BD, Tome II, EXCURSION DE LA SOCIÉTÉ DE LA DIANA – A MOULINS, SAINT-MENOUX, BOURBON-L’ARCHAMBAULT ET SOUVIGNY, pages 152 à 177, La Diana, 1882.

 

EXCURSION DE LA SOCIÉTÉ DE LA DIANA

A MOULINS, SAINT-MENOUX, BOURBON-L’ARCHAMBAULT ET SOUVIGNY

Les 4 et 5 Juillet 1882.

COMPTE-RENDU PRESENTE A LA SOCIETE par M. TESTENOIRE- LAFAYETTE.

Dans son assemblée générale du 12 décembre dernier, notre Société avait décidé que l’excursion de 1882 aurait pour but la visite des cités et monuments bourbonnais qui furent le berceau, la capitale et le Saint-Denis des ducs de Bourbon, nos comtes de la troisième race. Pour la première fois, notre pérégrination archéologique annuelle allait donc s’effectuer en dehors de nos frontières foréziennes, et se trouver par conséquent aux prises avec des difficultés matérielles qui pouvaient en compromettre le succès. Nous ne pouvons résister au désir de constater que ces alarmes n’ont point été justifiées, et que le succès a été complet à tous égards, grâce à l’entrain cordial des 28 excursionnistes et au puissant intérêt des remarquables monuments qu’il nous a été donné de visiter ; grâce à l’accueil bienveillant et empressé de plusieurs des principaux membres de la Société d’Emulation de l’Allier et à la présence de notre savant collègue, le comte de Soultrait, venu tout exprès de Besançon pour se faire notre cicerone dans un pays qu’il connaît si parfaitement; grâce enfin au zèle intelligent avec lequel deux des membres de la commission, M. Édouard Jeannez, quoique souffrant, et M. André Barban, aidés par notre bibliothécaire, M. Rochigneux, avaient su tout préparer.

Nous n’avons pas la prétention de décrire complètement les lieux intéressants que nous avons visités ; de gros et savants livres y suffisent à peine. Nous parlerons seulement de ce qui nous a le plus frappés pendant notre rapide promenade, et surtout de ce qui rappelle la mémoire de nos comtes.

I

Nous sommes partis le mardi 4 juillet, à six heures du matin, de Moulins pour Bourbon-l’Archambault. A mi-chemin, sur notre route même, se trouvait l’église de Saint-Menoux (Sanctus Menulphus).Saint-Menoux fut d’abord un prieuré d’hommes, et bientôt une abbaye de femmes, dont dépendait le prieuré de Pouilly-les-Nonnains en Roannais. Cette église est des plus remarquables ; la partie antérieure est une sorte de vaste narthex avec une nef et deux collatéraux qui en sont séparés par des colonnes massives ; on en reporte la construction à la fin du Xe siècle. La grande nef est ogivale : c’est la partie la plus récente de l’édifice. Le choeur est magnifique, et passe à bon droit pour un des plus beaux monuments de l’architecture romane dans le centre de la France. L’harmonie des proportions, l’élégance et la variété des sculptures sont dignes d’admiration. Nous ne saurions décrire dans tous ses détails cette belle décoration ; mais il nous est impossible de ne pas citer la superbe frise, en forme de grecque profondément fouillée, se déroulant avec un art infini au-dessus des arceaux qui mettent en communication le choeur et le déambulatoire. L’aspect de ce sanctuaire est saisissant. Derrière le maître-autel est le cercueil de saint Menoux ; il est en pierre, élevé au-dessus du sol sur deux colonnettes, et percé d’une ouverture cintrée qui laisse voir l’intérieur du tombeau. La dévotion populaire invoquait particulièrement saint Menoux pour la guérison des maux de tête et même des maladies mentales; le malade, après une prière, passait la tète dans cette ouverture qu’on appelle encore la débredinoire (1).

« Le narthex, vrai musée lapidaire, quoique privé de nombreuses sculptures emportées au loin… non par le vent, possède encore d’intéressantes pièces, dont plusieurs de l’époque byzantine (2). »

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(1) Berdin, Bredin ou Bredi : simple d’esprit, niais. Glossaire du centre de la France par le comte Joubert. 1864.
(2) Courrier de l’Allier, no du 5 juillet 1882.

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II

A dix heures, nous apercevions les grosses tours et les restes imposants du château de Bourbon1’Archambault. Laissant à notre droite l’établissement thermal et son parc, dont les terrassiers transforment en ce moment les allées et les massifs, nous avons visité d’abord la vieille église paroissiale, édifice roman bien conservé et intéressant, à côté duquel se dressent le monument funéraire et le buste du regretté Achille Allier. Le vénérable abbé Desrosiers, curé de Bourbon-l’Archambault depuis 57 ans, était dans sa sacristie et se préparait à bénir le mariage d’une de ses jeunes paroissiennes, appartenant à la cinquième génération de ceux dont il a été le pasteur. C’est le frère de M. Desrosiers, l’éditeur de l’Ancien Bourbonnais et l’un des maîtres de l’art typographique en province. Il a exposé devant nous l’insigne relique de Bourbon, un morceau de la Vraie Croix apporté de Palestine par saint Louis, et donné par lui à Robert son sixième fils. C’est à ce prince que Béatrix de Bourgogne apporta en dot, en 1273, la baronnie de Bourbon, dont il ne prit possession qu’à la mort d’Agnès de Bourbon, mère de Béatrix, en 1288. Ce fragment passe pour être le plus considérable de ceux conservés en France. Pour faire un digne abri à ce précieux objet de la vénération des chrétiens, Louis 1er, fils de Robert, fit construire dans son château, en 1315, une première chapelle. Le concours des fidèles l’ayant rendue insuffisante, le duc Jean II jeta en 1483 les fondements de la nouvelle Sainte-Chapelle, « dont on doit tant regretter la perte, et qui ne fut terminée que par le duc Pierre II et Anne de France, en 1508 (1). »

