M. l’abbé Reure, Notes sur les incursions des bandes Anglo-Gasconnes en Forez (1386-1389), BD, Tome VIII, pages 241 à 256, Montbrison, 1895.

 

Les faits que nous allons exposer ont été inconnus ceux qui ont écrit l’histoire générale du Forez. La Mure et Aug. Bernard n’y font pas même allusion. Cependant ils ne sont pas restés absolument ignorés. Dans l’Histoire de la ville de Feurs (1), en particulier, on trouve quelques détails sur l’invasion des bandes anglaises en Forez vers 1388, bien que probablement M. Broutin soit allé trop loin en supposant que Feurs serait alors tombé au pouvoir des Anglais.

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(1) Pages 134 137.- Cf. Hist. de Saint-Bonnet-le-Chateau, t. 1er, p. 188.

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Alain Maret avait soupçonné que le Forez avait revu les bandes de routiers à la fin du XIVe siècle, sans être en état de le prouver « Il y a eu peut-être, dit-il, d’autres invasions des Anglais ou des Routiers dans notre province, car, en 1387, ils tenaient encore plusieurs forts en Auvergne ; mais nous n’avons pas de documents qui puissent constater ces incursions, ou du moins ces documents sont encore enfouis dans la poussière des archives » (1).

Ce n’est pas aux chroniqueurs du règne de Charles VI qu’il faut demander des lumières ; ils n’ont pas cru sans doute qu’il valût la peine de raconter ces rapides et obscures pilleries des compagnies anglaises. Froissart lui-même, qui a si longuement narré les méfaits des capitaines Anglo-Gascons en Auvergne et en Limousin, ne sait rien de leurs chevauchées en Forez. Il se contente de dire, après la prise de Montferrand par Perrot le Béharnais : « Les nouvelles en furent tantost trop loing espandues et sceues comment les Anglois, Gascoings et pillars âvoient conquise et prinse la bonne ville de Montferrant. Tous ceux qui en oyoient parler et à qui plus en touchoit s’en esmerveilloient et s’en doubtoient, et fermissoient [frémissoient] les voisins pays, comme Auvergne, Bourbonnois, Forests et jusques en Berry » (2) . Chose bien plus singulière ! La Chronique du bon duc Loys de Bourbon, écrite sous les yeux ou d’après les mémoires dé Jean de Châteaumorand, qui a joué un rôle dans ces événements, n’en dit pas un seul mot, peut-être parce que le duc, alors éloigné de son comté de Forez, n’a pris aucune part directe et personnelle à l’organisation de la défense.

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(1) Notes pour servir à l’hist. du Lyonnais, du Forer et du Beaujolais pendant les incursions des Routiers au XIVe siècle (étude publiée dans la Revue du Lyonnais, avril r863).

(2) Edition Kervyn de Lettenhove, t. XIII, p. 73.

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Nous sommes donc réduits aux documents d’archives (1). Mais on sait qu’il ne faut en attendre, généralement, que des informations morcelées, avec lesquelles il est bien difficile de reconstituer un, récit suivi. C’est par hasard, pour ainsi dire, à l’occasion d’une poursuite judiciaire contre un homme accusé d’avoir été surpris dans la société des Anglais, d’un subside voté par les Etats du Forez, d’une ordonnance de payement à un capitaine de gens d’armes, d’un chevaucheur envoyé pour explorer la frontière d’Auvergne, qu’on apprend, morceau par morceau, quelques faits isolés, souvent sans date précise. Du reste, le titre très modeste que nous donnons à ces Notes sommaires montre assez qu’on ne prétend pas ici raconter par le détail ces faits encore obscurs. A vrai dire, on se propose surtout d’appeler sur eux l’attention, et de provoquer d’autres recherches. Sans doute, ils n’ont pas eu la gravité de ceux qui s’étaient passés en Forez trente ans auparavant, vers le temps de la bataille de Brignais. Mais si, comme il est vraisemblable, tout s’est borné cette fois à quelques courses d’aventuriers, les alarmes furent vives pendant plusieurs années, et on n’épargna rien pour prévenir de plus grandes calamités.

