COLLOQUE « JACQUES-JOSEPH DU GUET » Compte-rendu par Monsieur Anthony  Mc Kenna, BD, Tome LXV, Montbrison, 2006, pages 261 à 265.


               
Le colloque Vie morale et vie chrétienne. Jacques-Joseph Du Guet : le pouvoir, la politique, l’économie, organisé par Gérard Aventurier à l’occasion de la publication, aux Presses de l’Université de Saint-Etienne, de la Correspondance de la famille Du Guet (1683-1720). Paris, Montbrison, Trévise (éditée par Alain Collet, Gérard Aventurier et Marie Grange), s’est tenu à la Diana le 1er avril dernier devant un public nombreux. Le président Jean-François David de Sauzéa a accueilli chaleureusement cette manifestation qui devait donner l’occasion de réfléchir sur l’œuvre d’un Montbrisonnais illustre. 
Pour mieux nous permettre de saisir Du Guet en son temps, l’aura du personnage et le contexte intellectuel de son œuvre, Philippe Castagnetti présente le biographe Claude-Jean Goujet, un historien qui a joué un rôle capital dans l’historiographie et la « mythographie » de Port-Royal vers 1730. L’Eloge de M. Du Guet (1740), publié en tête de son Institution d’un Prince, a déclenché une polémique avec la redoutable nièce du théologien, Mme Du Guet-Mol, qui dénonce ses erreurs avec dédain. Goujet  déplore l’immodestie d’Armande-Isabelle Mol qui, parée de sa campagne contre les convulsionnaires et de la protection de son oncle, réclame  un panégyrique.
Ensuite, Frédérick Vanhoorne dégage les fondements et les enjeux politiques de  l’œuvre étendue de Du Guet. Jacques-Joseph s’interroge, dans le sillage des grands auteurs de Port-Royal, sur la condition de l’homme déchu. Sous l’influence, sans doute, du juriste auvergnat Jean Domat – lui aussi proche de Port-Royal – Du Guet cherche à concilier la conception augustinienne de la «misère de l’homme sans Dieu» avec le rationalisme des philosophes de la loi naturelle (Grotius, Pufendorf, Barbeyrac sont les plus connus), et à établir l’harmonie de la perception et du respect de la loi naturelle avec la doctrine de la prédestination. Politique et religion s’allient sans heurt dans cette perspective : ceux qui perçoivent la loi naturelle et la respectent, perçoivent par là-même la volonté de Dieu et la respectent ; ils sont donc «élus».
Dans le débat qui s’ensuit, Antony McKenna souligne l’opposition entre cette anthropologie rationaliste et la perspective pascalienne de la « misère de l’homme sans Dieu ». Pour celui-ci, il y a « sans [aucun] doute » une loi naturelle, mais l’homme est incapable de la discerner ; c’est bien pour cette raison que la Force s’instaure aux dépens de la Justice, fondant la Cité politique sur des conventions injustes mais utiles (selon des fragments célèbres). Dans l’histoire des idées du tournant du siècle, Du Guet se trouve donc dans la lignée de ceux qui, à la suite de Malebranche, ont rétabli la capacité de la raison à saisir «l’Ordre des raisons» et réhabilité l’amour-propre. En effet, Fénelon, Ramsay et l’abbé de Saint-Pierre au club de l’Entresol ont relayé cette idée aux philosophes des Lumières : l’amour-propre est, à leurs yeux, innocent et, source de passions vigoureuses, il peut être utile si ces passions sont canalisées dans l’intérêt de tous. Les idées de Du Guet paraissent ainsi illustrer la transformation de l’anthropologie augustinienne sous l’influence cartésienne du « second Port-Royal » et la réhabilitation de la nature humaine.
Henri Souchon commente un chapitre essentiel de l’Institution d’un Prince sur les représentants du Prince dans les provinces et à l’étranger. Du Guet s’avance masqué par rapport à un régime qu’il critique, suggère H. Souchon. Selon sa conception, les gouverneurs et les ambassadeurs sont « les oreilles et les yeux » d’un Prince, centre de gravité du Royaume. Intégrant ses pensées et ses désirs, ils doivent s’adapter aux marques et aux circonstances de vie d’un pays. Ils s’inspirent  de l’ordre naturel et de l’ordre moral. La politique chrétienne et la vie moderne semblent relever de pôles opposés, mais la politique et la morale chrétienne convergent dans la justification d’une loi surnaturelle et la manière d’être du citoyen chrétien. A. McKenna souligne la force de ces réflexions sur l’Ordre des raisons proposées par un préfet honoraire.