Une chapelle, adossée au XVe siècle au collatéral nord de l’église paroissiale, est consacrée à la Vraie Croix, et remplace bien modestement le chef-d’oeuvre anéanti. Un vitrail, restauré avec soin, représente le duc Pierre II et Anne de France, sa femme, en adoration devant la Vraie Croix. Non loin de là, dans la nef, est une épave de la Sainte-Chapelle de Bourbon ; c’est une statue de sainte Marthe, avec un élégant support et un dais très ouvragé. Ces trois pièces, du XVe siècle, paraissent être l’oeuvre de trois artistes différents (2).

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(1) Ach. Allier. Ancien Bourbonnais. T. II. Voyage pittoresque, p. 196. Erreur de date : Pierre Il est mort en 1503.
(2) Emprunté aux notes de M. Rochigneux, bibliothécaire.

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Après un déjeuner bon et court, deux grandes qualités pour un jour d’excursion, nous passions à une heure sous la tour de la Qui-qu’en-grogne, sentinelle avancée du château sur la vieille ville, et qui se fait pardonner les murmures auxquels elle doit son nom, en donnant à la nouvelle cité un aspect pittoresque et la connaissance de l’heure exacte sur le cadran d’une grosse horloge vue de partout : Utile dulci. Nous gravissions la colline abrupte en longeant le mur oriental de l’enceinte du château festonné par les débris des nombreuses tours qui le défendaient (3), et nous y pénétrions par le vieux pont, resté solide sur le grand fossé où coule encore un peu d’eau.

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(3) « Une tradition locale rapporte qu’il existait autrefois vingt-quatre tours ; mais elle me paraît invraisemblable ; car, tout bien compté, je n’en vois plus la trace que de quinze. » ( Le château de Bourbon-l’Archambault, par Mgr Barbier de Montault. Moulins, 1876, p. 20.) Nicolas de Nicolay n’en comptait aussi que quinze dans sa Générale description du pays et duché de Bourbonnais. 1569.

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De ce point, l’aspect de la forteresse est imposant ; trois énormes tours et le mur en ligne droite qui les relie sont encore debout, presque dans leur hauteur primitive. On sent combien le petit lac, dont on voit les contours au pied du rocher, devait ajouter au caractère du paysage. Après avoir traversé un passage couvert, on se trouve dans l’intérieur même du château, qui n’a plus d’autre voûte que celle du ciel, mais qui a conservé ses murailles, où sont adossées, pour chacun des deux étages, d’immenses cheminées en pierre, et les naissances des nervures des belles salles féodales disparues. On peut encore monter au sommet de chacune des trois tours par un petit escalier à vis, ménagé dans l’énorme épaisseur du mur; chaque tour a gardé intactes trois salles voûtées et superposées, dont l’aspect indique une époque plus ancienne que celle des grandes salles du château. Dans les tours, les nervures des voûtes sont supportées par des consoles sculptées en forme de tètes humaines ou de tètes d’animaux et d’un travail intéressant.

Par les soin de Mgr Barbier de Montault, auteur d’une savante et complète monographie du château de Bourbon-l’Archambault, la tour de l’est est devenue un musée où sont déposées les pierres sculptées trouvées dans les ruines, et intéressantes surtout parce qu’elles peuvent servir à déterminer les dates fort diverses des constructions. On y voit deux matrices en pierre du boisseau de Bourbon (XVIIe siècle).

Nous quittons ces tours, que nous a fait visiter avec une parfaite obligeance la personne à qui les clefs en sont confiées par le propriétaire des ruines, le duc d’Aumale, héritier des Bourbon-Condé, et nous nous arrêtons longtemps dans l’enceinte même de ce qui fut la demeure de nos comtes. L’aspect intérieur de ces grands murs est peut-être plus remarquable encore que celui du dehors. Ils élèvent, droits et fiers, au milieu des débris amoncelés à leur base, leurs parois dont les matériaux sont d’une beauté et d’une régularité bien rares dans les constructions féodales, et ils profilent sur le ciel les lignes brisées de leur sommet découronné. On se représente facilement ce qu’était cette partie du château. « Les manoirs du moyen-âge présentent toujours à peu près les mêmes dispositions. La pièce principale s’appelait la salle; elle était destinée aux banquets, aux fêtes, aux réceptions. C’était là que le seigneur recevait l’hommage de ses vassaux et qu’il les traitait ; c’était là qu’il fêtait son suzerain. Les grandes réunions féodales exigaient une pièce d’une dimension considérable. »

« Le seigneur occupe l’étage supérieur avec ses vassaux nobles et ses hôtes ; les serviteurs restent à l’étage inférieur. On ne passait pas ordinairement par l’étage inférieur pour monter à l’étage supérieur ; souvent même il n’y avait pas entr’eux de communication directe. On accédait au rez-de-chaussée par une porte basse, à l’étage supérieur par une porte s’ouvrant sur un perron ou escalier extérieur (1). »

« Toutes ces indications, si bien résumées, s’appliquent parfaitement à la salle du château de Bourbon. Cette salle magnifique, dont les voûtes atteignaient une hauteur considérable, mesure en largeur 6 mètres 50 c. et 31 mètres 57 c. en longueur. Elle se dirige de l’ouest à l’est, et comprend sept travées d’inégale largeur (2).