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(1) Le plus précieux est un compte d’Etienne d’Entragues (Arch. de la Loire, B. 1915), dont une analyse étendue figurera au t. III de l ‘Inventaire des archives du depart. de la Loire , en cours d’impression. M. J. de Fréminville nous en a très obligeamment communiqué les épreuves. – M. Aug. Chaverondier s’était spécialement occupé des guerres des Anglais dans le Forez ; il est très probable qu’on trouverait dans ses manuscrits, outre les notes qu’il avait patiemment recueillies aux archives de la Loire, d’autres documents sur ce sujet.

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Qu’étaient au juste ces pillards qui paraissaient à l’improviste dans quelque village Forézien, et s’en allaient après avoir détroussé les marchands, et mis à rançon la paroisse? Le nom de routiers qu’on leur donne souvent ou qu’ils prennent eux-mêmes n’est pas absolument exact, car ils étaient assimilés, ou peu s’en faut, à des troupes régulières, et leurs chefs étaient solidement établis dans les places fortes de l’Auvergne, du Velay, du Limousin, du Rouergue, du Querci. Il y avait de tout dans ces bandes: des Anglais, des Gascons, des Béharnais, des Armagnacs, des Bretons, des Allemands, même des Français, j’entends des sujets du roi de France. Mais leur caractère commun était de combattre sous le panache anglais ; un de leurs capitaines, Ramonet de Sort, se qualifie « cappitani d’une rote de gens d’armes per le rey d’Angleterre ». Gens au reste fort indépendants, et se moquant des trêves consenties entre les deux nations, quand elles gênent leur humeur aventureuse.

Ils avaient deux manières de vivre sur le pays. La plus simple et la plus sûre était de mettre à pactis la région qui entourait leur fort ; moyennant une redevance, le paysan ainsi acconvenancé labourait sa terre en paix. Ou bien ces garnisons essaimaient pour quelques jours des compagnies organisées pour les courses à marche forcée. Libres de bagages, sans canons ni balistes, elles tombaient à l’aube du jour sur le point désigné, et, le coup fait, ramenaient en hâte leur butin, qu’elles se partageaient ensuite derrière les murs de leurs châteaux.

Les compagnies qui pénétrèrent dans le Forez vers 1387 paraissent toutes être venues d’Auvergne. Aucune province n’a été plus malheureuse à la fin de la première période de la guerre de Cent Ans. Pendant de longues années, elle appartint de fait aux aventuriers qui occupaient un grand nombre de forteresses, et de là tenaient le pays à merci. Les expéditions, plus brillantes qu’utiles, de Boucicaut et du duc dc Bourbon n’apportèrent à ces maux qu’une rémission passagère. La ville de Saint-Flour vécut huit ans (1383­ 1391) une vie terrible, nuit et jour aux prises avec les garnisons anglaises de la Haute Auvergne. Presque à ses portes, le château d’Alleuse fut longtemps occupé par le bâtard de Garlan, puis par le fameux Aimerigot-Marchès. Carlat, Valon, Cromières, Murat, Saillens, Montsuc, Turlande, la Roche d’Uzac, Chalucet, etc. étaient aux mains de Ramonet de Sort, Perrot le Béharnais, Nolim Barbe, Gourdinot, Arnaudon de Campane et dix autres chefs de bandes (1).

