BD, Tome VIII, EXCURSION ARCHÉOLOGIQUE de la SOCIÉTÉ DE LA DIANA A CROZET, LA PACAUDIÈRE, ST-MARTIN D’ESTREAUX ET ST-PIERRE-LAVAL LE 3 JUILLET 1893,COMPTE-RENDU PAR M. L’ABBÉ REURE, pages 74 à 187, Montbrison, 1895.

 

 

EXCURSION ARCHÉOLOGIQUE de la SOCIÉTÉ DE LA DIANA A CROZET,

LA PACAUDIÈRE, ST-MARTIN D’ESTREAUX ET ST-PIERRE-LAVAL LE 3 JUILLET 1893.

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COMPTE-RENDU PAR M. L’ABBÉ REURE

 

La proposition de visiter en 1893 les communes de Crozet, la Pacaudière, Saint-Martin d’Estreaux et Saint-Pierre-Laval, faite en notre nom à la réunion de la Diana du 7 février, fut favorablement accueillie par l’Assemblée générale du 18 mai suivant, qui désigna pour commissaires organisateurs MM. E. Bonnier, J. Déchelette, L. Monery, R. de Quirielle et abbé Reure. M. Déchelette et M. de Quirielle, ne purent prendre part à l’excursion préparatoire du 8 juin ; mais M. Aubert de la Faige voulut bien se joindre au comité, à qui M. Rochigneux prêta aussi les conseils de son expérience. Je regrette de ne pouvoir dire à quel point la cordiale réception de M. Bonnier rendit cette journée agréable; ceux qui connaissent l’affectueuse hospitalité du château du Treillard comprendront ce que je suis obligé de taire.

 

L’excursion générale eut lieu, conformément à l’itinéraire arrêté, le lundi, 3 juillet 1893. Deux circonstances auxquelles on n’avait pas pensé d’abord, l’inauguration de l’éclairage électrique à Renaison, et le congé de famille de l’Argentière nous ont privés de quelques adhésions; cependant quarante-quatre membres ou amis de la Diana avaient répondu à notre appel, et ont fait une partie au moins de l’excursion (1).

 

Les deux heures consacrées à la visite de Crozet, un des villages les plus pittoresques du Roannais, ont paru courtes à tout le monde. À la Pacaudière nous attendait un excellent déjeuner, servi à l’hôtel Mégnot. Au dessert, M. Reure porte un toast « à la chère patrie forézienne »; mais l’orateur ayant dit, entre autres choses, qu’il s’était demandé avec inquiétude si les modestes curiosités de ce coin reculé du Forez valaient la peine d’être montrées à des connaisseurs que leurs voyages, leurs études et leurs travaux personnels ont rendus difficiles, est interrompu par d’amicales protestations. M. Jeannez ajoute fort à propos quelques mots pour remercier M. Bulliot, au nom de la Diana, de nous avoir fait l’honneur de s’associer à ce voyage.

On quitte la Pacaudière avec une heure de retard, ce qui n’empêche pas les excursionnistes de faire halte

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(1) C’étaient MM. Aubert de la Faige, Biétron, Boclon, E. Brassart, Bulliot, Chassain de la Plasse, Châtel, E. Déchelette, J. Déchelette, Dumoulin, Dupin, Vincent Durand, Durel, Epitalon, Favarcq, abbé Flachard, H. Gonnard, Jacquet, Jamot, Jeannez, Lafay, Le Conte, Leriche, Maridet, Meynis de Paulin, Monery, de Montauzan, de Montrouge, E. Morel, G. Morel, Orsel, de Paszkowicz, comte de Poncins, R. de Quirielle, abbé Renoux, abbé Reure, Révérend du Mesnil, Rochigneux, J. Rony, L. Rony, Roustan, Roux, du Sauzey, Verrière.

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à la station d’ Ariolica . Pendant qu’on cherche un peu de fraîcheur sous les arbres qui bordent la route, le parochus de cette mansio gallo-romaine, M. Vincent Durand lui-même, fait aux voyageurs un discours fort pertinent pour leur prouver que l’endroit s’appelle bien Ariolica, et non pas le Treillard, ainsi qu’un vain peuple pense.

 

La conférence achevée, on remonte en voiture comme le temps presse, on jette à la hâte un coup d’œil sur l’église de Saint-Martin d’Estreaux, pour aller ensuite se réfugier sous les ombrages de Châteaumorand. La chaleur est devenue accablante, et la visite du célèbre château en souffre quelque peu. Je dois avouer que, à ce moment, les excursionnistes paraissent beaucoup moins séduits par l’archéologie et l’histoire que par les délicieux rafraîchissements offerts par M. Maridet, avec une grâce parfaite, à ses hôtes d’une heure.

 

Quelques-uns de nos confrères prennent à Saint-Martin l’express de cinq heures ; les autres vont à Saint-Pierre-Laval, où ils voient apparaître, non plus un simple gallo-romain, mais un druide authentique, en la personne de M. Bulliot, qui leur présente son petit menhir et sa fontaine sacrée, entourée d’une vénération vingt fois séculaire. Cette journée si bien employée finit par la visite du château de Lalière, et par un souper très gai pris à Saint-Martin à l’hôtel du Lion d’Or.

 

En somme, nous espérons que l’excursion de 1893, sans offrir un intérêt exceptionnel, n’a pas laissé à nos amis trop de regrets. On nous demande d’en fixer le souvenir; nous le ferons de notre mieux. Sans nous astreindre à suivre toujours exactement le programme (1), nous toucherons à toutes les questions qui y sont proposées et même à quelques autres, mais cela ne veut pas dire que nous les résoudrons toutes. L’auteur de ce compte-rendu ne se croira pas non plus obligé de dire tout ce qu’il peut savoir sur celles qu’il connaît le moins mal : il y a telle de ces questions qui demanderait à elle seule plus de pages que la discrétion ne lui permet d’en écrire. On évitera avec un soin égal l’accumulation des noms propres et des dates, et les généralités superficielles. On se propose moins de faire connaître un grand nombre de faits que de mettre en lumière ceux qui peuvent offrir un peu d’intérêt. On s’attachera constamment à distinguer ce qui est certain, ou ce qui paraîtra tel, de ce qui est seulement probable ou conjectural. Donner une idée sommaire, mais juste, de cette extrémité du Forez, c’est tout ce qu’il est raisonnable d’exiger (2).

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(1) Ce programme a été imprimé dans le Bull. de la Diana , t. VII, p. 139.

 

(2) Notre intention n’est pas de surcharger ce compte-rendu de notes qui seraient fort nombreuses ; si nous prenions le parti de mentionner toutes les sources où nous avons puisé, tous les documents que nous avons consultés. Il suffira d’indiquer quelques références nécessaires ou utiles.

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I

 

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LA RÉGION VISITÉE.

 

Aspect . — Coupé par la grande faille du Forez, à peu près du nord-ouest au sud-est, ce pays est par là même partagé entre la plaine et la montagne. Les plaines et les petits coteaux faiblement ondulés qui s’étendent à l’est et au nord de la Pacaudière sont assez monotones. La montagne, au-dessus de Crozet et dans la région des carres , est d’une sévérité saisissante ; de toute part émergent du sol d’innombrables rochers de granit et de porphyre, séparés par de maigres champs cultivés, des prés marécageux, des genévriers et des bouquets de bois Entre la montagne et la plaine, sont de jolis coteaux couverts de vignobles à Crozet et à la Pacaudière, de belles prairies autour de Saint-Martin. La commune de Saint-Pierre-Laval se compose presque tout entière de deux vallées parallèles.

 

Anciennes divisions religieuses. — Les quatre paroisses visitées par la Diana ont appartenu jusqu’à la Révolution au diocèse de Clermont. On sait quelle est l’importance de ces délimitations religieuses, qui répondent d’ordinaire à de très anciennes divisions politiques. On pourrait conclure de ce fait, avec beaucoup de vraisemblance, que la ville ou localité d’ Ariolica , en supposant admise la thèse qui sera développée plus loin, était comprise dans le territoire des Arvernes, et non pas dans celui des Éduens ou des Ségusiaves. Cependant il est très singulier que la cité Arverne ait poussé, si loin de ses frontières naturelles, cette pointe avancée du côté de la Loire ; il est donc. permis de conjecturer que la limite primitive laissait ce pays en dehors de l’Arvernie, et qu’elle a été remaniée à une époque inconnue (1).

 

Anciennes divisions civiles. Limites du Bourbonnais et du Forez . — Au point de vue féodal, civil et administratif, ces paroisses appartenaient au Forez, à l’exception d’une grande partie de Saint-Pierre-Laval, et probablement de quelques parcelles de Saint-Martin d’Estreaux, qui étaient du Bourbonnais. Mais aucun document positif ne nous permet de déterminer avec une certitude absolue la limite de ces deux provinces, d’autant plus qu’elle semble s’être un peu modifié dans le cours un siècle, ou du moins avoir été sujette à contestation.

 

Un fait curieux nous porterait à penser que la baronnie de Châteaumorand, qui s’étendait à la fois en Bourbonnais et en Forez, était à l’origine entièrement hors de notre province ; car il est établi par divers arrêts que cette seigneurie, comme le Bourbonnais, était régie par le droit coutumier. Quoiqu’il en soit, un procès-verbal de bornage de juridiction, du 28 juillet 1671 (2), montre que, au sortir du bourg d’Arfeuilles, la rivière du Barbenan séparait alors le Bourbonnais du Forez, et on peut regarder comme certain qu’elle continuait à servir de limite jusqu’au Gué-Talan, laissant à gauche le fief bourbonnais de Châtelus, à droite les fiefs foréziens du Verger, de Pingus et de Chollis. Mais un siècle après, la carte de Cassini reporte cette limite à deux kilomètres plus haut, du côté du Forez ; c’est assez dire à quel point le problème est difficile à résoudre.

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(1) On peut voir sur ce sujet, dans le Bull, de la Diana, VII, 45, quelques observations de M. Vincent Durand.

 

(2) Il a été publié dans L’Ancien Forez , V, 112.

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A partir du Gué-Talan, il y a des raisons de croire que la limite empruntait l’ancienne route d’Arfeuilles à Saint-Martin d’Estreaux jusqu’au ruisseau de Mauvernay; arrivée là, elle tournait brusquement dans la direction du levant, en remontant le cours de la rivière; laissant en Bourbonnais le village de Saint-Pierre-Laval, elle pénétrait dans le bourg même de Saint-Martin, suivait la route royale jusqu’au-dessus de Gatelière, et enfin, inclinant à droite, s’enfonçait vers le nord pour aller passer à Montaiguet, qu’elle divisait entre le Bourbonnais et le Forez (1).

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(1) Ce tracé, certain en quelques points, conjectural et approximatif en d’autres, s’écarte assez notablement de celui de Cassini.

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La frontière du Nord et du Midi, du droit coutumier et du droit écrit. — L’habitant du Bourbonnais a un autre parler, d’autres usages, un autre caractère, un autre tour d’esprit, j’allais dire une autre religion que celui du Forez. Nous sommes à Saint-Martin sur l’extrême frontière du Nord et du Midi, de deux langues, de deux races. Cette diversité profonde de génie, qui a rendu presque étrangères l’une à l’autre deux populations voisines, ayant vécu sous la même domination depuis la fin du XIVC siècle, s’accuse jusque dans la manière de bâtir : en Bourbonnais, les hauts pignons; en Forez, les toits plats, d’un air

déjà méridional. Il est impossible de n’être pas frappé de cette différence, quand on passe de la Palisse ou de Droiturier à Saint-Martin.

 

Ce qui donne encore à cette remarquable frontière intérieure un très haut intérêt historique, c’est qu’elle a séparé pendant de longs siècles deux systèmes de législation. Au nord, régnait le droit coutumier ; au midi, c’est-à-dire en Forez, commençait le régime du droit romain plus ou moins modifié par les nécessités des temps. A l’entrée du Forez, au point précis où la limite des deux provinces quittait la route royale, on voyait autrefois un monument peut-être unique en son genre: c’était une pierre fort ancienne, surmontée d’une croix, qui marquait la séparation des pays de coutume et des pays de droit écrit. Papon affirme l’avoir vue de ses yeux, et y avoir même péniblement déchiffré ces deux mots : … iuris scripti … Il ajoute que ce petit monument fut abattu par les Réformés qui couraient alors les grands chemins ; mais il paraît qu’il fut rétabli, car, vers 1636, un avocat de Montbrison attesta juridiquement « avoir veu une pierre auprès de Saint-Martin des Carres ( sic ) au-delà de la Pacaudière, où sont gravés ces mots : Hic incipit patria juris scripti ». Cependant, je dois ajouter qu’il n’en est pas question dans un procès-verbal très détaillé de. l’état de la route royale dressé en 1668 jar Ferdinand Seguin, qui ne mentionne plus, sur la limite de la généralité de Lyon et du Bourbonnais, qu’une simple croix en bois (1).

 

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(1) Papon , Le Notaire , 2e partie, préface.— La Mure, Hist. du Forez , liv. V, chap. XIII. — Arch. de la Loire, A, 189. — Archives du Rhône, C, 7!.

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Morcellement féodal . — Il faut encore noter, parmi les caractères singuliers de cette frontière, le grand morcellement des fiefs ; on en comptait au moins quinze dans les deux paroisses de Saint-Martin et de Laval, et la moitié environ possédaient la totale justice. Ces fiefs n’étaient pas, comme il est arrivé souvent ailleurs, le résultat de la vente tardive de quelques fonds sujets à cens et à hommage, mais, sauf une ou deux exceptions, on les trouve déjà constitués à la fin du moyen âge.

 

Histoire. — Bien que ce pays ait été cent fois traversé par des rois, des ministres, des armées, des bandes d’Anglais, de routiers, de protestants, de ligueurs, il n’a vu aucun évènement digne de mémoire que l’histoire ait enregistré. Les pillages des Tard-venus, des reîtres, des Réformés, des troupes de Gaston d’Orléans allant en 1632 rejoindre le malheureux Montmorency, des incidents relatifs à la défection du connétable de Bourbon, aux aventures de Poncenat, à la Ligue, l’expédition armée du comte de Saint-Geran à Saint-Martin (1), des visites de rois et de princes à Châteaumorand, voilà tout ce qu’ on sait ; épisodes d’ailleurs intéressants, mais qui appartiennent moins à l’histoire qu’à la chronique locale.

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(1) Voir dans mon Hist. de Lalibala, de longs détails sur l’expédition de M. de Saint-Geran en 1613, et quelques notes sur le passage de Gaston d’Orléans en 1632.

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Personnages illustres ou notables . — On doit ici se contenter d’en donner la liste, avec la mention de leurs principaux titres, et la date certaine ou approximative de leur mort; tous, sauf O. Cleppier, J. Papon, Desgallois de la Tour et Mgr Dauphin, appartiennent à Saint-Martin d’Estreaux (1).

 

1° Jean de Châtelus, seigneur de Châteaumorand, croisé avec Guy V, comte de Forez, mort après 1268.

 

2° Hugues de Châteaumorand, un des premiers chevaliers de l’Ecu d’or, chambellan de Charles VI, mort le 28 avril 1400.

 

3° Jean de Châteaumorand, homme de guerre, diplomate, chroniqueur, conseiller et chambellan du roi, etc., mort le 3o novembre 1429.

 

4° Oudart ou Odoart Cleppier, de Crozet, président de la chambre des comptes de Bourbonnais, mort après 1429.

 

5° André de Vitri-Lalière, gouverneur du Roannais, un des quatre personnages des Douze dames de Rhétorique , mort vers 1472.

 

6° Brémond de Vitri, conseiller, chambellan et capitaine des gardes du duc de Bourbon, bailli de Beaujolais, mort avant novembre 1509.

 

7° Jacques de Vitri, chancelier de Bourbonnais, d’Auvergne et de Forez, protonotaire apostolique, prieur de Ris, chanoine de Saint-Jean de Lyon, doyen de Notre-Darne de Montbrison, mort en janvier 1515.

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(1) On ne saurait affirmer absolument que tous ces personnages sont nés dans une des quatre communes visitées par la Diana ; cela n’est certain que pour quelques-uns ; mais leur famille y avait sa résidence ordinaire, et par conséquent on peut et on doit, jusqu’à preuve du contraire, les regarder comme originaires de la région.

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8° Jean de Vitri, « l’âme damnée du connétable de Bourbon », mort peut-être avant 1528; mais cela est incertain.

 

9°, Jean de Lévis-Châteaumorand, conseiller, chambellan et gouverneur du duc d’Orléans (Henri II), sénéchal d’Auvergne, mort en mai 1541

 

10° Jacques de Vitri-Lalière, prieur de Ris, des Salles, de Noalhat et de Saint-Germain-des-Fossés, puis abbé d’Évron, mort probablement en 1555.

 

11° Antoine de Lévis-Châteaumorand, chanoine de Saint-Jean, abbé de la Bénisson-Dieu, archevêque d’Embrun, puis évêque de Saint-Flour, mort en 1566.

 

12° Jean Papon, jurisconsulte, lieutenant général au bailliage de Forez, né à Crozet, mort le 6 novembre 1590.

 

13° Diane de Châteaumorand, née à Châteaumorand, morte le 8 mars 1626.

 

14° Jean-Baptiste Desgallois de la Tour, intendant de Bretagne, du Poitou et de Provence, mort avant 1750 (?).

 

i5° Charles-François de Lévis-Châteaumorand, lieutenant général des armées du roi, et lieutenant général au gouvernement du Bourbonnais, né à Châteaumorand, mort le 22 janvier 1751.

 

16° Charles-Philibert de Lévis-Mirepoix, député de Paris aux États-généraux, né à Chàteaumorand, exécuté le 27 mai 1794.

 

17° Mgr Dauphin, fondateur du collège d’Oullins, chanoine du chapitre de Saint-Denis, etc., né à Crozet, mort le 30 décembre 1882.

 

18° Le docteur Déclat, un des précurseurs de la méthode antiseptique, auteur de nombreux ouvrages, né à Saint-Martin le 19 avril 1827.

 

 

L’ Art. — Il n’y a pas d’apparence que l’art religieux ait produit dans cette région aucune œuvre notable. Les anciennes églises étaient ou sont encore fort médiocres ; deux chapelles et un fragment de vitrail à Saint-Martin, à Saint-Pierre-Laval une croix de pierre et une statue de sainte Catherine, qui d’ailleurs est probablement d’un travail étranger au pays, méritent seuls d’être signalés.

 

L’architecture civile a laissé au contraire des ouvrages de valeur. Le château de Châteaumorand, le Petit-Louvre et le logis Notre-Dame à la Pacaudière, la maison Papon et une ou deux autres vieilles habitations de Crozet sont des oeuvres d’un réel intérêt. Mais elles ne sont pas assez nombreuses pour me permettre de dire avec précision par quels caractères l’art, en cette partie du Roannais, a différé de celui du Forez proprement dit. Je ferai seulement remarquer le fréquent emploi de ce motif de décoration : un cercle interrompant les moulures d’une baie (1). Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient à la répétition de cet ornement, commun au temps de la Renaissance, il est permis de conjecturer que tous les édifices où on le retrouve sont sortis des mains d’une seule famille d’artistes, établie en ce pays dans la première moitié du XVIe siècle.

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(1) Châteaumorand, l’hôtel du Lion d’Or à Saint-Martin, la maison Papon, etc. — Nous donnons comme exemple les lucarnes de Châteaumorand, d’après un dessin de M. Michaud, architecte à Roanne.

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Antiquités gauloises et gallo-romaines.  — On ne connaît ni route pavée, ni pont antique dont l’existence ait été certainement constatée ; mais les anciens chemins sont nombreux. Entre Crozet et Laval, la montagne est couverte, surtout au-dessus de Chollis, de petits chemins rustiques qui se croisent en tous sens, et dont la plupart paraissent dater d’un temps très reculé. Parmi les autres voies plus importantes, on se contentera d’en signaler deux. Tout près de l’emplacement présumé d’ Ariolica, à la hauteur de la Maladière, un embranchement se détachait de la grande route dans la direction de Sail. Il y avait sans doute au point de jonction une léproserie ou un antique hôpital, peut-être à l’usage spécial des malades qui se rendaient aux thermes de Sail. Un autre chemin, aujourd’hui presque délaissé et même à peine reconnaissable dans une partie de son tracé, a ;joué un assez grand rôle au moyen âge; il réunissait le Bourbonnais à la Loire et au Charollais par Châtelus, l’étang de Mauvernay, Belle-Rive, la Croix-Prêle et Belin, où, après avoir croisé la route de Roanne à Moulins, il descendait tout droit dans la plaine par une pente rapide.

M. le docteur Fr. Noëlas a cru reconnaître à chaque pas des antiquités celtiques ou prétendues telles. Ses trouvailles n’ont-elles pas été accueillies avec un peu trop d’indulgence ? Quand il s’agit de monuments sans histoire, la critique la plus rigoureuse s’impose ; toute pierre plus ou moins debout n’est pas un menhir, tout renflement de terrain n’est pas un tumulus; les noms donnés par M. Noëlas à ces mégalithes, à ces cromlechs, à ces turaux sont même pour la plupart, comme j’ai pu m’en assurer, inconnus dans la région. Je parlerai à la fin de ce compte-rendu d’une pierre dressée, à laquelle le voisinage d’une source miraculeuse donne une grande apparence d’authenticité. Le reste, jusqu’à nouvelle et plus scientifique exploration, doit être tenu pour suspect (1).

Les antiquités gallo-romaines se rencontrent dans presque tout pays de France où on les a cherchées; il serait bien étonnant qu’on en n’eût pas trouvé dans celui-ci qui, très probablement, était desservi par une grande voie romaine. Cependant, bien qu’ici le ter­rain soit déjà plus ferme, et qu’il reste moins de place aux fantaisies de la conjecture, il ne faut rien avancer qu’avec circonspection; et, pour mon compte, je ne puis parler que de ce que je sais de science certaine. On verra bientôt quels sont les vestiges de l’industrie et de l’art gallo-romains qui ont été décou­verts à la Gauthière et au-dessous du château du Treillard. À la Loire, dans l’espèce de presqu’île formée par l’ancien et le nouveau tracé de la route nationale, on trouve de si abondants débris de tuiles à rebords, que le fermier est obligé d’en purger le sol de temps en temps. Il y avait donc en cet endroit, sans le moindre doute, une grande villa gallo-romaine ou un village assez populeux. On n’y a rencontré, du reste, ni monnaies, ni rien qui ressemble à de l’art ; mais le terrain n’a pas encore été fouillé.

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(1) Voy. aussi plus loin ce qui sera dit des carres de Rade.

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Au sommet de Jard, beaucoup aussi de tuiles à rebords, mêlées à des fragments de poteries. Cette montagne, quoique peu élevée (6oo mètres), est tout-à-fait digne d’attention. Dernier promontoire avancé de la Madeleine, elle regarde une immense étendue de pays: les monts du Forez, la chaîne des Dômes, les plaines de l’Allier et du Bourbonnais, le Morvan, le Charollais, les montagnes de Beaujeu et de Tarare, le Roannais jusqu’aux gorges de Saint-Maurice. À ses pieds passe le chemin de fer de Roanne à Paris, qui, du Treillard à Saint-Pierre-Laval, la contourne en faisant un demi-cercle. Mais il faut surtout remarquer qu’elle domine immédiatement l’ancien tracé de la route royale, beaucoup plus voisin de la montagne que celui du chemin de fer. Si on admet que cette route a succédé à la voie romaine de Roanne à Voroux, on peut croire que les antiquités trouvées au sommet de Jard sont les débris d’un poste gallo-romain établi là pour l’observation et la surveillance de la voie, en cas de danger ou d’alarme. Je dis en cas d’alarme, car il n’est guère probable qu’il y eût à Jard une petite garnison permanente. Rien d’ail­leurs n’empêche de penser que, après les Romains, ce poste ait longtemps encore servi à l’observation de la route et du pays.