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(1) G. d’Epinay: Mémoire sur l’architecture civile dans la Touraine méridionale. Caen, 1871, pages 4-7
(2) Barbier de Montault: Le Château de Bourbon-l’Archambault, pages 85-86.

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On voit distinctement dans les murs la place des poutres qui soutenaient le plancher séparant les deux étages. La salle du rez-de-chaussée était beaucoup moins élevée. Les piliers divisant les travées se superposent aux deux étages ; ils sont à pans et ont à chaque étage une base à moulures ; ceux du rez-de-chaussée sont plus larges et sans chapiteaux ; ceux du premier étage sont couronnés par un chapiteau simplement mouluré et sur lequel se fait la retombée de la voûte ogivale.

On nous pardonnera de nous être un peu attardé à la description de la salle d’honneur de nos comtes. On ne retrouve pas souvent des restes si beaux et si caractéristiques de ces grands appartements du moyen-âge.

C’est tout près de là, entre la grosse tour de l’est et le puits profond du milieu de la tour, qu’était la Sainte-Chapelle, dont il ne reste plus rien ; etiam periere ruinae. C’était une des merveilles de l’art ogival, dont on peut se faire une idée par les vues et les descriptions reproduites d’après de vieux dessins ou documents, dans l’Ancien Bourbonnais, pour les diverses époques d’existence ou de destruction partielle de la chapelle.

Nous traversons la longue enceinte fortifiée où sont des maisons de diverses époques, encore habitées, et dont quelques-unes, pouvant remonter aux XVe et XVIe siècles, servaient de résidence aux douze chanoines de la Sainte-Chapelle, et nous redescendons par un grand escalier moderne, laissant, à notre gauche, la tour de la Qui-qu’en-grogne, bien conservée, avec ses gargouilles armoriées et son appareil circulaire de maçonnerie, hérissé de bossage sur un talus en belles pierres blanches unies et, à notre droite, le moulin seigneurial que faisaient mouvoir les eaux sortant du lac et que l’industrie de notre siècle utilise, sans lui avoir entièrement ôté son cachet d’ancienneté.

On trouve dans le livre de M. Barbier de Montault, que nous avons cité, les détails les plus exacts sur l’état actuel des ruines du château de Bourbon, et tout ce qu’on sait et ce qu’on peut conjecturer sur ce qu’il a été jadis. Voici l’opinion de ce compétent historiographe sur les différentes époques de sa construction :

Il est probable qu’il y avait lia, à l’origine, un castrum le long d’une ancienne voie romaine. Il existe à l’ouest un débris de tour qui a les caractères de l’époque carolingienne. Les soubassements des trois tours du nord, et des colonnes et chapiteaux retrouvés épars, indiquent l’époque romane (XIe ou XIIe siècle). L’ensemble du château serait contemporain de saint Louis ; mais il faudrait attribuer au comte Robert, son fils, c’est-à-dire au commencement du XIVe siècle, l’exhaussement des tours à bossage, la construction de la grande salle et l’achèvement de l’enceinte. La Qui-qu’en-grogne et le moulin seraient un peu postérieurs, et enfin la Sainte-Chapelle, commencée en 1383 et terminée par Pierre II, au commencement du XVIe siècle, fut surtout la belle oeuvre artistique de nos comtes.

Achille Allier dit que si l’on veut se faire une idée exacte de ce qu’étaient le château et la Sainte-Chapelle, il faut se reporter à la fin du XVIe siècle (1). Peut-être faudrait-il remonter au commencement du même siècle, avant la révolte du connétable. Ces édifices n’ont guère dû être entretenus pendant qu’il guerroyait hors de France, et ne l’ont probablement plus été depuis leur confiscation. Leur splendeur a duré à peu près exactement l’espace de temps où les ducs de Bourbon ont été comtes de notre Forez. Les désastres qu’y causa la foudre en 1610 (2) furent sans doute peu réparés, et en 1648 le feu du ciel y fit de nouveau de grands ravages. Mérian dans sa Topographie de la France (Francfort-sur-Mein, 1657), donne du château de Bourbon-l’Archambault une vue où les murs sont déjà en partie démantelés, et les tours lézardées (3).

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(1) Ancien Bourbonnais. T. II, voyages pittoresques, p. 197.
(2) Cette date, donnée par Achille Allier, n’est pas sûre ; il dit que cet évènement coïncida avec le jour de la mort d’Henri 111 ; il faudrait alors lire 1589. Cf. Barbier de Montault