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(1) Pour l’histoire des compagnies Anglo-Gasconrios en Auvergne et dans les provinces voisines du sud-est de 1380 à 1393, la source principale est Froissart. — Voy. aussi Arch. nat., KK. 322. — Bibl. nat., fonds Doat, passim, et coll. Gaignières, vol. 646 et 653. — Hist, du Languedoc, nouv. éd., t. X, preuves. — Baluze, Hist, de la maison d’Auvergne, t. 1er, Mazure, l’Auvergne au XIVe siècle . — De Lalaudie, Discours servant d’introduction à un essai sur les guerres des Anglais dans le haut pays d’Auvergne . _ A. Tardieu, Hist. de la ville de Montferrand . — Tablettes histor. d’Auvergne , t. II et III. — M. Boudet, Assauts, sieges et blocus de Saint-Flour par les Anglais pendant la guerre de Cent Ans . Etc. — Sur Aimerigot-Marchès et sa fin, voy. Revue d’Auvergne , 1888, et Bibl. de l’Ecole des Chartes, 1892.

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Comme il était impossible de réduire par la force tant de places tenues par les compagnies, il fallut se résoudre à négocier leur évacuation, et à faire la vide moyennant une forte contribution qui fut répartie entre les provinces d’Auvergne, de Velay, de Querci et de Rouergue, malgré l’opposition de certaines villes (1). La plupart des capitaines Anglo-Gascons acceptèrent les conditions qu’on leur offrit, et observèrent loyalement le traité d’abstinence de guerre ». Quelques-uns résistèrent, entre autres Aimerigot-Marchès qui, après avoir vendu sa bonne forteresse d’Alleuse, s’était emparé du château de la Roche-Vendais. La délivrance de l’Auvergne ne fut définitive que vers 1393.

Il ne semble pas que ce qui se passait en Auvergne ait fort troublé le Forez avant 1387, bien que déjà Louis de Chalus, capitaine de gens d’armes, eût été chargé de veiller à la sécurité du pays, et qu’on eût signalé des bandes suspectes sur le Rhône et dans le voisinage de Lyon (2). Mais, en 1387, le danger devint pressant, et cette année se passa pres­que tout entière en précautions et en alarmes. Une circonstance aggravait le péril : la plus grande partie de la noblesse Forézienne et Bourbonnaise était alors en Espagne avec le duc Louis II de Bourbon, qui venait de conduire une armée de secours au roi de Castille menacé par Pierre le Cruel et par le duc de Lancastre. L’expédition ne revint qu’à la fin de l’été de 1387.

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(1) Voyez sur cette opposition le manuscrit n° 6o2 de la bibliothèque de Clermont-Ferrand, f° 74 v°.

(2) Arch. de la Loire, B. 1915. – Arch. munic. de Lyon, CC. 376.

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Quand on sut que les compagnies Anglaises se préparaient sérieusement à déborder de l’Auvergne sur les provinces de l’est et du centre, qu’on les voyait déjà courir sur les marches du Bourbonnais et du Forez, qu’on signalait çà et là de petits partis « qui souvent venoyent espier forteresses et ambler prisonniers », la terreur fut extrême à trente lieues à la ronde. On trembla jusqu’en Nivernais, d’où on evoya en hâte un message à Pierre de Norry, lieutenant général du duc Louis II, pour savoir où étaient les Anglais qu’on disait avoir chevauché jusque dans les plaines Bourbonnaises. Un parti d’Anglo-Gascons est même signalé aux environs de Decise dans la première semaine de février 1387. A Semur-en-Brionnais, on écrit lettre sur lettre à la duchesse de Bourgogne pour lui donner des nouvelles, et on fortifie les portes et les fenêtres du donjon contre une entreprise possible (1).

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(1) Arch. de la Côte-d’Or, B. 5507, 5508 et 6281. – Cf. B. 3588, 4636, 5728, etc. – Voy. aussi J. Finot , Recherches sur les incursions des routiers et des Grandes compagnies dans le duché et le comté de Bourgogne à la fin du XIVe siècle. Vesoul, 1894.