La voie romaine. La question d’Ariolica . — Nous touchons à une des questions capitales soulevées par l’excursion de la Diana; cette fois nous aurons le plaisir de donner un instant la parole à M. Vincent Durand, et, assurément, personne ne s’en plaindra, pas même l’auteur de ce rapport. Frappé, non pas de la certitude, — notre cher maître ne me pardonnerait pas d’abuser de ce mot, — mais de la grande proba­bilité des explications données par lui au cours de l’excursion de 1893, je l’ai prié de les exposer par écrit. M. Vincent Durand, avec son obligeance ordi­naire, m’a répondu en m’envoyant les observations qui suivent.

« Ariolica est une station que la table de Peutinger place entre Roanne, Roidomna , et Voroux, Voroglum (nom altéré pour Vorocium ), à XII lieues gauloises, valant 26 kilomètres et demi, de la première de ces localités, et XVIII lieues, valant 42 kilomètres, de la seconde. J’admets pour la longueur de la lieue gauloise le chiffre de 2221m 50, adopté par la Commission de la topographie des Gaules.

« On a placé Ariolica en bien des endroits : au Roure, commune de Saint-Romain d’Urfé (1), à Saint-Priest–la-Prugne (2),, à Arfeuille (3), à Rouillère, commune d’Ambierle (4), à la Rouillère, commune de Chenay (5), à Avrilly (6) et jusqu’à Char1ieu (7). La plupart de ces identifications, dont quelques-unes sont une conséquence d’un faux placement de Voroglum , ne sont plus soutenues par personne, et seules deux localités sont restées en présence: Avrilly-sur-Loire et Arfeuille.

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(1) Walckenaer, Géogr. anc. des Gaules , t. III, p. 101.

(2) Sanson d’Abbevi11e, La France descrite en plusieurs cartes , etc., p. 13.

(3) Roux, Recherches sur le Forum Segusiavorum , p. 79 — A. Bernard, Description du pays des Ségusiaves , p. 166 — Noëlas, La Tessonne , p. 7.

(4) Noëlas, Diction. géogr. du canton de Saint-Haon , p. 188; — Id., De l’emplacement des villes gallo-romaines, Mediolanum, Forum , etc., p. 27-

(5) Ibid ., p. 23.

(6) D’Anville, Notice de la Gaule , p. 102 ; — Courtépée, Descr. du duché de Bourgogne , 2e éd. T. Ill, p. 94; — Ukert, Geographic der Griechen und Roemer , II, 2e partie, p. 466 ; — Forbiger, Handbuch der alten Geographic , III, p. 214; — Lapie, Rec. des itinéraires anciens , p. 233 ; — Dict. archéol. de la Gaule , s. v. « Ariolica » ; — Tudot, Carte des voies romaines d`Allier , p. 5 ; — A. Jacobs, Gallia ab anonymo Ravennat descripta , p. 35 ; — Coste, Essai sur l’hist. de Roanne , p. 33 ; — Mathieu, De la position d’Aquis Calidis , p. 15 ; — E. Desjardins , Géogr. de ,la Gaule d’après la carte de Peutinger , p. 285.

(7) Katancsich, Orbis antiquus ex tabula itineraria quæ Theodosii imp. et Peutingeri auditur , t. I, p. 107.

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« On a invoqué pour Avrilly une vague ressemblance de nom, à laquelle il n’est pas permis de s’arrêter ; l’étymologie évidente d’Avrilly est Apriliacum . Les distances d’ailleurs ne concordent pas: Avrilly est trop loin à la fois de Voroux et de Roanne, et le détour qu’impliquerait le passage de la route en ce lieu est absolument invraisemblable.

« Arfeuille est au contraire à peu de distance de la ligne droite menée de Roanne à Voroux. Mais il ne la partage point dans le rapport requis par la Table ; ce passage, par lequel on est contraint d’escalader sans nécessité une montagne haute de huit à neuf cents mètres, paraît mal convenir à l’établissement d’une grande voie; et quant au nom même d’Arfeuille, il ne peut non plus dériver d’Ariolica. C’est un nom antique, gaulois probablement, qui rentre dans toute une classe de noms similaires savamment étudiés par Jules Quicherat (1).

« Le terrain ainsi déblayé des hypothèses précédentes (2), la détermination complète du site d’Ariolica comporte quatre choses. Il faut 1° rechercher le trace de la voie unissant Roanne à Voroux, points de départ et d’arrivée aujourd’hui acceptés de tous ; 2° vérifier si sa longueur concorde avec la distance totale donnée par la Table ; 30 chercher à la distance vou­lue de chacun des termes extrêmes un lieu que des indices non équivoques attestent avoir été un centre d’habitation à l’époque romaine ; 40 voir enfin si ce lieu porte un nom légitimement apparenté avec celui d’Ariolica. Selon que nous serons parvenus à donner de ces quatre parties du problème une solution plus ou moins satisfaisante, nous pourrons formuler une conclusion plus ou moins voisine de la certitude.

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(1) La rue et le château de Hautefeuille à Paris , dans les Mém. de la Société des Antiquaires de France , t. XLII, p. 9.

(2) Un des excursionnistes, M. l’abbé Flachard, curé de Barrais-Bussoles (Allier), a proposé une hypothèse différente de toutes celles qui viennent d’être mentionnées. Selon lui, la station d’ Ariolica , qu’il assimile à l’ Arigilia de l’Anonyme de Ravenne, aurait été à Argues (commune de Baugy, dans le canton de Marcigny), sur la rive droite de la Loire. Mais M. l’abbé Flachard s’est rangé depuis à l’opinion de M. V. Durand, et je sais que je réponds son désir exprès en n’insistant pas sur ses explications (Note. de M. Reure).

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« Le tracé de la voie peut s’établir par les vestiges encore existants de la chaussée antique; par les noms caractéristiques tels que strata , chemin royal , etc., fournis par les anciens titres ; par l’itinéraire des armées, des princes et autres grands personnages; par celui plus probant encore des marchands, des pèlerins, des pauvres hères qui ne se détournaient pas du droit chemin pour assiéger une place forte, ou pour recevoir une hospitalité fastueuse dans quelque château, mais qui allaient chaque soir demander un abri aux hôpitaux échelonnés sur la route par la charité chrétienne ; par les maladreries dont les infortunés habitants imploraient l’aumône des voyageurs. Il faut enfin tenir grand compte dés convenances topographiques et militaires, que l’esprit pratique des Romains n’a jamais négligées.

« Il suffit ici d’indiquer le résultat final des recherches faites pour retrouver l’assiette de la route antique de Roanne à Voroux: cette voie, décorée des noms de strata , magnus chiminus , iter Romeret , chemin royal , chemin public de Lyon à Paris , jalonnée par les hôpitaux de Changy, Crozet, Saint-Martin d’Estreaux, Fontaine-Gauthier, Saint-Géran-le-.Puy, Langy, par les maladreries de Roanne, Saint-Germain, la Pacaudière, ne différait pas bien sensiblement de la grande route telle qu’elle existait au commencement de ce siècle, avant les changements considérables que son tracé a subis.

Quelle était la longueur de cette route, réserve faite des corrections sans importance que pourra amener l’étude de quelques petites variantes ? Exactement 65 507 mètres, de l’église Saint-Étienne à Roanne au carrefour principal de Voroux. La table de Peutinger donne XII plus XVIIII ou XXXI lieues, valant un peu plus de 68 kilomètres et demi. C’est un désaccord assez léger et qui peut même sembler négligeable, si l’on considère que la position des deux points censés représenter le centre de Roidomna et celui de Vorocium est sujette à quelque incertitude, que les mesures prises par les anciens sans être réduites à l’horizon et peut-être simplement au pas ne sauraient être d’une précision absolue, enfin que leurs itinéraires, arrondissent tous les chiffres, une lieue entamée étant négligée, ou comptée pour une lieue entière.

« Il reste donc à chercher le long de la voie, dans la section dont une extrémité correspond à XII lieues pleines comptées de Roanne, et l’autre à XVIIII lieues pleines comptées de Voroux, un point où des traces manifestes d’occupation à l’époque romaine permettent de placer Ariolica , sauf à discuter les titres de chacun, si nous en découvrons plusieurs. Le segment de route dans lequel nous sommes ainsi invités à circonscrire nos recherches commence à peu près à la sortie de la Pacaudière, pour finir à peu près à la hauteur de Vergoutte. Je dis à peu près, pour tenir compte de la petite incertitude déjà signalée sur la position des points de départ.

« Dans une excursion faite en 1872 en compagnie de M. le docteur O. de Viry, je pensai avoir mis la main sur Ariolica. Après avoir minutieusement battu le terrain en venant de Saint-Martin d’Estreaux, nous constatâmes enfin l’existence de ruines, romaines au hameau de la Gauthière, tout près de Vergoutte, sur un plateau admirablement situé. Nous y vîmes de la tuile à rebords, de la poterie antique, une portion de meule en lave, des fragments d’opus signinum ; nous recueillîmes des renseignements sur un aqueduc à trois canaux superposés et sur un carrelage qu’on pouvait supposer avoir recouvert un hypocauste. Le nom de la Gauthière est évidemment moderne et sans rapport aucun avec le nom antique du lieu. Rien donc à la vérité ne prouvait avec certitude, mais rien aussi n’empêchait de croire que ce nom primitif avait été Ariolica .

« Mais je ne tardai pas à concevoir de sérieux doutes sur la portée de notre découverte. Un terrier de la châtellenie de Crozet, aux archives de la Loire (1), d’autres titres encore m’apprirent que le ruisseau appelé le Berger portait autrefois le nom d’ Arueglo , Arugle , Aruihe , Arueihe . Ce nom offrait une manifeste parenté avec celui d’ Ariolica . Ce fut l’avis de M. J. Quicherat ; il me fit l’honneur de m’écrire que la rivière s’étant très probablement appelée Ariola , elle avait fort bien pu communiquer le nom d’ Ariolica à une localité riveraine. Mais cette localité ne se trahissait par aucune trace apparente, l’immense tapis de verdure gardant le secret des substructions qu’il pouvait recéler.

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(1) B, 2025 (ancien A. 62), — L’Aruelhe y passe au nord des Bayons (f° 261); au travers des tènement, prés et étang de Dard (f os 97,133) ; au nord des Duriers (f os 227 v o , 229)

au midi des Noyères (f° 229 v o ), etc.

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« En 1888, M. l’abbé Huguenet, curé de la Pacaudière, et notre excellent confrère M. Bonnier voulurent bien m’écrire que beaucoup d’antiquités avaient été rencontrées à proximité de la voie, sur les deux rives de 1’Aruelhe, entre la Maladière, Berger, où un vase plein de monnaies avait été déterré jadis, le Treillard et Bayon. M. Bonnier eut la complaisance de m’adresser une clef de bronze et deux médailles, l’une de Trajan, l’autre probablement d’Adrien, trouvées entre Pannetier et l’Aruelhe, dans les substructions de ce que les gens du pays prétendaient être une ancienne église, et il m’invita à venir pratiquer des fouilles sur place.

« Cette proposition était trop séduisante pour n’être pas acceptée, et M. Chaverondier s’étant joint à moi, nous passâmes au Treillard deux jours au mois de septembre de la même année. M. Bonnier, avec son obligeance accoutumée, mit des travailleurs à notre disposition. Nous ouvrîmes des tranchées sur plusieurs points, vidâmes un puits antique sur, lequel une heureuse chance fit tomber la sonde des ouvriers, et acquîmes la pleine certitude qu’en effet un centre de population avait existé sur les bords de l’Aruelhe à l’époque romaine. Le lieu précis où la charrue. d’un laboureur avait ramené un bras antique de bronze nous fut montré à 70 mètres environ au N.-O. du point où la route de la Pacaudière à Sail franchit l’Aruelhe, et à 35 mètres en soir de la même route. Ce bras, aujourd’hui déposé au musée de Roanne, est d’un fort bon style, et paraît avoir appartenu à une figure de femme d’environ 86 centimètres de hauteur.

« Ainsi, nous sommes sur la voie antique de Roanne à Voroux, à des distances de ces deux stations qui s’accordent sensiblement avec les chiffres de la Table de Peutinger, sur un emplacement riche en vestiges antiques et traversé par un ruisseau dont le nom se retrouve dans celui d’ Ariolica . Je laisse à d’autres le soin de conclure ».

Je me permettrai d’ajouter un mot à ces observations, qui paraissent trancher la question d’Ariolica autant qu’elle peut l’être jusqu’à la découverte d’un monument décisif, d’une inscription par exemple. La thèse de M. V. Durand repose en partie sur l’existence d’un ruisseau que d’anciens titres appellent l’Aruelhe; c’est du moins le principal motif pour lequel il place Ariolica au-dessous du Treillard plutôt qu’à la Gauthière. Or, une assez grave objection pourrait être tirée de l’état actuel des lieux, c’est qu’il n’y a pas de ruisseau, à proprement parler ; on ne voit dans la combe, au fond de la prairie, qu’un bief un peu plus large que les autres. Sans prendre formellement parti pour ou contre la solution de M. V. Durand, je dois dire que cette objection n’est que spécieuse. J’ai vu là encore, dans ma jeunesse, un véritable ruisseau. Qu’est-il donc devenu ? Pour créer ces vastes prairies qui s’étendent fort au loin vers le nord et le levant, M. Bonnier a dû capter les eaux ; une partie passe jusque dans le parc de son château, le reste se disperse sur les flancs du coteau: l’Aruelhe a été bu par la prairie. Si on ajoute que la montagne était au moyen âge beaucoup plus boisée qu’aujourd’hui, on comprendra que cette petite vallée fût alors arrosée par un cours d’eau qui pouvait, sans trop de prétention, s’appeler un ruisseau.

La route nationale de Paris à Lyon . — Comme on vient de le voir, il est très probable que cette route, au moins dans sa direction générale, n’est autre chose qu’une ancienne voie romaine ; cette conclusion touchera de bien près à la certitude, si l’on considère que, depuis plus de cinq siècles, on constate là un des plus grands passages de la France, que le moyen âge a ouvert peu de grandes routes nouvelles, et qu’enfin, entre Roanne et les plaines du centre, la seule voie logique et commode est la remarquable trouée dont Saint-Martin d’Estreaux et la Palisse occupent les deux extrémités.

Romaine ou non, on ne peut nier en tout cas que cette route, historique entre toutes, n’ait une importance de premier ordre. Sans doute les documents précis font presque défaut avant le XVe siècle. Cependant les très rares itinéraires antérieurs que l’on connaît, par exemple celui de la duchesse de Bourbon en 1385 et 1386, montrent que les voyageurs venant du Bourbonnais passaient déjà à Varennes et à la Palisse. Il est vrai que la duchesse prend ensuite sa route par Saint-Haon-le-Châtel, et non par Roanne mais cela est tout naturel, puisqu’elle se rend au château de Cleppé (1).

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(1) Voy. l’ Ancien Forez , V, 341. — Le Crozet dont il est question dans cet itinéraire n’est certainement pas notre Crozet forézien,

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À partir du XVe siècle, les témoignages surabondent, et j’en ai des centaines sous les yeux, bien que mes recherches sur ce point soient encore fort incomplètes. Notre route duc bénéficier une des premières de l’ordonnance du 19 juin 1464 qui organisait le service public des postes sur les grands chemins de France, et dès ce moment on put la considérer comme une route royale ; mais le document le plus ancien où je lui vois donner ce nom est une transaction du 6 septembre 1502 , entre Jacques de Lévis-Châteaumorand et Brémond de Vitri-Lalière, où il est question du grand chemin royal tendant de Saint-Martin à la Palisse.

Au XVIe siècle, paraissent les itinéraires imprimés à l’usage des voyageurs, dont les uns ressemblent, par leur sécheresse, à nos indicateurs, et dont les autres plus détaillés, se rapprochent de nos guides. Quelques-uns de ces Guide des chemins de France (1), Voyage de France, Nouveau Guide royal, Guide fidèle,Indicateur fidèle, Itinéraire complet de la France, Gentilhomme étranger voyageant en France, Itinerarium Galliœ, Deliciœ Galliœ, The gentiemans guide , etc. sont devenus rares ; j’ai aussi recueilli des extraits de tous ceux que j’ai pu rencontrer, ainsi que des récits de voyage du XVIIe et du XV1IIe siècle.

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(1) La plus ancienne édition que je connaisse de La guide des chemins de France est de 1552, mais je crois qu’il y en a d’antérieures.

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Tous ces témoignages prouvent que, jusqu’à la fin du premier tiers de notre siècle, la route ne s’est pas sensiblement déplacée dans la section qui a pour nous un intérêt particulier, de la Palisse à Tarare. Du XVe siècle au XIXe, elle traverse les mêmes villes et les mêmes villages, sauf quelques modifications temporaires et sans importance; ainsi, au milieu du XVIIe siècle, les voyageurs, venant de Lyon trouvaient la route si mauvaise en quittant le bourg de Saint-Martin, qu’ils étaient obligés de faire un détour sur la droite. Voici comme exemple l’itinéraire officiel indiqué dans le Nouveau guide des chemins pour aller et venir par tous les pays …. de France , imprimé à Paris en 1583: « Sainct Geran le Puis. Parigny. La Palice (ville, chasteau). La Tour (1). Sainct Martin . La Pasquaudière (passe par le bourg). Changy, Rouane sur Loire (ville, chasteau). L’Hospital (brigandage ; cy commence la montaigne de Tarare). Sainct Saphorin de Lay . La Fontaine . La Chapelle (au-dessus de la montaigne). Tarare (au pied de la montaigne) ».

Cette voie si fréquentée qui reliait Paris à Lyon, à la Provence, au Dauphiné et à l’Italie, était cependant mal entretenue et ne valait pas un médiocre chemin vicinal d’aujourd’hui. Le procès-verbal de 1668 signale à chaque instant des « bourbiers, ravins et concavités, rochers à esplaner, arbres qui anticipent sur le chemin », etc. L’ancienne administration fit souvent des travaux pour améliorer la route; mais, faute d’argent ou faute de zèle, ils restaient toujours insuffisants. Ce n’est qu’au milieu du XVIIIe siècle qu’on lui donna une largeur vraiment royale (2). Mais la section comprise entre la Pacaudière et la Palisse, qui s’en allait par monts et par vaux avec un souci exagéré de la ligne droite, appelait une rectification ; elle était projetée depuis longtemps, et on peut encore voir, chez Belin, l’amorce d’une voie nouvelle. Le projet fut repris et exécuté vers 1830 d’une manière si radicale, que le nouveau tracé a gardé à peine un kilomètre et demi de l’ancien, avant et après Saint-Martin.

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(1) La Tour n’est autre que Droiturier (Voy. Nicolaï, Génér. description du Bourbonnais , t. 1er, p. 123 et Il, p. 121).

(2) En 1741 furent supprimés les péages par terre de la Pacaudière et de Saint-Martin. On trouve le péage de Saint-Martin, qui se levait au profit du baron de Châteaumorand, mentionné pour la première fois en 1418; il rendit cette année-là 4 livres, 6 sols ; 30 livres en 1484, etc. Odin Nazarier était péageur en 1523.

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Rien n’est plus important pour l’histoire de ce pays que cette route aujourd’hui presque déserte, qui traverse nos villages et qui les a créés. C’était l’unique industrie de la région, mais elle suffisait à sa prospérité; tout le monde en vivait, depuis le gamin en guenilles qui courait après la chaise de poste pour offrir à milady un bouquet de violettes, jusqu’au riche chevaucheur du roi; on voyait des dynasties de rouliers, de messagers, de postillons, de maîtres de poste, d’aubergistes se perpétuer pendant des siècles. Une immense circulation de coches et de fourgons animait la route, et lui donnait la gaieté, le mouvement et la vie. Sans doute le port de Roanne lui faisait quelque tort ; une grande partie des marchandises qui venaient de Lyon ou de la vallée de la Loire étaient embarquées dans cette ville pour descendre le fleuve, et beaucoup de voyageurs préféraient aussi, quand le régime des eaux était favorable, cette voie plus agréable et plus rapide. Au XVIIIe siècle, peut-être à cause du mauvais état de la route, ou des brigandages trop fréquents dans les montagnes de Tarare, le trafic se détourna sur la route de la Bourgogne, qui s’empara dès lors de la prééminence ; mais il restait encore à la nôtre une circulation si active, que personne ne pensait à se plaindre.

Cette route mériterait d’avoir son histoire administrative, économique, militaire, politique et anecdotique. Il faudrait, autant qu’il est possible, raconter ses transformations, ses rectifications partielles, les travaux qui y ont été faits par les intendants, la substitution des taxes en argent aux corvées (1), l’établissement, la suppression ou le dédoublement des relais de poste, dont le nombre a varié beaucoup plus qu’on ne croit, la création des coches et des diligences, les grandes entreprises de messagerie et de transport, l’extinction des péages, l’influence de cette route sur le commerce général de la France, etc.

Son histoire militaire et politique ne serait pas moins intéressante. Elle a été foulée, du XIVe siècle au milieu du XVIIe, depuis les routiers et les bandes de Villandrando jusqu’à Gaston d’Orléans, par des bandes d’aventuriers et de révoltés. C’est par là surtout que se sont faites les longues expéditions d’Italie; le passage des armées, tout en laissant un peu d’argent, donnait lieu à mille abus, à des vexations de toutes sortes, quelquefois à des rixes sanglantes avec les habitants. Sur cette route, entre Varennes et la Pacaudière, se sont déroulés plusieurs incidents de la trahison du duc de Bourbon, et plus d’une intrigue politique s’est nouée dans une discrète hôtellerie de petite ville ou de bourgade.

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(1) D’Aubais ( Pièces fugitives , t. 1er, Mélanges, p. 143) dit qu’on trouve dans l’intendance de Lyon, depuis la sortie de cette ville jusqu’à 200 toises au-delà de Saint-Martin d’Estraux, des « pierres de taille, peu épaisses, hautes d’environ deux pieds, sur lesquelles est écrit le nom de la communauté qui doit entretenir un certain nombre de toises de ce grand chemin ». — Deux de ces pierres existent encore à Saint-Martin, dans la cour du presbytère.

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Celui qui entreprendrait cette étude ne devrait pas en négliger le côté épisodique. II trouverait des faits en abondance dans les chroniques, dans les comptes, dans les registres des paroisses, dans les récits des voyageurs, etc. Ce serait frère Vincent Ferrier, portant de ville en ville son ardente parole ; Jean de Châteaumorand et les autres gentilshommes du pays saluant l’empereur Sigismond à son passage, le 30 janvier 1416 ; Charles VIII recevant, le 11 décembre 1490, l’hospitalité à Châteaumorand ; Benvenuto Cellini attaqué en 1537 par une bande d’aventuriers près de la Palisse, probablement dans les gorges sauvages du pont de la Vallée ; Richelieu apprenant à la Pacaudière, par un courrier de M. de Marillac, son élévation au cardinalat. Je choisis au hasard ces épisodes entre cent autres qu’il serait aisé de recueillir. Les passages de rois, de princes et d’autres grands personnages suffiraient à remplir un chapitre curieux de ce livre dont on trace ici le plan avec quelque complaisance.

