M. E. Jeannez, Pierre l’Ermite, moine ermite au monastère Forézien de Saint-Rigaud, près de Charlieu, BD, Tome VIII , pages 191 à 238, Montbrison, 1895.

 

Ire PARTIE

 

RÉSUMÉ BIOGRAPHIQUE

 

Il est unanimement reconnu qu’il n’y a pas dans l’histoire du monde d’épopée plus grandiose que celle des croisades, d’entreprise plus colossale, plus extraordinaire et qui ait suscité jusqu’à nos jours un plus grand nombre de récits, de recherches et de publications. En ce qui concerne plus particulièrement la première croisade, on serait donc en droit de supposer qu’il ne reste plus rien à dire sur son héros le plus populaire, sur l’étrange et magistrale figure de Pierre l’Ermite. Et si cette monographie est encore inachevée, on en doit rechercher la cause, non seulement dans l’insuffisance des sources jusqu’à présent connues, mais aussi dans l’absence d’impartialité de la critique qui n’obéit trop souvent qu’aux deux mobiles opposés d’une admiration immodérée ou d’un scepticisme systématique.

D’une part, en effet, les écrivains rationalistes, ennemis déclarés du surnaturel et toujours disposés à nier son intervention dans les mouvements humains, traitent trop facilement de légendes, quand ils ne les proscrivent pas sans examen, les faits ou les documents révélateurs de cette force mystérieuse aussi puissante qu’indéniable. Pour n’en citer qu’un exemple, la célèbre vision de Pierre l’Ermite, attestée cependant par des auteurs du temps (1), n’est pour l’érudition allemande qu’une fiction issue chez les premiers croisés « de l’opinion, conforme au caractère de l’époque, que l’entreprise était le fruit non d’une pensée humaine, mais d’une pensée divine ». Et si l’on n’ose pas nier cette vision, on la réduit aux proportions d’un fait psychologique, d’une hallucination, d’un rêve qui, d’ailleurs, on veut bien l’accorder, n’a rien d’invraisemblable (2).

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•  Historia Belli Sacri . — Historia Hierosolymitanœ expeditionis , rédigée par Albert d’Aix de 1105 à 1120. — Le poème de la Chanson d’Antioche du pèlerin Richard, XIIe siècle. — Historia rerum in partibus transmarinis gestarum , de Guillaume archevêque de Tyr, fin du XIIe siècle..

•  Les songes célèbres disséminés dans les livres saints, les voix de Jeanne d’Arc, l’apparition de Paray sont des faits acquis à l’histoire. Les visions des croisades, celle de Pierre l’Ermite à Jérusalem ou près de Jérusalem, celle du croisé provençal P. Barthélemy devant Antioche, relative à l’invention de la Sainte Lance, triompheront, elles aussi, n’en doutons pas, des objections d’ailleurs peu sérieuses et des défiances systématiques..

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D’autre part, il faut en convenir, chez les chroniqueurs des âges de foi, aussi bien que chez leurs modernes commentateurs, l’enthousiasme passionné conduit fatalement à l’exagération et à la fiction. C’est ainsi que les lettres, récits et conversations relatifs à l’Ermite, dont Guillaume de Tyr, à la fin du XIIe siècle, a enrichi son histoire, et qui se rencontrent rarement chez les écrivains contemporains ou témoins oculaires, ont accrédité les légendes qui ont pris cours depuis trois cents ans chez les occidentaux, à commencer par la très curieuse mais fantaisiste biographie publiée en 1645, par le P. d’Oultreman (1).

Quels qu’en soient les motifs, il demeure en tous cas bien constant qu’à l’heure présente la lumière totale n’est point encore faite, malgré les recherches des archéologues de France, de Belgique et d’Allemagne, malgré les travaux des sociétaires de l’Orient latin, malgré la savante dissertation du docteur Hagenmeyer, malgré les biographies de Vion, de Paulet et tant d’autres, et le livre tout récent de M. l’abbé Crégut. En sorte que sur la personne et la vie de Pierre, on ne possède encore qu’un nombre restreint de renseignements authentiques, c’est-à-dire basés sur documents originaux.

En voici l’énumération :

Patrie de Pierre. — Pierre avait pour patrie la ville d’Amiens ou le lieu d’Acheriensis, Achéry, Achères, dans les environs d’Amiens, ou tout au moins le diocèse d’Amiens (2). Il n’était ni Belge, ni Espagnol, ni Syrien, mais très certainement Picard.

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(1) Réimprimé cette année à Clermont, ce livre devenu très rare a été manifestement composé pour appuyer les prétentions d’une famille de l’Hermite qui aspirait à l’honneur de descendre du héros de la première Croisade.

(2) Guibert de Nogent. Albert d’Aix. Orderic Vital, Historia ecclesiastica . — Comte Foulques d’Anjou. — Guillaume de Tyr.

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Sa naissance, sa mort . — Il est mort le 8 juillet 1115. La date de sa naissance, qui n’est donnée par aucun des contemporains, doit être placée avant le milieu du XIe siècle. Car le moine Gilles d’Orval le fait mourir en 1115, à un âge très avancé, et la chanson d’Antioche le nomme « li pelerins senes », le vieux pèlerin, au moment de son départ pour la croisade.

Son nom, sa profession . — Son nom est Pierre. Il était moine et solitaire. Ces deux renseignements sont authentiques, car ils sont fournis par tous les contemporains, par tous ceux qui l’ont connu et qui tous lui ont donné des surnoms toujours empruntés à sa profession reclusus, monachus, cucullatus, eremita, magnus eremita, eremita nomine Petrus, celeberrimus eremita, non incognitus eremita, quidam qui eremita exstiterat nomine Petrus, sans parler du Petrus eremita qui se lit dans le bref attribué à Urbain II et daté de la fin de 1096. Malgré ces autorités indiscutables, il existe toute une école d’historiens qui, dans ce passage de Guillaume de Tyr, Petrus qui et re et nomine cognominabatur eremita, ont voulu voir la preuve que le mot eremita était un nom de famille. Pour fortifier cette opinion, une généalogie a été dressée ainsi qu’une très curieuse biographie de Pierre, qui après avoir été précepteur de Godefroy de Bouillon, avoir guerroyé dans les Flandres, se marie, devient chef de la noble famille de l’Hermite, puis se fait prêtre solitaire après la mort de sa femme. D’aucuns vont jusqu’à prétendre qu’il était encore marié quand il partit pour la Croisade et ne devint moine qu’à son retour !… D’Oultreman lui-même n’avait pas osé aller jusque-là. Inutile d’ajouter que la critique devient de plus en plus sévère pour ces hypothèses romanesques dénuées de toute certitude historique.

Son premier pèlerinage. — Pierre partit de son monastère pour accomplir un premier pèlerinage en Orient avant la Croisade. La date de ce fait historique n’est pas donnée par les chroniques. Mais comme il en revint par Rome afin de conférer avec Urbain II, ce voyage doit être placé dans l’intervalle des sept années qui s’écoulent entre l’élection de ce pape en 1088 et la réunion du Concile de Clermont en 1095 . A en croire Anne Commène, fille de l’empereur Alexis, ce premier pèlerinage n’aurait d’ailleurs pas pu s’achever. Pierre n’aurait pu pénétrer dans Jérusalem, ni, par conséquent, prier au Saint Sépulcre (1).