(3) Voici la chronologie des ducs de Bourbon qui ont été comtes de Forez :
Louis II dit le bon duc, arrière-petit-fils de Robert de France fils de saint Louis, fut comte de Forez, du chef 0 d’Anne Dauphine, sa femme, nominalement depuis la mort de Jean II comte de Forez (1372), et effectivement depuis 1382 jusqu’à sa propre mort (1410) ;
Anne Dauphine, de 1410 à 1417 ;
Jean 1er leur fils, époux de Marie de Berry, de 1417 au 5 février 1434 (N. S.) date de sa mort dans sa prison à Londres ;
Charles 1er, époux d’Agnès de Bourgogne, de 1434 à 1456 ;
Jean II, dit le fléau des Anglais, époux de Jeanne de France fille de Charles VII, de Catherine d’Armagnac, et de Jeanne de Bourbon-Vendôme, de 1456 à 1488 ;
Charles II, cardinal-archevêque de Lyon, du 1er avril au 13 septembre 1488 ;
Pierre II, époux d’Anne de France fille de Louis XI, de 1488 à 1503, et Anne de France comme comtesse douairière de 1503 à 1522;
Suzanne de Bourbon, leur fille, de 1503 à mai 1505, date de son mariage avec Charles III de Bourbon-Montpensier, depuis connétable. Elle mourut en 1521, sans postérité, et avait institué son mari héritier universel. Le connétable mourut le 6 mai 1527.
Le lecteur pourra ainsi se reporter, sans autres recherches, aux fondateurs des monuments par nous visités : c’est dans ce but que nous donnons cette chronologie, fidèlement extraite de l’Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, par Jean-Marie de la Mure, chanoine de l’église royale de Montbrison, publiée pour la première fois (par M. R. Chantelauze) Lyon, imp. Louis Perrin, 1860. 3 vol. in 4°.
La publication de ce beau livre est le plus important service qui ait pu être rendu à l’histoire du Forez et du Bourbonnais, et l’un des meilleurs pour l’histoire générale de la France. On doit pour cet ouvrage une publique reconnaissance à Auguste Bernard qui en a retrouvé le manuscrit à Auxerre, à la ville de Montbrison et au duc de Persigny, fondateur de la Diana, qui en ont facilité la publication, et surtout au savant éditeur, M. R. Chantelauze ; c’est grâce à son zèle infatigable que l’oeuvre du bon chanoine a été singulièrement augmentée et mise au niveau de la science historique moderne, par un volume entier de pièces justificatives, et par des notes plus étendues que le texte lui-même et dues à l’éditeur, à son érudit collaborateur M. A. Steyert. à M. le comte Georges de Soultrait, et à plusieurs autres de nos collègues, C’est un véritable monument historique.

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III

Restait à visiter Souvigny, la grande nécropole de nos comtes. Un peu avant d’y arriver, on nous montre, près de la route, de vastes bâtiments de ferme, où il est difficile de reconnaître les restes du monastère des Cordeliers de Champaigue. Ce couvent, qui contenait les sépultures des plus anciens ducs de Bourbon, n’a rien conservé d’intéressant.

L’église de Souvigny a l’aspect d’une grande cathédrale. De la place assez vaste qui la précède on voit bien la façade avec ses deux galeries à jour et ses voussures détériorées par le temps : c’est un placage de style flamboyant, appliqué, au XVe siècle, contre les anciennes constructions romanes (1) et encadré dans les deux tours, celle du sud, qui montre a son étage supérieur les élégantes ouvertures du XIIe siècle, et celle du nord, appelée clocher de Saint-Odilon. Les trois belles flèches qui faisaient la gloire de ce monument furent abattues en 1793 (2). L’ensemble du vaisseau de l’église, vu de l’intérieur, est très beau. La différence des époques et la diversité des styles de la construction donnent un grand intérêt à un examen attentif et détaillé, qui dépasserait les limites d’un modeste compte-rendu. Saint Mayo1, l’illustre abbé de Cluny, était mort le 11 mai 994, dans le monastère bénédictin de Souvigny, et avait été enterré dans la vieille église, qui devint bientôt trop petite pour contenir la foule des pèlerins accourant de toutes parts prier sur son tombeau (3).

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(1) Histoire de saint Mayol, par l’abbé 0gerdias, curé de Souvigny. (Moulins, imp. Desrosiers 1877) p. 307
(2) Ibid. p. 341.
(3) Ibid. p. 300 et suiv.

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Saint Odilon, successeur de saint Mayol, et un moine architecte, frère Mauguin, dirigèrent la construction d’un plus vaste temple. On convient généralement qu’il « ne se composait que de la grande nef et de deux petits bas côtés terminés par les chapelles absidales qui subsistent encore, mais modifiées dans leur partie supérieure. La construction des deux autres collatéraux plus larges suivit d’assez « près (1). » Cette partie de l’édifice, la forme des piliers et les sculptures des chapiteaux attirent la première attention du visiteur. Des discussions de date se sont élevées à ce sujet entre les archéologues ; quelques-uns y ont vu une construction du XIIe siècle ; mais Prosper Mérimée, dès 1835 (Voyage en Auvergne), en avait rapporté la date au commencement du XIe, et cette appréciation sagace a été confirmée par une découverte faite plus tard par le savant cardinal Maï, à Rome, d’un manuscrit constatant que l’église de Souvigny fut consacrée solennellement par le cardinal Pierre Damien en l’année 1064. Le XIIe siècle apparaît dans les pilastres du grand transept et dans les murs méridionaux de la chapelle vieille, ornés d’arcatures en mitre. Du XIIIe siècle, il ne reste qu’une partie de la salle capitulaire, attenant au transept sud (2). »

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(1) Ibid. p. 301
(2) Kist. de saint Mayol, p. 304.

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La grande restauration gothique date du XVe siècle (1433-1445) ; elle est due au célèbre prieur Geoffroy Cholet, proclamé par ses religieux le second fondateur du couvent, qui en confia l’exécution à Maignon, maître des oeuvres du duc de Bourbon. On refit le chevet de l’église qui menaçait ruine, on reconstruisit les basses voùtes, on restaura les nefs. « Alors fut construite cette belle voûte gothique de la grande nef, qui, prenant pour base les colonnes romanes du XIe siècle, élève ses élégantes nervures reliées ensemble par un cordon riche de sculptures, et qu’on ne retrouve en nulle « autre église de ce style (1).

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(1) Ibid. p. 305. Il y a d’autres exemples de ce cordon que les architectes appellent lierne ; la grande nef de l’église ogivale de Saint-Nizier à Lyon, a une lierne, mais moins ornée que celle de Souvigny.

