M.Le docteur Léon Perdu, Des découvertes archéologiques et géologiques dues aux travaux de construction de la ligne de Roanne à Paray-le-Monial, BD, Tome VIII, pages 23 à 34, Montbrison, 1895.

 

Le voyageur, qui va de Roanne à Paray-le-Monial, en longeant la vallée de la Loire, suit une voie naturelle parcourue par tous les peuples qui ont occupé la Gaule.

Il côtoie dans sa route des stations géologiques importantes.

Aussi, les fouilles faites dans cette région ont-elles donné d’abondants résultats, et les travaux nécessités par la construction du chemin de fer qui unit ces deux villes ont-ils mis sous les yeux des débris remarquables des civilisations anciennes, des fossiles et des minéraux intéressants.

Toutes ces découvertes ont été notées avec soin par mon père, ingénieur de la ligne de Roanne à Paray-le-Monial. Je publie ici le résultat de ses observations, joint à la relation des recherches que j’ai faites moi-même et de quelques remarques personnelles.

Je suivrai pas à pas la voie ferrée, et, en chemin, j’indiquerai toutes les études entreprises par nous, toutes les stations géologiques ou archéologiques que l’on rencontre.

L’authenticité de nos découvertes est, je crois, hors de doute, puisqu’elles ont été faites par mon père ou sous ses yeux, parfois par moi, mais toujours contrôlées avec soin. L’amateur qui tiendrait à se renseigner par lui-même peut examiner nos trouvailles soit aux musées de Roanne et de Paray-le-Monial, soit à la Diana où je les ai présentées et où quelques-unes resteront, soit chez moi, où je serai heureux de les lui montrer.

Nos points de repère sont faciles à reconnaître, puisque nos explorations ont été faites là-même où passe la ligne (1).J’offre donc au voyageur un guide d’un nouveau genre et, au lieu de lui indiquer les sites et les monuments qui s’échelonnent sur sa route, je ne lui parlerai que de ce qui est dérobé à ses yeux et des richesses que renferme le sol sur lequel il circule.

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(1) Dans une carte qui accompagne mon mémoire, j’ai indiqué avec soin, par des numéros, le lieu où chaque découverte a été faite.

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I. Cartes des découvertes archéologiques et géologiques dues aux travaux de construction de la ligne de Roanne à Parray-le-Monial.

 

Au sortir de la première station, celle du Coteau, nous notons une première découverte : en jetant les fondations du pont sur le Rhins (1), on a trouvé sur la rive droite, à une profondeur de plus d’un mètre, une pointe de pique et un mors de cheval. Ces objets étaient bien conservés.

Deux cents mètres au-delà, en suivant la ligne, et à la même profondeur, on a exhumé un crâne d’homme.

Il avait subi peu d’altération, bien qu’il faille, à mon avis, le faire remonter à plusieurs siècles. Il devait appartenir à un adulte vigoureux; les dents étaient solidement implantées.

Nos explorations, en cet endroit, ont été fort sommaires, nous leur devons néanmoins un crâne humain, un mors de cheval et une pointe de pique. Sans aucun doute, des fouilles méthodiques donneraient d’heureux résultats.

M. Éleuthère Brassart a bien voulu m’indiquer, à ce sujet, un passage de la Mure (2) où le vieil historien signale, en l’année 1377, pendant la guerre de Cent-Ans, une sanglante rencontre entre Anglais et Français, près de ce pont du Rhins. Les Anglais périrent en grand nombre et ce lieu fut nommé le Cimetière des Anglais. Dans une note, M. Steyert fait judicieusement observer que ce fait d’armes a dû se passer en 1374.

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(1) N° 1 de la carte.

(2) La Mure, Histoire des ducs de Bourbon, tome II, page 60.

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Quelques pas plus loin (1), j’ai recueilli de nombreux vestiges d’habitations gallo-romaines : briques, amphores, plaques de marbre, etc. Ces débris sont dispersés sur une étendue de plus d’un kilomètre carré. Très nombreux en certains centres, ils disparaissent totalement en d’autres points, attestant ainsi l’emplacement de plusieurs villas romaines.

Au même endroit, ont été trouvés par mon père et par moi des objets que l’on qualifie de celtiques : un pilon en silex devant servir à écraser les grains, une hache polie en grès vert.