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(1) Cette circonstance qui n’est rapportée que par la princesse Anne, notoirement hostile aux croisés, paraît être, soit dit en passant, le principal argument invoqué contre l’authenticité de la vision de Pierre qui n’aurait pu avoir lieu, comme le disent la plupart des chroniqueurs, dans l’église du Saint Sépulcre, c’est-à-dire à l’intérieur de la ville de Jérusalem, puisque l’Ermite n’y avait pas pénétré. Une telle objection peut-elle satisfaire une critique impartiale ?

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Ses prédications . — Le succès inouï de ses prédications est attesté par des témoignages aussi nombreux qu’irrécusables en tête desquels il faut placer celui de Guibert de Nogent. Elles ont eu pour théâtre, durant l’hiver qui a suivi le Concile, le Berry d’abord, puis les contrées au nord de la Loire, la Lorraine et les bords du Rhin. Quant à celles qui ont suivi son premier pèlerinage, mais sont antérieures au Concile, les chroniqueurs en parlent peu. Leur certitude toutefois n’est pas contestable. Une preuve entr’autres nous en est fournie par un texte de l’Annaliste de Rosenfeld, contemporain de l’Ermite, cité par Hagenmeyer, où il est dit que Pierre, étant sorti de son couvent, ébranle par sa prédication toute la province à partir de la frontière d’Espagne, c’est-à-dire le midi de la Gaule. Il y a donc eu nécessairement deux périodes dans ces prédications ; car à considérer l’étendue des pays qui en furent le théâtre, les distances énormes à parcourir, il est matériellement impossible que toutes aient pu avoir lieu dans le court intervalle de trois mois, qui sépare la clôture du Concile à la fin de novembre 1095 , du départ pour l’Orient au commencement de mars 1096 .

L’assistance du célèbre Ermite au Concile de Clermont ne peut être mise en doute, bien qu’insuffisamment établie par les contemporains. La presque unanimité des biographes la regarde comme certaine. Un très petit nombre l’admet seulement comme probable. Aucun ne la nie.

Son départ pour les Saints Lieux . — Arrivé à Cologne le 12 avril 1096 , Pierre en repart le 19 avec quarante mille pèlerins et le 30 juillet il campe sous les murs de Constantinople.

Son retour et la fondation de Neufmoustier . — A la fin de l’année 1099 , après la délivrance des Saints Lieux, il reprend un des premiers la route de l’Occident en compagnie de Robert de Flandre et de plusieurs croisés de Belgique. Chargé par Arnoulf, patriarche de Jérusalem, de porter à Albert, évêque de Liège, un privilège et des reliques du Saint Sépulcre, il fonde près de cette ville, à Huy, en exécution d’un voeu fait pendant une tempête, une église et une communauté sous le nom de Neufmoustier.

C’est dans ce monastère qu’il s’enferme avec quelques autres croisés jusqu’à sa mort survenue le 8 juillet 1118, pour y vivre, non en ermite ou moine, mais comme chanoine du Saint Sépulcre sous la règle de saint Augustin.

Tous ces faits, relatés par les moines Gilles d’Orval et Albéric de Trois Fontaines, sont confirmés par une charte du couvent de Neufmoustier publiée par Polain, et approuvée par Mabillon (1).

Quant à la date de la fondation de ce monastère, qui est d’une importance considérable pour le problème que nous nous proposons de résoudre, elle est authentiquement donnée par ce passage de la chronique d’Albéric. Et in sequenti Assumptione beata Mariæ Virginis pius episcopus Hugo Leodiensis Alexandrum canonicum benedixit in abbatem in sua ecclesia, presentibus quam plurimis personis ecclesiasticis et scecularibus, evolulis die fundationis præfatæ ecclesiæ Hoyensis centum octo annis, in quibus isti subseqnentes post Petrum Eremitam fuerunt Priores, sive proepositi secundum morem Sancti Sepulchri in Hierosolymis.. . Suit une liste de prieurs du Novi monasterii Hoyensis … La fondation de Neufmoustier a donc eu lieu le 15 août de l’année 1100.

Tels sont les seuls faits irrécusables et solidement établis qu’il est possible jusqu’à présent d’extraire des biographies de Pierre l’Ermite. Ils ne sauraient, on le voit, composer une monographie complète. Ils nous laissent notamment ignorer le nom et la situation de la résidence monastique où Pierre a vécu avant son premier pèlerinage, avant la première croisade. C’est une lacune regrettable. Mais on peut, croyons-nous, la combler. C’est le but du présent mémoire.

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(1) Mabillon, Annales Bénédictines , tome V, p. 614. (1) Mabillon, Annales Bénédictines, tome V, p. 614.

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IIe PARTIE

 

CHAPITRE Ier

QUEL FUT LE MONASTÈRE HABITÉ PAR PIERRE L’ERMITE AVANT LA PREMIÈRE CROISADE ?

A cette question qui, pour l’histoire particulière du Forez, offre, comme on va le voir, plus qu’un intérêt de simple curiosité, il n’a été répondu, depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, que par le silence ou par des indications dénuées de preuves suffisantes, quand elles ne sont pas absolument erronées. On ne trouve rien de probant sur ce point dans les livres de Maimbourg ou d’Oultreman, rien dans Michaud lui-même qui pourtant rédigeait sa volumineuse compilation à Marcigny en Brionnais, c’est-à-dire dans la région où nous verrons qu’avait vécu le fameux ermite (1).

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(1) C’est à Marcigny que s’était réfugié ou plutôt caché l’historien Michaud poursuivi pour ses opinions politiques.

Il y vécut en compagnie du poète Forézien de Berchoux et y mit en ordre les matériaux de son Histoire des croisades .

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La découverte dans un nécrologe manuscrit de Corbie d’un Petrus eremita , prieur du Mont Saint-Quentin proche Péronne, parut devoir fournir une solution. Mabillon avait connu et rejeté cette indication. Elle a été reprise de nos jours par Paulet (1) et définitivement condamnée par le comte Riant qui a bien retrouvé le manuscrit signalé, mais a démontré qu’il ne remonte pas au-delà du XVIe siècle. Ce n’est donc pas une source.

Les archives de l’Orient latin ont donné une charte du cartulaire de l’abbaye de Molesme, où figure comme témoin un Peter eremita, moine du prieuré Sainte-Marie de Bellevaux, près de Belfort. On l’a identifié au héros de la première croisade. Mais ce n’est qu’une hypothèse ; car la charte n’est pas datée et on a reconnu qu’elle ne peut remonter plus haut que le XIIe siècle. Elle ne saurait donc renseigner sur la vie monastique de Pierre avant le concile de Clermont.

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(1) Paulet, Recherches sur Pierre l’Ermite, p. 36.

