M. Maurice Dumoulin, Plainte des ouvriers de Saint-Étienne contre les entrepreneurs de la fabrique d’armes, 1716 – Une grève des ouvriers en soie de Lyon en 1717, BD, Tome VIII, pages 238 à 241, Montbrison, 1895.

 

M. Maurice Dumoulin donne lecture des deux lettres suivantes, relatives à des faits intéressant notre région. Ces deux lettres inédites font partie d’un volume de la Bibliothèque nationale (1), renfermant la correspondance échangée entre le Régent et les intendants pendant les années 1715 à 1718 et se trouvent aux folios 185 et 242.

 

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(1) Bibl. nat., fr., n° 11373.

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I.

A Lyon ce 26 avril 1716.

Monseigneur,

J’ai receu avec la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’escrire du quatre de ce mois celle que nombre d’ouvriers de la ville de Saint-Estienne vous ont adressée pour se plain

dre de deux choses, la première qu’il n’y a plus de travail dans la fabrique des armes establie dans cette ville, la seconde de ce qu’ils ne sont pas payés d’une partye de ce qui leur est dub par les commissionnaires de M. Titon.

Ces plaintes ne regardent point le conseil de finance, c’est au conseil de la guerre que ces pauvres gens doivent s’adresser, je leur feray dire, j’ai examiné leurs demandes il seroit à désirer qu’on put occuper le nombre de bons ouvriers qui sont dans cette fabrique, affin de les empêcher de sortir du pays pour aller gagner leur vie ailleurs, mais la paix en oste les moyens et les occasions, au moins devroit-on leur payer ce qui leur est dub, mais comme le sieur Titon est dans des avances considérables avec le Roy, il n’a pas trop bien payé les commissionnaires c’est-à-dire ceux qui s’obligeoient envers luy, de fournir les quantités des armes nécessaires pour le magasin royal, et ceux cy ont encore esté moins exacts à satisfaire les ouvriers, j’essayeray de faire faire quelque justice à ces derniers par les commissionnaires.

Je suis avec respect, etc.

 

MELIAND .

 

II.

 

Monseigneur,

En l’absance de M. Méliand qui est en chemin pour arriver bien tost j’auray l’honneur de vous informer de ce qui s’est passé en cette ville entre les ouvriers en soye et les maistres gardes dud. art, au sujet des règlemens faits par les prévost des marchands et échevins de Lyon le 25 octobre 1711, confirmés par des lettres pattentes du 31 octobre 1712 registrées au parlement le huit juillet dernier seulement, que les maitres marchands fabricants ont obtenu contre lesd. ouvriers portant entrautres choses que tous les maistres ou fils de maistres ouvriers en étoffes d’or, d’argent et de soye de la ville de Lyon qui n’ont pas esté enregistrés en qualité de marchans avant le premier novembre 1711 et qui voudront travailler ou faire travailler, fabriquer ou faire fabriquer pour leur compte se feront enregistrer avant que les ouvrages ayent esté commancés sur un livre qui sera tenu à cet effet au bureau de la communauté desdits ouvriers en étoffe de soye de lad. ville et payeront entre les mains des maistres et gardes scavoir, les maistres, trois cens livres, et les fils de maistres, deux cent livres lors dud. enregistrement qui ne pourra estre fait qu’après qu’ils auront atteint l’aage de vingt ans a peine de confiscation des ouvrages et de 6o livres d’amande et au surplus que des maistres marchands de lad. communauté qui ont esté enregistrés payeront au bureau desdits maistres et gardes dans quinzaine les arrérages du droit de visite qu’ils doivent sur le pied de vingt-cinq livres par année, à compter du premier janvier 1712 seront contraints ; pour estre toutes lesd. sommes employées à acquitter les dettes et charges de lad. communauté.

Lesd. maistres et gardes voulant faire observer ces règlements, lesd. ouvriers qui sont en très grand nombre et la pluspart hors d’état de payer les sommes y portées s’en prirent a un des maistres et gardes nommé Duclos qu’ils voulurent bruler dans sa maison à ce qu’on dit, la nuit du lundy dernier au mardy matin ; lequel fut obligé de se retirer par le derrière de sa maison sur la rivière. Ces ouvriers au nombre de sept ou huit ayant présenté requeste a M. le prévost des marchands, en opposition ausd. règlements, ce qu’il ne voulut recevoir les regardant comme des mutins et en fit mettre deux en prison.

Le mercredy suivant, environ deux ou trois cens de ces ouvriers se trouvèrent dans la place des Terreaux devant la maison de ville dans le temps que messieurs de ville estoient assemblés aud. hôtel de ville avec les juges conservateurs à l’ordinaire tenant l’audience. Cinquante desd. ouvriers tenant un papier à la main entrèrent dans lad, maison de ville et montant par le degré qui conduit a lad. chambre d’audiance, remplie de procureurs et de partyes, furent repoussés et chassés sur lesd. degrez par un des mandeurs nommé Jourdan qui fut soutenu par le sieur Roche lieutenant du prévost et le sieur Berardier qui les poussèrent dans lad. place l’épée a la main et essuyèrent quantité de coups de pierre dont ces ouvriers s’estoient munis, marque de leur mauvais desseins. Pendant ce temps, lesd. ouvriers jetèrent quantité de pierres contre lad. maison de ville ; les arquebuziers et les penonages des quartiers estant venus au secours dissipèrent cette troupe dont on en arresta cinq qui furent interrogez sur le champ par l’auditeur de camp en présence de M. de Ville et de M. le major de lad. ville, et ensuitte conduits en prison. Aujourd’huy ils ont esté jugez a lad. maison de ville militairement par M. le prévost des marchands, les quatre échevins, l’auditeur de camp et six capitaines penons de différents quartiers ue cette ville, dont deux ont esté condamnés aux galerres, l’un pour cinq ans et l’autre pour sa vie, après avoir fait amande honorable devant lad. maison de ville, ce qui a esté exécuté cet après midy ; et cette nuit on doit embarquer ces deux condamnés pour Marseille.

J’ai attendu, Monseigneur, que toute cette affaire fut ter­minée pour avoir l’honneur de vous en rendre compte de ce que j’ay apris par la ville, estant persuadé que sy M. l’Intendant avait esté icy on auroit agy de concert avec luy.

J’ay l’honneur d’estre etc.

Gayot de la Bussiére.

Président au bureau des finances.

 

A Lyon 2 septembre 1717 .

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