Ceci nous permet de supposer qu’il existait, dans la vaste plaine traversée par la route de Roanne à Perreux, une colonie celtique, qui, renversée par les envahisseurs romains, se releva plus importante.

Une colline (2 se dresse à l’est de cette plaine ; elle a été fortement échancrée par les travaux du chemin de fer, ce qui permet d’embrasser d’un coup d’oeil les couches géologiques qui la composent.

Au sommet, sous la terre végétale, se place le terrain diluvien (3) qui a là une puissance de 2 mètres environ ; au-dessous, l’étage moyen du tertiaire. Cette assise est formée de couches argileuses, aux nuances variées, à stratification horizontale. Je n’y ai vu que de rares fossiles, tous énormes t appartenant au genre Ammonite, de gros morceaux de quartz améthyste d’une superbe cristallisation et d’une fort belle couleur.

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(1) N° 2 de la carte, au lieu connu sous le nom de Moulin-Tampon.

(2) N° 3 de la carte, la butte des Franchises.

(3) Ce terrain diluvien ou diluvium a été nommé ainsi parce qu’il a été caractérisé par des phénomènes météorologiques remarquables : une grande fréquence des pluies qui a déterminé l’extension des cours d’eau et des glaciers.

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De cette colline, la voie s’infléchit du côté de la Loire, et sur ses rives, on a remarqué des pierres percées qui servaient aux pêcheurs primitifs de plomb de filet.

Peu avant la station de Vougy, la ligne franchit un long coteau en pente douce, caché sous une épaisse couche de tourbe noire (1). Dans cette tourbe, à moins d’un mètre de profondeur, j’ai ramassé des poteries gauloises, pétries à la main, faites d’une argile noirâtre, ornées de coups d’ongle régulièrement disposés, dessins tout primitifs.

Près de là, d’autres fouilles nous ont mis en possession d’un bracelet en bronze, ciselé de rainures obliques. Il a subi, en deux points, l’action d’un feu violent qui l’a fondu en partie, et on peut se plaire supposer qu’il servait de parure à un guerrier qui fut, suivant l’antique coutume, mis sur le bûcher près sa mort, revêtu de ses ornements.

Les fondations de la gare de Vougy (2) ont mis sous nos yeux des objets intéressants:

Des briques romaines de grandes dimensions adossées les unes contre les autres en forme de V renversé formant une conduite d’eau, puis une douzaine de boules, en terre cuite, aplaties, percées d’un trou circulaire ; une autre pièce est de forme pyramidale.

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(1) Aux Ditières, n° 4 de la carte.

(2) N° 5 de la carte

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Ces objets servaient de contrepoids de métier à tisser à l’époque gallo-romaine; ils montrent l’ancienneté de la fabrication des tissus dans la région et sont des pièces de noblesse pour l’industrie roannaise.

La voie nous amène ensuite à la station de Pouilly-sous-Charlieu (1). Ce village est bâti sur des couches géologiques à signaler. Nous observons une des assises inférieures du lias, qui se compose de bancs de pierre grisâtre, abondants en fossiles ( ostrea arcuata, ostrea cymbium, turbo , ammonites, bélemnites, etc). La carrière située entre Pouilly et Charlieu en donne une excellente idée. Au-dessus est le lias supérieur, formé de marnes rougeâtres.

M. Coste, ancien conservateur du musée de Roanne, dit, d’après Gruner, que le lias commence à Vougy et il ajoute : C’est le commencement de cette longue bande qui, par la Bourgogne, atteint, d’une part, la ceinture que

le terrain jurassique développe autour des terrains primitifs du centre de la France, et, de l’autre, les montagnes du Jura.

L’étage qui surmonte le lias, l’oolithe, s’y remarque aussi. Il affleure à Saint-Nizier, où on a constaté, de plus, du fer oxydé en roches (2).

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•  No 6 de la carte.

•  Le territoire de la commune de Saint-Nizier-sous-Charlieu a livré de nombreuses antiquités romaines (Émile Petit, Antiquités gallo-romaines de Saint-Nizier-sous-Charlieu , dans le Roannais illustré , t. I, p. 104 et 105, pl.  ; — Fore pittoresque et monumental , p. 182).