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« Les anciennes colonnes romanes furent enfermées dans les jeunes pilastres de la nouvelle construction. »

« Mentionnons rapidement le grand et magnifique retable roman et le curieux fragment de colonne polygonale couvert de bas-reliefs, que l’on a placés à l’entrée du collatéral nord, l’armoire en pierre, à couronnement ogival, avec portes en bois couvertes d’anciennes peintures, qui contenait les reliques de saint Mayo1 et de saint Odilon, et la vaste et belle sacristie du XVIIIe siècle ; et examinons les chapelles dues à la munificence de nos comtes. Elles sont situées symétriquement à l’est des deux transepts, la chapelle vieille, du côté sud, la chapelle neuve du côté nord ; elles sont séparées du choeur par deux hautes clôtures à jour, du travail le plus élégant et le plus fini, qui sont encore admirables, quoique le marteau des iconoclastes de la fin du dernier siècle les ait indignement mutilées.

« Louis II duc de Bourbon, que la reconnaissance populaire surnomma le Bon Duc, voulut placer son tombeau et celui de ses descendants le plus près possible du monument qui renfermait les restes de saint Mayol et de saint Odilon, les protecteurs de sa maison. Car il avait grant dévocion à deux corps saints, Mayol et Odille, gisans illec honnourablement (1). Il fonda au commencement de 1376, la chapelle dite de Saint-André ou chapelle vieille. On y voit sa statue couchée sur une dalle funéraire, à côté de celle de la duchesse Anne Dauphine d’Auvergne, son épouse, inhumée dans ce même caveau (2). »

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(1) La Chronique du bon duc Loys de Bourbon, publiée par M. Chazaud, archiviste de l’Allier, p. 6.
(2) hist de saint Mayol, p. 318.

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On remarquera que cette chapelle est due aux deux époux qui, les premiers, ont réuni le comté de Forez au duché de Bourbon, et que l’époque de sa construction coïncide avec celle où ils ont pris possession de notre province, qu’Anne Dauphine a longtemps habitée.

Dans cette même chapelle vieille furent inhumés le duc Jean 1er fils de Louis II, fait prisonnier par les Anglais, mort à Londres en 1434 après une captivité de 19 ans, et Marie de Berry, sa femme, morte à Lyon en la même année 1434. On y apporta en 1515 le corps de François de Bourbon, duc de Chatelleraut, tué à la bataille de Marignan et frère du connétable.

Le duc Charles 1er, fils de Jean 1er, fit construire pour sa sépulture et pour celle de son épouse, Agnès de Bourgogne, une autre chapelle dite la chapelle neuve, vis-à vis de celle du duc Louis II.

Les statues des deux nobles époux reposent sur un mausolée qui donne une haute idée des sculpteurs du XVe siècle. Le bas du monument était orné de vingt-deux statues représentant leurs onze enfants et leurs patrons ou patronnes. Elles étaient faites avec un goût exquis et placées dans des niches fouillées avec une grande délicatesse. Sur l’entablement du mausolée est gravée en lettres gothiques un peu détériorées l’inscription suivante (1) :

cy gist de bonne memoire treshault et puissant prince Charles duc de bourbonnois et dauvergne conte de clermont et de forez seigneur de beauieu et de chastel chinon per et chamberier de france lequel trespassa le iiiie iour de decembre lan mil ccccliiiiii et aussi gist treshaulte et tres puissante princesse ma dame agnes de bourgongne sa femme fille de monsr iehan (2) duc de bonrgongne laquelle ala de vie a trespas le premier iour de decembre lan mil cccc soixante et xui priez dieu por eulx (3).

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(1) Hist. de saint Mayol
(2) Jean-Sans-Peur
(3) Nous empruntons ce texte à l’excellente description des deux chapelles et des tombeaux de Souvigny, dans les notes de M. le comte de Soultrait. Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, t. II, p. 101 et 200.

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Le caveau de cette chapelle renferme en outre les restes de Jean II, fils de Charles Ier, surnommé le fléau des Anglais, duc de Bourbon de 1456 à 1488, époux de Jeanne de France, fille de Charles VII et sœur de Louis XI, ceux de Pierre II, son frère, duc de 1488 à 1503, et d’Anne de France, son épouse, fille de Louis XI et de Charlotte de Savoie, et celui de Suzanne de Bourbon, leur fille unique, qui fut mariée au duc Charles de Bourbon-Montpensier, le connétable, et lui apporta en dot l’héritage de la maison de Bourbon. La fille précéda d’un an sa mère sous cette voûte funèbre (1521-1522).

Si l’extérieur de ces tombeaux a beaucoup souffert du vandalisme moderne, du moins, par un rare privilège, les sépultures elles-mêmes n’ont pas été profanées. Les restes des vaillants guerriers qui ont bataillé contre les Anglais et ont aidé à délivrer la patrie (1) y reposent encore dans leurs cercueils de plomb, que nous avons pu voir, usés par le temps et portés par des barres de fer rongées par la rouille. Singulier rapprochement ! La dernière princesse de la branche aînée des Bourbons, la duchesse d’Angoulême, est descendue dans les caveaux de la chapelle neuve, le 7 juillet 1830, vingt jours avant celui où elle reprit pour la dernière fois le chemin de l’exil. La princesse demanda si les corps étaient encore vraiment là (2). « M. le curé de Souvigny admis à l’honneur d’être l’interprète du passé, interrogea la tombe ; il en tira un ossement, et c’était…. une tête (celle du duc Charles 1er), à laquelle tenaient encore quelques cheveux…. Assez ! assez ! s’écria la Dauphine, dont la pâleur subite trahit le déchirant et horrible souvenir qui se présenta soudain à son esprit (3). »

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(1) La grosse cloche de Souvigny, qui datait de 1403, avait ces mots dans son inscription : in honorem Dei et patriae liberationem. Cette inscription a été fidèlement reproduite en 1875, sur la nouvelle cloche qui a remplacé l’ancienne devenue hors de service.
(2) Hist. de saint Mayol, p. 331.
(3) H. de Jailly, Encore deux années, p. 254.

