L’unité et la vérité d’une vie, BD, Tome LXVII, Montbrison, 2008.

 

Dans sa carrière d’inspecteur des Domaines, Francisque Ferret avait fait preuve de sa compétence et de sa rigueur ; son action fut marquée par le sens de l’intérêt de l’Etat et par l’horreur des gaspillages et des paperasses inutiles. Il aimait son travail et fut au cœur de quelques-unes des grandes transformations de Montbrison comme le remodelage du quartier des Parrocels et l’aménagement du nouveau quartier de Beauregard. Il était apprécié des maires – j’ai eu le témoignage de notre confrère Emile Meunier, ancien, maire de Bard – , facilitait et encourageait les achats faits par les communes pour investir dans le sens de l’intérêt général. Il termina son parcours en jouant auprès de ses collègues, écrit-il, le rôle d’un « vieux sage », rôle qui lui convenait.

Construire une famille, c’est une œuvre. Charles Péguy écrit au début du XXe siècle que les pères de famille sont « les aventuriers du monde moderne ». Avec Jeanne, Francisque a construit une famille, ce qui est aussi une façon de se survivre : 4 enfants, deux filles, Chantal et Dominique, deux fils, Xavier et Jean-Marc ; 14 petits-enfants, une première arrière-petite-fille, Joséphine, qui est née la veille de son enterrement et qu’il ne connaîtra malheureusement pas.
Francisque Ferret, engagé dans les mouvements d’Action catholique, fut président des écoles privées de Montbrison pendant vingt-cinq ans, avec les soucis qui accompagnaient une telle charge, transformant ces écoles en un vaste ensemble. Cet engagement, je l’atteste, était exempt de tout sectarisme, et certains de ses enfants ou petits-enfants allèrent aussi au lycée de Montbrison.
La Diana était à Montbrison sa seconde maison : il avait suivi son évolution pendant 50 ans sous quatre présidents successifs, Henri de Rochetaillée, Olivier de Sugny, Maurice de Meaux et, depuis quelques semaines, Jean-François David de Sauzéa. Dans les conseils de la Diana, il donnait son avis avec franchise. Il avait tenu les comptes de la société avec rigueur pendant 40 ans : ce n’était pas rien que de tenir les cordons de la bourse à l’époque où il y avait beaucoup moins de subventions qu’aujourd’hui et où la Diana avait la charge complète de la Bâtie. Ce n’était pas rien de contrôler un budget qui a été, entre 1960 et 2000, multiplié, en francs constants, par 12.
Il avait décliné, à la fin du mandat d’Olivier de Sugny, en 1993 l’honneur de devenir lui-même président de la Diana et terminait sa carrière comme vice-président honoraire, jouant là encore un rôle de « sage », toujours un peu pessimiste. Mais il était un pessimiste actif, donnant son appui à ce qui allait dans le sens du développement de la Diana. Il avait ainsi accompagné la politique de la ville de Montbrison pour la rénovation de la Diana qui, dirigée alors par le docteur Poirieux et approuvée par tout le conseil municipal – majorité et opposition réunies – fut à l’origine des travaux qui ont restauré et aménagé nos locaux, avec le pilotage d’Etienne Desfonds, adjoint à la Culture. L’action de Francisque Ferret avait été récompensée par la croix de chevalier des Arts et Lettres qui lui fut remise par Olivier de Sugny. Reprenant une vieille tradition, cette décoration était, le jour de ses funérailles, posée sur son cercueil.

