M.Vincent Durand, Documents relatifs à l’histoire du Forez, contenus dans le Ve volume des Chartes de Cluny, BD, Tome VIII, pages 34 à 44, Montbrison, 1895.

 

M. Vincent Durand s’exprime ainsi

C’est toujours un évènement pour la science que l’apparition d’un nouveau volume des Chartes de Cluny. Outre son immense intérêt pour l’histoire générale, cette publication a pour nous comme un intérêt de famille. C’est un Forézien en effet qui en a conçu la pensée, qui en a réuni les matériaux et qui en a commencé l’exécution. La mort ne lui a pas permis d’en voir l’achèvement; mais il a trouvé dans M. Alexandre Bruel un successeur digne de lui et de l’importance de l’oeuvre à laquelle il avait consacré les dernières années de sa vie.

Le tome V a paru depuis quelques mois. Il va des années 1091 à 1210. C’est l’époque où la prospérité de Cluny arrivée à son apogée n’avait plus qu’à décroître. Je n’entreprendrai pas d’énumérer tous les documents de haute valeur que ce volume renferme: actes des papes et des évêques, chartes des rois de France, d’Angleterre, d’Espagne, etc., et me bornerai à vous signaler ceux qui ont avec l’histoire du Forez un rapport immédiat. Quelques-uns n’étaient pas inédits, mais ils étaient épars dans divers ouvrages, la plupart rares et difficiles à trouver, et ils sont publiés à nouveau sur les originaux mêmes, ou sur les meilleures copies, avec le soin et la compétence que l’érudit éditeur apporte à tous ses travaux.

AMBIERLE.

1100. — Hugues, abbé de Cluny, cède l’obédience d’Iguerande, Igaranda , au monastère de Marcigny et par compensation il lui enlève, pour les réunir à la chambre de Cluny, divers biens et revenus, dont 20 sous, monnaie de Lyon, sur l’obédience d’Ambierle, l’obédience de Saltu, qui est probablement Sail-les-Bains, et plusieurs autres lieux dont quelques-uns peut-être situés en Forez, sans cependant qu’on puisse l’affirmer (n° 3742).

1119. – Lettres de Louis-le-Jeune prenant sous sa protection spéciale l’abbaye de Cluny et ses dépendances, parmi lesquelles Ambierle et Charlieu, charte capitale dans laquelle le roi stipule la faculté de construire et de tenir en sa main des fortifications pour l’utilité de la couronne de France, sur les territoires appartenant à l’abbaye (no 3943).

1131. – Une charte auvergnate fait connaître Pierre, prieur d’Ambierle (no 4023).

1166, 3 novembre. — Une des pièces les plus im-portantes au point de vue forézien et particulièrement au point de vue roannais est une charte de Louis-le-Jeune, sous cette date, confirmant à Cluny la possession du prieuré d’Ambierle, alors gouverné par le prieur Artaud, et des dépendances de cette maison qui sont ainsi énumérées : 1° et 2° à Ambierle même, l’église de Saint-Martin et la chapelle de Saint-Nizier, qui est l’ancienne église paroissiale aujourd’hui convertie en halle aux grains; 3° et 4° àTourzy, l’église de Saint-Hippolyte, aujourd’hui du cimetière, et une chapelle de Saint-Martin, qui est à retrouver (i); — 5° l’église de Notre-Dame de Mably; — 6° et 7° celle de Saint-Haon-le-Vieux et la chapelle du château, évidemment celui de Saint-Haon-le-Châtel ; — 8° l’église de Saint-Pierre de Ronesion ; — 9° l’église de Saint-André; — 10° l’église de Saint-Germain ; — 11° et 12° l’église de Saint-Forgeux et la chapelle de l’Espinasse ; — 13° l’église de Saint-Etienne de Vivent; — 14° l’église de Saint-Sauveur d’Arzu (Arzon), texte qui établit la réalité d’un vocable qui était contesté ; —15° et 16° à Changy, l’église de Notre-Dame et la chapelle de l’hôpital de Sainte-Marie-Madeleine, un des asiles de pauvres voyageurs échelonnés sur la vieille voie romaine, aujourd’hui route de Lyon à Paris ; — 17° et 18° l’église d’Ande et la chapelle de Saint-Pierre du Bois ; — 19° et enfin, une part dans certaine église en l’honneur de la Sainte Vierge, pars quedam æcclesiæ in honore Sancte Mariæ , église que je ne sais où placer au juste (n° 4224).

