyron

François Peyron, procureur en l’Election de Saint-Etienne, est issu d’une vieille tribu stéphanoise qui a connu son illustration avec de multiples vocations : serrurerie d’abord, quincaille et rubanerie ensuite, notariat pour couronner le tout. Fils de Jean-­Baptiste Peyron et de Françoise Gauthier-Gagnaire, François Peyron, alors clerc à Lyon de Me Gacon, a épousé à Saint-Etienne (Notre-Dame) le 1er février 1758 Antoinette Dormand, fille de Claude et Julienne Trablayne, veuve du notaire Merlaton. Les mutations successives de cette famille au plan économique comme social lui ont sans doute apporté une certaine curiosité d’esprit .

 

B -Représentants des corporations :

 

1) Représentant des notaires : Jean-Baptiste Lardon, notaire royal à Saint-Etienne rue de Lyon est né à Marlhes le 24 juin 1744, marié à Saint-Etienne le 28 juin 1744 (Grande église) à sa cousine germaine Marianne Lardon fille de Louis et Gabrielle Lamotte. Député de la corporation des notaires en 1789, son alliance avec les grands armuriers Lamotte annonce le XIXe siècle triomphant. Jean-Baptiste Lardon a fait le bon choix. Apparenté aux clans des grands armuriers Lamotte, il sera maire de Saint-Etienne en 1799. Il y meurt, couvert d’honneur, le 10 mars 1831 à 87 ans. Son frère aîné Paul Lardon-Desverneys, né à Marlhes également le 16 juillet 1737, notaire dans cette dernière localité à la succession de son père Jean Lardon, se titre Noble, Juge de la Faye . Il est l’ époux de Catherine Sabot, fille d’un notaire de Sainte Sigolène. Il joue la mauvaise carte. Compromis dans l’insurrection lyonnaise, il est exécuté aux Brotteaux le 14 mars 1794 (24

Une branche des Peyron s’est expatriée en Bretagne, à Rennes, au Service militaire du Roi. On trouve curieusement dans sa parenté les navigateurs Peyron, Philippe de Dieuleveut, et Yvonne Vandroux l’épouse du Général de Gaulle. Une autre de ces branches attirée à Stockholm pour le développement de la soierie se voit titrer par les rois de Suède Von Peyron. – Intermédiaire des Chercheurs et curieux, juin 1990 – La parentèle de Charles et Yvonne de Gaulle – Imp. Laballery Clemecy 58500 – Alliances Trablaine, Regnier, Joifin : la charge notariale, l’aisance, les unions consanguines rapprochées ont peut-être alourdi cette ingéniosité ?- L’auteur de ces lignes descend de la branche stéphanoise des Peyron par l’union en 1756 d’Antoine Bourlier marchand armurier et de Christophe-Marie Peyron après dispense de consanguinité du 3e au 4e degré…

Acquiert des biens confisqués à la cure de Marlhes le 12 mars 1791 pour 1.325 livres (pré d’Ecotay) -A.D.L. Q461.

ventôse an II), pleurant son fils Jean Claude Lardon-Sabot, canonnier dans l’armée de Precy, tué au siège de Lyon, à 21 ans, le 5 octobre 1793.

 

2) Chirurgiens :

a) Jacques Joseph Barral (il signait Barral, on a écrit à tort Baraille) nous est peu connu. On le voit baptiser à la Grande Eglise un fils Mathieu Baraille le 11 juin 1756, filleul d’une Benoîte Champenois et d’un Mathieu Rebost Maître coutelier.

b) Louis Girard appartient quant à lui à un clan, fortuné, instruit et ouvert aux idées nouvelles, position risquée pour sa fortune acquise. Son père Antoine Girard chirurgien à Saint-Etienne et pharmacien, est fils de Claude praticien de Bas-en-Basset et de Marie Duport. Il se marie le 15 février 1724 à Saint-Etienne, à la Grande Eglise avec Marie Metrat fille de Jean Baptiste chirurgien à Feurs et de Louise Genevie. Mauvaise carte : Antoine Girard son frère est receveur des Fermes du Roi à Bas. Le ménage Girard/Metrat eut une très nombreuse postérité avec notamment trois fils :

– Jean-François Girard, marié le 7 juillet 1750 à Benoîte Fodrin/Royet, propre soeur du député de la corporation des marchands quincailliers Clément Fodrin/ Royet( voir infra).

– André Joseph Girard, chirurgien comme son père, épouse le 24 septembre 1745 à Notre Dame de Saint Etienne, Marie Robin fille d’Etienne, orfèvre fortuné de la rue de Lyon, et de Benoîte Freconnet.