Aspect général du bourg . — La commune de Crozet est assise sur le revers de la faille du Forez, au pied de laquelle s’étagent des coteaux couverts de vignobles. On sait qu’on appelle souvent crose, dans la langue populaire, un ravin d’érosion étroitement encaissé. Crozet est précisément installé sur une croupe flanquée de deux croses profondes, dans les­quelles ont été pratiquées les routes qui conduisent au village. Crozet doit probablement son nom à cette circonstance.

L’assiette de ce bourg est des plus pittoresques, et nous allons chercher bien loin des curiosités que la nature a mises sous notre main. Lorsqu’on y arrive du côté de la Pacaudière, on ne voit d’abord que le donjon et l’église ; les maisons se cachent et s’abritent derrière la haute colline sur laquelle est campée la vieille petite ville. Remarquons en passant que cette situation était très favorable à la défense, car l’ennemi débouchant de la plaine, et quittant le grand chemin pour attaquer le château, n’avait devant lui qu’une côte rapide, presque verticale, dominée par la forteresse. A mesure qu’on monte par la crose orientale, on découvre à sa droite des restes de remparts encore garnis de deux petits bastions demi-circulaires, et qui portent des maisons étranges, de tous les âges.

Si on fait 1’ascension de l’acropole de Crozet par le ravin occidental, on côtoie un ruisseau qui roule en cascades, et on a sous les yeux un site heurté, bizarre, où des fragments de murailles, des bastions convertis en jardins, des rochers à pic se mêlent aux premières maisons du village. Celui-ci répond aux promesses de la route. Une grande place relativement moderne est la seule partie qu’on puisse à la rigueur appeler un peu régulière. Au-delà d’une porte percée dans un mur en ogive émoussée, et accompagnée de deux tours découronnées, on tombe dans des ruelles enchevêtrées. Partout, même au fond des cours et des impasses sans issue, le regard est attiré par quelque vestige du moyen âge ou de la Renaissance

un pan de mur en colombage, une porte munie de son judas en fer ajoure, une fenêtre à meneaux, un toit dont la corniche couvre la moitié du chemin, un puits à margelle monolithe, un modillon qui n’a plus rien à soutenir, un écusson qu’un maçon trop ingénieux a posé à l’envers.

On arrive ainsi, en cheminant dans ces rues naïves, jusqu’à l’énorme rocher qui portait le château. A nos pieds, au fond de l’abîme, une locomotive qui passe en sifflant semble une ironie dans ce cadre vieillot ; en face, le riche coteau du Taffret, le Médoc de la région, où Jean Papon possédait une vigne. Un peu plus loin, le bourg de la Pacaudière déroule sa longue ligne de maisons écrasées par le toit gigantesque du Petit-Louvre. Au-delà, la plaine roannaise, les collines du Brionnais, les montagnes du Beaujolais, du Mâconnais et même du Morvan.

Cette bonne et patriarcale villette de Crozet, si intéressante encore bien qu’elle ne soit plus que l’ombre d’elle-même, s’en va peu à peu sous nos yeux. Chaque année emporte un croisillon de ses fenêtres, un morceau de ses corniches, et au XXesiècle, définitivement convertie au progrès, elle n’aura plus que des façades correctes, avec enseignes,toutes neuves et crépissage tyrolien.

Crozet au XVe et au XVIe siècle. Le Château.— Une des vues de l’armorial de G. Revel représente « la ville et chatiau du Crouzet » au milieu du XVe siècle.

 

2. — VUE DE LA VILLE ET DU CHATEAU DE CROZET

 

D’après l’Armorial de Guillaume Revel.

 

Les maisons sont de fantaisie, à l’exception peut-être de celle qui est figurée à droite et en bas du dessin. Il est difficile aussi de croire que Crozet ait possédé cet appareil imposant de hautes murailles et des tours si nombreuses; mais la représentation du château paraît exacte, et on reconnaît parfaitement la Grant Porte flanquée de ses deux tours.

Crozet était en ce temps-là une petite cité close fort originale. Le terrier de la châtellenie (1), renouvelé en 1506 par Anne de France, duchesse de Bourbonnais et comtesse de Forez, fournit en abondance des renseignements précieux sur la topographie de Crozet. On entrait dans la ville par la Grant Porte , la « Portelle jouxte le fossé du mur de vinteyn », et la Porte vieille, déjà mentionnée dans un titre de 1335 (2). II y avait au moins trois tours, sans compter le donjon et les deux tours flanquantes de la porte : la tour du Coude, la tour Mauvent , la tour Gardin . Les rues principales allaient de la Grant Porte au château, de la Grant Porte à la chapelle, du terrail « à l’entour de la mothe du chastel », de la colonne de l’aulne au terrail .

Crozet avait un grenier pour serrer les grains de la duchesse, un four banier, une grenette et trois halles : halle de la cordoannerie, halle de la boucherie, halle de la ferraterie ; mais de plus, au rez de chaussée d’un grand nombre de maisons, étaient des ouvrouers ou boutiques (3). On a de la peine à comprendre comment tant de choses pouvaient tenir dans cette étroite enceinte.

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(1) Arch. de la Loire, B, 2025 (ancien A.3 62).

(2) Titres de la maison ducale de Bourbon, no 2089.

(3) L’hôpital et la confrérie étaient en dehors et au-dessous de la ville.

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Tous les témoignages que j’ai pu réunir s’accordent à représenter la citadelle du château de Crozet comme un polygone de forme irrégulière, sans toit, aux murailles hautes et épaisses, sans autre ouverture qu’une porte sombre et abrupte à laquelle on arrivait par un étroit échellier . A l’intérieur était un enclos qui servait de jardin au sonneur, et où la crédulité populaire creusait de mystérieux souterrains et enfermait de fabuleux trésors. Un rang d’ouvertures carrées marquait la place des poutres qui sans doute avaient jadis soutenu des hourds en charpente encorbellés sur le parapet. On peut encore suivre assez facilement le tour de cette enceinte, rasée en 1862 ; la nouvelle église a été élevée en partie sur les fondations de la forteresse, dont on voit quelques moellons indestructibles. A l’un des angles du château, était accolé un donjon qui subsiste seul, témoin d’un état social évanoui. On a bâti au sommet une autre tour en retraite couronnée par une statue de la Sainte Vierge.

Anciennes maisons de Crozet. Le logis de Jean Papon. — Malgré tant de pertes regrettables, Crozet garde encore de quoi satisfaire la curiosité des artistes et des amateurs de pittoresque. Tout près de la vieille porte, une façade fourrée en colombage présente des dispositions singulières et compliquées, où l’artisan s’est piqué, il semble, de dérouter toutes les idées de régularité. On montre à l’intérieur, sur le manteau d’une cheminée en pierre, un écusson aux armes des ducs de Bourbon. Cette maison devait être celle du prévôt de Crozet ou d’un autre officier de l’administration ducale.

Un peu plus bas, dans la même rue, une maison Renaissance a conservé ses meneaux; il est probable qu’elle a été plus élevée autrefois. On remarque au rez-de-chaussée des arcades murées qui s’ouvraient sur des boutiques. Cette maison a appartenu à un Papon, car au-dessus d’une porte aussi ancienne que le logis sont sculptées les armes de cette famille (1), mais avec une coquille en abîme.

En tournant à droite, on se trouve devant la maison Dauphin, ainsi nommée parce que Mgr Dauphin y est né en 1806. C’est, après la grande maison Papon, la plus belle de Crozet ; elle a même sur celle-ci l’avantage d’être à peu près intacte. Il est inutile de décrire la façade, dont on trouvera une vue jointe à ce rapport. On s’étonnera de la disposition singulière et de l’extrême inégalité des portes et des fenêtres. Nos pères avaient sur ce sujet d’autres idées que nous ; ils se souciaient peu de la symétrie des ouvertures, et les perçaient là où elles leur paraissaient logiquement commandées par la commodité du service (2). Dans la pièce principale du rez-de-chaussée, la cheminée est ornée d’un cep de vigne en relief, entremêlé de ces deux monogrammes religieux: I. H. S. — M. On peut donc conjecturer que cette maison était la résidence du curé de Tourzy. Un petit cabinet délabré, qu’on rencontre à sa droite en montant l’escalier à vis, peut avoir été un oratoire, car on y voit une descente de croix assez grossièrement peinte ; dans l’épaisseur du mur est pratiqué un coffre encore orné de sa porte doublée de fer, dont les clous sont en forme de coquilles. Plus haut, une chambre donnant sur un étroit couloir est fermée par une porte composée de compartiments en losange, ornés de feuilles sculptées.

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(1) Armes des Papon, d’après l’Armorial du Forez de P. Gras : D’or à la croix d’azur, à quatre endenchures de gueules, mouvant du chef, deux dans chaque canton .

(2) Sur la porte en accolade est sculptée une petite coquille et, au-dessus de la niche, un écusson portant trois branches de rosier fleuries, deux et un .

IV.- Maison Dauphin, à Crozet.

Dessin d’Henri Gonnard

V.-Maison de Jean Papon, à Crozet.

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A quelques pas de la maison Dauphin, la célèbre maison de Jean Papon fait briller au soleil levant ses briques émaillées. Ce bel édifice a été bien maltraité par le temps et par les hommes ; mais peut-être, un jour un amateur intelligent et riche achètera-t-il ce logis pour se donner le plaisir de le restaurer.

D’après un inventaire de meubles dressé le 4 janvier 1584, environ sept ans avant la mort de Jean Papon, on distinguait alors dans la maison de Crozet: la cuisine, la chapelle, la petite salle près de la cuisine, la chambre basse près de ladite salle, la grand’salle, la chambre de Monsieur, la garde-robe de ladite chambre, la chambre sur la cuisine, la grand’chambre sur la rue, la chambre haute, l’étude haute, la chambre près du grenier, le grenier (1). La maison a subi tant de changements depuis ce temps-là, qu’il serait hasardeux de chercher cette distribution dans le logis d’aujourd’hui ; il est probable toutefois que les deux pièces éclairées parles grandes fenêtres de la façade en briques émaillées sont, celle de droite la « grand’salle », celle de gauche « la chambre de Monsieur ». Il serait intéressant de connaître « l’étude » où Jean Papon se préparait aux grands de­voirs de la vie, et où il recevait familièrement la visite du maréchal de Saint-André, qui l’arrachait à ses livres pour lui faire donner par le roi la suprême magistrature du Forez.

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(1) Renseignement communiqué par M. V. Durand.

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La maison Papon a deux corps d’habitation qui se coupent en équerre, et trois façades, dont une sur la rue, et deux sur une petite cour basse. La façade sur la rue est très simple, mais sa corniche a conservé de délicates traceries flamboyantes en bois. A droite de notre planche, on aperçoit une tourelle en bri­ques, dont l’escalier conduit à des chambres soi­gneusement lambrissées. La tour d’angle s’ouvre sur la cour par une porte couverte de sculptures, mais rongée par le temps, au-dessus de laquelle on lit cette devise d’un pessimisme amer : HOMO HOMINI MONSTRUM.

La principale façade, du pur style Renaissance, est appareillée en briques vernissées formant un fond très doux, sur lequel quatre fenêtres se détachent avec vigueur (1). Entre elles sont enchâssés symétriquement des médaillons (qui sont peut-être des portraits), des inscriptions et des bas-reliefs. Au-dessous de la grande fenêtre du côté droit, on lit dans un cartouche cette maxime d’un jurisconsulte désenchanté, qui semble avoir vu de près les petitesses de la justice humaine, et qui oppose ses misères et ses compromissions à l’incorruptible sainteté de la loi divine : LEX DOMINI IMMACULATA. A gauche de cette inscription, entre les deux cordons de pierre qui soulignent le soubassement du logis, un bas-relief mutilé représentait la Vierge tenant l’Enfant sur ses genoux, avec cette légende: ECCE ANCILLA DOMINI. Plus haut, entre les deux fenêtres principales on reconnaît dans un autre bas-relief un peu moins endommagé une fontaine entourée de deux personnages qui paraissent s’y laver de la poussière du voyage ; cette scène est accompagnée d’une inscription qu’on déchiffre un peu péniblement: LAVABUNT PEDES ET MANUS, NE FORTE MORIANTUR.

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(1) Comme on le voit par la planche ci-jointe, une seule a encore une partie de ses meneaux; la grande fenêtre gauche est devenue une porte. — La corniche de cette façade n’a plus qu’une seule pièce de sa tracerie en bois.

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On voit sur notre planche, au fond de la cour, une petite façade Louis XIII, et, tout-à-fait à gauche, une tourelle d’escalier plus ancienne encore. Sur la porte, refaite au XVIe siècle et ornée d’un écusson où les armes des Papon sont parties avec celles d’une famille jusque-là incertaine (1), cette inscription est gravée dans un cartouche: SILETO ET SPERA. 1535.

Entrons maintenant par la tourelle d’angle dans la pièce éclairée par la grande fenêtre droite de la façade en briques. Cette pièce est lambrissée avec des pou­tres et des chevrons exactement assemblés et couverts de moulures. Sur la cheminée, cette légende d’un sens obscur se développe entre un centaure et un sylvain LA QVEVE FAICT LE MONSTRE. –

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(1) On voit aussi cet écusson parti, beaucoup mieux conservé, dans la cave de la maison. Les armes d’une attribution douteuse se blasonnent ainsi: «de…,à un chevron de.. accompagné de trois coquilles de.. » comme il serait long d’examiner quelle est la famille, alliée aux Papon, à laquelle on peut attribuer ces armes, et que d’ailleurs cette discussion ne nous conduirait pas à une conclusion absolument certaine, on se contente de signa1er ce problème. — J’ai déjà noté plus haut une coquille en abîme sur un autre écusson aux armes des Papon ; on la retrouve encore, mais sans signification héraldique bien déterminée, en divers endroits de la maison Dauphin.

 

3. – Armoiries sur une cheminée, dans une pièce servant aujourd’hui de cave, au rez-de-chaussée de la maison Papon, à Crozet.

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Cette chambre communiquait par une porte maintenant murée avec la pièce voisine. Celle-ci est lambrissée avec le même soin que l’autre, et sa cheminée est la principale curiosité artistique de Crozet. On ne peut rien voir de plus fin et de plus précieux que ce morceau de sculpture, parfaitement intact, qu’il suffirait de débarrasser de son badigeon pour lui rendre toute sa délicatesse. C’est toute une scène qui se déroule sur cette cheminée. A gauche est un métier de tisserand, devant lequel l’ouvrier est assis, au milieu, la mort armée de sa faux, figure d’un relief puissant; à droite, une mère défend ses deux enfants contre la mort. Ces trois motifs sont reliés par cette légende explicative; DUM ADHUC ORDIRER [MORS, mot exprimé en rébus par l’image de la mort] SUCCIDIT ME. Je suis porté à voir dans ce travail la représentation allégorique d’un drame douloureux de famille, une allusion à la perte de deux enfants aimés, ravis en même temps par une mort prématurée, peut-être pendant la peste de 1524, qui décima la population de ce pays. La date probable de cette partie de la maison Papon donne du moins de la vraisemblance à cette hypothèse.

L’ancienne chapelle et l’église neuve. — La petite ville forte de Crozet, siège d’une châtellenie, ne possédait pas cependant d’église paroissiale et relevait de Tourzy. Mais en 1180 Artaud le Blanc, vicomte de Mâcon, obtint des moines d’Ambierle, qui avaient droit de nomination à la cure de Tourzy, la permission d’établir, dans son château [et ville] de Crozet, une chapelle qu’il dota de cinq sols de luminaire à prélever sur le péage (1).. Cette chapelle fut dans la suite regardée comme une succursale et une annexe (2) de Tourzy. On y faisait des processions solennelles, on y chantait les vêpres du samedi, et il est certain qu’on y a souvent conféré le baptême. Elle avait ses fondations, ses revenus propres, ses prébendes, dont une au moins avait été fondée par Odin Clépier, chapelain et trésorier de la duchesse Anne Dauphine, et jouissait, sous la juridiction du curé de Tourzy, d’une autonomie presque complète (3). Il semble même que, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la chapelle de Crozet ait été une seconde église paroissiale, presque au même titre que Tourzy.

La vieille chapelle tombait en ruines en 1659, car on cherchait alors de l’argent pour la réédifier. Mais comme Crozet avait déjà perdu toute importance, les ressources manquèrent probablement, et on dut se borner à bâtir un assez vaste vaisseau sans aucun or­nement, avec un plafond grossièrement lambrissé.

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(1) Chartes de Cluny , t. V, n. 4272.

(2) Sancti Hippoliti de Tourziers cum annexa Sancti Joannis Baptiste de Croiziet (Bruel, Pouillés des dioc. de Clermont et de Saint-Flour , dans les Documents inédits. Mélanges , t. IV).

(3) Peut-être cette chapelle avait-elle des sépultures. Jean Papon, dans son testament du 20 avril 1583, déclare que, s’il meurt à Crozet, il veut être enterré en l’église de Crozet, paroisse dudit lieu, en la chapelle Saint-Antoine. Je crois cependant qu’il s’agit ici de l’église de Tourzy.

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Crozet fut érigé en paroisse après la restauration du culte, et on eut alors cette situation très singulière: la Pacaudière chef-lieu de la commune, Crozet chef-lieu de la paroisse, et deux églises paroissiales en concurrence, une à Crozet et l’autre à Tourzy. Ce régime bâtard et incommode dura cependant jusque vers 1840 ; la Pacaudière et Crozet formèrent alors deux paroisses distinctes, bien que réunies encore sous la même administration communale.

Mais Crozet ne pouvait se contenter de la pauvre chapelle du XVIIe siècle. La nouvelle église a été bâtie en 1862, et, comme je l’ai dit plus haut, sur les ruines de la forteresse. C’est un édifice gothique dans la manière du XIIIe siècle, à trois nefs, dominé par un clocher. Dans la nef latérale gauche, les élèves de Mgr Dauphin lui ont fait élever, sur les dessins de M. Jamot, un tombeau en pierre orné d’un médaillon de bronze, dû à M. Arthur de Gravillon, qui représente le prélat. On lit au-dessous cette inscription : 1806-1882 | A Monseigneur Et ne | Dauphin prélat de S. S. Léon XIII | fondateur du collège d’Oullins | doyen de l’église Ste-Geneviève | chanoine du chapitre de St-Denis | directeur de l’œuvre des écoles d’Orient | bienfaiteur insigne de cette paroisse | ses anciens élèves .

La ville et la châtellenie de Crozet . — L’histoire complète d’une châtellenie forézienne, si elle pouvait s’écrire, jetterait le plus grand jour sur l’administration civile, financière et judiciaire de notre province au moyen âge. Mais où sont les archives de nos châtellenies ? Ce n’est pas avec un petit nombre de terriers, de comptes, de registres audienciers, avec quelques actes épars dans les dépôts publics et dans les recueils de titres, quelques renseignements recueillis par les historiens qu’on peut faire cette restitution du passé.

S’il faut en croire La Mure (1), dans la première moitié du XI siècle, sous le comte Gérard II, les seigneurs de Saint-Maurice « devinrent si riches et si puissants, qu’ils acquirent toutes les plus belles et fortes places du Roannais ; entre autres fut le château de Roanne qu’ils achetèrent de ce comte, celui de Crozet, etc. ». Mais l’absence de toute référence rend malheureusement cette information un peu suspecte.

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(1 ) Hist. des ducs de Bourbon, t. I, p. 93. — Cf. Sonyer du Lac, Observations …, p. 34.

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Franchissant un siècle et demi, nous trouvons en 1180 le château de Crozet aux mains d’Artaud III, dit le Blanc, qui fut, selon A. Bernard, le dernier des vicomtes de Mâcon. Artaud possédait aussi un droit de péage et divers cens perçus dans la paroisse de Tourzy et lieux voisins, qui furent sans doute le noyau du domaine de nos comtes et de nos ducs dans le mandement de Crozet. Il paraît que le vicomte Artaud avait grandement opprimé ses sujets, et injustement querellé les droits que le prieur d’Ambierle avait à Tourzy. Il s’amenda dans la suite, donna à l’abbaye de la Bénisson-Dieu une partie des biens qu’il avait au territoire de Crozet, et reconnut qu’il ne possédait aucun droit, aucune propriété ( nichil funs, nichil propnietatis ) dans le village de Tourzy. Cette famille finit peut-être dans la gêne ; car les deux fils d’Artaud le Blanc cédèrent au comte Guy IV de Forez, au plus tard au mois d’octobre 1220, tout ce qu’ils avaient encore au-delà de la Loire, et « spécialement Crozet avec ses appartenances ». Quatre ans plus tard, en mars 1224, le comte.compléta son acquisition en se faisant céder par Marie de Bourgogne, dame de Semur, veuve de Simon de Semur, tous les droits qu’elle avait dans les territoires de Roanne, de Saint-Haon et de Crozet (t). Il serait intéressant de savoir comment et à quel titre les vicomtes de Mâcon et les barons de Semur étaient devenus possesseurs des terres qu’ils abandonnèrent au comte de Forez. Il n’est pas douteux du moins que celui-ci ne fût très désireux d’avoir, dans le voisinage des sires de Bourbon, une place de guerre et une position solide qui ne pouvait qu’affermir son autorité sur la frontière.

Pour s’attacher la fidélité et l’affection des habitants de la ville de Crozet, Guy IV leur accorda en 1236 une charte communale qui est une des plus anciennes du Forez. On y voit, entr’autres libertés octroyées, que les hommes de la franchise de Crozet n’étaient pas tenus de venir à la chevauchée du comte, si ce n’est pour les affaires de Crozet et du mandement, tandis que ses autres sujets du Roannais restaient soumis à cette obligation (2).

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(1) Voy. Rev, for. , I, p. 168; — Chartes de Cluny, f° 4.272; — la Mure, Hist. des ducs de Bourbon , t. III, preuves, n os 40,

44 et 47; — Baché, Abbaye de la Bénisson-Dieu , p. 286; — Titres de la maison de Bourbon , n° 126.

(2) La charte de Crozet a été plusieurs fois publiée ; elle l’a été en dernier lieu dans le Cartul. des Francs-Fiefs , n° XXXVII. Elle fut confirmée en 1240 et en 1248.

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En 1275, Crozet faillit passer à la maison de Beaujeu en vertu du premier testament de Guy VI, qui fut annulé par les actes suivants. Au XIVe siècle, les comtes agrandirent leurs possessions par une longue série d’acquisitions dans les paroisses de Tourzy, de Saint-Bonnet, de Saint-Martin, etc., qui constituèrent le domaine comtal de Crozet. En même temps ses officiers travaillaient énergiquement à faire respecter son pouvoir, et obligeaient les tenanciers de la Bénisson-Dieu, qui prétendaient n’avoir d’autres maîtres immédiats que les moines, soit à contribuer à la réparation des murailles de la ville, soit à re­connaître la haute justice et le ressort du châtelain de Crozet (1).