Nous signalerons tout particulièrement l’urne en bronze argenté conservée par M. Vadon et qui a été trouvée en 1885 au lieu de Varennes. Cette pièce remarquable a figuré à l’Exposition rétrospective de Roanne en 1890 (E. Jeannez, Inventaire des principaux, objets ayant figuré à l’Exposition rétrospective Forézienne, etc., p. 25, et planche de M. P. Roustan, n° 37).

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La station suivante, celle d’Iguerande (1), présente un grand attrait pour le géologue. Le village est construit sur une épaisse couche de terrain diluvien, la première assise du terrain quaternaire. Cette assise, d’une puissance de plus de 10 mètres, est un mélange de gros sable et de galets aplatis.

Les travaux du chemin de fer l’ont profondément labourée.

Un excavateur en a extrait, au milieu des déblais, deux défenses de Mammouth ( Elephas Primigenius ), plusieurs dents énormes de ce même mammifère, dont une seule pèse plus de 7 kilogr. ; deux d’entre elles présentent des boursouflures, des érosions pathologiques.

 

Seraient-ce des traces de carie dentaire ?

Les défenses ont été brisées par l’excavateur reconstituées, elles auraient une longueur de plus de 3 mètres.

J’ai découvert, dans le même terrain, des ossements et des bois de cervidés. Un d’eux est fort curieux, il a été taillé de main d’homme et montre que nos premiers ancêtres étaient contemporains de ces ani­maux antédiluviens.

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(1) N° 7 de la carte

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J’ai été frappé de la quantité d’ossements trouvés dans le diluvium d’Iguerande, mes recherches n’ayant jamais été infructueuses. Ces fossiles n’ont pas été accumulés en cet endroit par le courant du fleuve ; ils n’ont pas été roulés par les eaux, leur état de conservation est parfait. A Vougy, où se voit une épaisse couche de diluvium de même nature, on n’a pu découvrir aucun fossile, malgré les grands travaux du chemin de fer.

Ces ossements appartenaient donc à des animaux ayant vécu dans la contrée.

Iguerande n’est aujourd’hui qu’un village, quelques maisons groupées entre la Loire et la colline; le fleuve n’est encore qu’une rivière, le terrain y est d’une fertilité médiocre.

Si on reconstitue par la pensée cette région telle qu’elle devait être aux temps antédiluviens, on se la représente baignée par un fleuve majestueux (1), couverte d’une végétation luxuriante et animée par des troupeaux de bêtes aux formes gigantesques.

J’ai dit que nos premiers ancêtres y ont laissé une trace, en taillant de leurs mains un bois de cerf ; un peu plus loin (2), j’ai trouvé d’eux un autre vestige, une hache en porphyre vert, admirablement taillée et polie. Cette roche ne s’observe pas dans la région ; la hache a donc été taillée au loin et apportée à Iguerande.

Les Romains ont fondé de nombreuses villas dans les environs.

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(1) Les alluvions de la Loire s’étendent sur une largeur de plusieurs kilomètres.

(2) N° 10 de la carte. À Pesselle, dans un terrain d’alluvion. J’ai trouvé cette hache à un mètre de profondeur.

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A quelques centaines de mètres de la gare d’Iguerande (1), dans la grande tranchée, on a retiré des déblais une cassette en bronze renfermant une centaine de monnaies romaines. Les ouvriers, auteurs de cette trouvaille, s’en sont emparés et l’ont vendue avec son contenu.

Mon père n’a pu retrouver que la clef du coffret, une élégante clef dont l’anneau peut se mettre au doigt comme une bague, et quelques médailles en argent et en bronze : Vespasien : moyen bronze (Cohen, 2e édit., n° 167), argent (n° 371) ; Antonin-le-Pieux : argent (n° 284), moyen bronze très fruste; —  Faustine mère, argent (nos 26 et 128) ; —  Faustine jeune, grand bronze (n° 25) ; —  Élagabale, argent (n° 184) ; —  Philippe père, moyen bronze (n° 184) ; —  Trébonien Galle, argent (n° 84).

A quelques pas de là (2), mon père a relevé les restes d’une villa romaine.

Ses fondations sont encore apparentes ; on a ramassé en cet endroit des briques romaines, des meules dont une en lave, des vases, des poteries sigillées. J’y ai recueilli un fragment de vase sur lequel étaient gravées des feuilles et un hippogriffe fort bien dessinés.

Les paysans, propriétaires du lieu, m’ont affirmé avoir découvert un petit vase rempli de monnaies.