– Louis Girard, qui nous intéresse ici, médecin chirurgien comme son père, et pharmacien, épouse à 23 ans, à Notre Dame le 8 novembre 1753 (folio 175), Marie Robin fille des mêmes Etienne Robin et Benoîte Freconnet. Assistent à cette union des témoins aux noms que nous allons bientôt croiser : Gagnière, et André Biard. Louis Girard veuf, épouse fin avril 1784 une Jeanne Chomier, veuve du fabricant de rubans Sauvignet (remise à N.D. folio 71). Cette seconde alliance le fait beau-frère du député de la corporation des marchands de rubans ! Curieuse coïncidence ou simple fait : ce sont toujours les mêmes que l’on voit partout suivant un vieux système qui dure encore ! Les coteries s’affichent. Le rayonnement des Girard s’étend extra-muros.

– Antoinette Girard, une de leur sœur, épouse le 31 août 1770 Claude Dormand fils de Nicolas échevin de Saint-Etienne et de Benoîte Dutreuil. Apparentement à Louis Thiolliere député des négociants en quincaille.

– Louise Girard/Metrat, autre soeur cadette, a épousé le 19 novembre 1763 François Turge beau-frère du fortuné Lambert du Devey.

La fortune Girard/Metrat est estimée à 200 000 francs au moment de la Terreur (le franc est alors l’équivalent de la livre). Louis Girard officier de santé, député de sa corporation en 1789, que nous voyons ici, réglera librement 200 livres au titre de la taxe révolutionnaire pour l’humanité souffrante. Imposé par Javogues au titre de la loi sur le maximum à hauteur de 100.000 f . Il n’en règle que 7 000 … après incarcération. L’idéal se paye   !

 

3) Marchands de rubans:

a) Jacques Mourgues, marchand (de rubans.) veuf épouse, le 17 janvier 1769 Florie Boissieux, fille de feu Antoine et Florie Magnard. Leur fille Pierrette Mourgues, née le 4 avril 1778, est mariée le 21 mai 1804 à Joseph Gonin né le 28 février 1775, fils de Rambert Gonin et de Benoîte Neyron. Bourgeoisie d’affaires, postérité Brenot/Gonin puis Berthollet/Brenot. Apparentement au clan des Gonin. Pendant la Terreur les adjoints de Javogues estimeront sa fortune à 300 000 francs. Au titre de la loi sur le maximum il sera contraint d’en reverser 1 000. Jacques Mourgues sera membre de la municipalité stéphanoise en 1794.

J. B. Galley : Saint-Etienne et son district sous la Révolution – Menard imprimeur – Saint-Etienne – 1903.

b) Jean Royet-Sauvignet est fabricant de rubans à Saint-Etienne, également député de la corporation des marchands (et fabricants) de rubans en 1789. Fils de Jean, marchand et de Jeanne Ledain, il épouse à la Grande Eglise de Saint-Etienne le 2 novembre 1768 (f°180), Marie Sauvignet fille du fabricant de rubans feu Jean Sauvignet et de Jeanne Chomier. Cette dernière Jeanne Chomier veuve Sauvignet va épouser en 1784 le chirurgien Louis Girard, futur député de sa corporation à l’assemblée municipale de 1789 ! Pas de parenté avec Pierre Guillaume Royet du même état, époux d’Anne Ravel de Montagny. Il existe une alliance cependant avec les Hervier de Saint-Chamond par Gabriel Royet, son frère, marié à Julienne Hervier et négociant à Lyon. Sa fortune est évaluée à 200 000 francs. L’application de la loi sur le maximum le contraindra à en reverser 6 500. Son fils sera momentanément mis en prison.

 

4) Marchands quincailliers :

a) Clément Fodrin ou Faudrin, marchand, fils de défunt Guillaume Fodrin de même état et de Benoîte Royet, épouse à Notre Dame le 10 février 1759 Benoîte Thomas, 22 ans, fille de François et de Catherine Montagny (C.M. Tremollet A.D.L.) Clément Fodrin est échevin de Saint-Etienne en 1789.

Son entourage familial est significatif:

– un frère, Messire Pierre Faudrin, bachelier de la Sorbonne , prêtre, vicaire du Chambon en 1787.

– Une sœur Catherine Faudrin épouse Antoine Bourlier marchand armurier, avec 14 enfants , elle sera notamment la tige de la branche des Bourlier/Donnet de Marseille, des Berthon-Bourlier importants marchands armuriers, des Monnier/Bourlier fabricants de rubans. Le ruban et l’acier sont mêlés.

– Benoîte Faudrin, autre sœur, a épousé Jean-François Girard/Metrat frère de Louis Girard député des chirurgiens de la ville.