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Reste la supposition la moins sérieuse et cependant la plus répandue que Pierre, quittant le monde après la mort de sa femme, se serait réfugié à Neufmoustier aux environs de Liège, où il se serait fait ermite et d’où il serait sorti pour prêcher la guerre sainte. Cette assertion ne tient pas debout. Le couvent de Neufmoustier, ainsi que nous l’avons prouvé, n’a été fondé qu’en l’année 1100, au retour d’Orient après la prise de Jérusalem. Pierre n’a donc pas pu s’y enfermer avant son départ pour les Saints Lieux. De plus ce monastère n’était pas un ermitage, mais un prieuré de chanoines du Saint Sépulcre associés sous la règle de saint Augustin. C’est pourtant à cette légende que se sont arrêtés plusieurs biographes modernes, Vion et Paulet en tête, puis tout récemment M. l’abbé R. Crégut dans son histoire du Concile de 1095 (1) et M. le chanoine Condamin dans ses deux conférences sur Pierre l’Ermite prêchées à la cathédrale de Clermont les 17 et 18 mai 1895 pour l’ouverture des inoubliables fêtes du centenaire de la première croisade. Pour tous deux, Pierre est l’Ermite de Liège !

M. l’abbé Crégut passe avec une rapidité qui a lieu de surprendre, sur les détails de la vie de Pierre avant la Croisade. Reniant l’engagement qu’il avait pris dans son introduction « de ne puiser que directement aux sources, aux écrivains contemporains ou voisins du XIe siècle », il se borne à reproduire en six lignes et sans formuler aucune réserve le roman composé par d’Oultreman du mariage de Pierre avec Béatrix de Roussy, de la naissance de deux enfants et de son veuvage après lequel « il donna libre cours aux idées de solitude qui l’obsédait et se retira dans le diocèse de Liège où il se construisit un hermitage ». Et pour qu’on ne se méprenne pas sur l’époque de cette entrée en solitude, M. Crépinien ajoute « que mû par la dévotion la plus vive, l’ermite de Liège ne tarda pas à suivre les inspirations de son temps, à entreprendre à son tour le pèlerinage des Saints Lieux ». Ces inventions fantaisistes ne supportent pas la discussion.

En résumé aucune des allégations mises en avant jusqu’à ce jour pour résoudre la question qui nous occupe, ne saurait résister à la critique des textes ou des dates, et cette question attend encore une réponse définitive.

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(1) Le concile de Clermont en 1095 et la première croisade , par M. l’abbé Régis Crégut, Clermont 1895, p. 35.

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Or cette incertitude est véritablement surprenante en présence de l’affirmation pourtant si nette, si précise, que Mabillon réédite après Du Cange et qu’il consigne dans ses Annales Bénédictines en l’appuyant de toute l’autorité de son impeccable critique (1). Cette affirmation est empruntée à deux sources primitives : l’Historia Hierosolymitana quæ dicitur gesta Dei per Francos , de Guibert, abbé de Nogent (2) et le Chronicon anonymi Laudunensis canonici d’un moine de l’ordre des Prémontrés, chanoine de l’église de Laon près de Coucy (3).

Guibert est cet écrivain du XIe siècle dont on a dit que ce fut un des rares auteurs de son temps qui ait fait preuve de critique. Gibbon parle « de son sang-froid philosophique » et Mabillon le qualifie expressément de : illius temporis gravis auctor . Né en 1053, mort en 1124, l’abbé de Nogent est, non seulement un contemporain, mais un témoin oculaire des faits qu’il rapporte. Il a connu Pierre en personne ; il a assisté avec lui au concile de Clermont ; il écrivait de son vivant l’histoire de la première croisade. Enfin par Godefroid, l’évêque d’Amiens, son ami et son prédécesseur sur le siège abbatial de Nogent, il put naturellement mieux que tout autre se renseigner sur les origines et la vie du célèbre ermite picard. Son Historia est la source la plus authentique et la plus ancienne concernant Pierre et la première croisade.

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(1) Mabillon, Annales B., tome V, lib. LXXIII, p. 324.

(2) Recueil des Hist. occidentaux des Croisades, tome IV, p. 142.

(3) Le Chronicon est un manuscrit in-4° du XIIIe s. de la Bibl. Nationale, coté lat. 5011, et autrefois : Colbertinus 439, Regius 4204. Le passage relatif à Pierre se trouve au fol. 123 v°.

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La chronique écrite au XIIIe siècle par le chanoine anonyme de Laon est une compilation qui va de la création à la fin de l’année 1219. Ayant par conséquent à emprunter à des auteurs contemporains, à des sources primitives, son récit relatif à Pierre l’Ermite, il a choisi l’Historia de Guibert, qu’il copie presque mot à mot avec quelques abréviations et quelques variantes sans importance (1) mais on y trouve en plus l’indication capitale, signalée et admise par Du Cange et Mabillon, du monastère que Guibert déclarait ne pas connaître et qui fut la résidence de Pierre avant son premier pèlerinage, avant ses prédications.

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(1) Une seule de ces variantes mérite attention. Guibert s’exprime ainsi : Sed numero frequentissimum vulgus Petro cuidam Heremitæ cohoesit ….. : quem ex urbe, nisi fallor, Ambianensi ortum, in superiori nescio qua Galliarum parte solitariam sub habitu monachico vitam duxisse comperimus, unde digressum, qua nescio intentione, urbes et municipia predicationis obtentu circumire vidimus, tantis populorum multitudinibus vallari, tantis muneribus donari. — Voici le texte du Chronicon : Peter Heremita, de territorio Ambianensi, primo monachus apud sanctum Rigaudum in Foresio, post Heremita, post prædicator effectus, cepit tanta multitudine populorum vallari, tantis muneribus donari …… Tout ce qui suit est la copie à peu près littérale des Gesta avec quelques interversions d’ailleurs maladroites.

Pour s’expliquer la variante ci-dessus, il faut se rappeler que l’anonyme de Laon vivait au XIIle siècle, à une époque où il n’était plus possible de comprendre la profession d’ermite sous l’habit monastique, affirmée par Guibert. Car les diverses congrégations réunies au XIIIe siècle par Alexandre IV en Italie et dans les Gaules sous le nom d’Ermites de Saint-Augustin n’étaient que des couvents n’ayant plus rien de commun que l’habit avec l’institut érémitique. Le chroniqueur de Laon croyant à une erreur de Guibert l’a corrigée en disant que Pierre fut successivement et non simultanément moine et ermite. Cette fantaisie ne saurait infirmer le renseignement si curieux et si net donné dans les Gesta écrits du vivant même de Pierre, par un auteur sérieux qui l’a connu en personne. Ce fut l’opinion de Du Cange et de Mabillon.

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Dom Bouquet, dans les tomes XIII et XVIII du Recueil des historiens des Gaules , donne sur cette oeuvre de l’anonyme de Laon une appréciation digne d’être rapportée. Il explique qu’il ne fait usage de cette compilation que pour la partie qui commence à la naissance de Philippe-Auguste en 1165, laquelle, dit-il, mérite toute confiance surtout pour ce qui regarde les événements qui se sont passés dans la province de Picardie. Elle renferme des indications qu’on chercherait vainement ailleurs. Multa in hoc chronico sunt, presertim cum de rebus in Picardia gestis agitur, fide digna nec aliis tradita . Cette attestation ne peut que fortifier puissamment le renseignement si précieux que le chanoine de Laon donne sur Pierre devenu une des illustrations de cette province de Picardie, sa patrie.