On trouve cependant en ce siècle deux acres assez singuliers. Par le premier, du 4 février 1318, Jean, comte de Forez, en considération du mariage accordé entre son fils et la fille du sire de Bourbon, s’engageait à tenir en fief de celui-ci ses châteaux et villes de Roanne, Saint-Haon et Crozet, et .à lui en rendre l’hommage. Il est vraisemblable que ce lien féodal qui rattacha ainsi ces trois châtellenies au Bourbonnais ne tarda guère à être rompu. Une transaction passée, le 29 décembre 1379, entre Erard de Lespinasse, seigneur de Changy, et le duc Louis II, comte de Forez, est beaucoup plus embarrassante. Par cet accord, Érard consentait à ce que la justice haute, moyenne et basse de son château de Crozet, à la réserve de la justice sur douze feux, demeurât au duc de Bourbonnais (2). Le duc, dans un pressant besoin d’argent, avait-il temporairement engagé la seigneu­rie de Crozet? Ou bien aurait-il alors existé deux châteaux, celui du comte de Forez, et celui du seigneur de Lespinasse? J’hésite entre ces deux solutions, bien que la première me paraisse plus probable. Nous savons, en effet, que le duc Louis II était accablé de dettes, et qu’il eut besoin de toute l’habileté de son lieutenant général, Pierre de Norri, pour remettre ses finances en bon état. En tout cas, cette aliénation n’aurait pas duré longtemps, car en l’année 1383, au plus tard, la châtellenie-de Crozet était rentrée dans les possessions du duc

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(1) Voy. d’intéressants détails sur ce sujet dans Baché, L’abbaye de la Bénisson-Dieu , p. 84 et suiv.

(2) Titres de la maison ducale de Bourbon, n° 3440. — Cf. Ibid ., n° 3325, et la Mure, Histoire des ducs de Bourbon , II, 58.

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Dès le milieu du XIVe siècle, elle était définitivement constituée, et telle à peu de chose près qu’elle resta pendant trois siècles. Ce serait le moment d’étudier le fonctionnement de cette châtellenie ducale, si son organisation ne ressemblait à celle de toutes les autres. Il est bon seulement de ne pas oublier que les châtellenies différaient fort peu des seigneuries ordinaires. Si je compare, par exemple, la châtellenie de Crozet avec la baronnie de Châteaumorand, je vois des deux côtés un capitaine châtelain qui est ordinairement un gentilhomme, un comptable qu’on appelle prévôt à Crozet, receveur à Châteaumorand, un procureur, un greffier, des sergents, un portier ou chacipol, un péager, etc. Mais leur qualité de possession comtale ou ducale donnait aux châtellenies une sorte de prééminence morale sur les simples seigneuries, car les officiers du comte étaient sur tous les points de la province la vivante image de son autorité.

Les revenus de la châtellenie de Crozet consistaient surtout en redevances censuelles, laide, four banal, péage, amendes prononcées par le châtelain, droits de lods et d’investison, produit des bois de Rade et de la chasse, vente ou ferme des offices. En effet quelques-uns des offices, entres autres ceux de prévôt et de greffier, étaient souvent affermés ou vendus; ainsi, en 1340, la prévôté de Crozet et une maison de la ville — sans doute celle du prévôt — sont mises aux enchères et adjugées pour le prix de 150 livres. La châtellenie était une des plus riches du Forez. Si on prend la moyenne des revenus de 1381 à 1405, on peut lui donner approximativement le cinquième rang parmi les quarante prévôtés comtales.

Les bornes étroites de ce compte-rendu m’obligent à abréger l’histoire de la châtellenie de Crozet. Au XVIe siècle, quand le Forez fut entré dans les domaines de la maison royale après la trahison du connétable de Bourbon, elle ne put échapper au sort de la plupart des châtellenies, et fut engagée en 1544 à Claude Gouffier (1). En 1566 des lettres patentes érigèrent le duché de Roannais auquel furent incorporés, sous le nom de « parfait de la baronnie de Roannais » les mandements et seigneuries de Saint-Haon, la Chambre, Renaison, Saint-Maurice, le Verdier, le Vernay, Villeret et Crozet. En 1677, nouvel engagement au duc de la Feuillade, sous clause de rachat perpétuel, des châtellenies royales de Saint-Haon, Saint-Maurice et Crozet, qui furent encore unies au duché de Roannais. La Feuillade obtint même en 1688 le transfert à Roanne de la justice de ces trois châtellenies et de celle de Cervières, qu’il avait acquise du roi en échange de Saint-Cyr. C’était la mort pour ces pe­tites villes dépouillées de leur modeste tribunal. Même après l’extinction de la duché-pairie de Roannais en 1725, les seigneuries qui l’avaient composée restèrent réunies au bailliage de Roanne.

Pendant ce temps-là le commerce et le mouvement de la route royale développaient tous les jours la Pacaudière, et Crozet, isolé sur sa colline abrupte, s’appauvrissait peu à peu. Quand on réorganisa la France, et que le bourg de la Pacaudière fut érigé en chef-lieu de commune et de canton, Crozet ne fut plus qu’un simple hameau. On ne lui a donné qu’en 1868 le titre de commune.

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(1) J’ai suivi ici, pour cette question des engagements, Coste, Essai sur l’hist. de la ville de Roanne , p. i8o et suiv., passim .

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Collège ou école de Crozet . — « Un mestre de l’eschole de Crouzet » est mentionné dès 1415 dans les comptes de Jean de Châteaumorand. Cette institution s’élevait certainement au-dessus d’une simple école de village, car le régent tenait des pensionnaires, et Brémond de Lévis faisait élever chez lui le bâtard de Villars, fils naturel de son frère Antoine de Lévis, comte de Villars. Voici en effet une note que j’extrais des comptes de Châteaumorand pour 1448-1449 « Baillé au maistre de l’escholle de Crozet du commandement de Bonnet, cellerier, maistre d’ostel de Monseigneur, pour la despense du petit bastard de Villars, que ledit maistre tient en sa chambre avecques luy, et ly fait sa despense. Pour ce : soilhe, X bichets (1) ». C’est sans doute dans ce collège que reçurent leur première instruction les notaires, officiers de justice et juristes, que Crozet a vu naître en si grand nombre. En 1643, François Gobet prend encore le titre ambitieux de « recteur du collège de Crozet » ; mais ses successeurs, Larnotte, Bellat, Chatardier, ne se qualifient plus que « recteur des écoles », « recteur des petites écoles » , ou même tout bonnement, « maître d’école ».

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(1) Les Titres de la maison duc. de Bourbon, n° 6i5o, men­tionnent une lettre de Brémond de Lévis, datée du 13 sep­tembre 1461 [et écrite de Chastelmorand] par laquelle il demande à son frère de l’argent pour le bâtard de Villars.

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La Frairie . — Au-dessous de Crozet, dans le « bas-bourg », sur le chemin qui conduit à la Pacaudière, et à quelques pas du passage ménagé sous la chaussée du chemin de fer, est un groupe de deux ou trois maisons qu’on appelle la Frairie . On voyait là, il y a peu d’années encore, un petit pavillon d’apparence fort modeste qui, disait-on, avait été autrefois un couvent.. Cette vague tradition est-elle exacte? Ou bien l’endroit aurait-il gardé ce nom en souvenir de la vieille confrérie de Crozet ? Rien ne me permet, je l’avoue, de trancher cette question. J’ai cependant peine à croire à l’existence d’un couvent qui a laissé si peu de traces. On voit, il est vrai, dans les registres de Tourzy, que, au mois d’août 1628, fut enseveli « Jean Poil, vénérable frère de l’ordre des Colleteurs (sic) » ; mais peut-être le vénérable Jean Poil n’était-il qu’un frère quêteur, un moine de passage. Il semble même que, si le curé de Tourzy avait eu pour si proches voisins des religieux, il aurait trouvé vingt fois l’occasion d’en parler, et que les registres de la paroisse auraient conservé des témoignages moins douteux de leur présence.

Groffière .— Cette maison forte avait de l’importance. Les ruines de Groffière ont été rasées depuis environ quarante ans; mais la. cave du domaine est encore celle du château, et a conservé une porte ogivale (t).

Le fief de Groffière présente quelque intérêt pour l’histoire des origines et de la transmission de la propriété foncière. C’est, dans ce coin du Forez, le plus ancien exemple bien certain que je connaisse d’une terre noble, formellement qualifiée fief, et accompagnée de maison forte, en possession d’une famille de roture. Jean Raynaud, qui en rend foi et hommage à la duchesse Anne de France le 21 juin 1521, et déclare la tenir de son père et de son aïeul, se dit marchand de Crozet. Le fief de Groffière était donc possédé depuis le milieu du XVe siècle au moins par de simples bourgeois. Cette famille Raynaud, dont les registres de catholicité et le répertoire des fondations de Tourzy permettent de suivre assez facilement la filiation, garda le fief de Groffière pendant près de trois siècles. Il fut aliéné le 13 novembre 1683 par Pierre Raynaud, capitaine châtelain de Crozet, à Antoine-Henri de Chavagnac. Le fils de celui-ci, Paul de Chavagnac, seigneur de la Molière et de Groffière, en fit hommage au roi, en la chambre du domaine de Montbrison, le 29 avril 1719. Joseph de Chavagnac le pos­sédait vers 1780.

La prévôté, la forêt et les carres de Rade . — Rade était au moyen âge une petite prévôté, une sous-recette dont les fonds étaient versés à la caisse du receveur de Crozet. Mais pour croire que Rade ait jamais pu être le siège même de la châtellenie, il faut n’avoir pas visité cette région montagneuse et d’un accès peu commode, bien qu’elle soit unie à Crozet par un chemin antique.

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(1) Renseignements donnés par M. Eug. Bonnier.

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Les comtes de Forez et, après eux, les ducs de Bourbon et les rois de France, possédaient à Rade et dans les environs une forêt domaniale, dont il y a quelque débris épars sur ces pentes sauvages. La « pesson » et glandée de ces bois comptait dans les revenus de ce coin écarté de la châtellenie. En 1412, Jean de Châteaumorand, faisant bâtir près de son château une galerie, obtint de la duchesse Anne Dauphine des pièces de bois qui furent prises dans la forêt de Rade. Il fallut, pour en avoir la délivrance, un mandement en forme de la duchesse au châtelain ou gouverneur de la baronnie de Roannais, qui à son tour ordonna au prévôt de Crozet de faire livrer les chevrons par le forestier dé Rade ; il n’en coûta au seigneur de Châteaumorand qu’une quarte de vin donnée au prévôt et au forestier. Au milieu du XVe siècle, cet emploi de forestier fut rempli par Tevenin Bouchardet et Hippolyte Gacon. En 1559, le garde des bois de la châtellenie de Crozet recevait pour ses gages deux setiers de seigle, du bois à discrétion pour son chauffage, et sans doute d’autres petits profits dont les documents officiels n’ont pas coutume de parler. Il est bon de faire observer que, si les ducs de Bourbon avaient donné à cens, moyen­nant une rente annuelle de trois livres, le droit de la chasse au lièvre dans le quartier montagneux, à droite du grand chemin de Paris à Lyon, ils avaient cependant excepté de cet abénevis les forêts de la châtellenie de Crozet.

Toutes les hauteurs voisines de Rade, depuis Chollis et Montgardin jusqu’à Saint-Bonnet, sont couronnées de carres, énormes amas de pierre qui donnent à ces plateaux granitiques une physionomie particulière. Peut-on regarder les carres comme d’antiques forteresses celtiques plus ou moins romanisées après la conquête (1) ? Je n’oserais me prononcer sur ce point. Je n’ai pas remarqué de fossés autour de ces entassements de blocs ; la vallation remarquable de Montmeugne, près de Saint-Bonnet, n’entoure et ne protège pas un carre. On, dit cependant qu’on a trouvé dans les carres des silex taillés, des tuiles à rebords, du verre, des fragments de poterie, et même des monnaies impériales. Mais je crois qu’il serait nécessaire d’étudier de nouveau cette question.

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(1) Voy. dans les Mém de la Soc. Eduenne , t. VI, p. 283, un article de M. Bulliot sur les Karres de la voie romaine de Saint-Honoré au pied du Beuvray.

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III.

LA PACAUDIÈRE.

 

La commune. Le bourg . — La commune de la Pacaudière comprend la partie orientale de l’ancienne paroisse de Tourzy (sauf un morceau de territoire réuni à Vivans) et une partie de la petite paroisse supprimée d’Arçon. Les terres blanches qui s’étendent du côté de Chenay-le-Châtel sont ce qu’il y a de plus triste au monde ; mais la campagne qui entoure le bourg est riante, riche et très peuplée.

Le nom de Pacaud était commun autrefois dans toute la région. En 1484, Jean Pacaud est un des quatre consuls de la terre de Châteaumorand ; en 1506, un Pacaud est mentionné dans le terrier de Crozet; en 1551, Messire Pierre Pacaud tient école à Châtelus ; on pourrait citer dix autres exemples. La Pacaudière a pris probablement le nom de cette famille, qui, peut-être, possédait sur le grand chemin un domaine où furent bâties les premières maisons du village.

C’est une opinion assez répandue à la Pacaudière que ce bourg est d’origine récente. Cependant il existait dès les premières années du XVe siècle, et même il avait déjà quelque importance, puisque, en 1419, le prévôt de la châtellenie de Crozet résidait à la Pacaudière.

Son origine ne peut pas être douteuse : il a été créé par le grand passage du chemin de Paris à Lyon; on parlerait exactement en disant que la Pacaudière, c’est Crozet peu à peu descendu sur la route. Les plus anciennes maisons sont juste au point où le chemin de Crozet aboutissait à la route royale. Cette formation d’un nouveau bourg aux dépens de Crozet était logique, inévitable. La châtellenie, écartée de la grande route d’un kilomètre, dont la situation d’ailleurs était admirable pour la défense, mais incommode au commerce, devait nécessairement déchoir quand la paix et la sécurité eurent créé d’autres besoins. Crozet descendit lentement de sa colline et s’installa dans la plaine, sur les bords de la route, où un grand mouvement de voyageurs et de marchandises favorisait le négoce et les affaires. La châtellenie perdait tout ce que gagnait la Pacaudière. Ainsi nous savons qu’il y avait une foire à Crozet le 18 octobre en 1411; cette foire existe toujours, mais depuis longtemps elle se tient à la Pacaudière. Crozet resta le siège de la juridiction; il garda quelques vieilles familles bourgeoises, des notaires, des officiers de justice ; mais, dès la fin du XVIe siècle, c’était une petite ville déchue.

L’institution des postes royales contribua beaucoup à la fortune du nouveau bourg. La Pacaudière était même, comme la Palisse, Roanne, Saint-Symphorien et Tarare un relais de repeüe et de giste , c’est-à-dire que les voyageurs y prenaient d’ordinaire le dîner ou la couchée, et ses hôtels, paraît-il, jouissaient. d’une renommée gastronomique appréciée des voyageurs.. Un gentilhomme de passage en 1660 déclare, avec une reconnaissance attendrie, que l’hôtel où il a dîné est le meilleur de la route.

Le hameau bâti au moyen âge dans la terre des Pacaud était devenu, à la fin du XVIIIC siècle, un

bourg qui avait un conducteur des travaux du Roi, des employés de la gabelle, une brigade de la maré­chaussée, et même — chose rare alors — un bureau de la poste aux lettres. On en fit un chef-lieu de canton dans la nouvelle, division administrative de 1790. La Pacaudière a beaucoup moins souffert que Saint-Martin d’Estreaux de la suppression du grand roulage et de la poste aux chevaux. Sa belle situation au centre d’un grand nombre de routes, un commerce local assez actif, des foires nombreuses et très fréquentées, d’élégants magasins, l’industrie de la soierie, la justice de paix et tous ces employés que réunit l’administration cantonale, lui donnent un air de prospérité et d’aisance.

Le bourg de la Pacaudière s’allonge sur la route nationale du N.-O. au S.-E. Depuis quarante ans environ, la route de Crozet s’est aussi couverte de maisons dans le voisinage du Petit-Louvre. Les gens du pays distinguent le bas-bourg, où les maisons sont en général d’assez chétive apparence, et la place, simple élargissement du grand chemin, sur laquelle sont groupés la plupart des magasins et toutes les vieilles maisons de la Pacaudière.

L’église . — Elle a été bâtie en 1838, et cette date dit assez qu’il ne faut guère lui demander du style. C’est un édifice composé de trois nefs séparées par des piliers en maçonnerie, vaste, commode, régulier, bien tenu, d’ailleurs sans aucun caractère ; il est cependant précédé de quatre colonnes qui ont la prétention d’être grecques. Zacchéo fils a décoré le choeur d’assez bonnes peintures.

Petit-Louvre. Autres maisons anciennes . — Le bourg de la Pacaudière a raison d’être fier de ses vieilles maisons. Le Petit-Louvre, en particulier, est une des curiosités du Roannais (1). Tout le monde ici croit que ce magnifique logis de la Renaissance était d’abord un rendez-vous de chasse. Après avoir longtemps traité de fable cette tradition, je’ n’oserais plus la combattre avec la même force. Le Petit-Louvre a été probablement bâti avant le procès criminel du connétable de Bourbon et la confiscation de ses domaines. Le duc passait à la Pacaudière toutes les fois qu’il allait de Bourbonnais en Forez ; il avait de grands bois dans sa châtellenie de Crozet, comme on l’a vu plus haut. Il est donc assez vraisemblable que ce prince se soit ménagé sur sa route un hôtel digne de lui,, où il pouvait au besoin faire halte quelques jours, et où il trouvait à sa portée les giboyeuses forêts de la montagne.

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(1) Un croquis à la plume du Petit-Louvre fut exécuté au XVIIe siècle pour Roger de Gaignières. Ce dessin est au département des Estampes de la Bibliothèque nationale c’est le premier du recueil Va 84.

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Cependant, sans rejeter cette opinion, j’attends pour l’accepter sans réserve une preuve plus solide que la tradition orale, et je trouve même singulier qu’on en soit réduit à se contenter de ce faible argument. Jusqu’au moment où on produira un document valable, j’aime mieux croire que le Petit-Louvre était tout simplement une hôtellerie. Le nom même que porte ce logis depuis plus de deux siècles m’incline à le penser. Il y avait sur la route de Lyon, à Saint-Symphorien, une autre auberge qui portait la même enseigne, et aujourd’hui encore on compterait en France des Hôtels du Louvre par centaines. La belle architecture de cette maison ne serait pas une objection sérieuse à cette opinion. Sur une route si importante, de grands personnages, des rois même, couchaient souvent, au hasard de leurs- voyages, dans des bourgs ou de très petites villes ; pour n’apporter qu’un seul exemple, Louis XIII coucha le 3o août 1632, à la Palisse, et le lendemain à la Pacaudière. Il fallait bien penser à ces hôtes de distinction et aux riches voyageurs qui ne regardaient pas au prix, si l’auberge avait belle apparence. Il est du moins certain que le Petit-Louvre était déjà un hôtel en 1686. On établit même, dans la tour donnant sur le chemin de Crozet, une chapelle pour la commodité des voyageurs qui n’avaient pas le temps d’aller entendre la messe à l’église paroissiale de Tourzy (1).

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(1) Le dessin de Gaignières porte le mot chapelle écrit au rez-de-chaussée de cette tour. Ogier ( Loire , p. 907) dit que les habitants de la Pacaudière adressèrent en 1712 une supplique à l’évêque de Clermont, où ils demandaient le maintien de la chapelle de la Pacaudière « pour la commodité des étrangers et des malades. On pourra y faire célébrer la messe quand on voudra, sans que le sieur curé soit obligé d’y envoyer un prêtre les jours de fêtes et dimanches. Cette chapelle est absolument nécessaire, il y en a toujours eu une à la Pacaudière, même dans un logis ». — Il est question deux fois de cette chapelle à l’année 1707 dans les registres de Tourzy. Jean Begon, vicaire de la paroisse, par son testament du 19 octobre 1702, avait fait un legs à la chapelle de la Pacaudière. — On lit dans les registres de baptême de Tourzy, à la date du i juin 1714, la note suivante, dont la fin est d’ailleurs peu claire: « Suivant l’ordonnance de Mgr l’évêque au bas d’un accommodement fait -entre les principaux habitants de céans, M. Montorsier, prêtre missionnaire, muni de pouvoirs, a transporté le Très Saint Sacrement de la chapelle de la Pacaudière en l’église de Tourzy, où les offices de la paroisse se célébreront à l’avenir comme ils sont réglés, aussi bien que ceux qui se doivent faire dans l’église de Crozet ». — Marguerite de La Mure, dame de la Fayolle et de Godinière, dans son testament du 15 juillet 1745, fit un legs de cinquante livres pour les réparations de la chapelle du bourg de la Pacaudière (V. note add. p. 186).

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Cent ans plus tard, le 6 mai 1780, Catherine de Croquet de Belligny, veuve d’Antoine Déchavanne, écuyer, seigneur de Baugrand, en passa la vente à Charles Corre-Desgoutte, marchand à la Pacaudière ; mais il semble que le vieux logis n’était plus alors un hôtel, bien que, par tradition, il ait gardé jusqu’à nos jours son nom de Petit-Louvre.

Les héliogravures jointes à ce rapport rendent inutile une description détaillée de cette maison ; mais il faut par la pensée restituer les meneaux des fenêtres, et, à la place des « devantures de magasins », percer au rez-de-chaussée d’autres fenêtres élégantes. On y remarquera surtout la porte d’entrée, la poivrière en briques émaillées qui flanque l’angle nord-ouest, la puissante corniche en bois, malheureusement très endommagée, le comble d’une hauteur extraordinaire, soutenu par une véritable forêt de charpente, et orné de lucarnes en chêne finement dentelées.

 

Le Petit-Louvre semble dater des premières années du XVIe siècle; c’est un heureux compromis entre l’architecture gothique et ce qu’on appelle proprement le style Renaissance. Mais la porte d’entrée, délicieuse fantaisie d’un art raffiné, est d’une manière un peu plus récente; l’écusson qui occupe le centre de la coquille nous aurait peut-être expliqué les origines de cet édifice, mais il a été mutilé, en 1793. On raconte que les deux petits génies nus qui soutiennent l’écu ont été sauvés du marteau par un mot d’esprit. Au moment où les patriotes de l’endroit

allaient procéder à l’exécution de ces emblèmes, un plaisant fit observer qu’il était bien juste de les épargner, puisqu’ils étaient sans culottes. Je ne me porte pas garant de la vérité de l’anecdote.

En face du Petit-Louvre, une autre maison à toit aigu, du XVe siècle, attire aussi l’attention. Les fenêtres, d’un profil élégant, ont perdu leurs croisillons. Au coin de la route nationale et de la route de Marcigny, une jolie tourelle poivrière est portée sur un encorbellement composé de moulures et d’un double rang de modillons. Le tympan de la porte gothique, aujourd’hui en mauvais état, est richement travaillé. Le sommet de l’ogive encadre un réseau de feuillage, de fleurs et de fruits, où s’entrelace un phylactère dont la légende n’a pu être déchiffrée. Au-dessous, deux anges sont agenouillés à droite et à gauche d’un écusson qui portait probablement, non pas un blason, mais l’image de la Sainte Vierge. Cette maison est en effet l’ancien Hôtel Notre-Daine, mentionné dans les registres de la paroisse. Il semble qu’on l’appelait aussi quelquefois l’Hôtel de l’Ange, à cause de sa porte sculptée qui lui servait d’enseigne:.« J’arrivai à la Pacaudière à l’hôtellerie de l’Ange, dit un voyageur du XVIIe siècle, où me fut envoyé un bon ange qui m’y traita splendidement ».

A l’entrée de la place, du côté de Changy, est une maison purement gothique, la plus ancienne de la Pacaudière. Des renflements de la façade cachent peut-être sous le mortier de précieux bas-reliefs. Une fenêtre est ornée sous son appui d’une frise délicatement ciselée et de figures trapues, dont une est armée d’un marteau.

Villoson . — Autour d la Pacaudière, divers domaines portaient abusivement le nom de seigneuries. Ces fiefs ou prétendus fiefs, sans maison forte ni château, s’étaient formés tardivement. Un bourgeois achetait une simple rente noble et l’annexait à une de ses terres ; sa vanité en faisait aussitôt une petite seigneurie qui lui donnait un faux air de gentilhomme. Telle est l’histoire des seigneuries de Belle-Rivière, la Valette, la Courtine, les Bayons. On comprend qu’il n’y a rien à en dire.