 Michel Bourlier propose une belle communication sur « Saint-Etienne, cité des hommes et cité de Dieu sous le règne de Louis XIV » où il guette l’influence du terroir forézien sur la modération de Jacques-Joseph Du Guet dans l’Institution d’un Prince et de son frère Jacques Du Guet, gentilhomme servant du duc de Chevreuse, dans sa correspondance. Sur le plan politique, une sorte d’influence anticipée du jansénisme parlementaire gagne la ville de Saint-Etienne qui, à coups de fracassantes décisions judiciaires, se dégage de l‘autorité féodale des Seigneurs de Saint-Priest-en-Jarez. Sur le plan économique, l’affectation par Louis XIV à la Charité stéphanoise en août 1670 du droit de charnage est appliquée par Claude Duguet, le père de Jacques et Jacques-Joseph. Claude participe en 1672 à l’adjudication et à l’organisation de la boucherie stéphanoise. Sur le plan social, Jacques Du Guet épouse en secondes noces Geneviève Dubois, fille de Roch Dubois, procureur au Parlement de Paris. Tout un essaim parisien de décideurs, amis des cousins de Geneviève et avocats à ce Parlement, manifeste une attention généreuse à la Charité stéphanoise. Cet établissement et l’Hôtel-Dieu sont confiés à des religieuses hospitalières, toutes issues de ce milieu parlementaire et amenées à ses orientations jansénistes. Le pouvoir, la politique et l’économie se sont conjugués.
Marie Grange et Gérard Aventurier poursuivent l’examen des vérités utiles à la dignité royale d’origine divine. Pour mettre en concordance le pouvoir temporel et les vertus chrétiennes d’un Prince, J.-J  Du Guet s’appuie sur l’Ecriture sainte. Il retient une exégèse prophétique renvoyant plutôt à l’Eglise primitive qu’à une nouvelle organisation pastorale. Les liens du Prince avec les autorités ecclésiastiques bannissent la religion mondaine et le recours à la femme qui en est complice. La nomination d’un épiscopat pourvu de charité et d’humilité et le choix d’un  confesseur à l’âme noble et élevée servent une société chrétienne. Une telle société peut être rendue plus heureuse sur terre par l’accès du peuple à une justice plus égale et des gens des campagnes à la propriété. Les vertus théologales d’un souverain bon et généreux sont symbolisées sur la tombe du dernier Du  Guet dans le Forez (1881).
Caroline Chopelin-Blanc définit L’Institution d’un Prince comme un traité d’éducation à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles, entre programme de formation et idéal de cité  chrétienne. La vision théologique de Du Guet conseille au Prince de faire évoluer l’homme tel qu’il était avant la chute. Dieu est un être d’amour et non de crainte. Pour faire émerger une politique moderne, il faut valoriser la vie pratique, y compris par une éducation améliorée, et donner une place majeure aux voyages. Le prince doit s’ancrer dans son époque et s’inspirer d’une morale politique et chrétienne en renonçant à l’établissement d’une société paternelle et arbitraire. Le système politique repousse tout premier ministre, mais argumente pour l’octroi de prérogatives à la nation et pour des constitutions plus pragmatiques du parlement.  La recherche d’une  félicité publique sur terre est conforme à l’Evangile.
Henri Gerest montre comment le destin des  Duguet en Forez est altéré par leur privation de descendants et la perte de leurs domaines terriens au XIXe . L’Institution d’un Prince (les trois premiers livres en 1712-1715)peut être rapproché de L’Examen de conscience (1712) de Fénelon en développant la critique de l’absolutisme royal au début du XVIIIe siècle. Duguet va moins loin que Fénelon. La monarchie tempérée qu’il préconise l’est davantage par la morale, la piété, la vertu d’un prince que par des contrepoids institutionnels. L’engagement politique d’André Duguet (1749-1807) durant la Révolution, son élection comme député au conseil des Cinq-Cents sous le Directoire en font une des figures marquantes de la période trouble qui suit la mort de Robespierre. Il donne l’image d’un modéré, partisan du juste milieu. Une attitude qui ne peut conduire un peu plus tard qu’au ralliement à la République consulaire.
L’exposition Du Guet par Edouard Crozier présente les personnages, amis ou contemporains, qui ont influencé l’œuvre de Jacques-Joseph. Les biographies et les bibliographies d’Asfeld, Goujet, Trublet, Quesnel et Jansénius sont tirées du Dictionnaire historique de dom Louis-Mayeul Chaudon (1783). Des lettres originales de la famille Du Guet, étudiées dans l’ouvrage Correspondance de la famille Du Guet (1683-1720). Paris, Montbrison, Trévise, figurent dans les vitrines. Des livres rares du XVIIe siècle contiennent un discours et un poème de Claude Du Guet dédiés au sieur Henrys ou traitent de la théologie janséniste. L’exposition est placée sous un Christ « janséniste » du XVIIe siècle – un «Christ aux bras étroits» –, dont le dressement des bras a été autrefois interprété comme le signe de la prédestination à la grâce pour les seuls élus.

 

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