IV – Synthèse, BD, Tome LXVII, Montbrison, 2008.


Si l’on cherche à classer les paroisses objet de notre étude selon l’importance de leur revenu brut, on constate que Saint-Bonnet-le-Courreau arrive en tête avec 973 livres et 8 sols, suivie de Chalmazel 906 livres (alors que, comme nous l’avons vu, le curé Massacrier précisait : mon benefice qui est de l’aveu de tout le monde le plus modique du voisinage), Saint-Georges-en-Couzan (823 livres et 13 sols) et enfin Saint-Just-en-Bas (738 livres). Les paroisses de la haute vallée du Lignon, d’après leur revenu brut, semblent correspondre à leurs homologues d’autres provinces.
On peut également constater que, proportionnellement parlant, la majorité des revenus provenait de la perception des dîmes ou des portions congrues . Dans la moitié des cas les revenus fonciers et le casuel se partagent la seconde place. Les fondations sont constamment au troisième rang.
Les revenus nets annoncés par les curés étaient de 21 livres 4 sols à Saint-Just-en-Bas, 82 livres et 6 sols à Saint-Georges-en-Couzan, 165 livres 8 sols à Saint-Bonnet-le-Courreau .
Il semble que les renseignements donnés par les curés, lors de l’enquête de 1785, puissent paraître suspects quant à leur justesse (avec vraisemblablement une majoration des charges et une minoration des revenus). Ce phénomène semble d’ailleurs être commun à de nombreuses provinces du royaume de France (Anne Zink, pour les Landes et le Sud-Ouest note : Les documents qui permettent d’évaluer les revenus curiaux sont pourtant difficiles à utiliser et parfois même à croire ). Pour corroborer ce sentiment, on notera que si le curé Charlat déclarait un revenu brut de 973 livres et 8 sols en 1785, trois ans plus tôt, le rôle des vingtièmes de cette paroisse indiquait : Le curé se nomme Pierre Charlat, il est à portion congrue neanmoins on estime que son bénéfice vaut 1 500 #. Une baisse de revenus de 526 livres et 12 sols en trois ans semble donc plus que suspecte.
Si l’on compare les biens fonciers répertoriés dans ces documents avec les biens d’église vendus en 1791 au titre des biens nationaux, on constate que ces derniers sont bien  plus nombreux que ceux mentionnés dans l’enquête diocésaine de 1785. Cet état de faits tend à renforcer la suspicion que l’on peut avoir quant à l’exactitude des informations données dans ce document.
En outre, la description que firent les curés de leur cadre de vie semble être noircie au maximum. A Chalmazel, le curé Massacrier  mentionne qu’il est obligé d’enseigner des écoliers pour avoir de quoy faire. On notera d’ailleurs que nombre d’éléments avancés dans cette enquête devaient se retrouver quatre ans plus tard dans les cahiers de doléances. Un peu comme le faisaient les assemblées communautaires , les curés de la haute vallée du Lignon espéraient certainement attirer les bonnes grâces de leur hiérarchie par ce procédé.
Les curés pouvaient paraître, aux yeux des ruraux de l’époque, quelque peu âpres aux gains, par l’énergie qu’ils mettaient à récupérer l’argent qui leur était dû . Le curé de Saint-Bonnet-le-Courreau déclarait être en procès avec vingt de ses paroissiens, celui de Saint-Just-en-Bas plaidait en justice concernant la prébende de la Collonge et le curé de Saint-Georges-en-Couzan avait, en 1769, contracté procès contre le seigneur de Goutelas au sujet des dîmes novales de Cruzolle . Ces curés apparaissaient en cela bien occupés par leur vie temporelle.
Les revenus bruts importants et l’acharnement à les percevoir, ajoutés au fait que les curés étaient exemptés de certains impôts (taille, vingtième…) contribuèrent, sans  doute, à ce qu’ils soient perçus comme des nantis, comparables aux membres de la petite bourgeoisie rurale selon Anne Zink (sentiment confirmé par Nicole Lemaître  qui note : … globalement, le curé du XVIIIe siècle est un notable. )
Cependant, d’un sentiment général, les curés se trouvent « entre deux mondes ». Considérés par les plus humbles comme des privilégiés, ils sont regardés avec condescendance, voire mépris, par les élites sociales et par leur hiérarchie. Songeons qu’entre 1682 et 1788 aucun curé ne devait être présent aux assemblées du clergé. Les seuls représentants du clergé furent des hommes des évêques (vicaires généraux). Ce phénomène général, faisant parfois naître des affrontements , est d’ailleurs dénoncé, quelques années après l’enquête lancée par le bureau diocésain de Lyon, dans le cahier de doléances la parcelle de Saint-Georges-en-Couzan  : Les évêques ont formé un plan, une confédération pour assujétir les curés, dominer sur eux avec empire, dégrader et avilir le second ordre, profitant de leur crédit de la faveur et de l’accès du prince et redoutant le concert et le nombre des ecclésiastiques du second ordre, ils ont obtenu des arrêts du conseil qui paraissent rendus motu propis quoique ce soit à leurs sollicitations, par lesquels il est défendu aux curés de faire corps et de se syndiquer pour leurs affaires, mais aujourd’hui que les états généraux  admettent les députés des curés on demandera  que ces arrêts soient supprimés et mis à néant comme injurieux et blessant les droits des curés. Ce document d’ajouter pour montrer les difficultés de vie du clergé séculier des campagnes : que le casuel qui avili le ministère des curés, détourne la confiance des peuples, soit supprimé, que les portions congrues soit en conséquence augmentées et fournissent entièrement une subsistance honnête aux curés afin qu’ils puissent aisément secourir les pauvres sans se mettre eux même dans l’indigence dont ils veulent délivrer les autres, qu’ils puissent soutenir leur dignité sans l’avilir par les quêtes et d’autres pieuses charlatanneries, il n’y a pas de ministre protestant, évangéliste qui n’ait au moins mille écus si on ne veut pas les mettre au niveau des sectes séparées de l’église, qu’on donne au moins la moitié qui est quinze cent livres aux curés de campagne et de ville qui ont un vicaire et dont une paroisse étendue et escarpée demande un cheval pour la desservir et six cents livres pour un vicaire, et douze cents livres pour un curé qui n’a pas de vicaire et alors les vicaires pourront eux même tenir leur table, mais il n’ y a aucune proportion entre le curé et le vicaire, lorsque le curé après avoir prélevé trois cent cinquante livres pour son vestiaire, ses livres et ses bonnes œuvres, n’aura pas trois cent cinquante livres pour sa table et celle de son vicaire, payer les domestiques, les décimes, entretenir un cheval et fournir d’ailleurs tout ce qui est nécessaire au ménage.
C’est d’ailleurs, sans doute, ce mal-être qui peut expliquer que des représentants du clergé, à l’image de l’Abbé Grégoire, devaient se joindre au tiers état dès le 20 juin 1789.