Villoson mérite un peu plus de considération. En 1205 au plus tard, dans la donation faite par Artaud, vicomte de Mâcon, à l’abbaye de la Bénisson-Dieu, il est question d’une Béatrix de Villausen (1). Mais on perd absolument de vue la destinée de cette terre jusqu’au commencement du XVIIe siècle ; elle appartient alors à Jacques Desmanèches, notaire, ancien agent d’affaires de Diane de Châteaumorand et d’Honoré d’Urfé. Elle fut vendue, avant le IS novembre 1642, par François Bonnefon de Varinay et sa femme Françoise Desmanèches à Pierre Duvergier, lieutenant particulier civil et assesseur criminel de la châtellenie e Crozet, mort au mois de novembre 1679, qui a probablement fait bâtir le château. C’est une vaste habitation construite d’un seul jet, sur un plan régulier, en forme de fer à cheval. Les ailes sont accompagnées de deux tourelles à toits polygonaux, dont une au moins vient d’un château plus ancien. Les avant-corps des ailes n’ont été percées d’aucune ouverture sur les façades qui regardent la gare de la Pacaudière ; cette particularité donne un air bizarre à cette maison d’un goût douteux. Cependant la longue façade de l’est a quelque majesté, malgré la grande simplicité de son architecture.

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(1) L’Abbaye de la Bénisson-Dieu , p. 286. — Cf. A. Barbain, Recueil d’hommages , n° 1130, et probablement aussi le n° 244, où Philozeyr paraît être une forme vicieuse pour Villozon.

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La Salle . — Ce château, relié à la route nationale par une avenue plantée d’arbres, se compose de deux corps de logis qui se coupent à angle droit. Le plus important est tourné du côté du matin; ses fenêtres ont été modernisées au commencement de ce siècle ou à la fin du XVIIIe, mais il est encore flanqué d’une tour au coin sud-est, et au coin nord-est d’une tourelle échauguette, coiffée d’un toit de forme orientale, et dont l’encorbellement est terminé par un culot très élégant. L’autre corps de logis a mieux conservé son caractère ancien ; deux fenêtres du XVC siècle, à double accolade, avaient encore récemment leurs meneaux. Tout près, est une tour d’un âge incertain, sans doute autrefois rattachée au château. De vastes dépendances sont groupées autour de la cour du nord, et témoignent de la vie large et aisée de ceux qui habitaient cette agréable résidence.

Les origines de la Salle sont bien obscures. Dans le rôle du ban et arrière-ban de la noblesse de Forez, en 1557, Pierre Fillet de la Curée est qualifié seigneur de la Curée et de la Salle. Je ne connais pas sur l’histoire de ce château de document plus ancien. Son fils Gilbert I er , seigneur de la Curée, de la Salle et de la Roche-Turpin, eut pour enfants :

Gilbert II Fillet de la Curée, un des plus vaillants capitaines du roi Henri IV, qui reconnut ses services par le collier de l’ordre du Saint-Esprit,

Judith Fillet de la Curée, darne de la Roche-Turpin, qu’on a dit être la Diane chantée par Anne d’Urfé dans les poésies de sa jeunesse. À tort ou à raison ? je ne l’examine pas en ce moment;

Esther Fillet de la Curée, dame de la Salle, mariée à François Baudinot, seigneur de la Brosse, « conseiller du roi en ses conseils d’Etat », mort au plus tard en 1626. Cette famille Baudinot, qui paraît être originaire de la Bourgogne., y a joué un rôle assez considérable dans la magistrature et dans l’administration. Le jurisconsulte Baudinot a un article dans la Bibliothèque des auteurs de Bourgogne (1).

Esther de la Curée résida jusqu’à sa mort au château de la Salle. Elle fut ensevelie devant l’autel Notre-Dame de l’église de Tourzy le 3o novembre 1640 ; aucun nom peut-être ne revient plus souvent dans les registres de cette paroisse, qu’elle édifia par sa piété et par sa charité.

La seigneurie de la Salle, entrée par son mariage dans la maison des Baudinot, n’en sortit plus jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (2). Le château de la Salle appartient aujourd’hui à M. Legendre, de Lyon.

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(1) On peut voir à la Bibliothèque nationale (Collection Fontette) quatre factums contre la famille Baudinot, où on trouve de curieux et singuliers détails sur les usurpateurs de noblesse.

(2) Les registres de Tourzy suffiraient à reconstituer d’une manière presque complète pendant un siècle et demi la généalogie des Baudinot de la Salle.

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Tourzy . — A quelques minutes de la Pacaudière, au-delà du ruisseau de Belle-Rivière qui descend de Crozet, la chapelle de Notre-Dame de Tourzy, entourée du cimetière communal, est encadrée dans un site riant, au milieu des vignes et des prairies.

On dit que, à une époque reculée, les habitants du pays trouvèrent dans le creux d’un chêne une statue de la Sainte Vierge, toute noire, d’une pierre inconnue. Ils élevèrent à l’endroit même une pauvre chapelle, bientôt fréquentée par la population du voisinage. Des miracles ayant attiré un grand concours de peuple, une colonie de moines vint s’établir tout près de là, défricha les bois qui couvraient ce canton, et bâtit une vaste église où une place d’honneur fut donnée à la statue miraculeuse de Notre-Dame de Tourzy.

Cette pieuse et aimable légende se raconte encore dans les longues soirées (1). A quoi bon contredire ces croyances naïves, que semble profaner une discussion indiscrète? On verra cependant que la statue de la Vierge de Tourzy est loin d’avoir l’antiquité que lui prête la tradition; et quant à cette abbaye fondée par on ne sait quels moines, il serait bien inutile d’en rechercher les titres. Le peuple a sa manière à lui de retenir l’histoire; il procède volontiers par transposition. Je ne serais pas étonné que les prêtres sociétaires de Tourzy, qu’on voyait de temps en temps se rassembler à l’église paroissiale pour y assister à des offices communs, ne fussent devenus peu à peu, dans la confuse mémoire de la foule, des moines défricheurs et bâtisseurs. Il est possible aussi que ce prétendu monastère soit tout simplement le prieuré d’Ambierle, qui avait droit de nomination à la cure de Tourzy, levait des dîmes dans la paroisse, et possédait probablement près de l’église une grange et un grenier pour y recueillir le produit de ces dîmes.

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(1) Elle a été recueillie dans Notre-Dame de France , t. VI, p. 557.

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Mais s’il est difficile d’accepter la légende, il est probable toutefois que le nom de Tourzy est très ancien. Cette forme de terminaison — rare dans cette partie du Forez — paraît indiquer un suffixe latin en acus ou acum , et le lieu pouvait à l’origine s’appeler Tauriciacus ou Tauriciacum . La chapelle ou l’église de Tourzy est d’ailleurs plus ancienne que la Pacaudière et même que Crozet ; sans cela on ne comprendrait pas pourquoi le centre religieux commun avait été établi à distance de ces deux bourgs, et assez loin de Crozet. Tourzy est donc sans doute une très, vieille paroisse, datant peut-être de l’âge gallo-romain et qui a traversé quatorze ou quinze siècles sans presque changer de nom.

Aucun dessin connu, aucune description précise ne nous permettent de reconstituer avec sûreté l’église paroissiale de Tourzy, bien qu’elle fût encore debout il y a moins de soixante ans. Il est certain qu’elle était orientée, de moyenne grandeur, très simple, à une seule nef. Si Étienne Papon, en bâtissant la chapelle de Saint-Étienne, s’est conformé à l’architecture de l’église, nous aurions quelque idée de son style. Cette chapelle était éclairée au midi par une fenêtre en granit maintenant murée, légèrement ogivale et fortement ébrasée, sans aucune division ; le mur extérieur est soutenu par deux contreforts de granit, et a encore sa corniche en bois mouluré. D’après les renseignements qu’on nous a donnés, l’église de Tourzy avait trois chapelles, deux au midi et une au nord. Cependant les registres de la paroisse en indiquent au moins sept : la chapelle de Notre-Dame, celle de Saint-Étienne ou des Papon, qui fut acquise plus tard par la famille Morin, celle de Saint-Jean-Baptiste, déjà mentionnée en 1384 et 1390 dans les testaments de Jean Clépier et d’Audin Clépier, les chapelles de la Trinité, du Saint-Esprit, du Rosaire, de Saint-Sébastien. Mais quelques-unes, propriétés de famille, ont pu changer de vocable par la dévotion particulière de leurs possesseurs ; d’autres n’étaient que des autels, décorés abusivement du titre de chapelles ; enfin il est fort possible qu’une ou deux, en raison de leur délabrement, aient été rasées avant notre siècle.

L’église de Tourzy a été démolie vers 1837. Il en est resté cependant une chapelle, qui même a été agrandie, restaurée et ornée de peintures murales. La chapelle de Notre-Dame de Tourzy, telle qu’elle est aujourd’hui, comprend deux travées, dont la première a été ajoutée par M. le chanoine Flandrin, curé de la Pacaudière. La seconde est l’ancienne chapelle Papon, dernier débris de l’église paroissiale. Elle se termine, sans absidiole, par un mur plat, autrefois percé, comme on vient de le dire, d’une baie ogivale qui, dit-on, était garnie d’un vitrail où on voyait les armes d’un seigneur de Changy; les deux petites fenêtres latérales, en forme de lancette, sont récentes. La voûte est portée sur des arceaux très saillants, dont les retombées sont décorées de feuillages. La clef de voûte porte les armes de la famille Papon, qu’on retrouve encore sur deux socles en pierre appliqués contre le mur de gauche. A tout prendre, la chapelle Papon est un petit édifice élégant et de bon goût. Elle a été construite avant 1553 aux frais d’Étienne Papon, prêtre de Crozet et oncle du célèbre jurisconsulte. Il parle de cette chapelle dans son testament du 14 juillet 1553, et en détermine la situation d’une manière précise : « Et quant à son corps, il veult et ordonne qu’il soit inhumé et mis en terre en la chapelle qu’il nomme dès à présent la chappelle Sainct Estienne qu’il a faict édifier et bastir en l’église parrochialle de Tourzie, du cousté du cueur, de midy (1) ».

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(1) Ce testament, dont une copie intégrale m’a été envoyée par M. V. Durand, fait connaître sur l’histoire de Tourzy d’autres détails intéressants, mais que je suis obligé de négliger, spatiis exclusus iniquis .

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Jusqu’au XVIe siècle, il y a bien peu de documents sur l’histoire de la paroisse de Tourzy. Nous savons pourtant qu’elle avait une confrérie du Saint-Esprit, et une Charité qui chaque année, le jour de l’Ascension, distribuait aux pauvres des aumônes en argent ou en nature. Pour les siècles suivants, les actes de fondations et surtout les registres de catholicité, dont les plus anciens sont de l’année 1601, nous font assez bien connaître la vie de cette importante paroisse, et les difficultés singulières qui résultaient quelquefois du conflit entre l’église paroissiale de Tourzy, la chapelle de la Pacaudière et la chapelle ou l’église de Crozet.

C’est ici le lieu de signaler avec reconnaissance le travail entrepris par M. Huguenet, curé de la Pacaudière, sur les registres et les autres titres de Tourzy. Il a eu la patience d’analyser un à un, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, tous les actes de baptême, de mariage et de sépulture, même les plus vides d’intérêt : oeuvre ingrate, où l’excellent curé était soutenu par l’amour qu’il avait voué à sa paroisse. Les notes que j’ai extraites de ce dépouillement ont été constamment sous mes yeux.

L’institution des prêtres sociétaires et le pèlerinage de Tourzy sont les. faits, lés plus marquants que je connaisse dans l’histoire de cette :paroisse.

Sous. le nom de Notre-Dame de Tourzy, on honore dans la chapelle une statue de la Sainte Vierge, de couleur noirâtre (1). Mais le pèlerinage est-il aussi ancien qu’on le prétend ? La croyance populaire en rattache les origines à cette image miraculeuse qui aurait été trouvée au fond des bois ; en tout cas, on croit généralement, à la Pacaudière et à Crozet, que depuis plusieurs siècles on accourt des paroisses voisines invoquer Notre-Dame dans son sanctuaire de Tourzy. . Je ne puis m’empêcher d’en douter. Il n’y a pas d’allusions à ce pèlerinage dans les nombreux testaments du XIVe et du XVe siècle, enregistrés au greffe du bailliage de Forez. Je n’en ai même rencontré aucune mention dans les registres de Tourzy. Ils nous apprendront, par exemple, qu’en 1714 les paroisses de Saint-Martin d’Estreaux, de Sail, d’Urbize, de Saint-Bonnet des Carres, de Chenay-le-Châtel vinrent processionnellement vénérer les reliques de saint Roch ; mais rien ne trahit une affluence de fidèles à l’autel de Notre-Dame.

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(1) Voici une note qui m’a été communiquée par M. Joseph Déchelette : « La Vierge noire de Tourzy . Statuette en pierre polychromée en partie. Hauteur : om 70. XVIe siècle. La Vierge debout porte sur son bras gauche l’Enfant Jésus qui s’incline en avant. Le bras droit de l’Enfant est brisé ; sa main gauche tient une pomme. Le visage de la Vierge, encadré de bandeaux ondulés, est assez habilement modelé, mais les proportions générales de la statuette sont. lourdes et disgracieuses. » — On nous a montré, à la Pacaudière, une autre statue de la Vierge qu’on dit aussi venir de l’église de Tourzy.

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Tourzy n’attirait pas la foule, comme Notre-Dame d’Urbize, et le pèlerinage semble être assez récent. Même aujourd’hui d’ailleurs, ce mot serait un peu ambitieux; mais Notre-Dame de Tourzy est invoquée avec une grande confiance, comme en témoignent les ex-voto, suspendus dans la chapelle.

Les associations de prêtres ont été nombreuses dans le Forez, mais on sait peu de chose de leurs origines et de leurs statuts. Celle de Tourzy est au contraire parfaitement connue, et comme, sans doute, elle ne différait guère des autres sociétés du même genre, ce que je vais en dire éclairera un point assez peu connu de nos institutions religieuses. Je passerai sous silence les fondations faites en sa faveur, les procès qu’elle a soutenus pour la défense de ses intérêts, ses rapports avec les curés et avec la paroisse, pour me borner à parler de son institution.

Les prêtres de Tourzy, tous ou presque tous originaires de Crozet ou de la Pacaudière, fils de petits bourgeois, de marchands, de paysans aisés, n’avaient d’autre ambition que de passer doucement leur existence à l’ombre du clocher natal, subsistant de leur patrimoine, de quelques fondations ou prébendes et d’un petit casuel. On comprend que la pensée leur soit venue un jour de resserrer les liens de fraternité qui les unissaient entre eux, de mettre en commun leurs prières et, jusqu’à un certain point, leurs ressources, de régulariser les fondations dont ils vivaient. La Société des prêtres de Toury naquit au XVIe siècle sous l’influence de ces idées, aidées probablement par ce besoin de réforme qui agitait l’Eglise après la révolte de Luther. Cette société n’était pas un chapitre, bien moins encore une congrégation religieuse; elle tenait à la fois d’une confrérie sacerdotale, d’un syndicat professionnel et d’une corporation financière.

Le 15 avril 1535, pardevant Me Jean Papon, lieutenant général de la baronnie de Roannais, séant en son tribunal, comparurent Louis Papon, chanoine et questeur de la collégiale de Montbrison, Étienne Papon, Robert Cornu, Guillaume Dalbon, Blaise Guignard, etc., tous nés dans la paroisse de Tourzy, qui déclarèrent avoir l’intention de fonder une société entre eux, avec l’approbation de l’évêque de Clermont, et l’agrément des plus notables habitants de la ville de Crozet, du bourg de la Pacaudière, et de toute la paroisse de Tourzy. Ceux-ci furent aussitôt appelés et mandés par un sergent, et se présentèrent à l’audience, où, en leur présence, on donna lecture des statuts de l’association projetée, toujours sous la réserve de la sanction épiscopale. En voici les articles les plus importants.

La communauté des prêtres sociétaires se composera de douze prêtres nés et baptisés dans la paroisse de Tourzy. Le curé, chef de la communauté, n’est pas compris dans ce nombre de douze, et pourra être étranger à la paroisse. Toute place vacante sera donnée au plus ancien prêtre natif de Tourzy. Les fondateurs dotent la communauté chacun de cent sols tournois qu’ils veulent servir à perpétuer les vêpres qui se disent tous les samedis dans la chapelle de Crozet. Les membres futurs verseront entre les mains du trésorier une somme de dix livres qui sera employée à l’embellissement de l’église, ou à l’augmentation des revenus de l’association. — Les sociétaires ne pourront exercer aucune fonction ecclésiastique, ni accepter fondations, legs ou donations sans le consentement du curé. ­ Ils seront tenus d’assister aux offices publics et aux processions qui se font dans l’église de Tourzy ou dans la chapelle de Crozet; ils seront en habits de chœur aux vêpres du dimanche à Tourzy, et aux vêpres du samedi dans la chapelle de Crozet ; celui qui paraîtrait aux offices avec des vêtements peu convenables serait pointé et privé de la distribution du jour. Les associés participeront par portion égale aux fondations, pensions et revenus quelconques, à condition de résider et de faire leur semaine, soit par, eux-mêmes, soit par un autre prêtre de la communauté. Le curé seul aura droit à deux parts. Les sociétaires pourront se réunir pour traiter de leurs intérêts communs, et ils nommeront pour la gestion de leurs affaires deux procureurs, dont les premiers seront messires Etienne Papon et Guillaume Dalbon.

Les articles constitutionnels de l’association ayant été lus, les notables de la paroisse de Tourzy déclarèrent y donner leur agrément. Les prêtres présents à l’audience nommèrent à l’instant leurs procureurs afin de poursuivre la conclusion de leur dessein devant Mgr l’évêque de Clermont qui, le 15 octobre suivant, par l’organe de son official, érigea et déclara canoniquement érigée la société des prêtres de Tourzy selon la forme et teneur de ses statuts (1).

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(1) J’ai tiré ce qui précède d’une copie de M. l’abbé Huguenet ; elle finissait par cette note : « Extrait pris et collationné sur une expédition originale en parchemin des archives de Tourzie … à la demande de. MM. Clerc, curé, et Begon, vicaire, par Thillier, notaire ». — Cette pièce est très longue, et je n’en ai pris que ce qui était nécessaire pour faire connaître l’institution et les principaux statuts de la société des prêtres de Tourzy.

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IV.

SAINT.-MARTIN D’ESTREAUX.

La commune. Le bourg . — Le nom de cette commune., Sanctus Martinus de Strata (1), suffirait à prouver qu’elle était traversée par une voie romaine, ou au moins par un grand chemin public. Saint-Martin, dit-on, se serait arrêté dans ce village gallo-romain, et lui aurait laissé son nom. Je ne crois pas qu’il soit prudent de faire fond sur ces vagues légendes, ramassées on ne sait où ; mais un de nos amis, reprenant cette idée, lui a donné une forme plus précise. Après avoir noté avec soin, dans l’Auvergne, le Bourbonnais et le Forez, les paroisses qui sont de toute ancienneté sous le vocable de saint Martin, il croit qu’il est possible de les réunir par des lignes régulières, qui marqueraient l’itinéraire de l’apôtre des Gaules ; idée très originale, mais qui, ne s’appuyant sur aucun document positif, ne sera probablement jamais qu’une séduisante conjecture.

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(1) On trouve aussi quelquefois d’autres formes anormales, dues à des scribes étrangers au pays : d’Estral, d’Estrabz, de Trabis,

des Traux, etc. — Je profite de cette occasion pour protester contre l’orthographe illogique (Saint-Martin-d’Estréaux) adoptée par l’administration et par la compagnie du chemin de fer.

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Le territoire de cette commune affecte une configuration singulière : tellement resserré au couchant que la limite des départements de la Loire et de l’Allier entre dans le bourg même, il jette au nord, au levant et au midi trois pointes avancées, dont une va presque rejoindre le département de Saône-et-Loire. Les environs du village sont frais et riants ; l’aspect général est agréable, et la montagne de Jard, qui s’avance en promontoire et domine toute la paroisse, lui donne un certain caractère de grandeur.

Le bourg devait être fort petit au XVe siècle, car on était alors obligé d’aller acheter à Châtelus ou à Crozet des épices, une livre de chandelles ou « ung peal de parchemyn ». Maintenant les rôles sont intervertis, et les bonnes gens de Châtelus ne seraient pas loin de regarder Saint-Martin comme une sorte de ville. Le bourg a été évidemment créé par la route, et s’est développé avec elle. Le relais de poste, supprimé pendant tout le XVIIe siècle, et transporté au Bois-Droit, fut rétabli au commencement du XVIIIe. Par lettres patentes de février 1539 (v. st.), François I er accorda trois foires à Saint-Martin d’Estreaux, sur la demande de Jean de Lévis, baron de Châteaumorand, conseiller et chambellan du Dauphin (1). Avant la Révolution, Saint-Martin possédait des halles, un bureau de traites foraines, et le tribunal de haute, moyenne et basse justice de Châteaumorand, dont la juridiction s’étendait sur six ou sept paroisses depuis que les petites justices voisines y avaient été unies en 1672.

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(1) Arch. de Châteaumorand, et Arch. nation., JJ., 254, f os 49 V°. — Des lettres patentes antérieures de Louis XII, de décembre 1509, qui établissaient à Saint-Martin quatre foires et un marché le vendredi, semblent n’avoir pas été suivies d’effet. Le marché a été depuis rétabli, mais il se tient le jeudi,

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Saint-Martin est aujourd’hui un bourg considérable, avec une belle et vaste place, et qui ne souffre pas sans un peu de jalousie la prééminence que le titre officiel de chef-lieu de canton donne à la Pacaudière. Mais rien ne rendra plus à ses rues silencieuses le gai va-et-vient des voitures qui animaient et enrichissaient le pays.

On voit encore.à Saint-Martin d’Estreaux quelques toits à haut pignon, dernière concession aux habitudes du Nord qui viennent mourir ici. Le bourg a conservé plusieurs maisons anciennes; l’hôtel du Lion d’Or a des fenêtres, autrefois à meneaux, qui rappellent un peu celles de Châteaumorand.

L’église . — Elle date d’au moins cinq époques différentes. Une nef très étroite, entre les chapelles de Châteaumorand et de Lalière, paraît être l’église primitive qui, au XIVe siècle, suffisait encore à la population. La grande nef et le clocher ont peut-être été bâtis avec le legs que le curé André Fraitit fit à sa paroisse, dans son testament du 3 novembre 1400, pour la construction de l’église ( pro edifficatione ipsius ecclesie ). Les chapelles latérales sont de la fin du XVe ou du commencement du XVIe siècle. Quant au chœur et aux avant-corps des chapelles, ces bâtisses, dignes à peine d’un méchant maçon, appartiennent à notre temps. A tout prendre, et sauf ses deux chapelles, l’église de Saint-Martin est un pauvre édifice; cependant je tiens à ces vieilles pierres rongées par l’humidité, et on n’y touchera pas sans que j’en défende quelques débris. On comprendra un jour qu’un souverain respect est dû à ces églises de campagne où nos pères ont vécu le meilleur de leur vie, qu’il est presque toujours possible de les assainir, de les réparer, de les orner, et qu’une discrète restauration vaut mieux qu’un pastiche roman ou gothique. Mais cette heure de justice n’est pas encore venue, et,. en attendant, c’est toujours un titre à l’avancement pour un curé que d’avoir une ou deux églises tuées sous lui.