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La ville de Lyon se tient prête à soutenir une attaque. Les portes sont gardées, les murailles restaurées, une tour neuve bâtie, onze bombardes achetées de Jean de Offombourg, « desquelx l’une gite une pierre de XX livres ». Des chevaucheurs vont aux informations; d’autres courent à Mâcon, où réside le bailli royal, pour l’avertir de ce qui se passe et demander ses ordres. Le capitaine de la ville concerte avec les échevins les mesures les plus efficaces pour parer au péri !. Nous trouvons dans les pièces justificatives de la comptabilité municipale le mandement suivant qu’il nous paraît utile de donner en entier: « Museton de Viego, capitein de Lion pour le Roy messire, au premier sergent dudit sire qui sur ce sera requis salut. Nous avons de novel entendu que les Englois d’Auvergne en grant nombre de gens d’armes se doivent assembler pour venir ou pais de Lionnois, et desia ont coru es marches de Forois ou il ont prins plusieurs merchans et autres personnes. Pour quoy nous, voulians pourveoir à la garde et service de la ditte ville de Lion, si comme à nous apartient, vous mandons que vous faceis commandement de par le Roy et de par nous à touz les consuls de ladite ville qu’ils comparoissent en personne par devant nous en l’ostel du Roy notre dit sire à Roanna jeudi prouchain, heure de nonne, pour oir certaines ordennances et autres chouses que nous avons à dire touchant le fait dessus dit et pour y pourveoir en telle manière que aucun péril ne dommage ne s’en puisse ensuir. Et nous certiffier ce que fait aurez. Donné à Lion soubz notre scel le XIe jour de septembre M CCC IIIIxx et sept » (1).

Il est probable que toutes les forteresses comtales du Forez, qui depuis plus de vingt ans n’avaient pas été menacées et qu’on avait un peu négligées, furent plus ou moins réparées pour faire face à ce péril nouveau (2).

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(1) Arch. mun. de Lyon, CC. 381. – Cf. CC. 376, 379, 387.

(2) A Paris, le 18 mars 1392 (n. St.), le duc de Bourbon déclare avoir reçu de Jean Palhoux, receveur des aides pour la guerre au comté de Forez, 2419 1. 8 s. I denier maille tournois pour la moitié des aides de l’année 1390, que le roi lui a donnée à cause des réparations à faire dans ses villes et châteaux de Forez ( Titres de la maison duc. de Bourbon, no 386i ).

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Nous le savons d’une manière certaine pour les châteaux de Saint-Galmier, de Donzy, de Bellegarde, dont les donjons furent remis en meilleur état ou munis de hourds en charpente (1). A Feurs, non seulement on répara le pont-levis et diverses parties du château, mais encore on donna une clôture à la ville. Les États du Forez, assemblés à Montbrison le 30 novembre 1387, ayant voté les trois quarts d’un fouage pour soutenir la guerre, et aider le duc de Berry à congédier les Anglais de son pays d’Auvergne, les 46 francs d’imposition de la ville de Feurs lui furent abandonnés pour la construction de la muraille, et, le 8 avril 1390, elle fut frappée d’un impôt spécial de 104 francs d’or et 12 gros pour l’achèvement de sa clôture (2). Beaucoup de couvents et de seigneurs particuliers durent suivre l’exemple du comte. Bernard Vigier, prieur de Saint-Sauveur-en-Rue, rebâtit le château, et entoura le bourg de tours et de fossés ; et il est dit expressément que ce fut à l’occasion de la guerre contre les Anglais (3).

Comme il ne manque jamais d’arriver dans les temps d’émotion populaire, le danger public donne carrière aux basses passions. A Saint-Genest-Malifaux, des ivrognes pillent le vin de Bartholet, le cabaretier, sous prétexte que les ennemis ne sont pas loin, et qu’il faut bien le boire avant leur arrivée. D’autres se familiarisent avec les Anglais, s’associent à leurs bandes, ou achètent à vil prix des effets volés par les brigands.

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(1) Arch. de la Loire, B. 1959, 1963, 1983.

(2) Arch. de la Loire, B. 1915 et 1968. – Broutin, loc. cit . — Catalogue de la bibliothèque de M. le baron Dauphin de Verna (Lyon, 1895, n° 1367 : « Compte de la recette et dépenses faites pour la fortification de Feurs en 1388 et 1389 ».