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Ces tombes de nos comtes de Forez ne sont point inférieures comme mérite artistique à celles des ducs de Bourgogne, qui ornent maintenant le musée de Dijon. Si elles ont subi de graves et regrettables avaries, elles ont conservé leur place dans les chapelles qui ont été faites pour elles, et reçoivent de ce cadre un aspect bien autrement intéressant. On se plaît aussi à les comparer par le souvenir aux tombeaux du duc et des princesses de Savoie dans le choeur de l’église de Brou. Les deux chapelles de Souvigny ont chacune un caractère différent : celle du duc Louis n’est guère éclairée que par la lumière de la grande nef ; la tombe est moins élevée ; on remarque moins l’absence des ornements brisés du soubassement, et elle se profile tristement sur un amas de débris entassés contre le mur; dans la chapelle neuve, malgré les coups de marteau qui ont ravagé leurs nobles figures, les blanches statues d’albâtre du duc Charles 1er et d’Agnès de Bourgogne, dormant leur paisible sommeil, sont superbes sur leur grand lit de marbre noir, sous la clarté que leur versent de vastes fenêtres. En contemplant ces chefs-d’oeuvre et ces dévastations, on est saisi à la fois d’admiration et de tristesse.

Trois heures se sont vite écoulées dans cette visite. Nous avions pour guide M. Ogerdias, curé de Souvigny, qui a mis à notre disposition, avec une complaisance inépuisable, sa science archéologique et sa connaissance de tous les détails de sa chère église ; il est auteur d’une très bonne Histoire de saint Mayol, à laquelle nous avons fait de nombreux emprunts, et qui est aussi l’histoire du monument.

M. Bertrand, vice-président de la Société d’Émulation de l’Allier, avait bien voulu nous accompagner pendant toute cette journée si utilement et si agréablement remplie, et M. Queyroy, conservateur du musée départemental, était venu nous rejoindre à Souvigny : on voit que nous ne pouvions être mieux renseignés.

IV

Le lendemain, mercredi, a été consacré à la visite de la ville de Moulins (1).

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(1) Notre compatriote et collègue, M. Roger de Quirielle, a eu l’heureuse idée de réunir, dans un élégant petit volume, tous les renseignements utiles à l’étranger qui visite Moulins. (Guide archéologique dans Moulins, imp. C. Desrosiers. 1877).

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Malgré bien des destructions, cette ancienne capitale a conservé quelque chose de sa physionomie d’autrefois ; de vieilles maisons ont fourni à M. Queyroy les sujets d’une série de belles et curieuses eaux-fortes. La silhouette du château des ducs de Bourbon est pittoresque de tous les côtés, et son haut donjon, avec la cathédrale dont il est voisin, relève l’aspect de la cité.

Rien de plus gracieux que le petit édifice appelé le pavillon d’Anne de France ; par l’élégance correcte de son ornementation, il semblerait plutôt appartenir à l’époque de François 1er ou à celle d’Henry Il ; mais Charles VIII a pu envoyer à la duchesse sa soeur des artistes d’Italie, où la renaissance avait commencé plutôt qu’en France, et les lettres P et A, initiales des prénoms de Pierre II et d’Anne de France, artistement sculptées dans la décoration extérieure, confirment le nom conservé à ce monument. Ces initiales se retrouvent à la collégiale, et aussi dans les collections, parmi les débris de ce qui n’est plus, et elles témoignent du goût éclairé des deux nobles époux dans les constructions qu’ils commandaient.

Le tombeau de Montmorency, dans l’ancienne église de la Visitation, est l’objet d’art le plus célèbre de Moulins ; c’est une sculpture fort remarquable du XVIIe siècle. On ne peut refuser son admiration au guerrier du premier plan, aux deux anges qui soutiennent l’écusson, au modelé des personnages et au fini de l’ouvrage. Nous avouons toutefois que l’ensemble de l’oeuvre nous a laissé plus froid que les tombeaux de Souvigny, d’une moins parfaite exécution.

M. Clairefont, président, et M. Bertrand, vice-président de la Société d’Emulation, M. Queyroy, conservateur du musée départemental, et M. Pérot, ont bien voulu nous faire visiter les collections publiques et particulières de Moulins ; M. Esmonnot, architecte, nous a fait les honneurs de la sienne, et M. du Broc de Segange a été notre guide dans la cathédrale.

Le musée départemental est riche en objets romains et gallo-romains, en céramique et surtout en faïences de Nevers et en meubles sculptés des XVe et XVIe siècles. Il possède une très précieuse série de peintures sur bois, don de M. Ramhourg, qui paraissent être de la fin du XVe ; deux surtout, représentant des scènes des martyres de saint Etienne et de saint Laurent, paraissent d’une haute valeur.

Quelques peintures intéressantes ornent la bibliothèque de la ville, dont le bijou sans prix est la Bible de Souvigny, datée de 1115. Sur ces immenses feuilles de vélin, qui ont conservé toute leur blancheur, sont tracés des caractères d’une netteté inouie et des miniatures d’une rare perfection. Pourquoi faut-il que des mains coupables aient osé détacher trois ou quatre de ces éclatantes peintures ? Une couverture moderne en velours rouge revêt cet énorme in-folio ; on l’a ornée de plaques de bronze, dont quelques unes faisaient partie de l’ancienne reliure et ont été reproduites par Viollet-Leduc dans son dictionnaire du mobilier, mais dont les autres sont évidemment plus récentes.