L’église de Saint-Martin n’est pas du reste absolument sans intérêt pour l’archéologie, ni même pour l’art. Une petite cloche, qui vient de l’église de Saint-Prix, près la Palisse, porte la date de 1693 ; une autre cloche très élégante, de 1524, est décorée d’excellentes figurines à arcatures gothiques, et d’une inscription en beaux caractères (1). On pourra remarquer, à l’entrée de la chapelle de Lalière, un bénitier orné d’un écusson curieux, à trois triangles entrelacés et quatre S barrés, dont voici le dessin.

 

4. – ECUSSON sculpté sur un bénitier à l’entrée de la chapelle de Lalière, aujourd’hui Saint-Martin, dans l’église de Saint-Martin d’Estreaux.

Les chapelles de Châteaumorand et de Lalière, qu’on appelle maintenant chapelles de la Sainte Vierge et de Saint-Martin, appartiennent à la fin extrême de la période ogivale, et même la Renaissance s’y trahit par plus d’un caractère.

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(1) Voy. la description de ces deux cloches dans J. Déchelette, Inscriptions campanaires de l’arrondissement de Roanne p. 15.

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La chapelle de Lalière a été bâtie, on ne peut en douter, par Brémond de Vitri ou par sa veuve Catherine de Talaru. C’est un ouvrage de proportions assez belles, qui se compose de deux travées, dont chacune est éclairée par une grande fenêtre divisée en deux parties, à compartiments flamboyants. Les colonnes rondes, engagées, sans aucun chapiteau, s’épanouissent à la voûte en nervures d’une saillie vigoureuse. Le fond de la chapelle parait s’être ouvert autrefois par une arcade surbaissée. On dit que le caveau funéraire des seigneurs de Lalière existe encore, dissimulé sous le carrelage. Antoine de la Guiche, frère du maréchal de Saint-Geran, y fut enterré en 1577, et, en 1613, Jacqueline de Chaugy, dame de Lalière, grand’mère du maréchal. Celui-ci célébra sa quarantaine d’une manière assez nouvelle, à la tête de quelques centaines de soudards qui, après avoir tenté d’entrer par surprise à Châteaumorand, ravagèrent pendant quatre jours les paroisses de Saint-Martin, de Sail et de Saint-Pierre-Laval.

La chapelle de Châteaumorand, par sa grandeur, son plan et son style est semblable à celle de Lalière, si ce n’est que les colonnes sont polygonales, et coupées par des moulures de mauvais goût, en manière de chapiteau, au-dessus desquelles l’ouvrier a sculpté des écussons en pierre, non armoriés. Nous avons son acte de naissance rédigé en style de notaire.. Le 17 mars 1495 (v. st.), Jacques de Lévis passa un prix-fait avec « Simon Pourret et Gonin Aujay, massons » (1), aux termes duquel les deux entrepreneurs devaient abattre l’ancienne chapelle seigneuriale, et la reconstruire dans le. délai de la Saint-Michel 1497.

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(1) Il a été imprimé dans le Bull, de la Diana, t. VI, p. 74.

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La chapelle est exactement conforme aux conditions acceptées par eux, mais « l’establement par dehors au dessus de la voste » a été ruiné par le temps. Il est question dans ce prix-fait d’une sorte de calorifère, ou d’ « ung chauffe pyé de quatre piez de large »; on voit encore à l’extérieur une ouverture carrée qui était probablement l’entrée du foyer. Le caveau de la maison de Châteaumorand, aujourd’hui vide d’ossements, est fermé par une large pierre tombale, sans inscription, mais sur laquelle on reconnaît quelques traces d’une décoration gravée. Cette chapelle fut plus tard ornée d’une litre armoriée, ou d’écus écartelés aux armes de Lévis-Chàteaumorand (1), et d’autres peintures dont les derniers vestiges ont percé sous le badigeon.

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(1) On voit aussi dans la chapelle de Lalière des traces de es écus écartelés. Les marquis de Châteaumorand n’ayant acquis qu’en 1669 la seigneurie et par suite la chapelle de Lalière, il en résulte que cette décoration était postérieure à cette date.

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La fenêtre la plus rapprochée du fond est garnie d’un beau vitrail ancien, malheureusement mutilé. Les compartiments dessinés par le croisement des nervures flamboyantes sont occupés par des fleurons, par des anges, et, au sommet de l’ogive, par le Père Éternel. Chacune des deux baies contient deux sujets: à gauche, en haut, une crucifixion dont il ne reste que des débris. En bas, une Adoration des mages ;sur le socle du trône où la Sainte Vierge est assise, un signe tracé en noir doit être la marque ou monogramme du peintre verrier. Dans la baie du côté droit, en haut, les apôtres saint Jacques et saint Jean-Baptiste, patrons de Jacques de Lévis et de son fils aîné Jean de Lévis. En bas, un chevalier et une dame ages, agenouillés devant un prie-Dieu, et, debout derrière eux, saint Christophe et sainte Anne. Les figures du chevalier et de la dame sont d’une vérité si frappante, que je n’hésite pas à les regarder comme des portraits authentiques. Mais quels personnages représentent-elles? c’est ce que je, vais examiner avec toute la brièveté possible.

5. – MONOGRAMNE sur le vitrail, de la chapelle de Châteaumorand, aujourd’hui de la Sainte-Vierge, dans l’église,de St-Martin d’Estreaux.

 



On ne peut évidemment penser à Jacques de Lévis et à Louise de Tournon, ni à leur fils Jean de Lévis et à sa femme Gilberte d’Étampes ; il faut donc revenir un peu en arrière. Anne de Châteaumorand, née vers 1408, mourut au mois de novembre 1476, à soixante-huit ans environ, et il faut bien noter qu’elle est la seule dame de Châteaumorand qui ait porté ce prénom. Son mari Brémond de Lévis est mort « fort âgé » en 1487, et on sait par des extraits de son testament qu’il fit un legs à la chapelle de Châteaumorand. Que son fils Jacques de Lévis, faisant relever cette chapelle neuf ans après la mort de Brémond, ait voulu consacrer et perpétuer par un vitrail la mémoire de son père et de sa mère, il n’y a rien de plus naturel. Mais comment Brémond de Lévis peut-il avoir pour patron saint Christophe ? Il y a .bien en effet un saint Brémond — que ne trouve-t-on pas dans les interminables listes hagiographiques ? — mais, sans lui manquer de respect, on peut dire que c’est un pauvre saint sans notoriété, et non pas un de ces saints classiques, bien cotés, inscrits dans les calendriers. Brémond de Lévis avait donc vraisemblablement un autre patron, saint Christophe.

Une preuve indirecte semble d’ailleurs trancher la question. Entre 1407 et 1429, Jean de Châteaumorand fonde un petit chapitre seigneurial; un règlement fait peu de temps après sa mort nous fait connaître en détail les obligations des quatre « chapelliens », leur service journalier, les messes chantées et à voix basse qu’ils sont tenus de célébrer chaque jour de la semaine; on n’y trouve encore aucune mention de saint Christophe. Cent ans plus tard, un peu après 1523, Jean de Lévis impose à ses chapelains des conditions nouvelles, entre autres celle-ci que, quand « les festes de la Vierge Marie, de sainct Jacques et de sainct Christoffe escherront esdicts jours du mardi et samedi, lors la messe qui se dit basse ordinairement en ladicte chappelle du chasteau sera chantée, et à ce doibvent assister tous lesdicts chapellains ». Ne semble-t-il pas évident que saint Jacques et saint Christophe, dont il n’était pas question jusque-là, sont les patrons de Jacques et de Brémond de Lévis, père et grand-père de Jean de Lévis? Notre vitrail représente donc Brémond de Lévis et Anne de Châteaumorand; c’est un monument précieux dont doit s’enrichir l’iconographie de la maison de Châteaumorand.

Ecole des « enfants de la chapelle ». — On connaît assez bien la vie des universités au moyen âge, des écoles monastiques, des maîtrises annexées aux grands chapitres, et même de quelques collèges municipaux. Mais où et comment recevaient l’éducation cléricale les prêtres de campagne si nombreux dans les plus petites paroisses ? On ne le sait guère, et tout document qui peut aider à résoudre ce problème mérite d’être recueilli avec soin Les comptes de Châteaumorand, de 1410 à 1413, parlent plusieurs fois de « Messire André, clerc des enfans de la chappelle» Est-ce que Messire André ne régentait pas une école assez semblable à nos manécanteries ? A vrai dire, les textes ne me permettent pas de dire avec certitude si cette école de clergeons avait une existence indépendante , ou si elle était attachée à l’église de Saint-Martin d’Estreaux Mais cela importe peu Il paraît, en tout cas, qu’elle était sous le patronage de la maison de Châteaumorand, qu’elle vivait de ses bienfaits, et on ne peut s’empêcher de croire que Jean Papon y fait allusion dans l’épître dédicatoire de ses Arrests notables , adressée à Antoine de Lévis-Châteaumorand, évêque de Saint-Flour : « Je dois remercier Dieu de ce qu’il m’a fait cest heur que de passer par vos mains, et estre un de ceux que votre maison se treuve, tant par les vieux registres qui y sont que par mémoire des vivants, avoir nourri et avancé aux lettres ».

Chapitre seigneurial. Divers essais de fondations religieuses . — Les riches familles de la noblesse ont souvent fondé des sociétés de prêtres dans la chapelle de leur château et l’église de leur paroisse, soit par un sentiment de piété sincère, soit un peu aussi par ostentation et vanité. Il serait facile, si on écrivait ici l’histoire de Saint-Martin, de raconter la destinée et les vicissitudes du chapitre établi par Jean de Châteaumorand, comme je viens de le dire, entre 1407 et 1429. D’autres actes de 1476, 1523, 154!, 1599, etc., portèrent à cinq le nombre des chapelains, augmentèrent leurs charges avec leurs avantages, déterminèrent le roulement du service dans l’église et dans la chapelle du château, les amendes imposées aux délinquants, et insistèrent sur l’obligation de la résidence et sur la nécessité d’assister aux offices en habits décents, c’est-à-dire avec le surplis et le chaperon. Une pancarte écrite en gros caractères, et probablement affichée dans l’église ou la sacristie de Saint-Martin, rappelait aux prébendiers leurs devoirs.

Jean de Châteaumorand avait fixé le revenu de chacun des chapelains à vingt livres tournois et à diverses redevances en nature. Au commencement du XVe siècle, c’était une rétribution convenable pour la petite ambition de ces prêtres de village. Mais il arriva un moment où, malgré quelques fondations nouvelles en faveur des chapelains, leur salaire fut insuffisant. Diane de Châteaumorand, voyant qu’ils désertaient leur poste dès qu’ils rencontraient un meilleur bénéfice, décida de substituer aux prébendes instituées par ses prédécesseurs un couvent de religieux qui accompliraient les fondations, et s’engagea, par un acte du 4 septembre 1623, à faire bâtir et meubler au bourg de Saint-Martin d’Estreaux une maison d’Augustins déchaussés. Mais bien qu’un délégué de l’ordre eût solennellement accepté la fondation, et que Diane l’eût ratifiée dans son testament, elle ne fut pas réalisée. Les religieux, las d’attendre le couvent qu’on leur avait promis, se retirèrent en 1629.

Les choses allèrent de mal en pis. Les prébendes, réduites à trois, n’étaient pas même régulièrement occupées. La conscience de Marguerite d’Austrein, veuve de Henri de Lévis, s’alarma. Pour tenir lieu des anciennes fondations, elle établit à Saint-Martin, par un acte du 3 octobre 1677, réservé le bon plaisir du pape et de l’évêque de Clermont, un monastère de religieuses Urbanistes sous le nom de Notre-Dame de Lévy. La première prieure devait être Diane de Lévis-Châteaumorand,alors religieuse à la Bénisson-Dieu, et belle-sœur de Marguerite d’Austrein, qui demanda pour. elle la permission de changer d’ordre et d’habit. Mais ce projet avorta encore, pour des raisons restées inconnues. Mgr de Veny d’Arbouze, évêque de Clermont, par une ordonnance du 27 janvier 1682, réduisit à deux, de son autorité, les prébendes de Châteaumorand, et régla définitivement la manière dont les chapelains devaient les desservir, soit dans la chapelle de l’église, soit dans celle du château.

A-t-il existé à Saint-Martin un prieuré de l’ordre de Fontevrault ? — D’après une note de l’ Almanach du Lyonnais, Forez et Beaujolais (année 1759), Saint-Martin aurait eu autrefois un monastère de l’ordre de Fontevrault, depuis réuni à celui de Beaulieu près de Roanne. Il est certain du moins que la prieure de Beaulieu avait droit de nomination à la cure de Saint-Martin d’Estreaux, et qu’elle levait dans cette paroisse des redevances, qui même embrassaient une partie du village (1). On voit encore aux archives de Châteaumorand le petit terrier de 1459, et le compte des cens perçus en 1430 sur « ceulx qui doivent argent, biefz et gellines au prieur ( sic ) de Beau lieu ès parroches de Saint-Martin Destraulx et de Laval ». Il n’y a rien d’absurde à croire que ce prieuré, ayant de la peine à vivre à cause de la modicité de ses revenus, fut incorporé à celui 4e Beaulieu, qui hérita de son droit de nomination et de son terrier.

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(1) Le monastère de la Bénisson-Dieu possédait aussi à Saint-Martin des dîmes, un terrier et le domaine Mespie (Voy. L’Abbaye de la Bénisson-Dieu , passim ). — Le 17 janvier 1398 (v. st.) eut lieu une enquête touchant la limite des justices de Châteaumorand et de la Bénisson-Dieu; — Bernard Rochein était vers 1373 magister de Mesple (Arch. de Châteaumorand).

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Confrérie du Saint-Esprit. Hôpital . — Saint-Martin avait au moyen âge une confrérie du Saint-Esprit, à laquelle un certain Jean Tissier faisait un legs en 1387, et que la famille de Châteaumorand aidait de ses aumônes. Un acte dé 1526 nous apprend que la confrérie était alors établie dans.une. maison à elle. Comme beaucoup de villages échelonnés sur les grandes routes de France, Saint-Martin. possédait aussi un hôpital très ancien, plusieurs fois mentionné dans les donations testamentaires-, il était en 1411 gouverné par une sorte de béguine. En 1523, Jean de Lévis acheta une oeuvrée de vigne pour «l’hostel.-Dieu » de Saint-Martin ; mais il n’en est plus depuis question nulle part. Il dut disparaître quand la facilité et la rapidité relatives des voyages eurent rendu moins nécessaires ces établissements charitables.

L’Ermitage de Jard . — Au pied de la montagne de Jard, joignant l’ancienne route de Paris, et à 1’endroit précis où s’amorce l’essai de rectification dont j’ai parlé ailleurs, le cadastre de la commune de Saint-Martin (C, 11 et 12) désigne sous la rubrique « l’ermitage » deux petites pièces de terres allongées. Ces indications correspondent en effet très exactement à celles qui sont données par le procès-verbal de l’état de la route fait en 1668. L’ermitage de Jard ou de Véjà ( vez Jard, vers Jard ) devait alors exister encore. Il est probable que cet asile fort peu solitaire, puisqu’il était sur le bord d’une route très fréquentée, servait souvent de retraite aux pauvres voyageurs attardés.

Godinière . — Au midi du bourg de Saint-Martin s’ouvre une charmante vallée, ombragée de beaux arbres, et égayée par les châteaux de Godinière et de la Fayolle. Bien que Godinière ne soit plus qu’une maison de métayer, son toit élevé et sa tourelle d’escalier lui donnent encore un petit air seigneurial. Au-dessus de la porte et sur le manteau de la cheminée, on voit deux écussons dont les armes sont effacées, ou n’ont peut-être jamais été gravées, car on n’aperçoit aucune trace d grattage (1). Deux grandes pièces, l’une au rez-de-chaussée, l’autre au premier étage, composent toute cette gentilhommière. L’intérêt particulier de ce très petit manoir, qui parait intact, est de montrer ce qu’était souvent l’habitation de ces nobles d’humble lignée, dont tous les revenus consistaient en quelques arpents de terre, et dont la vie se partageait entre le métier des armes et la monotone existence de leur castel.

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(1) D’après M. Aubert de la Faige, les Le Brun, de Droiturier, qui certainement appartenaient à la même famille que ceux de Saint-Martin, portaient : de gueules à trois chardons fleuris d’or, à courte queue et sans feuille .

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Le fief de Godinière a été longtemps possédé par les Brun ou Le Brun, qu’on y suit sans interruption du XIVe siècle au milieu du XVIe. A cette famille appartient très probablement Guichard Le Brun, dont la Chronique du bon duc Loys a raconté les « belles armes ». Mais l’homme le plus marquant de cette race de soldats est Jean Le Brun, dit le capitaine Godinière. Après. avoir embrassé le parti du connétable de Bourbon, comme ses voisins Jean et Louis de Vitri, il eut, en décembre 1526, des lettres de rémission (1), qui lui octroyèrent la permission de « faire reediffier et bastir les maisons et places à luy appartenans, lesquelles, au moyen de ce qu’il s’estoit retiré audit service de Bourbon, luy ont esté par ci-devant ruynées, prinses et mises en notre main ». Cet acte, s’il faut en prendre les termes à la lettre, nous donne à peu près la date du nouveau château de Godinière, qui, en effet, paraît bien être du XVIe siècle. Il passa peu d’années après à la maison de Bry, par le mariage de Catherine Le Brun avec Jean de Bry, puis aux Deschamps de Feytière. Acquis en 1691 par Jean-Guy Gaulne, il a presque suivi jusqu’à nos jours la destinée de la terré de la Fayolle, dont il n’a plus été qu’une dépendance.

La Fayolle (2). — Le château de la Fayolle, très voisin de Godinière, mais situé presque au fond d la vallée, a été bâti un peu après 1573 par Jean Nazarier, qui obtint, par lettres patentes de juillet 1588, l’autorisation de le faire clore de fossés et d’un pont-levis. Ces fossés n’ont été comblés que dans notre siècle. Une partie du château, brûlée vers 1866, a été relevée; mais il reste encore de la maison de Jean Nazarier un grand corps de logis et des tours carrées, couronnées de toits aigus. Le salon est orné de jolies peintures en camaïeu, dans le goût du XVIIIe siècle.

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(1) Arch. nat., JJ., 243, f. .

(2) Voy. La maison Nazarier de la Fayolle et le livre de raison d’Étienne Nazarier , par l’abbé Reure. Roanne 1894, in-8°, 32 pp. — Les lettres patentes de 1588, ci-après mentionnées, ont été publiées dans L’Ancien Forez , t. V, p. 273.

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Les Nazarier sont fort anciens dans la région, où on les trouve cités dès 1256 ; toutefois ce n’étaient que des laboureurs à l’aise. Cette famille sortit de sa première condition avec Étienne Nazarier, notaire royal et greffier du bailliage de Châteaumorand. On a encore son livre de raison, qui est aux archives de Châteaumorand. Au fond, ce gros registre est surtout un répertoire de titres de propriété ou de famille, mais Étienne Nazarier y a intercalé çà et là quelques notes sur les événements du temps, la généalogie de sa maison, des détails sur la naissance et l’éducation de ses enfants et sur les noces de ses filles Georgette et Marguerite, l’inventaire de ses meubles, le catalogue de sa bibliothèque. A mon avis, le grand intérêt social de ce livre de raison est de raconter naïvement l’histoire d’une famille de paysans au moment précis où elle quitte la charrue pour entrer dans la bourgeoisie, et glisser tout de suite après dans la noblesse.

Les Nazarier gardèrent la terre de la Fayolle jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Vers 1690, elle fut saisie par les créanciers de Jean-Baptiste Nazarier ; et adjugée à Jean-Guy Gaulne, qui acheta aussi l’année suivante le fief de Godinière. Son fils Jacques-Ignace Gaulne, seigneur de la Fayolle et Godinière, épousa en 1708 Marguerite de la Mure, fille unique de Noël, le neveu et l’héritier de l’historien Jean-Marie de la Mure. Marguerite, par son testament du 15 juillet 1745 et son codicille du 12 mai 1749, institua pour héritier universel son petit-fils Claude-Noël Regnaud de Galtière. Ce testament fut sans doute cassé, car, en 1766, on voit que la terre de la Fayolle appartenait à un autre de ses petits-fils, Noël-Claude-François-Xavier Gaulne, qui la vendit en 1775 à Claude Girard de Charbonnière ; une des filles de celui-ci, Marie-Anne Girard, fut la mère de M. le duc de Persigny. Les propriétés de la Fayolle, de Godinière et dépendances, vendues à M. Pierre-Matthieu Hue de la Blanche, furent cédées par lui à M. Hector Meynis du Fournel de Paulin, mort en 1859. Le château de la Fayolle est aujourd’hui habité par son fils, M. Paul Meynis de Paulin, qui porte avec dignité un nom très honorable.

Faytière . — Quelques vieillards se souviennent encore d’avoir vu le petit château de Faytière ou Fayetière, un peu plus haut que l’entrée méridionale du tunnel de Saint-Martin d’Estreaux ; mais il n’en subsiste aucune trace, et personne n’a pu nous en donner une description un peu précise.

L’histoire connue de Faytière ne remonte pas au. delà de l’année 1496, où on voit noble Antoine Damas, écuyer, seigneur de Fayetières, présent à une convention. En 1570, le possesseur de ce fief s’appelle Jacques de Fayetières. Et c’est tout, jusqu’en 1600. Les documents abondent au contraire aux deux siècles suivants; mais c’est assez de dire que la seigneurie de Faytière fut possédée au XVIIe siècle par les Deschamps, vieille famille de notaires (1), et au XVIIIe par les Rivière, qui finirent par tomber dans une sorte de dénuement. Elle fut acquise, peu d’années avant la Révolution, par le comte de Lévis-Mirepoix, marquis de Châteaumorand.

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(1) La Mure, dans ses notes manuscrites (t. II, 69), dit que « le fief de Fatières porte : d’azur à 3 fasses d’argent ». Je présume, sans en avoir la certitude, que ces armes sont celles des Deschamps de Faytière.

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Villars .— C’était un très modeste fief, probablement sans maison forte, entre Saint-Martin et Lalière, près de la route de Paris à Lyon. Les actes des XIIIe et XIVe siècles font souvent mention d’une famille de Villars ( Vilars, Vilart, Villers, de Villaribus ) possessionnée sur les limites du Bourbonnais et du Forez, et qui sans doute avait pris le nom de cette terre. Mais elle appartenait en 1418 à Philippe de Montcorbier (1), sur lequel Jean de Châteaumorand l’avait saisie « pour défaut de ce que le seigneur dudit Villars a esté refusant de faire son fief envers mondit seigneur ». Le 23 avril 1441, Brémond de Lévis fit l’acquisition de la seigneurie de Villars, et, depuis ce moment, elle fut si bien incorporée à la baronnie de Châteaumorand, qu’elle cessa d’avoir une existence distincte.

Lalière .— Je ne crains pas de dire que la famille de Vitri-Lalière est une des races les plus remarquables qu’ait produites notre province (2). L’intelligence, la culture intellectuelle, l’habileté, l’esprit politique, le courage, la décision du caractère, rien ne lui a manqué. D’une noblesse et d’une fortune médiocres, elle s’est élevée bien au-dessus de sa condition féodale, et tout porte à croire qu’elle aurait grandi encore, si elle n’avait succombé avec le connétable de Bourbon, dont les derniers Vitri soutinrent le parti avec une extraordinaire énergie.