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(1) La Mure qui a connu et analysé ce titre ( Hist. des ducs de Bourbon et des comtes de Forez , t. 1er, p. 160), omet la chapelle de Saint-Martin dans l’énumération des églises dépendant d’Ambierle.

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1169-1170. — Peu d’années après, une autre charte de Louis VII rattache étroitement Ambierle à la couronne de France. J’ai eu l’occasion de dire ailleurs que cet acte contient en germe la constitution du Lyonnais Roannais (1) (n° 4231).

1180, 1er septembre. — Les le Blanc, vicomtes de Mâcon, étaient possessionnés à Ambierle et leurs vexations contre le prieuré n’avaient pas été étrangères à l’intervention du roi de France. Artaud le Blanc renonce au droit de garde qu’il prétendait sur Ambierle, Hugues en étant prieur et Ildm, doyen. Il renonce de même à toute prétention sur la terre d’Ambierle, in toto honore de Amberta , jusqu’à la rivière de Changy ou de Tessone. Enfin, il reconnaît ne posséder aucun droit dans le village de Tourzy, ne retenant dans la paroisse que certaines redevances censuelles qui sont spécifiées en détail. Les moines lui accordent en retour l’établissement, dans son château de Crozet, d’une chapelle à desservir par un chapelain à leur nomination et dont il dote le luminaire d’une rente de 5 sous à prélever sur le péage du château, péage probablement perçu sur la grande route, c’est-à-dire au lieu qui est devenu la Pacaudière. L’acte mentionne plusieurs lieux dits des environs de Tourzy et il est passé en présence de nombreux témoins, parmi lesquels on remarque Durand, prieur de Saint-Victor, Artaud, prieur de Charlieu, Pierre, doyen de Tourzy, Pierre de Charnant, Rodolphe et Dalmace de I’Espinasse, frères, Dalmace de Saint-Haon, etc. (no 4272).

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(1) Bulletin de la Diana, t. VI, p. 241.

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1186-1187— Enfin une bulle d’Urbain III confirme ces arrangements et nous apprend qu’Artaud le Blanc était aussi seigneur de Châteauneuf (n° 4312).

CHARLIEU.

1105. — Une charte sur laquelle j’aurai à revenir à propos de Villeret fait connaître un prieur de Charlieu, Ponce, qui m’était resté inconnu et qui doit prendre le second rang dans la série (n° 3828).

1119. — Lettres de Louis-le-Jeune, déjà citées, par lesquelles il prend sous sa protection l’abbaye de Cluny et ses possessions, et notamment les prieurés d’Ambierle et de Charlieu (n° 3943).

1180-1181. — Charte de Philippe-Auguste plaçant le prieuré de Charlieu sous la garde royale et le confirmant dans la possession de Régny, Saint-Nizier de Lestra et Thizy (n° 4278).

1188. — De quels excès Renaud de Nevers s’était-il rendu coupable à Charlieu ? La charte nous le laisse ignorer, mais nous y lisons qu’en réparation de ses méfaits, maxime pro forisfacto Cariloci , Renaud exempte les moines de Cluny du péage de Decize (n° 4334).

CLEPPÉ.

1192. — Guichard IV, seigneur de Beaujeu, donne des sûretés pour le remboursement d’une somme de 20 000 sous (100 000 francs de nos jours en nombre rond) prêtée à son père par l’abbé de Cluny. Parmi les fidéjusseurs. on remarque Hugues de Ronchevol, Guichard et Hugues de Marzé, Hugues Foudras, sénéchal, Etienne Blains, etc. En cas de non-paiement, le comte de Forez restera en otage à Claipé, celui de Châlon à Charolles (n° 4361).

NERVIEU.