(3) Cartulaire du prieuré de Saint-Sauveur-en-Rue , appendice, n° 76.

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Le château de Bellegarde est escaladé et saccagé par quelques malandrins. D’assez mauvais paroissiens trouvent plaisant, un jour de fête, à l’heure de la messe, de crier à tue-tête: Veyssi los Engleys (1).

Ces faits isolés, conservés par hasard entre cent autres du même genre dans quelques vieux registres, suffiraient à prouver que l’invasion des bandes Anglaises dans le Forez fut regardé comme un événement grave. Mais nous avons là-dessus des renseignements plus précis. Sans doute nous ne connaîtrons jamais exactement l’étendue de ces incursions, et le nom de toutes les paroisses visitées par les compagnies. Mais du moins nous savons assez bien ce qui fut fait pour écarter ou. amoindrir le péril.

Constatons d’abord que, dans ces pressantes circonstances, nos ancêtres ne marchandèrent pas leur argent. Le compte rendu par Étienne d’Entragues, trésorier de Forez, le 19 mai 1389, par devant les députés des trois États et les gens de la chambre des comptes (2), contient la recette et l’emploi de cinq levées de deniers faites depuis le mois d’août 1387, savoir : un quart de fouage — environ mille francs — imposé au pays de Forez en août 1387 ; un autre quart ordonné par Monseigneur le duc par ses lettres du 6 novembre 1387 ; trois quartiers votés à Montbrison par les États le 30 novembre suivant ; un quartier voté le 2 novembre 1388 ; un dernier quart imposé le 27 mars 1389. Soit sept quartiers de fouage, ou un peu plus de 7000 francs (3).

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(1) Arch. de la Loire, B. 1167, 1189 et 1959.

(z) Arch. de la Loire, B. 1915.

(3) Voy. dans la Mure, Hist. des ducs de Bourbon , t. III, pièces supplém., p. 173, la répartition d’un de ces quarts de fouage.

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Mais on voit par le préambule de ce document qu’un autre compte analogue avait été rendu par Étienne d’Entragues en mai 1387 ; il y faut de plus ajouter 600 francs qui furent alloués à Robert de Chalus pour garder le Bourbonnais et le Forez pendant l’expédition du duc en Barbarie, en 1390 (1), et les impositions particulières à quelques châtellenies. On peut évaluer, il semble, à 10.000 francs au moins, somme considé-rable alors, les dépenses qui furent supportées par le Forez pour résister aux compagnies Anglaises.

Voyons maintenant, sans entrer dans des détails trop minutieux, ce que nous apprendrons par le compte d’Étienne d’Entragues et par quelques autres documents. On a déjà vu que le duc, au milieu de l’été de 1387, était en Espagne avec une bonne partie de sa noblesse. Son lieutenant général Pierre de Norry vint de Moulins à Montbrison, au mois de septembre, « pour mettre ordonnance en la garde du païs de Forez et mettre sus genz d’armes par l’avis et conseil des genz des trois estaz et autres du pais pour résister à la male volonté et emprise des ennemiz. » On signalait vers le même temps, le mardi après la Saint-Michel, le passage dans la châtellenie de Saint-Maurice-en-Roannais d’une bande de sept Anglais, qui avaient commis divers vols, et en particulier avaient surpris un chargement de nappes, manteaux, candélabres et diverses marchandises qu’un certain Pierre Lamberton faisait venir de France pour lui et pour le prieur de Pommiers. Ces Anglais sont probablement les mêmes qu’on trouve à Villemontais, chargés de leur butin (2). D’autres sont vus à Bussy (Buxi), ou ils sont suivis à la piste et chevauchés de près.

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(1) Arch. de la Loire, B, 1916.

(z) Arch. de la Loire, B, 1167.