Puis est venu le tour des collections particulières. Nous les avons d’autant plus admirées, que nous sommes loin d’en posséder de pareilles dans notre province.

Ce sont, d’abord les antiquités préhistoriques de M. Pérot, des silex taillés, des pierres polies, des fers et des bronzes, classés suivant la science moderne, qui s’en sert pour essayer de pénétrer dans des époques inconnues, et une nombreuse collection de médailles, dont la plupart ont été trouvées dans le pays.

Puis ce sont les collections si complètes d’objets gaulois et gallo-romains de toute nature qui remplissent les vitrines de MM. Esmonnot et Bertrand : ustensiles, vases, figures, statuettes, moules de potiers. Le Bourbonnais est riche en trouvailles de cette nature, et une étude attentive des objets recueillis par ces amateurs distingués révèlerait la vie de nos ancêtres d’il y a dix-huit siècles.

M. Queyroy possède des fers ouvragés et des bois sculptés du moyen-âge et de la renaissance, des émaux précieux et des peintures ; nous avons vu chez lui une des plus belles collections de fers artistiques qu’il soit possible de voir en province.

Il n’admet que des objets irréprochables : un artiste capable d’exécuter les belles eaux-fortes que nous avons vues de lui, a le droit de se montrer exigeant pour les oeuvres d’autrui.

M. du Broc de Segange est aussi un artiste et un érudit ; sa collection de céramique est remarquable ; il possède des spécimens uniques de faïences de Nevers ; il a aussi de belles peintures anciennes. Il a fait lui-même de bonnes copies de vieux tableaux, et entr’autres une reproduction très consciencieuse du principal vitrail de la collégiale.

C’est M. du Broc de Segange qui nous a fait visiter la cathédrale, dont il a fait la description et l’histoire dans un livre plein de recherches et d’intérêt (1) ; il nous a tenus pendant plus d’une heure sous le charme de sa parole, nous faisant remarquer tous les détails de l’architecture et des ornements, nous expliquant les origines et les dates, et reconstituant les légendes des verrières défigurées par les cassures et les restaurations maladroites. Ceux qui liront son livre comprendront le plaisir que nous avons eu à l’entendre lui-même, et apprécieront, dans ces pages intéressantes, le goût de l’artiste, la précision du savant, l’affection du patriote pour sa province, et le respect du chrétien pour les monuments de la foi de ses pères. Nous ne pouvons le suivre dans la fidèle description de la collégiale, bâtie à la fin du XVe siècle dans le style ogival tertiaire ou flamboyant, et de la grande nef en style ogival primitif, qui a récemment complété cette église, devenue cathédrale en notre siècle. Nous devons nous borner à ce qui rappelle plus directement le souvenir de nos comtes.

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(1) Notre-Dame de Moulins, guide historique, archéologique et iconographique à travers la cathédrale, les vitraux, les peintures etc., par L. du Broc de Segange. Moulins, C. Desrosiers, 1876.

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Louis II fonda en 1386, dans la chapelle privée de son château de Moulins, une église collégiale desservie par un chapitre composé d’un doyen, de douze chanoines et de quatre clercs. La première pierre de l’église actuelle fut posée en 1468 par Agnès de Bourgogne veuve du duc Charles 1er. C’est à son fils, le duc Jean II, que l’on doit le commencement de la construction de cet édifice; elle fut continuée surtout par le duc Pierre II, et terminée après lui, en 1508 ; elle est donc contemporaine de la Sainte-Chapelle de Bourbon-l’Archambault (1).

Au fond de la Collégiale, en face du collatéral nord, se trouve le vitrail de sainte Catherine et des ducs de Bourbon bienfaiteurs de la Collégiale (2). Le milieu de cette verrière est occupé par la figure de sainte Catherine, debout ; des deux côtés de la sainte sont agenouillés sept personnages de la famille ducale de Bourbon : à sa gauche, le duc Jean Il et le cardinal de Bourbon, archevêque de Lyon, qui fut pendant quelques mois duc de Bourbon sous le nom de Charles II ; à sa droite, Catherine d’Armagnac, seconde femme de Jean II, morte en 1487 après trois ans de mariage; Pierre II et Anne de France, sa femme, avec leurs deux enfants : Suzanne qui fut plus tard la femme du connétable de Bourbon, et Charles, mort jeune. L’âge de ces deux enfants paraît devoir fixer aux deux dernières années du XVe siècle la date de ces portraits si précieux pour l’histoire de l’art et l’iconographie de nos comtes de Forez (3).

Le vitrail suivant, appelé vitrail du Christ en croix, paraît, d’après des restes de peinture d’un chapeau de cardinal, et suivant d’autres indices, avoir été donné par Charles II de Bourbon, archevêque de Lyon (4).

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(1) Notre-Dame de Moulins, pp. 59 et suivantes.
(2) Voir la gravure de ce vitrail, en face de la page 64 du livre de Notre-Dame de Moulins.
(3) Notre-Dame de Moulins, p. 67 et suivantes.
(4) Notre-Dame de Moulins, p. 73.

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Dans le vitrail de la mort de la Vierge, qui remplit l’une des grandes fenêtres du choeur, sont encore représentés le duc Pierre II, Anne de France, sa femme, et Suzanne de Bourbon, leur fille (1). Mais leurs images sont retracées avec un talent bien supérieur dans un tableau, connu sous le nom de triptyque, qui est placé dans la chapelle de sainte Anne, et qui est le bijou artistique de la cathédrale.