1203, décembre. — Renaud, archevêque de Lyon, tuteur de Guy IV, comte de Forez, donne à Cluny toute la dîme de Nervieu, de part et d’autre de la Loire, totam decimam de Nerviaco cura aquam et ultra aquam , pour tenir lieu de 10 livres de revenu qu’il devait assigner à l’abbaye en exécution des volontés et pour l’anniversaire de Guy III son frère, qui approuve cette cession, ainsi que sa femme Adalalix et ses enfants, Guy, Guigonne et Marquise. Cet acte intéressant est sans nul doute l’origine de ce que l’on a appelé quelquefois le prieuré de Nervieu, lequel parait n’avoir été qu’une grange dîmière. Il date de l’époque où Guy III abandonna le gouvernement du comté pour se retirer à la Bénisson-Dicu, laissant son frère l’archevêque Renaud comme tuteur du jeune Guy IV. Parmi les témoins figurent Hugues., abbé de la Bénisson-Dieu, Guillaume, archiprêtre de Néronde, Durand de Spodio ; Jean de Vaure, Aimard de Vernol, Chatard de Sury ( de Suire ), Chatard de Thiers, etc.

La mention que la dîme donnée s’étend sur l’une et l’autre rive du fleuve semble prouver que la Loire coulait alors sous les balmes de Sugny, séparant en deux la paroisse, comme cela a lieu encore pour celles de Miserieu et de Cleppé. En se déplaçant pour se rapprocher de Balbigny, elle n’a donc fait probablement que rentrer dans un lit plus ancien, contemporain de la création des paroisses riveraines à qui, selon toute vraisemblance, elle servait de limite (n° 4409).

NOIRÉTABLE.

1131. — Une charte déjà citée à propos d’Ambierle contient le nom d’Hugues, prieur de Noirétable, de Nigro Stabulo (n° 4023).

 

POUILLY-LÈS-FEURS.

1091. – Hilisiard, miles de castello quod vocatur Nigra Unda , donne à Cluny la moitié de certaines vignes qu’il possède par indivis avec son frère in villa Poliaco, in comitatu Forensi , et stipule que, si son frère consent à abandonner aux moines l’autre moitié lui appartenant, ceux-ci devront lui donner 50 sous. — Au nombre des témoins figurent Poncius miles de Serra, Milo de Ruiniaco , qu’on peut croire avoir été seigneur de Rugnieu, commune de Sainte-Foy-Saint-Sulpice, Arnaldus miles de Sancto Marcello et Wigo son frère (n° 3660).

1145-1147. — Deux chartes sous ces dates approximatives sont relatives à la réparation des torts causés aux possessions de Cluny par Jacerand Gros, seigneur de Brancion.

Cette famille Gros paraît avoir tenu Épercieu, Parciacum , dans le voisinage immédiat de Pouilly, ainsi qu’il résulte d’un acte de foi et hommage rendu au comte de Forez par autre Jacerand Gros, en avril 1233 (1). Les chartes que je signale ne spécifiant pas quelles possessions clunisiennes avaient eu à souffrir des méfaits de Jacerand, on ne peut affirmer avec certitude que Pouilly fût du nombre ; mais on trouve dans ces documents et plusieurs autres du recueil d’utiles indications sur la généalogie des Gros (n° 4106, 4131).

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(1) Barban, Fiefs , n° 738,

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POMMIERS.

1146, 9 février. — Bulle d’Eugène III confirmant le prieuré de Nantua dans ses possessions, en tête desquelles figure Pommiers, Pomerium (n° 4112).

 

VI LLERET.

1105. — Cette charte fournit de précieux renseignements sur la famille des anciens seigneurs de Saint-Polgue. Ilius de Sapolgo , Girin son fils, Ilius et Guillaume ses petits-fils avaient donné à Cluny tout ce qu’ils possédaient à Villeret, Villaretum . Mais ce don était contesté par leurs trois neveux, nepotes , Ponce le Vilain, ( Villanus ), Gaiferus et Paltanerus , et leur mère Florence. Pour régler ce différend, un plaid est tenu à Charlieu. Les trois frères renoncent à leur réclamation et de plus ils cèdent à Cluny deux mas contigus situés dans le territoire de Charlieu, l’un appelé de la Chaux, de la Calc e; et l’autre d’Antran, de Antranno , moyennant le remboursement de 350 sous, monnaie de Lyon, pour lesquels ces mas étaient engagés, et une mule pour Vilain. Cette cession est faite par l’intermédiaire et avec l’approbation de Téotard, chanoine de Lyon, et Dalmace, son frère, chevalier, seigneurs de Roanne, Rotenna , en présence d’Ilius de Marcennay, de Gaucerand de Pinet et autres (n° 3828).