Voici le texte de Mabillon

Quo in loco monasticam vitam Petrus professus sit, non dilucide exprimit Guibertus, cum ait se comperisse eum in superiore nescio qua Galliarum parte, sub habitu monachico solitariam vitam duxisse ; quod explicatur in chronico canonici Laudunensis, apud Cangium laudato (1) , in quo narratur Petrum eremitam de territorio Ambianensi primo monachum apud Sanctum Rigaudum in Foresio exstitisse; postea prœdicatorem effectum tanta cœpisse populorum vallari, tot cœli muneribus donari …..ut multœ ætatis homines non meminerint honore simili habitum honorem . Et Mabillon ajoute : De Sancti Rigaudi monasterio diocœsis Matisconensis actum est . [On ne peut être plus affirmatif]. Forte ex eo loco Petrus eremita profectus est ad Sacra Loca ; indeque reversus miserabilem eorum statum exposuit Urbano papœ ».

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(1) Du Cange, Notœ in Alex., p. 594.

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La science et la critique de deux savants tels que Du Cange et Mabillon font pleine autorité et il est bien certain que ce n’est qu’après contrôle qu’ils ont accepté comme indubitable le témoignage qu’ils enregistrent. Nous croyons cependant devoir l’étayer par cette considération non sans valeur, que Mabillon l’a consigné dans ses Annales , c’est-à-dire dans son dernier et son plus considérable ouvrage, où sont résumées et condensées toutes ses immenses recherches et nécessairement celles qu’il avait faites en mai 1682 à Roanne et dans tous les monastères des environs et de la région Brionnaise, compris l’abbaye de Marcigny et par conséquent le couvent bénédictin de Saint-Rigaud de son voisinage immédiat. C’est ce dont témoigne son Iter Burgundicum , qui ne fut publié qu’après sa mort par D. Thierry Ruinart, en même temps que le dernier volume des Annales (1).

Comme il est inadmissible que nos modernes historiens aient ignoré le renseignement capital que nous venons de transcrire, on doit supposer que leur silence à ce sujet a été motivé, d’abord par les termes en apparence contradictoires de Guibert parlant de vie érémitique sous l’habit monastique, et en second lieu par l’affirmation du chroniqueur de Laon plaçant en Forez le monastère de Saint-Rigaud , ce qui paraît à première vue totalement inexact. Il y avait bien là, il faut en convenir, matière à défiance et même suffisant motif pour rejeter ce témoignage. Mais ces deux objections, en les étudiant attentivement, perdent toute leur valeur. L’histoire de Saint-Rigaud se charge de la résoudre et fait comprendre que ni Du Cange ni Mabillon ne s’y soient arrêtés.

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(1) Mabillon, Œuvres posthumes , t. II, p. 26..

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CHAPITRE II.

PIERRE ÉTAIT EN MÊME TEMPS ERMITE ET CÉNOBITE.

 

Au milieu du XIe siècle, un bénédictin d’Issoire, Eustorge, épris de solitude, quittait son monastère. Tout naturellement attiré du côté de la grande abbaye clunisienne alors à l’apogée de sa célébrité sous l’administration de saint Hugues, il s’arrêtait aux environs de Charlieu, dans la forêt d’Avaize, près de Ligny, du diocèse de Mâcon, et s’y faisait ermite.

Il était grand bruit à cette époque des austérités spéciales et de la nouvelle forme de vie religieuse pratiquée par deux pénitents italiens, Pierre Damien et saint Dominique l’Encuirassé ( loricatus ), l’inventeur des cilices et des chaînes de fer (1). Leurs retraites de Luceolo et de Fontavella dans l’Ombrie, offraient tout à la fois les avantages de l’institut érémitique et ceux des établissements cénobitiques. Les cellules y coexistaient avec le cloître, la solitude avec la vie de communauté.

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(1) Mabillon, Annales B., t. IV, p. 559. — A. Baillet, Vies des Saints, 14 octobre.

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C’était cette nouvelle organisation monastique, qu’avait ébauchée saint Romuald à Camaldoli à la fin du Xe siècle et dont vers 1186 allait s’inspirer saint Bruno pour fonder avec ses six compagnons la Chartreuse de Dauphiné et son ordre fameux (1). Ce fut cette institution qui prévalut à Saint-Rigaud et sous sa forme la plus austère.

En effet le renom de sainteté de l’anachorète Eustorge lui avait attiré des disciples qui, tout en menant près de lui la vie de solitaires s’étaient constitués en une petite congrégation, aliquantula congregatio (2), sous la règle de saint Benoît et le patronage de saint Rigaud martyr. Et cette installation concorde si exactement avec la venue, en 1062, dans le diocèse de Mâcon, de Pierre Damien envoyé dans les Gaules par le pape Alexandre II pour y réformer les abus du clergé, qu’on est tenté d’admettre qu’elle fut la conséquence de sa visite et de ses conseils aux ermites d’Avaize. Le sévère cardinal n’avait pu faire accepter ses pratiques excessives par Cluny, malgré ses instances prolongées auprès de saint Hugues (3) ; il fut sans doute plus heureux près d’Eustorge. Et la preuve de son ingérence à Saint-Rigaud résulte  : 1° de la bulle de privilège qu’en 1071 il obtenait d’Alexandre II pour ce monastère (4) ; 2° d’une autre bulle de 1251, par la quelle le pape Innocent IV autorise les religieux de Saint-Rigaud à se dispenser des observances trop sévères qu’ils avaient primitivement ajoutées à la discipline de saint Benoît : Bulla qua strictiores observantiæ prim itivo Sancti Rigaldi instituto superaditæ mitigantur (5).

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(1) Luceolo contenait 18 cellules. A la Chartreuse il y avait, dans le principe, deux moines dans chaque cellule.

(2) Bulle d’Alexandre II en faveur de Saint-Rigaud, Gallia christiana , t. IV, c. 281. — Annales B ., t. V, p. 628.

(3) Biblioth. cluniacensis , col. 461, 462, 477-

(4) Voy. note 2 ci-dessus. Cette bulle est contresignée par Pierre Damien.

(5) Archives de Saône-et-Loire, série H., fonds de Saint-Rigaud, portefeuille 143.

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On appelait les religieux de Fontavella moines ermites de S.-Pierre-Damien, monachos eremitas institutionis Sancti Petri Damiani . Les cénobites de Saint-Rigaud, eux aussi, se nommaient ermites et leur couvent ermitage. C’est ce dont témoignent parmi plusieurs titres : 1° la charte des bienfaiteurs du monastère, transcrite par la Mure dans les preuves de son Histoire ecclésiastique du diocèse de Lyon et qui fut rédigée du vivant du pape Grégoire VII, par conséquent entre les années 1073 et 1087. On y lit au commencement cette phrase : Elucidare ….. necessarium est, quomodo …..hic locus quamvis in eremo positus ….. constituatur . Et un peu plus loin cet ermitage est désigné par ces expressions : hoc pauperiale cœnobium . 2° Une charte de donation d’une terre du Vernay (près de la Chapelle-sous-Dun), faite par Artaud de Chastelus et Richilde, sa femme, sœur d’Hugues de Montréal, sous le règne de Louis VII, cum jam iturus esset Jehrusalem cum exercitu magno ; ce qui date cette charte d’environ 1147 (1). On y lit ce passage significatif : ut ille Robertus monachus Sancti Rigaldi locum teneat eo pacto quo priores eremitæ tenuerant . Les anciens moines de Saint-Rigaud s’appelaient donc ermites; et en se faisant religieux dans ce monastère, Pierre y était donc véritablement ermite sous l’habit de cénobite, justifiant ainsi tout à la fois son surnom si populaire et l’indication précise de l’abbé de Nogent

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(1) Archives de Saône-et-Loire, série H., fonds de Saint-Rigaud, portefeuille 142

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CHAPITRE III.