– Sa fille, enfin, Marie Faudrin épouse le 5 juillet 1787 à 22 ans à Notre Dame, avec la bénédiction de son oncle curé Pierre Faudrin, Claude Peyret fils de Jacques Peyret et Jeanne Baudin/Allard de Monteille. Ce jeune négociant âgé de 26 ans est le futur député de sa corporation en 1789.

Clément Fodrin illustre bien ce milieu des affaires locales, sûrement instruit mais pétri d’ambitions dans un lot de traditions commerciales ancestrales, de libertés acquises, peu enclin aux grands bouleversements. Rayonnement extra-muros. Il sera imposé à hauteur de 1. 200 francs au titre de la loi sur le maximum.

b) Louis Thiollière-Metrat sera élu au renouvellement par moitié de l’assemblée municipale en 1790 . S’agit-il de Louis Thiollière baptisé le 10 décembre 1760 fils de Pierre André Thiollière marchand, échevin de Saint-Etienne et de Magdeleine Mathevon de Curnieu ? Il est issu d’une des familles du grand négoce local. Les Thiollière ont compté des comptoirs à La Rochelle. Son grand-père paternel Jean-Claude Thiollière, époux de Jeanne Gourgouliat, a exercé les fonctions d’échevin, de conseiller du Roi et de changeur des monnaies pour le même. Louis Thiollière épouse, avec le patronyme de Thiollièrre la Guarinière , une demoiselle Jeanne ­Marie Miraud. Naît de cette union le 16 frimaire an 11 à Veauche, une fille Ambroisine Jacqueline Antoinette Thiolliere. Propriétaire de Jourcey, ses parents décédés, elle épouse à Saint-Etienne le 27 juillet 1820, son cousin Pierre Antoine Thiollière, fils d’Antoine Thiollière-Lassagne négociant rue d’Artois et d’Emilie Jovin .

Lucas Colin : La structure de la Terreur – l’exemple de Javogues et du département de la Loire. Imp. Reboul 1990 C . I . E.R.E.C. Traduction Gérard Palluau, Louis Thiollière-Métrat, dit Jean-Claude, originaire de Veauche et richissime. Je n’ai pas de signature originale me permettant de trancher sur le prénom, mais l’origine de Veauche est la même…

Assiste à cette union Louis Philibert Colcombet. La famille Thiollière (aucune parenté avec le maire actuel de Saint-Etienne) avait acquis avec intelligence quelques biens confisqués aux ordres religieux : pour la branche Thiollière Lassagne, notons Essalois et les Calmaldules ( 86 000 livres le 17/12/1789), Jourcey pour la branche Thiollière- Miraud.

5) Drapiers, toiliers, épiciers :

a) Noël Gagnière, drapier à Saint-Etienne, a épousé le 10 novembre 1772 à Saint-­Chamond, paroisse Saint-Pierre, Claudine Marie Rose Armelin fille de Léonard et Benoîte Laval, d’une famille très fortement attachée aux idées nouvelles. Nombreuse postérité dont :

– une fille Marie épouse du négociant en rubans Jean-Baptiste Gérentet , fils de Jean-Baptiste drapier à Saint-Eienne et de Louise Javelle, de Saint-Rambert.

– un fils Jean-Baptiste Gagnière négociant à Saint-Etienne, Place Royale, marié successivement à sa cousine Clotilde Gagnière puis à Jeanne-Marie Fromage fille de Just et Marie Gounod.

Noël Gagnière, le représentant des drapiers au tiers état stéphanois, est un des fils de Pierre drapier et de Catherine Lardillier. Il est le frère du futur député à la Constituante Pierre Gagnière .

Si les Lardillier relèvent de la plus ancienne bourgeoisie stéphanoise, le grand père paternel du député, Jacques Gagnière, était marchand drapier à Feurs, marié à Marie Régnier. Père d’une nombreuse famille, Pierre Gagnière

Jean-Baptiste Gérentet, noyé accidentellement dans le Furan au secours d’un noyé, a donné son nom à la rue Gérentet – Charles Gérentet son fils, grand fabricant de rubans, fait édifier entre la rue mi-carême et la rue Jacques Desgeorges le superbe hôtel particulier (grilles à son monogramme) qui abrita longtemps, juste en face de la maison et fabrique Epitalon/Passerat, le Commandant Militaire de la Place de Saint-Etienne (fanfare tous les samedis) et l’Evêché (les pouvoirs réunis.., les fanfares militaires y succèdent aux processions …. avant les lois séparatives).