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Mais le plus grand danger était alors sur la marche de Thiers et de Cervière, gardée par Louis de Chalus, et surtout vers Saint-Bonnet-le-Château. Denis de Baumont, bailli de Forez, resta en observation à Saint-Bonnet avec 26 hommes d’armes depuis le 21 août jusqu’au 14 septembre, sans peut-être réussir à empêcher l’infiltration de quelques petites bandes, bien qu’il eût été rejoint par les seigneurs de Saint-Priest et de Saint-Chamond, et qu’un accord avec le bâtard de Polignac et ses gens d’armes lui eût assuré le concours de ces hardis compagnons. Des espions allèrent jusqu’au cour de l’Auvergne surveiller les mouvements des compagnies et s’enquérir de leurs projets.

Ils rapportèrent à la duchesse de Bourbon la nouvelle — vraie ou fausse — que 200 lances et 700 valets armés s’assemblaient pour entrer dans le pays de Forez. Mais heureusement, sur ces entrefaites, les gentilshommes commençaient à revenir d’Espagne, entre autres Jean de Châteaumorand, qui avait été un des chefs de l’expédition. Par ses lettres du 14 octobre 1387, la duchesse Anne Dauphine le chargea, lui et son frère Guichard, de pourvoir à la sûreté du Forez. Jean de Châteaumorand se mit aussitôt en campagne, et dépêcha des sergents à cheval du côté de Néronde, en Beaujolais et à Lyon pour réunir les gens d’armes disponibles, particulièrement ceux qui rentraient d’Espagne par la vallée du Rhône et se trouvaient alors en grand nombre dans le Lyonnais. Un peu auparavant, au mois d’août, Pierre de Norry avait attendu avec 300 hommes d’armes, vers Gannat, les bandes d’Aimerigot-Marchès sorties d’Alleuse pour envahir le Bourbonnais et le Forez, et les avait forcées à se replier sur l’Auvergne. C’est pourtant de là que le principal danger menaçait encore le Forez, car, le 23 novembre, on envoya jusqu’à cinq éclaireurs à Alleuse et dans la Haute Auvergne. Il est singulier que, dans cette conjoncture périlleuse, le duc de Bourbon, enfin revenu d’Espagne, n’ait fait que traverser son comté de Forez. Il était à Montbrison le 6 novembre, mais partit presque aussitôt pour Paris.

Le commencement de l’année 1388 fut critique. Le samedi 25 janvier, un parti Anglo-Gascon s’empara de Saint-Rambert-sur-Loire. Comment et par où cette compagnie était-elle entrée en Forez ? Nous ne pouvons le dire avec certitude, mais il est probable qu’elle avait traversé les montagnes de Saint-Bonnet-le-Château, où le bâtard de Polignac et Bourg Camus étaient fort occupés à garder une frontière d’une surveillance difficile. A Lyon, on fut très ému de ces nouvelles, et le consulat envoya « Janin le meisselier pour alar vers Montbrison saveir l’estro dou Englais » (1). Robert de Chalus, seigneur de Bouthéon, fut nommé capitaine en Forez à la suite de l’affaire de Saint-Rambert, et on envoya chercher en Bourbonnais un renfort de gens d’armes.

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(1) Arch. munic. de Lyon, CC. 379. – On lit dans le même registre « Item à t valet que tramit le capitans de S. Bonet b Chatel a mess. les conseillers, qui lur aportit una lettre dou estat douz Engleis qui estient venuz à S. Rarnbert le xxv de février l’an dessus [t388] ». Cette date est erronée, car il résulte du registre B. 1915, des archives de la Loire, que la prise de Saint-Rambert eut lieu au mois de janvier. D’ailleurs le 25 février de l’année bissextile 1388 fut un mardi au contraire le 25 janvier tomba bien un samedi.