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(1) Peut-être fils de Jean de Montcorbier, nommé en 1390 capitaine de la ville et château de Crozet (La Mure-Chantelauze, t. II, p. 78, note I)

(2) J’ai raconté l’histoire de cette famille dans l ‘Hist. du château et des seigneurs de Lalière , Roanne, 1893, in-8°, 118 pp. Ce travail a d’abord paru, moins les pièces justificatives, dans le Roannais III ., VI, pp. 21, 37, 69. Le format du tirage à part n’a pas permis d’y conserver Les trois planches hors texte suivantes : 1° vue de Lalière, d’après un dessin de Mlle Th. Aubert ; 2° médaille représentant Jacques de Vitri, chancelier de Bourbonnais, frappée en 1518 ; 3° portrait du maréchal de Saint-Geran, seigneur de Lalière.

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Les Vitri-Lalière sont mentionnés pour la première fois en 1287, et leur filiation s’établit très régulièrement depuis André II de Vitri, nommé en 1340 sergent général du comté de Forez. Mais le premier dont l’histoire soit assez bien connue est André III, écuyer de la duchesse de Bourbon, gouverneur de la baronnie de Roannais, mort vers 1472; son nom est mêlé d’une manière intime à l’épisode littéraire qui nous est connu par les Douze Dames de Rhétorique . Son fils aîné, Brémond de Vitri, mort en 1509, fut l’homme de confiance et le conseiller écouté de Pierre II et de la duchesse Anne de France, qui le comblèrent de charges, d’honneurs et de bienfaits. Jacques de Vitri, frère de Brémond, mort en 1515, chancelier de Bourbonnais, chanoine de Lyon, doyen de Montbrison, etc. a été aussi pendant dix ans un des principaux agents du gouvernement de nos ducs, qui l’employèrent aux négociations les plus importantes. Brémond de Vitri avait laissé trois fils vivants de son mariage avec Catherine de Talaru, Jean, Louis et Jacques. Jacques de Vitri devint abbé d’Évron ; Jean fut le plus hardi et le plus actif des complices du connétable, dont il servit la cause, ainsi que son frère Louis, avec un absolu dévouement. Après leur mort ou leur disparition — car leur fin est entourée d’obscurité — la seigneurie de Lalière, un instant confisquée et donnée par le roi à Jean de Lévis, échut à leur sœur Jacqueline de Vitri (1), qu épousa en 1531 Pierre de Chaugy, seigneur de Chenay-le-Châtel, Cossat et Saint.-Félix; Jacqueline de Chaugy la porta dans la maison d’Isserpens, par son mariage avec François d’Isserpens. Entré enfin dans les possessions des la Guiche, puis des Lévis-Châteaumorand, qui en firent l’acquisition en 1669, le château de Lalière perdit son autonomie, et sa justice même fut unie là celle de Châteaumorand en 1672.

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(1) Depuis que j’ai écrit l’histoire de Lalière, j’ai trouvé dans un mss. de la Bibi. nat. (Fonds français, 22241, 82) cette note dont l’origine est intéressante : « Estoit dans un livre d’église à Chenay… Anno Domini millesimo quingentesimo quadra-gesimo secundo, die vero sabbati vigesima quinta mensis februarii, decessit ab humanis domina Jaquelina de [Vitri-] Lalière, domina de Cheneyo, consolatrix pauperum ».

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Par ses lettres patentes de septembre 1524, le roi avait donné à Jean de Lévis la seigneurie de Lalière, confisquée sur Jean de Vitri, à la condition qu’il « sera tenu de faire parachever d’abattre et desmolir le chasteau dudit La Rière, que nous avons faict commencer d’abattre en signe de démonstration de perpétuel mémoire du dict crime et délict ». Il faut un peu se défier de ce style de chancellerie ; mais, si cet acte exprime ici autre chose qu’une fiction légale, François 1er aurait fait commencer la démolition de Lalière, et c’est alors sans doute qu’aurait été ruinée une partie considérable du château, encore indiquée dans un plan du XVIIIe siècle, mais que des procès-verbaux de visite déclarent inhabitable depuis longtemps ; il n’en reste qu’un pan de muraille et une petite tour découronnée, isolée dans la cour. En son état actuel, le château de Lalière forme un carré allongé, flanqué d’une grosse tour d’angle. Dans cette construction très lourde qui paraît dater du XVe Siècle, mais. avec quelques remaniements du XVIe, on ne voit ni sculpture, ni. moulure élégante ; mais son admirable situation à extrémité d’une colline qui regarde un immense horizon, et, une tapisserie de lierre qui l’a couvre entièrement au midi et au couchant, lui donnent cependant de la majesté.

On remarquera d’ailleurs des dispositions singulières. Le château étant bâti sur le bord d’un versant très rapide, on a racheté cette pente par deux é tages superposés de caves ; ce sont l’es « souterrains de Lalière », bien connus dans les légendes du pays. Sous la tour d’angle, s’ouvre un trou carré, béant, par lequel on descend avec une échelle dans un caveau voûté qu’une tradition constante appelle les oubliettes de La1ière (1). A l’entrée du sombre couloir, encombré d’éboulis, qui conduit aux oubliettes, est un puits profond qui a aussi servi de thème à de fantastiques légendes ; bien des gens vous diront que ce puits fameux traverse toute la terre.

A quelque distance du château, on voit encore deux barbacanes en ruines. Du côté du midi, le seul par où Lalière fût facilement accessible, la colline a été coupée par un fossé très profond, à parois verticales, d’une conservation presque parfaite ; mais un pont fixe a été substitué depuis longtemps à l’ancien pont-levis. La porte était en outre défendue par deux échauguettes, dont il ne reste que les encorbellements.

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(1) Est-ce que ce sont de véritables oubliettes ? Je ne reviendrai pas sur cette question que j’ai posée, sans prétendre la résoudre, dans l’ Hist. de Lalière .

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Dianières . — Petit hameau à deux ou trois kilomètres N.-O. de Lalière son territoire, aujourd’hui.compris tout entier dans la commune d.’Ande-la-Roche (Allier) était autrefois partagé entre le Bourbonnais et le Forez. Ce village perdu sur les marches des deux provinces a été absolument exempt, au moins jusqu’en 1722, de tout impôt ducal ou roya1. La Mure a raconté (1) que les « Exempts de Dianières » devaient leur privilège au dévouement chevaleresque d’un de leur seigneur qui, en 1422, quand la cause de, Charles V,II paraissait désespérée, amena au jeune roi tous les hommes de sa terre en état de porter les armes, et obtint en récompense à ses « justiciables de ladite terre de Dianières une exemption perpétuelle de toutes tailles, impôts, et subsides ». Je n’aurais pas mieux demandé que de respecter pieusement cette histoire flatteuse pour notre patriotisme ; mais, ayant examiné de près la question, j’ai été obligé de faire voir que, en 1422, le seigneur de Dianières était une enfant de onze ans, Françoise de Châtelus, et que d’ailleurs le privilège de Dianières remontait bien plus haut. Je m’étais arrêté à cette conclusion probable que cette immunité avait été méritée par quelque brillante action d’un baron de Châteaumorand, alors seigneur de Dianières. Mais on peut se demander si ce nom de Dianières ne serait pas un indice, d’un antique sanctuaire de Diane, qui aurait joui, comme beaucoup d’autres, de privilèges .particuliers, lesquels se seraient perpétués de siècle en siècle par la force de l’habitude, et auraient été plus tard justifiés par une légende tardive, inventée pour colorer cette exemption. Pure hypothèse, j’ai à peine besoin de le dire, mais qui peut-être n’est pas dénuée de toute vraisemblance.

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(1) Hist. des ducs de Bourbon , t. II, p. 139. — Voy. Les Exempts de Dianières , Roanne, 1889, in-8°, 14 pp., étude publiée d’abord dans le Roann. ill ., IV, p. 204.

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Buissonnières (1).—- Vieille enceinte fossoyée, sur la limite septentrionale du bois de Buissonnières, dans un pays plat, marécageux et triste. Elle forme un carré régulier d’environ 45 mètres de côté; les fossés sont assez bien conservés, et même souvent remplis d’eau ; on accède à cette enceinte par un terre-plein. On ne reconnaît aucun vestige de construction, mais le sol est actuellement couvert d’un taillis presque impénétrable, qui rend toute exploration difficile

Le fief de Buissonnières appartenait dès le XIVe siècle à la maison de Chaugy. Le 27 juillet 1565, Jacques de Chaugy, Claude et Antoinette de Chaussecourte vendirent la seigneurie de Buissonnières avec la terre et le château de Chaugy à Antoine de Châteaumorand et à Gabrielle de Lévis, sa femme.

Châteaumorand. — L’histoire de Châteaumorand a été publiée dans le Roannais illustré (2), mais l’auteur voit cet, essai d’assez mauvais œil aujourd’hui ; d’autres recherches lui ont fait connaître des documents très abondants, qui donneraient à son œuvre une face toute nouvelle, si des circonstances heureuses lui permettaient de la reprendre. Quelques parties demanderaient d’ailleurs à être traitées à part. La vie de Jean de Châteaumorand, que ses contemporains. étaient bien, près d’égaler à Boucicaut et aux hommes les plus illustrés de leur temps, ne peut pas être un simple chapitre de la monographie d’un château. L’histoire d’Honoré d’Urfé et de- Diane de Châteaumorand ne tardera pas sans doute à être mise au jour, et on ne croit pas trop s’avancer en promettant qu’elle renouvellera presque . entièrement ce qu 1’on savait jusque-là de leur vie.

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(1) Buissonnières n’appartient pas à la commune de Saint-Martin, mais à celle de Sail. Cependant, puisque son nom a été inséré dans le programme de l’excursion, j’en dirai quelques mots.

(2) IIIe série, pp. 1, 61, 113. — Il en a été fait un tirage à part à 50 exemplaires sous ce titre : Histoire du château et des seigneurs de Châteaumorand, par l’abbé Reure. Roanne, 1888, in-4°, 80 pp.

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L’histoire bien authentique de Châteaumorand commence au milieu du XIIIe siècle. Cette baronnie fut possédée pendant plus de deux cents ans par les Châtelus-Châteaumorand, qui s’éteignirent en 1476 avec Anne de Châteaumorand, mariée en 1423 à Brémond de Lévis. De là sont issues les branches de Lévis-Ventadour et de Lévis-Charlus, qui toutes deux arrivèrent à la pairie, et la première branche de Lévis-Châteaumorand; celle-ci prit fin en 1566 par la mort d’Antoine de Lévis,.évêque de Saint-Flour. Antoine laissait tous ses biens à sa nièce Gabrielle de Lévis-Charlus, alliée à Antoine Lelong de Chenillac, qui adopta le nom et les armes de Châteaumorand. Diane, leur fille unique, morte en 1626 sans avoir eu d’enfants d’Anne et d’Honoré d’Urfé, institua héritier universel son cousin Jean-Claude de Lévis, qui fut le premier marquis de Châteaumorand. La maison de Lévis a gardé cette terre jusqu’à nos jours ; elle a été vendue en 1864 à M. le comte de Dormy par Berthe de Roncherolles, fille de Delphine de Lévis et par son mari M. le comte Victor du Hamel, et enfin revendue en .1877 par Mme de Dormy à M. et Mme S.-Sigisbert Maridet. On voit par cet exposé très sommaire.que le château de Châteaumorand, de

1250 environ à 1864, n’est jamais sorti de la même famille ou, pour parler plus exactement, de la même parenté. Il est bon d’ajouter qu’il a presque toujours été la résidence ordinaire de ceux qui l’ont possédé et qu’ils n’ont 1aissé aucun ressentiment dans la mémoire du peuple, aucun souvenir d’orgueil ou d’oppression.

Je m’abstiendrai ici de toucher à l’histoire des barons de Châteaumorand, et je me contenterai de dire quelques mots des deux questions proposées dans 1e programme.

Quel droit les seigneurs de Châteaumorand avaient-ils de se qualifier « premiers barons de Bourbonnais » ? Ils ont pris quelquefois ce titre, et, ils l’ont pris, cela est certain, comme seigneurs de Châteaumorand, non comme seigneurs de Châtelus, bien qu’il soit fort singulier qu’une seigneurie située en Forez put être première baronnie de Bourbonnais. On lit dans un Mémoire sur les droits de la seigneurie de Châteaumorand , probablement écrit vers 1640 : « De tout temps immémorial, Chasteaumorant a esté la première baronye du Bourbonnois, ainsi qu’il est justifié par les tiltres qui sont dans le trésor, et par. les assemblées faictes par les gentilshommes dudit Bourbonnois, du temps d’es anciens ducs ». Ces titres qui étaient ou devaient être dans les archives du château n’y sont plus maintenant; mais l’histoire des Etats du Bourbonnais tenus en 1521 semble en effet donner quelque crédit aux prétentions des seigneurs de Châteaumorand. Après Pierre Popillon, qui prend séance pour le duc et la duchesse, et le sénéchal de Bourbonnais, le,premier nom de la noblesse est celui de « Messire Jehan de Lévys, chevalier, baron de Chasteaumorant » (1).

On a dit que la baronnie de. -Châteaumorand avait été vendue par les comtes de Forez, et qu’elle était ainsi entrée dans les domaines de la famille de Châtelus. Que faut-il en penser ? Je n’ai trouvé aucune preuve de cette aliénation. toutefois, si on veut parler de la terre de Châteaumorand, cela n’est pas impossible. Mais si on parle du château , de la place forte, cette assertion paraît peu vraisemblable. On sait par des textes précis que les seigneurs de Châteaumorand devaient l’hommage, non aux comtes de Forez, mais aux sires de Beaujeu jusqu’aux vieux fossés ( fossata vetera ). Aux documents déjà connus (2), on peut ajouter une sentence rendue par le bailli de Bourbonnais en 1372, et portant qu’il aurait fait saisir et mis sous la main du duc le château de Châteaumorand par défaut de foi et hommage ; mais il aurait ensuite reconnu que ledit château relevait du seigneur de Beaujeu, et pour ce aurait levé la saisie (3). Je suis porté à croire que le château de Châteaumorand a été donné à Eustache de Châtelus par Guichard IV de Beaujeu, qui a dû naturellement en réserver l’hommage et la mouvance à lui et à ses successeurs. En effet Guichard de Beaujeu, dans son premier testament écrit vers 1195 (4), déclare qu’il « concède à perpétuité à Eustache de Châtelus et à ses héritiers la terre ou seigneurie dont il lui avait fait don». Comme le château de Châteaumorand resta chargé de l’hommage féodal envers les sires de Beaujeu, on peut regarder comme très probable que cette seigneurie donnée par Guichard IV à Eustache de Châtelus n’est autre que la place forte de Châteaumorand.

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(1) Voy. A. Vayssière, Les États du Bourbonnais ( Bull. de la Soc. d’émulation de l’Allier , t. XVIII, p. 361).

(2) Titres de la maison duc. de Bourbon, n os 910 et 911 ; — A. Barban, Rec. d’hommages , n os 365 et 366; etc. — Cf. Papon, in Borbonias. consueludines , Lyon, 1550, p. 4.

(3) Cette sentence est analysée dans un inventaire partiel des titres de Châteaumorand.

(4) Bibliotheca Dumbensis , t. II, p. 58, supplément, p. 58.

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.Le château (1), assis sur une vaste esplanade, protégé au nord et au couchant par des pentes rapides, au levant et au midi par des travaux dont -on voit encore quelques vestiges, occupait une assez belle position de défense. On a conservé du castrum féodal une vieille fenêtre dans la cour intérieure et un morceau du parement des fossés, composé. de larges assises régulières. Dans une pièce abandonnée, S’ouvrent les oubliettes, ou du moins ce que la tradition populaire appelle ainsi. Presque tout le, côté nord du château, avec ses lignes brisées, ses murs en talus, son aspect sombre et piteux, trahit aussi son antique origine. Il est même possible. que les deux tours de la façade d’entrée appartiennent à l’ancien château, et que Jacques de Lévis en ait simplement élargi les fenêtres.

Châteaumorand fut rebâti ou au moins complètement restauré au XVIe siècle, dans le goût qui prévalait alors. Malgré les dispositions bizarres du plan, l’absence de symétrie, un air encore tout féodal, le

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(1) Je ne puis ici que résumer sommairement ce que j’ai dit dans l’ Hist. de Châteaum ., pp. 38, 62, 72 (avec un plan du château avant 1750, une vue de la façade Renaissance avant sa restauration, une.vue de la tourelle d’escalier, et une autre de la façade XV111e Siècle), et dans le Roann. ill. , Ve série p., 163 (avec le dessin de deux lucarnes).

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nouveau château était un e des plus belles résidences du Forez. Mais, en 1750, l’architecte Caristie démolit les deux tours du nord et du midi, la tourelle engagée dans un angle rentrant, une des deux tourelles d’escalier. Il rasa tout le côté du midi, et éleva, sur les fondations mêmes une façade à la Mansard ; ouvrage médiocre et froid bien qu’il soit orné d’une belle et large corniche et d’une balustrade en attique. La distribution du premier étage ne manque pas de majesté : ces grandes pièces en enfilade, ces hauts plafonds voûtés, ces boiseries de chêne qui couvrent les murailles, tout a un grand air de noblesse. On remarquera dans le salon deux bons portraits enchâssés dans les panneaux de chêne, et qui représentent des marquises de Châteaumorand.

Du château Renaissance, il reste au nord de jolies fenêtres encore garnies de -leurs meneaux et une lucarne ornée d’un délicieux médaillon, une tourelle d’escalier curieuse par son puissant chaînage de pierre, et surtout le corps de logis où est la porte d’entrée.

Cette façade suffit à nous consoler de tant de pertes ; l’architecture civile n’a guère produit en Forez d’œuvres plus élégantes. Elle a été récemment restaurée avec un soin extrême par -M. J. Michaud, mais la toiture attendra quelques temps encore ses cheminées ornées, ses épis et Sa crête de plomb, et la restitution de son campanile. Mais rien n’a été négligé pour rendre à la façade proprement dite la pureté de ses lignes ; les moindres pierres endommagées par l’action de trois siècles et demi ont été extraites une à une, et remplacées avec une précision mathématique. Les lucarnes, dignes d’être comparées avec ce que le XVP siècle a créé de plus exquis, ont retrouvé ,leur grâce légère.

Il me paraît certain que -trois Lévis-Châteaumorand ont travaillé. à cette façade : Jacques ( = 1521), Jean ( = 1541) et Antoine ( = 1566). La partie centrale et-les lucarnes appartiennent au plus pur style François Ier tandis que les fenêtres- des tours latérales et de l’ancien escalier, encore un peu gothiques, accusent le règne de Louis XII. Elles ont été faites vers 1505 par Jacques de Lévis, et il est permis de croire qu’il eut recours aux mêmes ouvriers, Simon Pourret et Gonin Aujay, qui avaient bâti en 1497 la chapelle de .Châteaumorand dans l’église de Saint-Martin. A une époque voisine de 1525 ou 1530 (1), son fils Jean de Lévis avança le corps central de la façade, pour lui donner plus de lumière et de gaieté, et il profita de ces nouveaux travaux pour ajouter aux combles des lucarnes. Cependant Antoine de Lévis, frère de Jean, a aussi contribué de quelque manière à l’achèvement de Châteaumorand. Le témoignage précis d’Anne d’Urfé, qui épousa Diane peu d’années après la mort d’Antoine de Lévis, ne permet pas le moindre doute a cet égard.

Il ne faut plus chercher à Châteaumorand une seule épave de son ameublement d’autrefois : livres, meubles, splendides tapisseries, dont quelques-unes, représentaient « les faits historiques de Jean de Châteaumorand », tout a disparu. Le château a même gardé peu de chose de ses anciennes dispositions intérieures. 0n verra cependant avec intérêt une cheminée ornée d’une frise de fleurs et de fruits, le bel escalier droit, récemment restauré depuis le premier étage, et deux cabinets, à droite et à gauche du vestibule, voûtés en forme de chapelles gothiques, et dont les nervures retombent sur des figures grimaçantes.

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(1) La date de 1527 est inscrite sur la porte de fer du cabinet des archives.

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C’est dans le cabinet du côté gauche que les archives sont installées depuis le XVIe- siècle, toujours défendues par leur lourde.porte de fer. Il suffirait d’une très facile et très simple restauration pour rendre à ce réduit son ancien caractère, et en faire la pièce la plus curieuse du château, surtout si on adoptait. le parti de classer les archives, de faire relier les registres, et de mettre les autres documents dans des cartons ou des layettes.

Depuis quelques années, le Bulletin de la Diana , le Roannais illustré , l ‘Ancien Forez , les Archives historiques du Bourbonnais , etc. ont fait connaître un grand nombre de documents extraits du chartrier de Châteaumorand ; mais ce n’est qu’une faible partie des pièces intéressantes de ce riche dépôt. Malgré d’énormes lacunes constatées par d’anciens inventaires partiels (1), ce sont encore, et de beaucoup, les plus belles archives privées du département de l’a Loire, les titres des autres grandes familles foréziennes ayant été détruits ou dispersés. Je ne puis ici penser à en donner une idée ; il suffira de mentionner, au nombre des séries, les comptes de Châteaumorand depuis 1409, une multitude de documents sur les maisons de Châtelus, de Lévis-Châteaumorand, de Ventadour, de Charlus, de la Baume et de Grandvelle, d’Urfé, de Sève, de Bullioud, de Villars; de Rochebonne, de Languet, etc., des registres de justice dont les plus anciens sont du XIVe siècle, quelques débris de terriers, environ 1200 lettres, quelques documents relatifs à. la Bénisson-Dieu, au prieuré de Charlieu, à l’abbaye d’Ébreuil, aux Urbanistes du Donjon, aux Jacobins du Puy, à l’Hôtel-Dieu de Montbrison, des actes du XlIe et du XIIIe Siècle sur les rapports des comtes de Savoie, seigneurs de Bâgé, avec les évêques de Mâcon, etc. Des documents étrangers sont venus échouer là, on ne sait comment, entre autres une longue enquête sur l’administration de Françoise de Lespinasse, abbesse de Cusset, et des protocoles de notaires, du XVe et du XVIe siècle, dont deux ou trois surtout sont pleins de renseignements sur l’histoire de la noblesse bourbonnaise.

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(1) Ces titres dont on regrette la disparition ne sont peut-être pas tous dé6nitivement perdus. Favre, intendant de Châteaumorand, écrit au comte de Lévis-Mirepoix, député aux États généraux, à la date du 20 février 1790 : « J’ai cherché les titres les plus précieux, que j’ai mis dans une caisse, parfaitement arrangés. Je crois cependant qu’il ne serait pas prudent de les faire partir… S’il arrivait quelque chose, on serait toujours à temps ou de les faire partir ou de les cacher ». Il n’est pas impossible qu’on retrouve un jour cette caisse, si elle a été réellement cachée dans quelque coin du château ou du jardin.

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Près du château, à droite de l’entrée, on voit un bâtiment de 45 mètres de longueur, autrefois éclairé par six énormes fenêtres d’un style Renaissance très simple. C’est l’ancienne galerie des portraits, où un inventaire de 1673 signale « quatre grands tableaux, l’un d’eux au fond représentant Honoré d’Urfé et Diane de Châteaumorand, plus quatre-vingt-seize petits tableaux représentant divers portraits ». Le plafond, beaucoup trop bas pour cet immense vaisseau, était décoré de fleurons, d’arabesques d’un dessin sobre et élégant, qui s’enlevaient en blanc sur le rouge vif des poutres et des poutrelles. Au-dessous courait un bandeau peint en détrempe d’une exécution sommaire, où l’on reconnaît les armes d’Antoine de Lévis, d’Antoine d’Urfé, etc. Juste au milieu de la longueur de cette galerie, est une cheminée à pilastres, d’un travail massif et robuste, entièrement couverte de peintures, médiocres d’ailleurs, personnages mythologiques, urnes, feuillages, écussons armoriés, chiffre combiné d’Honoré et de Diane, etc. Cette décoration a été faite entre 1600 et 1625 ; mais évidemment la salle elle-même est plus ancienne.