Pierre Gagnière le futur député à l’Assemblée législative, ancien curé de Saint-­Cyr les Vignes, est né à Saint-Etienne le 19 novembre 1745 – Voir la Révolution en Forez – actes du Colloque du 7 octobre 1989 – Cahier N° 16 –

drapier de Saint-Etienne acquiert le 22 mai 1768 (Delaroa notaire) un domaine rural à Saint-Just-sur-Loire à Maizieu. En 1776 il se rend acquéreur auprès des Aboën de Cordes des ruines du château de Prunerie entre Périgneux et Saint-Maurice, pour ses rentes nobles qui exemptent de la taille. En 1779 il acquiert une partie du vaste domaine de Tardy , ancienne résidence des Carrier, moyennant une rente viagère à verser au Seigneur de Saint-Etienne, Gilbert de Voisins (héritier des Peyrenc de Moras).

Pierre Gagnière, marchand drapier, affiche à l’époque de la Terreur , l’une des cinq plus grosses fortunes stéphanoises, estimée par les collaborateurs de Javogues à la somme de 600.000 livres . Il devra régler au titre de la « Taxe patriotique » une imposition de 30.000 livres , après une rapide incarcération pour l’y décider .

Le restant de ce vaste domaine de Tardy fut cédé à Louis XVI en 1787 avec la terre du marquisat de Saint-Priest et Saint-Etienne. Le délicieux oratoire, avec le superbe retable aux armes des Carrier anciens propriétaires, fut démoli récemment lors de la fermeture du cours Chevreul, au profit de l’Ecole Professionnelle Sainte Barbe, dans une indifférence toute stéphanoise. Bien des mariages Carrier avaient été célébrés dans cette délicieuse chapelle domestique.

Cahier 16 – Village de Forez – Montbrison- Actes du colloque du 7/10/1989 – Comité Montbrisonnais du bicentenaire de la Révolution. Pierre Gagnière député à la Constituante , Michel Bourlier. Pierre Gagnière fit partie de la commission du clergé chargé de rédiger ses propres cahiers de doléances en 1789, comme les trois ordres : noblesse, clergé, tiers état. Il s’oppose à la suspension du Roy après l’échec de la fuite à Varennes, comme à la constitution. Il argumente que l’acceptation du souverain poissonnier n’était pas un acte libre. Il disparaîtra de la scène politique avec la Constituante. Retiré un temps à Saint-Cyr, destitué de sa charge comme curé non assermenté, il maintient avec son vicaire un service en opposition avec le clergé assermenté. L’ordre rétabli il resurgit de l’ombre, obtient la cure de Saint-Barthélemy Lestra. Il meurt dans la maison curiale âgé de 86 ans le 11 avril 1832 après avoir résigné ses fonctions le 31 décembre précédent. (Evêché de Lyon – Archives)

Les soeurs du futur député firent des alliances significatives de ce milieu à mi-chemin entre bourgeoise et noblesse : Marie Anne Elisabeth avait épousé Noble Michel Picon avocat au Parlement à Saint-Etienne, Jeanne-Marie fut unie à Charles Lafitte de Saint-Galmier, Etiennette fut mariée à Louis Aguiraud négociant à Saint-Galmier (parent du curé Aguiraud de Saint-Genest-Lerpt et également victime de la Révolution ).

Ce clan annonciateur du négoce du XIXe est d’un rayonnement extra-muros   !

 

b) Guy Richardier, marchand épicier à Montbrison à son mariage, puis à Saint­-Etienne, métier très fortuné à l’époque, est natif de Boisset-les-Montrond. Il est fils de Jean Richardier à son décès marchand à Boisset. Son tuteur Jean Chastelard est notaire royal et maître de la poste aux lettres à Pouilly-lès-Feurs. Guy Richardier a épousé le 30 avril 1769, à Notre Dame de Saint­-Etienne, Marguerite Penel fille de François négociant en quincaillerie et de Marguerite Coignet. Il se trouve ainsi le beau-frère du tonique Bruno Penel, l’un des deux députés des marchands armuriers à l’assemblée municipale stéphanoise. Il fera partie de la municipalité stéphanoise de 1794.

 

6) Maîtres et marchands armuriers :

a) Barthélemy Soviche : avec ce nom resurgit d’un seul coup l’importance de ces clubs qui composent alors la clientèle agitée des auberges, cabarets et cafés. Barthélemy Soviche, fils de Claude Soviche aubergiste à Valbenoîte et d’Antoinette

Feurs – Geoffroy et Georges Guichard et Henri Ramet.

J. B. Galley – Saint-Etienne et son district pendant la Révolution – Imp. Loire Républicaine 1909 Saint-Etienne – L’Election de Saint-Etienne et la fin de l’ancien régime et les féodaux à Saint-Etienne.

Brossart. 1789-1790. Histoire du département de la Loire sous la Révolution , 1905.