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Peu de jours après, on apprit la prise de Montferrand par Perrot le Béharnais (1). Ce grave événement, qui paraissait ouvrir aux compagnies les portes du Bourbonnais et du Forez, n’eut pas toutefois les conséquences qu’on pouvait redouter; dès le lendemain le Béharnais, après avoir garotté ses prisonniers, et emballé les objets à sa convenance, jugeait prudent d’abandonner la ville où déjà, d’après Froissart, il était menacé par Louis d’Aubière, le sire de la Palisse, Plotard de Châtelus, etc.

Toute cette année 1388 se passa dans la crainte. Il circulait des nouvelles inquiétantes ; de Cervière, on annonçait que les compagnies devaient prendre trois forteresses la semaine de la Saint-Michel ; le bailli Denis de Beaumont écrivait au duc que l’ennemi préparait une grosse chevauchée qui allait envahir le pays, et qu’il était urgent de demander du secours au roi de France. Celui-ci ayant accordé au duc 60 lances, on trouvait raisonnable que 20 au moins fussent réservées à la défense du Forez.

Ces alarmes étaient peut-être excessives. Il est certain du moins qu’il restait en Forez de petites bandes isolées qui terrorisaient la province. Quatorze Anglais avaient été vus embusqués dans la forêt de Bas ; des chevaucheurs avaient fort à faire de suivre et d’épier les pillards qui robaient les marchands. Guillaume de Layre, qui avait remplacé Robert de Chalus, fit même sur eux quelques prisonniers. Il est vrai que, au milieu de l’été, une trêve avait été conclue entre les compagnies d’Auvergne et les sujets du roi de France, et même, comme on l’a vu plus haut, les Anglo-Gascons avaient consenti à vider leurs forteresses. Mais, outre que la trêve n’avait pas été acceptée par Aimerigot-Marchès, on comprend qu’elle ne pouvait empêcher les hostilités de détail commises par les petites bandes séparées de leurs garnisons, et qui ne pouvaient vivre qu’aux dépens du pays où le hasard des aventures les avait conduites. Toutefois, pour ne leur laisser aucun prétexte de brigandage, on conseilla au duc de rendre les prisonniers faits par Guillaume de Layre depuis la trêve.

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(1) Le jeudi 13 février, d’après Froissart, le samedi 8 février, d’après un autre document.

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Les renseignements deviennent un peu plus rares en 1389, ce qui donne à croire que les grands périls commençaient à s’éloigner. Cependant des Anglais sont encore remarqués à Maroux (1) au mois de fé-vrier. On continue à entretenir un service de guetteurs dans les chàtellenies, de chevaucheurs et d’hommes d’armes sur les grandes routes et aux frontières. Le lieutenant général est de nouveau sollicité de veiller au plus tôt à la garde du pays, et on lui mande que le seigneur de Saint-Vidal, a proposé une alliance du Forez avec le Velay pour la commune défense des deux provinces. Les nouvelles alarmantes reprennent leur cours: les Anglais, la chose est sûre, vont envahir le Forez la première semaine de mars; un messager vient en une nuit du Puy à Saint-Bonnet-le-Chàteau, et de là à Clépé, donner à la duchesse des nouvelles des Anglais qui sont prêts à entrer dans le pays.

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(1) Marols, probablement (Arch, de la Loire, B. 1968).

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Le 1er juin, elle dépêche Guichard d’Urfé au duc pour lui apprendre que les Anglais d’Auvergne « ne font pas la vide » comme ils l’avaient promis, mais s’assemblent pour une expédition qui va peut-être inonder le Forez. Elle envoie demander du secours au sire de Beaujeu, à l’abbé de Savigny, à l’archevêque et au chapitre de Lyon (1).

Cependant que, malgré tant de menaces, rien de bien grave se passa probablement en Forez,en 1389. La trêve générale entre la France et l’Angleterre, signée à Leulinghem le 18 juin, dut améliorer notablement la situation, bien que, très probablement, de petits groupes d’aventuriers aient quelque temps encore troublé la sécurité du Forez.

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(1) Arch. de la Loire, B. 1915. — La Mure, His. des ducs de Bourbon , t. Il, p. 77, n° I

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