Le château de Châteaumorand est encore, une des plus agréables habitations du Forez. Il faut le voir d’ailleurs dans son cadre, entouré de son magnifique jardin. Au pied du bastion, couvert de fleurs et de verdure, sur lequel il est assis, une vaste pelouse, des groupes d’arbres disposés avec goût, un bois de vieux tilleuls, une large avenue de marronniers, enfin un étang de près de deux hectares, où les arbres viennent baigner leur feuillage.

V.

SAINT,.PIERRE-LAVAL. 

La paroisse. Le village. L`église. — La commune de Saint-Pierre-Laval ( Sanctus Petrus de Valle ), autrefois partagée entre le Bourbonnais et le Forez,- doit son nom à la vallée arrosée par le ruisseau qui descend de l’étang de Mauvernay, sur le revers de laquelle le village est assis (1).

Le village est petit, très mal tenu. Sur une place encombrée de chariots et de tas de bois, on remarque une belle croix en lave de la fin de l’époque ogivale. Les bras latéraux sont terminés par des écussons qui semblent avoir été armoriés autrefois, mais qu’il est impossible de déchiffrer aujourd’hui. Le Christ en croix et la Vierge portant l’Enfant dans ses bras sont sculptés sur les deux faces ; ces figures sont trapues, d’une exécution grossière, mais les ornements de la croix sont d’un bon travail, et l’ensemble est d’un aspect agréable.

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(1) Le programme de l’excursion posait cette question :

« Cette paroisse (de Saint-Pierre-Laval) n’est-elle pas appelée dans quelques documents Saint-Pierre-du-Bois » ? — Non ; mais il a en effet existé dans le voisinage, à Ande-la-Roche (Allier), une chapelle peut-être même une petite église paroissiale de ce nom (Voy. Chartes de Cluny , no 4224 ; — Noms féodaux , au mot Chasteluz ; — Archives de la Loire, B, 1854). Cette chapelle ou église, dont le souvenir est toujours vivant, a laissé son nom à un domaine de la commune d’Ande (Voy. la carte de l’État-major). On en voyait encore récemment quelques vestiges : une grange voisine, dans les murs de laquelle on remarque des pierres en grès régulièrement appareillées, a été très probablement construite en partie avec ses débris.

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L’église est pauvre, comme dans presque tous les petits villages bourbonnais; elle a si peu de caractère qu’il serait difficile d’en déterminer l’àge avec quel­que chance de certitude. Elle mérite cependant une visite. Dans la chapelle de gauche, est une ancienne statue en pierre de sainte Catherine, que nous croyons du XVe ou du XVIe siècle. La sainte, vêtue d’un surcot et d’une robe traînante ornée de fleurs qui tombe en beaux plis réguliers, la tête couronnée et garnie d’une abondante chevelure frisée, foule aux pieds l’empereur Maximin ; elle tient de la main droite un livre ouvert, de la gauche une épée dont la pointe repose sur la tête du tyran. Sur sa base, deux anges soutiennent un écusson à la bande denchée, ac­compagnée de trois étoiles mal ordonnées . Ces armes inconnues appartiennent vraisemblablement à quel­qu’une des anciennes familles du pays, peut-être aux Blain ou aux Bonnebaut.

On voit au milieu du choeur la pierre tumulaire d’Eustache de Chàtelus. Cette tombe, usée depuis six siècles par les sabots des chantres et des enfants de choeur, est en fort mauvais état, et il serait temps de la relever pour en assurer la conservation. Elle a été dessinée avec le plus grand soin par M. Chas­sain de la Plasse, et reproduite dans notre Esquisse historique de Châteaurnorand (1). Cette pierre, gravée au trait, représente Eustache de Châtelus « en costu­me de guerre, l’épée au côté, ayant près de lui, à gau­che, son écu chargé d’un lion ; à sa droite est une longue croix qui repose sur une espèce de piédestal. Cette figure a les mains jointes et est sous une arcade trilobée, accostée de deux anges qui encensent.

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(I) Roannais illustré , 1IIIe série, p. 6.

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Ce qui rend cette tombe particulièrement intéressante, c’est que les anges, la tête, les mains, les pieds, les ornements de la croix, le ceinturon de l’épée et le lion de l’écu sont incrustés en pierre calcaire dans le grès dont la pierre est formée (1) ». La bordure porte, gravée en lettres gothiques, l’inscription suivante, dont deux ou trois mots sont d’ailleurs d’une lecture douteuse : Hic [iacet] Eustachius de Chatelluzt domicellus [quondam ?], qui obiit die Martis post festum beati Barnabe anno Domini M° CC, (1) octagesimo septimo. Anima eius per misericordiam Domini requiescat in pace. Amen .

Fontaine de Saint-Pierre . — Un peu au-dessous du village, sur le chemin de Saint-Pierre-Laval à Châtelus, est une fontaine fort connue dans le pays. Elle a été réparée récemment avec une sorte d’élégance qui me fait regretter ma bonne vieille fontaine d’autrefois, où je ne manquais pas, dans mes promenades d’enfance, de puiser dévotement un peu de l’eau miraculeuse. Je la trouve mentionnée pour la première fois dans un acte du 28 août 1527 ; mais on peut regarder comme certain que, déjà en ce temps-là, elle était honorée d’un culte immémorial. L’antiquité de ce petit monument, la piété populaire qui s’y attache depuis des siècles suffiraient certes à lui donner un grand intérêt et à le mettre fort au-dessus d’une simple curiosité d’archéologue. Mais il soulève un très intéressant problème

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(1) De Soultrait, Armorial du Bourbonnais , 2e éd. publiée par M. Roger de Quirielle, t. I, p. 188. — Nous croyons que cette tombe n’est pas en grès, mais en lave. Les anges dont parle M. de Soultrait sont bien difficiles à reconnaître.

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Tout auprès, on voit une pierre debout d’environ deux mètres de hauteur, sur laquelle on a hissé les fragments de la croix qui couronnait l’ancienne fontaine. Ce rapprochement d’une source réputée miraculeuse et d’une pierre debout est-il purement fortuit ? M. Bulliot ne le pense pas. Selon. lui, on peut a peine douter que cette pierre, bien qu’elle n’ait pas été dressée par la main de l’homme, et qu’elle fasse corps avec le rocher voisin, n’ait été un véritable menhir, et que la fontaine ne fût en même temps consacrée par quelque superstition gauloise, puis gallo-romaine. Quand le christianisme pénétra dans cette région, les apôtres qui évangélisèrent ce.coin du pays des Arvernes firent ici ce qu’ils faisaient souvent ailleurs: au lieu de supprimer radicalement — ce qui peut-être eût été impossible — un culte cher au peuple, ils jugèrent plus sage de le transformer en le sanctifiant. C’est ainsi qu’une dévotion chrétienne se substitua à des coutumes païennes ; et, par un jeu de mots dont il y a d’autres exemples, on donna le nom de. fontaine de Saint-Pierre à ce qui avait été jusqu’alors la fontaine de la pierre . Ce n’est pas le lieu de citer les nombreux témoignages tirés des œuvres de saint Grégoire-le-Grand, des vies de saint Patrice et de saint Colomban que nous pourrions alléguer; il suffit d’avoir fait comprendre la vraisemblance de cette conjecture.

La Motte . — La paroisse de Saint- Pierre- Laval était couverte de fiefs (1), presque tous accompagnés de maisons fortes, dont l’histoire ne peut guère être connue, du moins pour les temps anciens, que par les archives de Châteaumorand (2). On se contentera d’en donner un très court aperçu.

Il ne reste qu’un vieux colombier du château fossoyé de la Motte. Après avoir appartenu à une branche de la maison de Châtelus, dont un membre est qualifié seigneur de la Motte, il passa aux Bonnebaut, qu’on y suit depuis Huguet de Bonnebaut, en 1476, jusqu’à François de Bonnebaut, fils de Gilbert, en 1542.

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(1) On peut à ces, fiefs ajouter deux maisons notables : Morelot , longtemps habité par une famille de notaires, et le Bois-Droit , ancien relais de poste, entre Saint-Martin et Droiturier

(2) Il y faut ajouter quelques témoignages fournis par les Noms féodaux , par les archives de la Loire et de l’Allier, etc., et des notes précieuses obligeamment communiquées, par M. Aubert de la Faige, qui fait imprimer en ce moment avec la collaboration de M. R. de la Bouteresse, l ‘Histoire des fiefs de l’arrondissement de la Palisse ,

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Les Miniers . — Il subsiste du vieux château deux tours et un grand corps de logis, mais si consciencieusement modernisés, qu’il n’est plus possible de leur donner une date.

On trouve un «  Guido de Miners » dès l’année 1276 ; Jean et Eustache des Miniers, celui-ci prêtre et vicaire de Saint-Pierre-Lavai, sont mentionnés à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe dans un registre de la justice de Châtelus. Vers 1435, parait pour la première fois une famille « Blain des Miniers», que je crois distincte de la précédente. Quoiqu’il en soit, on voit pendant près de deux siècles ces Miniers et ces Blain constamment au service de leurs voisins les barons de Châteaumorand, remplissant auprès d’eux ou dans leur justice les fonctions d’agents d’affaires, de receveurs, de greffiers ou de capitaines châtelains. Cette condition subalterne était celle de beaucoup de petits gentilhommes, que la médiocrité de leurs ressources mettait dans la nécessité de servir d’autres nobles plus riches et plus puissants.

Dans les premières années du XVIe siècle, le fief des Miniers arrive aux mains de Gaspard des Planchettes, marié à Blois, par contrat du 21 août 1508, avec Anne Burgensis, sœur de Louis Burgensis, conseiller et médecin du roi. Il n’est pas aisé de comprendre comment s’est faite cette alliance entre un gentilhomme du Bourbonnais et la sœur du célèbre médecin Blaisois; mais ce fait singulier n’en est pas moins certain (1). Gaspard des Planchettes mourut sans enfants, et la seigneurie des Miniers, après être restée quelques années en possession de Jean de Lévis, passa vers le milieu du XVIe siècle aux de Guynes, race de noblesse militaire, qui paraît avoir assez mal administré son patrimoine. Le 4 mai 1652, Michel de Guynes dut céder le château et la terre des Miniers à son gendre Gilbert de la Mousse, seigneur de Baulne. En 1755, ce fief arriva par alliance à Amable de Montagnac, et enfin, en 1810, l’amiral de Montagnac vendit la propriété des Miniers à M. Maridet, père de M. Ariste Maridet, le propriétaire actuel.

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(1) Voy. notre communication à la Diana, ( Bulletin , t. VII, p. 177).

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La Faige . — A la fin du XIVe siècle, un Stevenin de la Faige était bailli de Bosvert. Cette famille dont le vrai nom paraît avoir été Marchant (1)., fut longtemps aussi inféodée à la fortune de la maison de Châteaumorand. Son histoire se réduit d’ailleurs à peu de chose, à moins qu’on appelle histoire des renseignements comme celui-ci que je détache d’un compte de Châteaumorand pour 1448-9, et qui assurément ne révolutionnera pas nos annales « Balhé pour cinq pors à mestre ès bois pour faire lars pour l’ostel, achaptés à Chastellus, présens Philippe des Miniers et Loys de la Fège: m 1. xi s. viii d. » Vers le commencement du XVIe siècle, cette vieille famille quitte, pour n’y plus revenir, son fief héréditaire, qui, après diverses transactions, est vendu en 1527 à Antoine des Brosses, archer de la garde du roi et capitaine de Châteaumorand. Il passa ensuite aux Lelong de Chenillac, puis aux Montcorbier, et enfin, en 1710, aux Régnier, qui, un peu après 1830, vendirent le domaine à M. Mulatier de la Trollière, ancien garde du corps. Son fils, M. Henri de la Trollière, le possède aujourd’hui.

Le château de la Faige, qui paraît dater du XVIIe

siècle, est petit et fort modeste; mais, avec son grand toit aigu et ses larges fenêtres, il n’est pas sans caractère. Tout auprès, un joli bois de hêtre et un ruisseau qui roule de rocher en rocher; c’est un ravissant coin de paysage.

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(1) 19 novembre 1415, quittance des moines du prieuré de Charlieu d’une somme de 22 1. t. à Jean de Châteaumorand, presentibus viro nobili Audoyno de Marchant, domino de Faigia, domicello , etc. (Original).

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Bosvert et Mauvernay .— J’ai inutilement cherché les vestiges de la maison forte de Mauvernay, sur laquelle la tradition orale est absolument muette. Elle était certainement, non pas sur les bords du bel étang coupé en deux par le chemin de fer, mais beaucoup plus haut, au domaine de Mauvernay. — Le château de Bosvert, reconstruit déjà à une époque récente, vient d’être rebâti presque tout entier par M. de Paszkowicz, qui en a fait une habitation fort élégante, à laquelle il ne manque qu’un peu de perspective.

L’histoire de ces deux terres ne peut pas être séparée. Elle nous amène à poser une question qui a quelque intérêt. Quand on voit, du X11je au XVe Siècle un grand nombre des terres nobles assises sur les frontières du- Bourbonnais et du Forez, Châteaumorand, Bosvert, Mauvernay, Dianières, Pingus, peut-être aussi la Motte et Chollis, aux mains de diverses branches de la maison de Châtelus, ne peut-on pas penser que ce sont de très anciens démembrements du grand fief primitif de Châtelus?

Les seigneuries de Bosvert et dé Mauvernay, après diverses transmissions, arrivèrent l’une et l’autre, en 1415, à Françoise de Châtelus héritière universelle de son père Jean de Châtelus, de son oncle Tachon, et de sa tante Marquise, et à ce titre dame de Bosvert, Mauvernay, Pingus, Dianières, Ande et Vivans. Jean de Châtelus, bailli de Mâcon et sénéchal de Lyon, puis bailli de Saint-Pierre-le-Moûtier, tué à la bataille d’Azincourt, peut être regardé, après Jean de Châteaumorand, comme l’homme le plus marquant de cette vieille famille bourbonnaise et forézienne (1).

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(1) Il a été publié dans les Arch. histor. dut Bourb ., année 1894, un travail intitulé : Les Méfaits de la maison de Châtelus , où on trouvera des renseignements nombreux et précis sur Jean de Châtelus. Cette étude a été tirée à part.

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Il paraît.toutefois que les droits de Françoise de Châtelus sur la terre de Mauvernay étaient mal reconnus; en effet, le 3 1 juillet 1425, un sergent du duc de Bourbonnais mit en possession de cette seigneurie, par l’apposition du pennonceau ducal, Jean. de Villers, dit Que-Dieu-Gart, et sa femme Marguerite des Serpents, en présence de Jeanne de Châtelus, veuve de Ploton de Châtelus, qui déclara avoir donné ladite seigneurie et tous ses biens audit Jean de Villers. Cette prise de possession n’eut probablement pas d’effet. On voit du moins, un peu plus tard, Ploton de Montjournal et sa femme Françoise de Châtelus (sœur de Jeanne ?) contester a’ Louis de Chantemerle et à sa femme Françoise de Châtelus la possession des terres de Bosvert et de Mauvernay ; d’où transaction, du 23 mars 1455, passée au château de la Clayette, qui partage les droits litigieux. Bosvert et Mauvernay restèrent enfin définitivement aux Montjournal, qui en jouirent jusqu’en 1523. Cette année-là, Jean de Montjournal échange sa terre de Mauvernay et tout- ce qu’il avait dans celle de Bosvert contre la seigneurie de Cindré avec Jean et Claude d’Éguilly, qui cèdent immédiatement, pour 9000 livres, à Jean de Lévis ce qu’ils viennent d’acquérir. Jean de Lévis achète en 1536 tout ce qui peut rester de droits sur les terres de Bosvert et Mauvernay; ces deux seigneuries entrèrent ainsi, pour n’en plus sortir jusqu’au XVIIII! siècle, dans les possessions de Châteaumorand.

Chollis. Les Granges . — La vallée de Chollis, perdue en pleine montagne, bornée au midi par les hauteurs couronnées de carres qui la séparent de la vallée de Pingus, et sillonnée d’innombrables chemins, est une région qui paraît avoir absolument conservé son aspect primitif.

L’histoire de ce fief est d’ailleurs assez mal connue. Il appartint au XVIe Siècle à Charles de Saint-Haon, à Gilbert Pallebost, et passa enfin à Jean de Lévis. Selon M. Aubert de la Faige, il aurait été vendu vers 1653 par le marquis de Châteaumorand aux Gallois de la Tour.

Il ne reste au hameau de Chollis aucun vestige de maison forte. Mais à un kilomètre environ au-dessous, sur la rive gauche du ruisseau qui va se jeter dans le Barbenan, les gens du pays nous ont montré récemment, cachées à la lisière d’un bois tailli, les ruines d’une très ancienne habitation qu’ils appellent le château des Granges. Ce n’est plus qu’un amas informe de pierres couvertes de mousse et de hautes herbes. Aucun document ne me permet de dire un seul mot de son histoire, si ce n’est que Jean-Claude de Lévis, dans un acte de 1632 environ, prend entre autres titres celui de seigneur des Granges. Mais s’agit-il de ces pauvres débris ? Ce château s’appelait-il réellement les Granges ? Serait-ce le château même de Chollis ? Ou bien la maison forte de Ferrières, que j’ai quelques raisons de croire avoir existé à Saint-Pierre-Laval ? Bien petits problèmes sans doute, mais leur obscurité même donne une sorte de charme à ce mélancolique tas de pierres, qui garde si bien le secret de sa destinée.

La Tour-Chalabron . — Un peu plus bas, entre Chollis et Châtelus, la Tour-Chalabron offre un autre genre d’intérêt. Ce château est un témoin de la prodigieuse fortune d’une famille de paysans, tout au plus de très humbles bourgeois qui, en un siècle, arrivèrent par leurs talents aux plus hautes charges de l’administration et de la magistrature.

Les Gallois ou Desgallois, originaires de Châtelus, ont joué le rôle le plus effacé jusqu’au commencement du XVIe siècle. On voit par un projet de terrier de Châtelus qu’Antoine Gallois possédait déjà une large aisance vers 1570 ; mais c’est Gilbert Gallois, notaire royal, qui fonda la grandeur de sa maison. Il gagna beaucoup d’argent dans les fermes de Châteaumorand, et acquit en 1598, de M. d’Aprillon et de Catherine de Chaugy la seigneurie de la Tour (1), dont cette famille a toujours depuis gardé le nom, bien qu’elle ait acquis dix terres plus considérables. Il n’est pas facile de dire comment Gilbert Gallois de la Tour, de simple notaire, devint maître d’hôtel et gentilhomme servant du roi, capitaine de gens de pied appointés et chevalier de l’ordre de Saint-Michel.

Ce n’est pas ici le lieu de raconter, même sommairement, l’histoire de cette famille. Il suffit de rappeler que Jean-Baptiste Desgallois de la Tour fut au XVIIIe siècle intendant de Poitou, de Bretagne et de Provence. Son fils Charles-Jean-Baptiste, né à Paris le 11 mars 1715, porta à son apogée la grandeur de sa maison. Intendant de Provence après son père, premier président du parlement d’Aix, inspecteur du commerce du Levant, président du Conseil d’Afrique, comblé de témoignages d’estime par la cour et par le peuple, il laissa la réputation d’un homme intègre, d’un administrateur habile et d’un lettré délicat. Charles-Jean-Baptiste mourut à Paris en 1802., après avoir couru les plus grands dangers au temps de la Terreur. Son fils aîné est mort archevêque de Bourges en 1820.

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(1) Le château de la Tour-Chalabron appartenait peut-être en 1506 à « Antoine Le Brun, dit de Chalabron », parent du seigneur de Godinière, et mentionné dans le terrier de Crozet.

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Le château de la Tour a été presque entièrement restauré dans le goût moderne. Il a cependant gardé une tour, des lucarnes Renaissance en bois, et une curieuse fenêtre guillochée.

Pingus . — Ce fief montagneux était une vaste parcelle forézienne de la paroisse d’lArfeuilles qui s’étendait à droite de la vieille route d’Arfeuilles à Saint-Martin d’Estreaux, dans la vallée de Fayet et Morel. D’après une tradition, la justice se rendait au village Fayet. Le fief de Pingus appartenait à la maison de Châtelus.au moins dès le XIVe siècle, car Aymon de Châtelus en rendit hommage au comte de Forez le 5 novembre 1355. Le 17 décembre 1426, Françoise de Châtelus et son mari Louis de Chantemerle vendirent au chapitre de Notre-Dame de Montbrison, représenté par Jean Berri et Etienne Doyon, « la terre totale de Pengut, avec la justice et juridiction haulte, moyenne et basse », et en outre divers cens que ladite Françoise de Châtelus avait droit de percevoir sur Pierre Germain de Vaujolle en la terre de Mauvernay, le tout.pour le prix et somme de quatre cents écus d’or (1).

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(1) En 1420, les revenus de Pingus étaient argent 9 1. 4 s. 8 d. t. ; seigle, 5 sestiers et demi-livrot ; avoine, 4 sestiers 2 bichets ; gélines, 35.

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Le chapitre de Montbrison prétendit en 1672, à tort ou à raison, que le marquis de Châteaumorand usurpait la justice de son fief, et délégua Bernardin de la Mure, maître de chœur, pour procéder à une information (1).

Je ne pense pas, comme je l’avais cru d’abord, que le fief de Pingus se s’oit étendu sur la paroisse de Laval et même sur celle de Saint-Martin d’Estreaux.. J’ai cru cependant devoir en faire ici mention, parce que les cens détachés de la seigneurie de Mauvernay, et qu’on peut regarder comme une partie intégrante des revenus de Pingus, se levaient à Saint-Martin, et jusques sur la montagne de Jard (2).

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(1) Voy. le Bull. de la Diana, VII, 37. — Cf. Sonyer du Lac, les Fiefs du Forez , au mot Pingus .

(2 Dans l’état des revenus du chapitre de Montbrison, dressé. en 1790, on voit, entre autres articles « Montagne de Jas [Jard] près Saint-Martin d’Estreaux » (Renon, Chron. de. N.-D.-d’Espérance , p. 338).

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NOTE ADDITIONNELLE.

En parlant du Petit-Louvre (v. plus haut p. 130), nous avons mentionné un dessin à la plume de cette maison, exécuté au XVIIe siècle pour Gaignières. Mais nous ne le connaissions alors que par le catalogue de M. H. Bouchot ( Invent. des dessins exécutés pour Roger de Gaignières , Paris. I89I 2 Vol. gr. in-8°). Nous l’avons vu depuis au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. C’est un croquis sommaire et peu exact ; les lucarnes, par exemple, perdent tout à fait, leur, caractère de finesse et de légèreté ; la jolie coquille de la porte d’entrée est indiquée plutôt que dessinée, etc. Mais sur l’écusson, aujourd’hui mutilé, qui est soutenu, par deux génies, on reconnaît distinctement trois fleurs de lis . — Cette circonstance importante donne un très grand poids à l’opinion que le Petit Louvre aurait été d’abord une halte de chasse bâtie par les ducs de Bourbon, ou du moins un édifice d’une destination officielle et publique. Nous prions nos lecteurs de modifier en ce sens ce que nous avons dit des origines probables de ce logis.