SITUATION GÉOGRAPHIQUE DE SAINT-RIGAUD.

L’anonyme de Laon ne se borne pas à fixer à Saint-Rigaud la résidence de Pierre avant la croisade, fixation qui, nous venons de le démontrer, concorde pleinement avec le texte de Guibert. Il ajoute que ce monastère est situé in Foresio , en Forez. Et Mabillon précisant ce renseignement qu’il regarde comme certain, dit qu’il s’agit de Saint-Rigaud au diocèse de Mâcon . C’est donc bien le monastère de ce nom fondé par Eustorge aux environs de Charlieu.

Mais dans ces indications n’y a-t-il pas une erreur géographique considérable, suffisante pour leur enlever toute créance ? Autrement dit, peut on arriver à démontrer que ce Saint-Rigaud des environs de Charlieu appartenait au Forez ?

Et d’abord il faudrait savoir si le chanoine de Laon a entendu parler de la situation géographique du monastère au XIe siècle au temps de la première croisade, — ou seulement au XIIIe à l’époque où il rédigeait sa chronique.

Dans ce dernier cas et en admettant que l’écrivain fut vivant au milieu du XIIIe siècle, l ‘in Foresio de son texte s’expliquerait aisément. A cette époque en effet la majeure partie du territoire Brionnais, soit du diocèse de Mâcon soit de celui d’Autun, entrait provisoirement dans le comté de Forez par le mariage en 1247 du comte Renaud fils cadet de Guy IV avec Isabeau de Beaujeu veuve de Simon II de Semur et dame douairière de la puissante seigneurie de ce nom. Le comte Renaud fixait sa résidence à Semur et s’intitulait Renaudus de Foresio dominus Sine muri Briennensis (1).

Le couvent de Saint-Rigaud était en plein Brionnais. Cela ne veut pas dire qu’il faisait au XIIIe siècle nécessairement partie de la seigneurie Forézienne de Semur. Il est plus probable qu’il y formait avec ses appartenances une enclave indépendante vu que d’autre part il était en dehors du domaine royal établi dans le Charluais à la suite de la main mise de Philippe Auguste en 1180 (2). Dans tous les cas par ses droits et nombreuses possessions dans tout le Semurois, au Fressy d’Oyé, à Ligny, à Saint-Julien de Cray, à Saint-Christophe, à Saint-Bonnet, à Fleurie, il était en fait englobé dans cette seigneurie de Renaud de Forez. Pour un écrivain résidant à Laon, c’est-à-dire à une énorme distance des lieux dont il parlait, Saint-Rigaud était donc véritablement situé en Forez. Ce n’est là toutefois, nous le répétons, qu’une hypothèse, parce que les renseignements biographiques sur le chanoine de Laon font absolument défaut. En sorte que la date de sa mort étant ignorée, nous ne pouvons avoir la certitude qu’il a pu connaître le mariage du comte Renaud au milieu du XIIIe siècle avec ses conséquences pour le pays Brionnais.

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(1) De la Mure, Hist. des comtes de Forez , chap. XXVII, p. 259.

(2) Le domaine royal en tirant au nord-est de Charlieu dans la direction de Saint-Rigaud, ne s’étendait pas au-delà de la première partie de la forêt d’Avaize, celle qui descendait jusqu’au confluent du Sornin et du ruisseau le Suppléon. Le surplus de ces bois appartenait à l’abbaye qui y avait seule les droits d’usage et de chasse. — Arrêt du 11 avril 1333 du parlement de Paris qui donne aux religieux de l’abbaye le droit de prendre du bois, de chasser et de faire paître leurs troupeaux dans la partie de la forêt d’Avaize qui appartient au Roi. Maintenue des mêmes droits, 1380 environ. (Fonds de Saint-Rigaud aux archives de Saône-et-Loire, portefeuilles 145 et 148).

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Il faut donc nous en tenir à l’opinion qu’il a voulu parler de la situation géographique de Saint-Rigaud au XIe siècle, à l’époque de Pierre l’Ermite. Or, après les témoignages de véracité donnés à cet écrivain pour ce qui concerne notamment l’histoire de la Picardie, on doit admettre qu’il a dû étayer son affirmation sur des documents authentiques, que Guibert lui-même avait ignorés.

En l’absence de ces sources primitives aujourd’hui disparues depuis les autodafés révolutionnaires, la vérification de cet in Foresio du Chronicon Laudunensis, ne peut se faire que par l’étude des titres des Xe et XIe siècles encore existants, ou pour mieux dire par la reconstitution de l’état territorial et administratif du Charluais-Brionnais au temps de Pierre. Cette reconstitution n’a point encore été faite. Elle présenterait un puissant intérêt, mais la pénurie de ces documents la rendra probablement toujours incomplète et difficile. Elle sortirait d’ailleurs du cadre de ce mémoire et nous n’en esquisserons que les lignes nécessaires à notre démonstration.

On sait que le territoire du Charluais-Brionnais, comprenant Avaize et Saint-Rigaud, après avoir fait partie du pagus Tulveonensis de la cité Ségusiave, plus tard aux Ve et VIe siècles du pagus major et de l’évêché, parrochia, de Mâcon, puis au IXe, du comté de ce nom, formait dès cette époque une partie importante de la vicomté dudit Mâcon, laquelle au XIe siècle devenait héréditaire et inféodée dans la maison des Blancs, Albi , originaires de Briennon (1) et puissamment possessionnés en Charluais. en Brionnais et en Roannais.

Il est difficile aujourd’hui de déterminer exactement la circonscription de cette ancienne vicomté pour la région qui nous occupe. On ne peut que la jalonner à l’aide de quelques chartes qui lui attribuent : au sud, Villers (2) ; à l’est, Saint-Martin de Lixy et Châteauneuf, séparés par la rivière ou la vallée du Sornin de la forêt d’Avaize (3). Puis au nord-est, Saint-Rigaud et ses appartenances entre les deux ruisseaux du Suppléon qui descend de Saint-Christophe à Charlieu et de l’Ausières. Du côté ouest et au nord, on peut conjecturer que les limites descendant de Villers à Pouilly qu’elles englobaient peut- être, suivaient la Loire par la Noaille , Lanollia , jusqu’au territoire d ‘Iguerande , Evuiranda , pour remonter à Saint-Julien de Cray en formant une ligne, dont l’extraordinaire irrégularité est difficile à expliquer.

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(1) Abbé F. Cucherat, Semur-en-Brionnais, ses barons, etc. , dans les Mémoires de la Société Eduenne , t. XV, p. 271.

(2) Severt, Chronologie des Évêques de Mâcon , p. 18. Donation par Hugues le Blanc, vicomte de Mâcon, à l’église Saint-Pierre de Mâcon, de la chapelle de Saint-André avec sa verchère (1065 à 1078). — Aug. Bernard, dans son Essai hist. sur les vicomtes de Lyon, de Vienne et de Mâcon , démontre qu’il s’agit de la chapelle de Saint-André de Villers près Charlieu ( Revue Forézienne , t. I, p. 153).