Vous remarquerez la forme Sapolgo pour Saint-Polgue : c’est encore, à peine modifiée en Saporgo , la prononciation actuelle, et le très ancien texte où elle figure fait justice des prétendues étymologies, Sanum et pulchrum, Sancti Petri Paulique , proposées par le bon La Mure. La forme de Sancto Sepuichro , donnée par un document, d’ailleurs d’une réelle autorité, publié par Aug. Bernard (1), est elle-même bien difficile à admettre. Si un tel vocable avait été donné à l’église, c’eût été bien probablement à l’occasion des croisades, et il n’est pas vraisemblable qu’en 1105, il se fût déjà corrompu au point de supplanter le nom véritable dans un texte latin.

De toute manière, saint Polgue est à reléguer au nombre des saints imaginaires, comme saint Bel, saint Igny, saint Pulgent, etc.

Après les chartes dont je viens de faire l’énumération et qui concernent directement des lieux situés en Forez, il convient d’en citer un certain nombre d’autres qui, sans être foréziennes, touchent à des familles dont l’histoire est intimement mêlée avec la nôtre. Telles sont les pièces n 3698, 3726, 4404, 4406, 4455, où apparaissent des membres de la famille de Beaujeu, et celles nos 3674, 3681, 3801, 3827, 3840, 4001, 4377, 442 I , intéressantes pour la généalogie des Damas. Les mêmes chartes nos 3840, de l’an 1106, et 4001, de l’an i 128, mentionnent au rang des témoins un Hugo Rabies ou Rabia dont le nom fait penser aux Raybi, seigneurs d’Urfé ; mais ce rapprochement est fort incertain.

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(1) Cartulaire de Savigny, p. 1057.

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Une importante charte bourguignonne de l’an 1180 ou 1181 (n os 4279), contenant accord passé entre Gérard, comte de Mâcon, et l’abbaye de Cluny, en présence d’Artaud, vicomte, et de nombreux témoins tant laïques qu’ecclésiastiques, doit être mentionnée ici, comme publiée d’après un original conservé dans la bibliothèque de la Diana.

MOEURS ET COUTUMES.

Il serait trop long de vous indiquer tous les textes sur les moeurs et usages du temps, la valeur des denrées, etc., dont à raison de leur généralité même, notre histoire provinciale peut tirer profit. Mais je dois vous signaler deux documents très importants quoique malheureusement trop courts: ce sont les chartes n os 4205 et 4329, des années 1161 à 1188, contenant déclaration et amplification des bonnes coutumes de la ville de Cluny. On y trouve plusieurs dispositions qui devaient entrer plus tard dans nos chartes de privilèges foréziennes. Ces coutumes clunisiennes ont d’ailleurs exclusivement le caractère d’un règlement en matière civile et pénale. Les habitants de Cluny essayèrent bien, vers cette époque, de se constituer en commune, mais cette tentative n’eut pas de suite et on les voit y renoncer en 1206 (n° 4425).

Un bien curieux article de leurs coutumes est celui qui interdit aux bourgeois de se faire défendre par un jurisconsulte, legista , dans les procès qu’ils auraient entre eux. Évidemment, les hommes de loi n’étaient pas en odeur de sainteté ; on s’imaginait en ce temps-là que leur intervention était plus propre à entretenir qu’à terminer les procès. Cependant, une exception est prévue. Si un étranger amène un avocat pour l’assister contre un bourgeois, celui-ci pourra en faire autant : il fallait bien que la partie fût égale.

La note gaie n’est pas absente de ces documents si variés et si pleins de faits. Je ne puis m’empêcher d’indiquer en terminant la charte n° 4405, de l’an 1202, qui est une concession faite par l’abbé de Cluny à Raymond VI, comte de Toulouse, d’un emplacement pour y construire un château. De très nombreux témoins assistent à l’acte. L’un s’appelle Ponce Pilate ; un autre Raignon Foiraz. Le juge et chancelier du comte, R. Guillaume, souscrit à l’acte, et fait suivre intrépidement sa signature de cette pieuse sentence : Fiat, Domine, cor meum demerdatum ! Il parait que c’est la traduction libre d’un verset du psaume 118. Je me suis assuré que l’acte n’était pas passé en carnaval.