Ce tableau se compose de trois panneaux. Dans celui du milieu, dont la largeur est double de celle des deux autres, la Sainte Vierge, les cheveux longs, assise, retient de la main droite l’enfant Jésus bénissant: « La tête de la Sainte Vierge, regardant avec amour son divin fils, est charmante de forme; elle se détache sur le fond de soleil (amicta sole) que le peintre a traduit par la dégradation des couleurs de l’arc-en-ciel. Les huit anges, qui sont de chaque côté, forment autour de la Sainte Vierge la véritable auréole de la Jérusalem céleste. Les deux anges qui tiennent la couronne, sveltes, élancés, sont d’une grâce et d’une légèreté incomparable (2). »

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(1) Notre-Dame de Moulins, p. 122 et suivantes.

(2) Notre-Dame de Moulins, p. 196.

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L’un des petits panneaux représente Pierre II, la couronne ducale sur la tête, les mains jointes, à genoux sur un riche tapis ; il porte un manteau pourpre, avec doublure d’hermine rabattue sur les épaules en forme de pèlerine.

« Derrière lui, saint Pierre, debout, une tiare étincelante de pierreries sur la tête » et couvert de vêtements splendides. « Les deux têtes sont magnifiques de couleur et d’expression. »

« Le panneau d’Anne de France est encore peut-être plus éclatant; elle est également à genoux, les mains jointes ; derrière, à genoux également, Suzanne de Bourbon, sa fille ; …. à côté, sainte Anne, debout,…. ses mains inclinées, l’une vers la tête d’Anne, l’autre vers celle de Suzanne ; la tête d’Anne est empreinte d’une dignité sereine et aussi d’une volonté ferme. »

Sur le revers de ces deux panneaux, sont peintes de belles grisailles représentant l’Annonciation. Sous une arcature du commencement du XVIe siècle « aux lobes chargés d’un ceinturon sur lequel on lit : Espérance, la Sainte Vierge est agenouillée devant un pupitre qui porte un livre, lorsqu’elle aperçoit l’ange Gabriel. »

Etait-ce bien un triptyque ? M. du Broc en doute. Lorsque, vers 1835, M. Prosper Mérimée, dans son voyage en Auvergne, a signalé ces chefs-d’oeuvre au gouvernement et aux artistes, le panneau central était séparé des deux autres, et des particularités d’encadrement, relatées avec soin par M. du Broc, semblent indiquer qu’ils n’ont pas appartenu au même tableau. On appelle ordinairement ces trois peintures, maintenant réunies, le triptyque de Ghirlandaio, et c’est cette dénomination, généralement répandue, que M. Roger de Quirielle a adoptée dans son Guide dans Moulins. M. du Broc pense que le panneau central était un tableau isolé ; il l’attribue à l’école florentine, et accepte comme probable l’opinion de ceux qui lui donnent pour auteur Benedetto Ghirlandaio, le seul des célèbres artistes frères de ce nom qui ait voyagé hors de l’Italie. Les deux petits panneaux sont évidemment les volets d’un triptyque ; mais M. du Broc pense qu’ils accompagnaient une autre peinture médiane, qui a disparu ; il n’hésite pas à dire que les portraits sont de la même main que les grisailles du verso, et il y voit l’oeuvre d’un maître flamand, imbu des grandes traditions de Jean Van Eyck et de Jean Memling. D’autres habiles connaisseurs ont émis l’opinion qu’un peintre français, ayant bien étudié les maîtres étrangers, a fait seul cette oeuvre entière, en s’appropriant des manières diverses, suivant le sujet qu’il traitait : quoiqu’il en soit de cette question d’origine, il est un point sur lequel tout le monde est d’accord : Pierre II et Anne de France ont fait ainsi exécuter un chef-d’oeuvre.

Récapitulons ce que nous avons visité des monuments de nos comtes-ducs, dans la province qui fut le berceau de leur famille. Les ducs de Bourbon sont devenus comtes de Forez par le mariage de Louis II avec Anne Dauphine, célébré le 19 août 1371. Ces deux époux ont commencé en 1383 la Sainte-Chapelle de Bourbon-l’Archambault, dont nous n’avons vu que l’emplacement dénudé ; mais à Souvigny nous avons vu et admiré leur tombeau et leur chapelle vieille et aussi la tombe et la chapelle neuve que Charles 1er et Agnès de Bourgogne y ont fait élever pour leur sépulture. A Moulins, dans la Collégiale commencée par Jean II et qui fut surtout l’oeuvre de Pierre II et d’Anne de France, à côté du pavillon qui porte le nom de cette princesse, nous avons contemplé les vitraux et les peintures dûs à leurs libéralités. Partout nous avons vu, comme signatures des nobles fondateurs, leurs écussons aux trois fleurs de lys d’or et à la cotice de gueules, avec les banderolles portant une de leurs devises, peut-être leur cri de guerre, Allen, ou la devise Espérance, qui était celle de l’ordre fondé par eux et qui rappelle le nom de la Collégiale de Notre-Darne-d’Espérance dans la capitale du Forez.

Tous ces restes précieux montrent que, si ces princes furent de vaillants défenseurs du sol de la France contre ses envahisseurs, ils eurent aussi l’honneur d’aimer et de protéger les arts.

On voit combien cette excursion a été intéressante. Réunis autour d’un modeste déjeuner, nous avons exprimé aux hommes distingués, qui ont rendu notre course agréable et fructueuse, nos remercîments pour leur accueil empressé, et pour l’encouragement que doit nous donner le titre même de leur Société Bourbonnaise : ÉMULATION.

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