(3) Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon , n° 420. Charte de restitution aux chanoines de Saint-Vincent de l’église de Lixi, sous le vocable de Saint-Martin, in pago Dunensi, in villa Liciaco , par Léotald comte de Mâcon et Gautier, Walterius , vicomte, au temps du roi Lothaire (954-960). — Cartulaire de Cluny , n° 4.312 du recueil général. Charte contenant une bulle d’Urbain III qui démontre qu’Artaud le Blanc, vicomte de Mâcon, était seigneur de Châteauneuf en 1186-1187.

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Comprise entre ces quelques points de repère, cette circonscription, non seulement ne devait pas former un tout compact, comme l’observe M. Vincent Durand dans son Histoire abrégée de Charlieu, mais elle nous apparaît se morcelant, se réduisant de plus en plus par une succession ininterrompue de restitutions ou de donations pieuses à Cluny, à Saint-Vincent, à Saint-Pierre de Mâcon à Saint-Rigaud, et de cessions à ses puissants voisins de Semur, de Forez et surtout de Beaujeu. De telle sorte qu’à la fin du XIe siècle, suivant la remarque d’Auguste Bernard, les vicomtes, les Blancs, finissant par ne plus rien posséder dans ce pays de Charluais Brionnais, émigrent et s’installent dans leurs possessions d’outre Loire, d’Ambierle et de Crozet. La vicomté Carolingienne avait disparu et ses derniers représentants cédaient en 1180 Ambierle à Cluny, et en 1220 au comte de Forez la ville de Crozet avec tout ce qu’ils possédaient encore au delà de la Loire.

A ces vicissitudes de la dotation territoriale des vicomtes dans le Charluais, il faut ajouter les nombreuses modifications qui y étaient survenues dans leurs possessions personnelles, et l’on pourra comprendre l’existence, dès le milieu du Xe siècle dans cette région, de plusieurs enclaves appartenant au pagus Lugdunensis , aux comtés de Lyon et de Forez, qui n’étaient pas encore séparés à cette époque et ne devaient l’être que dans la seconde moitié du XIIe siècle à la suite de la célèbre transaction de 1173.

Quelles étaient ces anciennes enclaves Lyonnaises-Foréziennes en Charluais et en Brionnais ?

Les trois cartulaires de Cluny, de Saint-Vincent de Mâcon et de Savigny, sont à peu près les seules sources pouvant fournir des réponses plus ou moins complètes à cette question intéressante. Auguste Bernard mentionne bien l’existence d’une considérable et ancienne enclave du comté de Lyon et de Forez dans le pagus Matisconensis du côté de Charlieu, mais il n’entre dans aucuns détails (1). Chavot dans son tableau des divisions territoriales et administratives du Mâconnais du IXe au XIIIe siècle (2), est plus explicite et attribue au comté de Forez, dès la fin du Xe siècle, Pouilly-sous-Charlieu, Iguerande et Saint-Julien de Cray. II faudrait y ajouter partie d’Oyé dans le Semurois.

ENCLAVE DE POUILLY. — Elle ne paraît pas aussi certaine que l’affirme Chavot, et le Poliacus des chartes est très probablement Pouilly-lès-Feurs, obédience Clunisienne de l’archiprêtré de Néronde, plutôt que Pouilly-sous-Charlieu qui relevait directement de l’évêque de Mâcon.

C’est ce qui semble résulter de la charte de Cluny, n° 3660 du recueil général, datée de 1091 et qui contient donation par Hilisiard seigneur de Néronde, de vignes situées in villa Poliaco, in comitatu Forensi , en présence de Arnaldus seigneur de Saint-Marcel, qui doit être Saint-Marcel de Feline. Néronde et Saint-Marcel sont dans le voisinage de Pouilly-lès-Feurs.

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•  Aug. Bernard, Cartulaire de Savigny (appendice), subdivisions du pagus Lugdunensis aux IX,, Xe et XIe siècles, t. 11, p. 1080.

•  Chavot, préface et appendice du Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon , p. xvi et cxcv.

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Trois autres chartes du même cartulaire, n° 1206 , 1210 et 1306 seraient un peu moins probantes. En 966, 11 juillet, Anschericus donne au monastère de Cluny, un curtil que vocatur Poliacus avec son église dédiée à Saint-Didier, in comitatu Forensi et in pago Lugdunense. La même année au mois de septembre, une dame Ilaria et son fils Poncius , prêtre, donnent à Dieu, aux saints apôtres Pierre et Paul et au bienheureux Didier, beate Desiderii, un manse in villa que dicitur Poliago.

En 971 enfin, au mois d’août, ces deux mêmes bienfaiteurs donnent au monastère de Cluny , mansum cum appenditiis in villa Poliaco, in pago Lugdunese atque in comitatu Forensi posite . Les pouillés du diocèse de Lyon à partir du XIIIe siècle placent l’église de Pouilly-lès-Feurs sous le patronage de saint Pierre, celle de Pouilly-sous-Charlieu sous le vocable des saints Pierre et Paul. Mais quel était celle de ces deux églises qui au Xe siècle était consacrée à saint Didier, en même temps qu’à saint Pierre et à saint Paul ? . . . . . . . Autre cause d’incertitude : l’archevêque de Lyon, Burchard, et les autres évêques réunis en synode à Anse en 994, accordent à Cluny une charte de privilège (n° 2255) en faveur d’un certain nombre de ses possessions, dont la liste comprend notamment neuf localités du diocèse ou pagus de Lyon, savoir : Saviniacum et Romanam potestatem, Chavariacum, et Tosciacum, Poliacum, Artadunum, Ambertam cellam cum appenditiis suis, Ivuirendam et castrum Oiedellis. Si pour cette énumération le rédacteur a suivi, comme c’est à croire, un ordre géographique en partant de Savigny pour finir à Oyé, le Poliacus de cette charte placé avant Arthun, serait tout naturellement Pouilly-lès-Feurs …..?

ENCLAVE D’IGUERANDE. — Ici point d’incertitude. Iguerande, Aiguerande, Evuirandus, Ivuiranda, Evvirandis, apparaît, au milieu du Xe siècle, située dans le pagus Matiscensis, dans le comté de Mâcon. Ce qui résulte d’abord d’une charte de Cluny de 937, qui place dans ce comté Iguerande et ses trois églises, Saint-André, Saint-Jean et Saint-Marcel (1) ; puis d’une deuxième charte du même cartulaire (n° 1192) datée du 12 novembre 965 au 11 novembre 966, ainsi conçue : Sacro cenobio Cluniensi monasterio …… ego Adilis dono ex rebus proprietatis meæ ….. et sunt ipse res site in pago Matisconensi, in agro Evuirandensi, in villa Escutiaco : et habent ipse res fines a mane finem de Floriago (Fleurie), a medio die finem de Lanolia, a sero Lera fluvio, a circio terra Amsberti.