D’ailleurs, sur une surface de près d’un kilomètre carré, abondent les vestiges d’habitations romaines.

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(1) N° 8 de la carte.

(2) N° 9 de la carte. A quelques mètres à droite de la route près de 1a ferme. à 500 mètres d’Iguerande environ

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On voit quel vaste champ d’exploration offre cette région, que l’on recherche les ossements des animaux disparus ou les traces du séjour de nos premiers ancêtres. D’Iguerande à la gare de Marcigny, rien d’intéressant à relater, pas de tranchée qui, creusant profondément le sol, nous ait révélé quelque objet curieux.

Rien n’a été observé à Marcigny même, mais plus loin, à 4 kilomètres, à Baugy, affleure le terrain jurassique riche en fossiles et en minéraux et qui forme le coteau de Chenoux (1).

La partie supérieure de la colline est en oolithe moyenne ou grande oolithe ; ce sont des marnes argileuses jaunâtres et des bancs de calcaire entroque, contenant des ammonites et des pecten .

À la partie inférieure de l’oolithe, les marnes deviennent rougeâtres, le lias supérieur commence (2), l’oolithe inférieur manquant en cet endroit.

Les fossiles y sont d’une abondance extraordinaire, le flanc du coteau en est parsemé. Une heure de recherche suffit pour se rendre possesseur de toute une collection, et je signale ce point à tous les jeunes géologues avides de découvertes.

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(1) No 11 de la carte.

(2) Cette assise correspond au Toarcien de d’Orbigny.

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Une exploration attentive m’a permis de faire une trouvaille intéressante : d’énormes vertèbres, de gigantesques ossements ayant appartenu aux grands sauriens de l’époque secondaire, et qui par leurs dimensions colossales rappellent les débris des grands mammifères d’Iguerande. Les seules roches à signa1er sont l’oxyde de manganèse, le sulfure et l’oxyde de fer (1).

La ligne nous conduit ensuite à Montceau-Vindecy (2), puis à une vaste plaine entre la Loire et l’Arconce. La couche qui s’étend sous la terre végétale est l’étage moyen du tertiaire (3).

En traversant cette plaine, le voyageur aperçoit de la portière du wagon un clocher élancé dominant les bois ; c’est celui de l’église d’Anzy-le-Duc, superbe monument roman, fondé, dit-on, par saint Hugues de Poitiers, abbé de Cluny (4).

Puis Saint-Yan, et la voie descend avec rapidité dans la vallée de la Bourbince, où s’élève Paray-le-Monial, dernière station de la ligne.

Ma tâche est donc finie et je n’ai plus qu’à me résumer en quelques mots. Les tranchées de la ligne de Roanne à Paray-le-Monial ont profondément entamé les étages supérieurs du tertiaire et deux couches géologiques fort remarquables par le nombre et la beauté de leurs fossiles: le terrain jurassique à Marcigny, le terrain diluvien à Iguerande.

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(1) Les fossiles les plus abondants sont les suivants : Ammonites serpentinus, ;nargaritatus, communis ; Belemnites digitalis, tripartitus, elongatus ; Pentacrinites; Turbo ; Lima gigantea; Unio; Nucula lacryrna; Pecten . Le musée de Lyon renferme une petite collection de fossiles trouvés en cet endroit.

(2) N° 12 de la carte.

(3) Voir la carte géologique de M. Manès.

(4) V. Félix Thiollier, L’Art roman à Charlieu et en Brionnais, planches 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 54, 75, 76 ; et étude archéologique et descriptive par E. Jeannez, p. 73 et suiv.

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De la plaine de Roanne jusqu’au-delà d’Iguerande, sur une étendue de plus de 30 kilomètres, les travaux de la ligne ont mis sous nos yeux de nombreux vestiges des civilisations anciennes.

La conclusion de mon étude est que cette région de notre Forez a été, aux âges géologiques, recouverte d’une flore magnifique et animée d’êtres nombreux, dont quelques-uns avaient des formes si gigantesques que leurs débris atteignent et même dépassent ceux que l’on admire dans nos grands musées.

Dans cette contrée, se sont installées les peuplades de l’ancienne Gaule.

Après la conquête de César, les romains et les gallo-romains y ont bâti de nombreuses villas; c’était, pour notre pays, l’aurore d’une prospérité qui n’a fait que s’accroître.