On le constate donc, les curés de la haute vallée du Lignon à la veille de la Révolution française, d’après leur déclaration au bureau diocésain, avaient des revenus bruts importants, mais après déduction des charges qui pesaient il ne leur restait que peu de bénéfices.
Cependant, comme nous l’avons déjà signalé, les renseignements donnés par les curés dans ces documents doivent être pris avec prudence.
La description qu’ils donnèrent de leur situation difficile, volontairement noircie, dans l’enquête de 1785 peut s’expliquer par le fait qu’ils redoutaient, sans doute, de voir le montant de leur part de décimes augmenter en déclarant un bénéfice important.
Comme le notait Pierre Goubert pour le XVIIe siècle , Complaisamment colporté, le lieu commun de la misère du curé de campagne, même au XVIIe siècle, se ramène à une pure légende, et d’ailleurs pas toujours tellement pure. Cette observation semble avoir toujours été de mise au XVIIIe siècle.
Dans le même temps le sentiment de mal-être du « bas » clergé séculier est patent et devait trouver, en partie, un moyen d’expression dans les cahiers de doléances en 1789, puis dans la réunion des Etats-Généraux.
Loin d’être uniquement tournés les mains jointes vers le ciel, ces curés étaient attentifs au rapport éventuel pouvant être produit par le ministère dont ils avaient la charge.
Ils pouvaient sembler en cela bien éloignés de l’idéal de pauvreté et de désintéressement prôné par le Christ.


Voir tableau joint.

595 livres à Chalmazel (rappelons que les charges ne sont pas mentionnées pour cette paroisse).

Anne Zink : Clochers et Troupeaux. Presses Universitaires de Bordeaux (1997). P. 26.

Francisque Ferret : La vente des biens nationaux de l’arrondissement de Montbrison. Bulletin de la Diana. Tome L numéros 6, 7 et 8.

Stéphane Prajalas : Les assemblées communautaires dans la haute vallée du Lignon au dernier siècle de l’Ancien Régime. Bulletin de la Diana LXV n°2 (2e trimestre 2006).

Cette perception du curé par ses ouailles se retrouvait, par exemple en Bourgogne (Pierre de Saint-Jacob : Les paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’Ancien Régime. AHSR. 1995. P 531.).

Stéphane Prajalas : Les dîmes de Cruzolle… Op. cit.

Anne Zink : Clochers… Op. cit.

Nicole Lemaître : Histoire des curés. Fayard. 2002 P. 242.

Durant le règne de Louis XVI, des tensions entre le haut et le bas clergé vont agiter certains diocèses (Dauphiné, est de la France, Lisieux en 1774…). Les curés vont tenter de s’organiser pour défendre leurs revenus et leurs droits à l’intérieur de l’Eglise, mais le pouvoir royal va leur interdire à plusieurs reprises de s’assembler sans autorisation.

Archives de La Diana 6 B2-268. Ce document a été publié dans Saint-Georges-en-Couzan sous le règne de Louis XVI. La Diana – Village de Forez (Octobre 2007).

Pierre Goubert : Les paysans français au XVIIe siècle. Hachette1998.

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