Mais dès la fin du Xe siècle, à la suite d’une de ces modifications administratives auxquelles nous faisions allusion plus haut et dont la cause d’ailleurs ne nous est pas connue, ce territoire d’Evuirande était sorti du diocèse et du comté deMâcon et faisait partie du Forez-Lyonnais (2). C’est ce que prouve 1° la charte ci-dessus relatée de l’archevêque Burchard de 994, et 2° une autre charte de Cluny de l’an 1000 (n° 2510), qui contient donation par une dame Richoara des biens suivants : in comitatu Forense et in villa Juliaco, unum mansum,… et in alio loco, unam vineam in Ivuirando villa . Le rédacteur énumérant des biens situés dans le comté de Forez, n’avait pas à répéter après les mots in alio loco , l’indication in comitatu Forense .

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(1) Aug. Bernard, Cartulaire de Savigny et d’Ainay (appendice), t. II, p. 1094.

(2) Plus tard on trouve au XVe siècle que le territoire d’Iguerande est partie du Brionnais ou du duché de Bourgogne (pour un tiers) et partie du Lyonnais ou du royaume de France, et cette division persiste jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Voir : Déclaration n° 119, baronnie de Semur, prévosté de la Noille, dans l’Etat militaire et féodal des bailliages d’Autun …… en 1474. Mémoires de la Société Eduenne , t. XI. — Courtépée, t. III, p. 116. – Almanach du Lyonnais pour 1760 .

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Le monastère de Saint-Rigaud était à peine à neuf kilomètres en ligne droite de la frontière de cette enclave Forézienne d’Iguerande, c’est-à-dire de l’Escutiacus de la charte n° 1192 où l’on peut voir le hameau d’Ecreux dont la situation topographique entre Floriagus (Fleurie), Lanolia (Saint-Pierre-la-Noaille) et le fleuve de Loire est exactement celle d’ Escutiacus.

ENCLAVE D’OYÉ. — C’est dans le décret de privilège de l’archevêque Burchard ci-dessus mentionné que se trouve l’indication du castrum Oiedellis in pago Lugdunense. Une branche Forézienne de la famille vicomtale des Blanc, installée à Néronde et à Roanne était possessionnée à Oyé, au hameau de Fressy, dès 1067, comme nous le verrons plus loin, cette terre appartenait à Saint-Rigaud.

ENCLAVE DE SAINT-JULIEN DE CRAY. — Chavot affirme à plusieurs reprises que Saint-Julien de Cray faisait dès la fin du Xe siècle partie du comté de Forez. Une des chartes sur lesquelles il s’appuie, le n° 2510 de Cluny, ne semble pas toutefois constituer un témoignage décisif. Cette charte mentionne comme nous l’avons vu, des biens situés in comitatu Forense, in villa Juliaco… et in Evuirando villa . Il est très vrai que les deux territoires d’Iguerande et de Saint-Julien de Cray se touchaient sur quelques points, et ce voisinage justifierait peut-être l’assimilation de ce Saint-Julien et de Juliacus. Mais c’est une traduction difficile à accepter, et pour ce motif, on incline à placer Juliacus à Julieu, l’ancienne localité voisine de Saint-Étienne-le-Molard, située toutefois à une distance bien considérable d’Iguerand e et du Brionnais !

On trouve un témoignage fort important et décisif en faveur de cette enclave Forézienne de Saint-Julien de Cray, dans le traité intervenu en 1223 à Saint-Germain -en-Roannais entre le comte Guy IV et Marie de Bourgogne, dame de Semur, pour la fixation des limites du Forez et du Brionnais (1). Le comte s’y désiste de la garde de Saint-Julien, villa Sancti Juliani, qu’avait remis en son pouvoir l’abbé de Saint-Rigaud, et ses droits passent à la dame de Semur.

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(1) La Mure, Hist. des comtes de Forer , preuves, n° 44, t. III, p. 40.

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Ce désistement était la conséquence du retour, par ce traité, de tout le pays Brionnais dans la seigneurie Semuroise ; et il prouve qu’antérieurement au XIIIe siècle, le territoire de Saint-Julien de Cray au moins pro parte, ressortissait au civil du comté de Forez, car au spirituel son église relevait directement de l’évêché d’Autun. Ce n’est qu’en 1105 qu’elle passe à Cluny pour le monastère de Marcigny par suite de la donation de Nariodus, évêque d’Autun (1).

On peut toutefois se demander, et l’objection est sérieuse, si le Saint-Julien du traité de délimitation ne serait pas la villa de ce nom, sise au-delà de la Bénisson-Dieu, près de l’Espinasse, et qui était devenue au XVIe siècle avec le bourg dudit l’Espinasse, l’agglomération assez importante que les troupes royalistes de Saulx Tavannes incendièrent en 1589. Cette supposition semble inadmissible. Un titre du commencement du XIIIe siècle (2) nous apprend, en effet, que Bernard, abbé de Saint-Rigaud, consent à payer une redevance annuelle de huit bichets d’avoine pour droit de garde, à Eustache de l’Espinasse, chevalier, à cause de la maison de Saint-Julien, près dudit l’Espinasse, appartenant à son abbaye (3).

Si ce Saint-Julien-l’Espinasse était celui de la charte de 1223 , la garde en aurait donc été donnée en même temps à deux seigneurs, celui de l’Espinasse et le comte de Forez puis à la dame de Semur qui continue les droits du comte. Cela paraît inadmissible.

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•  Cartulaire de Cluny , charte du 15 janvier 1105, n° 3826 du recueil général.

•  Archives de Saône-et-Loire, fonds de Saint-Rigaud, portefeuille 143.

•  A propos des seigneurs de l’Espinasse, n’y aurait-il pas à remarquer que cette ancienne famille était aux XIe et XIIe siècles très puissante par le grand nombre de seigneuries qu’elle possédait en Brionnais et en Mâconnais, et qui le 17 octobre 1477 furent confisquées sur Philibert de Lespinasse, tenant le parti du roi Louis XI, par Jehan de Chalon, prince d’Orange. Voir Mémoires de la Société Eduenne , t. X, p. 143, t. XI, p. 121. Cette famille était probablement possessionnée dans le voisinage de Saint-Rigaud ?

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Au surplus Saint-Julien-l’Espinasse devait être situé en Roannais. Son église sous le nom de Lespinaci paraît dans les plus anciens pouillés relever de l’archiprêtré de Roanne et elle était avant le XIIe siècle une des dépendances du riche prieuré d’Ambierle dont par lettres expresses de 1166 le roi Louis-le-Jeune lui confirme la possession. En outre le grand chemin tendant de Briennon aux fossés de Vivans, qui restait au comte par le traité de délimitation, devait laisser en Roannais l’Espinasse aussi bien que Saint-Germain de son voisinage immédiat …… Si cette situation topographique de Saint-Julien-1’Espinasse était solidement prouvée elle suffirait pour le mettre en dehors du traité de 1223 .

Tout concorde donc pour justifier l’opinion de Chavot sur l’existence d’une enclave Forézienne à Saint-Julien de Cray en Brionnais. Elle devait comprendre la majeure partie des terres situées entre les ruisseaux de Suppléon et d’Ausière, qu’un riche seigneur Forézien avait données, comme on le verra plus loin, pour y asseoir les bâtiments du couvent et de l’église de Saint-Rigaud. Cette construction s’éleva sur la rive droite de I’Ausière, dans le voisinage immédiat de la terre dite de Roaneis, dont la justice faisait à la fin du XIe siècle l’objet d’un accord entre les religieux du monastère et le prévôt d’Archis (1).