Lors de nos séances trimestrielles de la Diana, Francisque Ferret était à la tribune, écoutant avec attention les communications et, à l’occasion, disant son mot, puis posant des questions toujours pertinentes au communicant. Après sa retraite, il avait eu plus de temps pour travailler à ses recherches et à ses communications, toujours très riches et documentées. Elles se succédèrent à un rythme régulier qui illustrait la fécondité de son travail. Pris par son sujet, il avait parfois un peu de mal à rester dans les limites du temps qui lui était imparti.
Francisque Ferret avait la passion de l’Histoire. Son œuvre se trouve presque entièrement dans le Bulletin de la Diana. Il avait d’abord rédigé quelques notices à l’occasion des excursions annuelles. Sa première étude importante fut consacrée en 1963 à l’histoire de la commanderie de Saint-Jean-des-Près dont il regrettait alors qu’elle reste une propriété privée. Il s’était aussi intéressé à la chapelle des Pénitents de Montbrison, étudiée dans le Bulletin en 1965. Après des utilisations très variées – ateliers de charronnage, cinéma, commerce de limonade – elle était très délabrée. Il l’avait sauvée en la faisant acheter par la Ville. André Mascle, alors maire de Montbrison, y avait installé la MJC (Maison des jeunes et de la Culture). La Municipalité du docteur Poirieux en fit un centre culturel. Francisque Ferret avait aussi rédigé avec Jean Bruel la brochure destinée aux visiteurs de la Diana. 
Mais son œuvre est surtout marquée par une grande attention portée à l’histoire économique et sociale.
Parmi ses communications les plus importantes, il faut citer celles qu’il consacra à la vente des Biens nationaux pendant la Révolution, à l’étude de la société montbrisonnaise en 1789 à travers le rôle de la taille et du vingtième, au développement des écoles  dans la ville, au fonctionnement du système électoral censitaire sous la monarchie de Juillet, à la biographie de Jean-Baptiste d’Allard, à l’histoire des remparts et du château de Montbrison. 
Ainsi Francisque Ferret a-t-il considérablement fait progresser notre connaissance de ces familles notables foréziennes qui ont été l’objet de ses études. Elles étaient souvent les  héritières de dynasties d’hommes de loi d’Ancien Régime qui ont réussi à traverser les soubresauts politiques de la période 1789-1815 – en faisant au passage l’acquisition de quelques biens nationaux – puis en servant l’Empire, pour s’installer au pouvoir dans les années 1815-1848 à la faveur d’un régime censitaire qui leur réservait le pouvoir politique. Elles se sont enrichies par la rente foncière et parfois par de judicieux investissements. Elles se sont illustrées par leur attention portée aux choses de l’esprit et par leur bienfaisance, comme on disait alors – je pense, par exemple, à Jean-Baptiste d’Allard. Francisque Ferret s’est ainsi inscrit dans la lignée des travaux d’André Jardin et d’Henri Tudesq qui, à travers leurs études sur la France des notables, nous ont fait mieux connaître le XIXe siècle français. Le livre récent de notre confrère Henri Gerest sur l’évolution de la grande propriété foncière dans la plaine du Forez l’avait, à cet égard, beaucoup intéressé.
L’histoire de Montbrison était aussi au centre des préoccupations de Francisque Ferret : l’histoire de l’ancien château des comtes de Forez et celle des remparts qui entouraient la ville, jusque là bien mal connues, ont fait l’objet de recherches fructueuses à partir de documents comme les anciens plans de Montbrison, le cadastre, les rôles fiscaux, les vestiges archéologiques. La sociologie urbaine le passionnait : la connaissance de la répartition, au cours des siècles, des catégories sociales dans la ville et de l’évolution de l’urbanisme montbrisonnais lui doivent beaucoup. L’ancien administrateur des écoles s’est aussi intéressé à l’histoire des « petites écoles » qui existaient à Montbrison déjà sous l’Ancien Régime et qui ont aussi été étudiées par Joseph Barou. Il avait étudié le rôle de Montbrison comme préfecture entre 1795 et 1855 et était récemment revenu sur ce sujet au colloque organisé à Saint-Etienne, à l’initiative de Pierre Troton, par les Amis du Vieux Saint-Etienne. Il observait aussi avec acuité, et parfois un certain désenchantement qui était dans son caractère, l’évolution du monde moderne, la vie politique française, l’histoire des familles qui descendaient de ces notables qu’il avaient étudiés. Il se forgeait, hors des idées reçues, son  opinion personnelle. Comment, lorsqu’on est historien, ne pas s’intéresser aussi à ce qui est actuel et deviendra l’histoire de demain ?

A la Diana, Francisque Ferret publia dans le Bulletin les notices nécrologiques qu’il rédigea en hommage à ses amis Marguerite Fournier, Jean Bruel, Henri Bedoin et François Giroux. La perte, en 1993, de son cher Jean Bruel l’avait durement atteint : il n’est pour le sentir que de relire l’Eloge qu’il lui a consacré dans notre Bulletin. Il revenait à l’occasion de ces hommages aux doutes métaphysiques qui l’assaillaient et éprouvait la nostalgie d’un monde qui, pensait-il, disparaissait devant lui.

A la dernière assemblée de la Diana, Francisque Ferret remit les insignes de chevalier des Arts et Lettres à Noël Gardon en évoquant la carrière d’historien de notre ancien secrétaire, avec quel talent, quel humour et quelle affection véritable ! Pour lui, et pour nous, c’était encore faire de l’histoire et singulièrement celle de la Diana.
Francisque Ferret avait participé au colloque La Révolution en Forez, organisé par Village de Forez et le Comité du Bicentenaire de la Révolution et accepté que certaines soirées aient lieu à la Diana. Il avait aussi donné une préface au travail de Joseph Barou sur l’église Saint-Pierre et une contribution à notre recueil d’hommages à Marguerite Fournier. Il était un fidèle des Printemps de l’Histoire du Centre social et y représentait la Diana.
Francisque Ferret avait aussi soutenu les Festivals d’histoire, organisés par la Municipalité entre 1986 et 2002 et dont il faut regretter la disparition. Ce fut l’occasion pour lui, assidu aux colloques du Festival, de rencontrer des historiens éminents comme Jacques Le Goff, Marcel Pacaut, Emmanuel Le Roy Ladurie, Michel Pastoureau, Alain Corbin.
Enfin rappelons qu’en 1967, il avait aussi participé à la création du Centre d’Etudes Foréziennes qui associait, à la Faculté des Lettres de Saint-Etienne, les chercheurs de l’Université et des sociétés savantes.


André Jardin et André-Jean Tudesq, La France des notables 1815-1848, Paris, Le Seuil, coll. Nouvelle histoire de la France contemporaine, 1973.

 

X