On objectera peut-être qu’à considérer les divisions territoriales du Charluais-Brionnais au XVIIIe siècle et en supposant qu’elles reproduisaient encore au moins partiellement les anciennes, le pays de Saint­Julien de Cray ne se serait jamais avancé au-delà de la Petite-Forêt-sous-Chamron et pal- conséquent n’autait point englobé le monastère de Saint-Rigaud qui en serait resté distant d’à peu près une demi­lieue. Ce n’est là toutefois qu’une hypothèse qu’il sera toujours difficile de vérifier.

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(1) Arch. dép. de Saône-et-Loire, série H., portefeuille 142. Règlement des droits de justice entre les religieux de Saint-Rigaud et Alard prévôt d’Archis (Arcy ?) pour la terre de Roaneis qui est entre le. Suppléon et l’Ausière. Ces droits appartiendront pour les deux tiers au monastère et pour un tiers audit prévôt (sans date, 2e moitié du XIe siècle).

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Mais il est temps de résumer cette longue et aride dissertation. Nous avions à démontrer l’exactitude du renseignement donné par l’anonyme de Laon sur la situation in Foresio du monastère dc Saint-Rigaud. Du tableau que nous avons essayé de tracer du Charluais-Brionnais au XIe siècle, il ressort que cette région comprenait alors au moins trois enclaves Foréziennes-Lyonnaises, Iguerande, Oyé et Saint-Julien de Cray. Or Saint-Rigaud s’il n’était pas exactement compris dans la dernière n’en était distant que d’une demi-lieue environ, il était à 9 kilomètres de celle d’Iguerande, à 11 ou 12 de celle d’Oyé. Dans ces conditions, en supposant que le chroniqueur de Laon ait commis une erreur géographique, ce qui n’est pas prouvé, l’erreur serait bien pardonnable chez un écrivain vivant au XIIe siècle et à une distance si considérable des lieux dont il parle. Cette erreur d’ailleurs serait véritablement insignifiante et ne saurait infirmer la valeur du renseignement qu’il nous donne sur la résidence monastique de Pierre avant la Croisade.

 

CHAPITRE IV.

ORIGINE FORÉZIENNE DE SAINT-RIGAUD.

S’il est difficile , comme on vient de le voir, de prouver que le monastère de Pierre était exactement Forézien par sa situation géopraphique , on peut être certain, qu’il l’était par ses origines. C’est ce qui nous reste à démontrer.

Saint-Rigaud fut fondé en 1065. C’est à cette date que la construction de son église et de ses lieux réguliers put être entreprise, grâce aux libéralités du seigneur forézien Artaud de Néronde et de sa femme Étiennette. Artaud était de la maison vicomtale des Blancs, des Albi.

Il donne à la petite congrégation de moines servant Dieu dans l’ermitage de Saint-Rigaud, ad constructionem liujus loci , tous les fonds, prés, bois, terres cultivées ou non, qui s’étendent entre les deux ruisseaux du Suppléon et d’Ausière, avec les serfs, hommes et femmes qui y habitent. Sa femme intervient pour approuver cette donation et promet d’y ajouter, lorsqu’elle mourra, sa part dans lesdites terres. Cette charte, datée de 1065, est passée en présence de deux témoins très probablement Foréziens, Girin de Bonnefond et Bernard de Cordelles (1).

La construction du monastère est immédiatement commencée, et deux ans après, le 18 décembre 1067 suivant Severt, son église est solennellement consacrée.

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(1) Arch. dép. de Saône-et-Loire, ibid. — Donatio Jeudi Sancti Rigaldi a rivo Sirnpleione usque ad rivum Auserie.

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A cette occasion interviennent de nouvelles donations d’Artaud en faveur des moines de Saint-Rigaud qui habitent le lieu de Crosonce, placé sous les vocables de la Sainte Trinité, de Notre-Dame, de Saint-Michel, de Saint-Vincent, de Saint-Cyr et de Saint-Rigaud d’Avaise. Il leur abandonne l’église de Matour, la moitié des revenus de celle de Gible, son domaine de Vicelaire avec les prés, forêts et moulins qui en dépendent, plus un serf et toutes les terres qu’il possède audit lieu de Crosonce. Son frère Hugues le Blanc approuve ces donations reçues par les moines Eustorge et Hugues de Saint-Rigaud, et datées de 1067 (1).

Après la mort de son époux, Étiennette se remarie, puis sentant sa fin approcher, elle convoque à Roanne où elle demeure, Drogon, évêque de Mâcon, assisté d’Hugues et d’Eustorge. En leur présence elle confirme par testament les donations faites par Artaud, son premier mari, et y ajoute la terre de Fressy, alias Fercy, à Oyé en Semurois ainsi que l’église de Ligny avec ses dépendances (2).

Plus tard en 1085 est rédigée la charte des bienfaiteurs dont il a été parlé plus haut. On y remarque entr’autres noms ceux des comtes de Mâcon et de Chalon, d’Humbert de Bourbon, de Guillaume comte de Forez, de Geoffroy de Semur avec son fils, d’Humbert de Beaujeu avec son frère, de Girard de Perreux ?, Peroliensis, et Dalmace de Roannais, qui tous imitent en les approuvant les concessions faites par Artaud de Néronde « lequel repose en ce lieu » (3).

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•  Arch. dép. de Saône-et-Loire, ibid.

•  Arch. dép. de Saône-et-Loire, ibid.

•  ) La Mure, preuves de 1 ‘Hist. ecclés. du diocèse de Lyon , p. 295, 296, 297.

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Et ce Forézien Artaud ne fut pas un simple bienfaiteur, comme l’a écrit Aug. Bernard, mais le véritable fondateur de Saint-Rigaud, ainsi que le prouve sa première donation de 1065 ad constructionem hujus loci , et ce que la Gallia christiana confirme expressément en ces termes « Au temps de Hugues, premier abbé, élu en 1072 , qui avait succédé à Eustorge, prieur, fut rédigée la charte des bienfaiteurs du monastère de Saint-Rigaud, au nombre desquels fut Artaud (vel Artaldus), dont cette inscription en lettres onciales se lit dans l’église dudit Saint-Rigaud, près de l’autel, du côté de l’évangile: Artaudus miles de Neyronda, alias Nigra unda, fundator hujus loci (1) .

Les différents titres que nous venons de relater suffisent amplement pour démontrer l’origine authentiquement Forézienne de Saint-Rigaud. Et l’écart nul ou insignifiant relatif à sa situation géographique in Foresio, perd toute valeur, n’est plus qu’une question de mots.

CONCLUSION.

Ce mémoire avait pour objet de compléter la monographie de Pierre l’Ermite par l’indication de la résidence monastique où il avait habité avant son départ pour les Saints Lieux. Les conclusions auxquelles nous sommes arrivés confirment les renseignements donnés par les Gesta de l’abbé Guibert, par le Chronicon du chanoine de Laon et approuvés par Du Cange et Mabillon : Pierre était en même temps moine et ermite; et il habitait avant la première croisade le monastère Forézien de Saint-Rigaud d’Avaize, près de Charlieu.

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•  Gallia christiana, Ecclesia Matisconensis, t. IV, p. 1173.

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