BD, Tome II, Invention du tombeau de sainte Prève de Forez, à Pommiers, pages 215 à 220, La Diana, 1883.

 

Invention du tombeau de sainte Prève de Forez, à Pommiers.

M. Vincent Durand fait la communication suivante :

La Société apprendra avec satisfaction une découverte importante qui vient d’être faite dans l’église de Pommiers. Le tombeau de sainte Prève, fille de Gérard II, comte de Lyonnais et de Forez, et fondatrice de ce monastère, a été retrouvé le 31 janvier dernier.

Je dois à la bienveillance de M. l’abbé Boussange, curé de Pommiers, d’avoir été témoin des recherches qui ont amené cet heureux résultat.

Selon La Mure, le corps de sainte Prève reposait dans un sarcophage de pierre servant d’autel majeur à l’église du prieuré (1). L’autel qu’on voit aujourd’hui est de bois doré, d’un style assez médiocre et doit remonter à l’époque de Louis XV ; il provient, dit-on, de Saint-Germain-Laval et n’a été apporté dans l’église conventuelle de Pommiers, devenue paroissiale, que depuis la restauration du culte.

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(1) Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, tome 1er p. 94

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Il s’agissait de savoir si le tombeau de sainte Prève n’était point resté à sa place primitive, au dessous et à l’intérieur de cet autel moderne. Je ne puis mieux faire que de vous soumettre le procès verbal pur et simple de l’opération à laquelle j’ai assisté.

M. Bourganel, conseiller général et maire de Pommiers, est présent. Le tabernacle, les gradins et la table de l’autel en bois doré, simplement superposés l’un à l’autre, sont d’abord enlevés sans difficulté. Sous la table de bois nous constatons l’existence d’une autre table de pierre, monolithe, pourvue de cinq croix de consécration et d’un loculus évidemment destiné à contenir des reliques, mais privé de son opercule et veuf de son contenu. La pierre, assez mince, porte par devant une moulure en doucine d’un fort retrait; les extrémités ont peut-être été recoupées.

Le dégagement des faces antérieure et latérales est moins facile, car la boiserie du XVIIIe siècle qui les cache est solidement assemblée, retenue par des saillies du massif intérieur et de plus, fixée aux marches en retour de l’autel. Il faut pour la déplacer, la faire glisser en avant d’une seule pièce avec les degrés.

Nous nous trouvons alors en face d’un massif à quatre pans, rétréci à sa base et passablement informe ; il semble construit en briques et moëllons, avec enduit de plâtre à la partie supérieure. Cet enduit néanmoins n’arrive point tout à fait jusqu’en haut et laisse à découvert un feston peint en jaune bordé de brun, sur fond gris. Un examen plus attentif nous fait distinguer des caractères au dessous de ce feston, à l’angle gauche extrême de l’autel. On lit distinctement.. MVL. C’est un débris du mot TVMVLVS, le premier de l’inscription transcrite par La Mure !

Nous nous mettons immédiatement en devoir d’enlever le plâtre par éclats. Cette opération est longue et délicate, car le plâtre quoique étalé en couche mince, est fort dur. Mais aussi quelle satisfaction de voir enfin rendue à la lumière cette belle épitaphe, conforme, sauf quelques circonstances orthographiques, au texte donné par notre vieil historien:

+ tvMVL9 STAE PREVAE • VGIS • ET MARTIR- HVIVS MONRII FVNDATricis

L’inscription n’est pas gravée, mais peinte sur le granit, qui se montre à découvert sur toute la longueur de l’autel et sur une hauteur de 15 à 20 centimètres. Au dessous, des moëllons et des morceaux de briques. On dirait une pierre longue et mince couronnant un mur en grossière maçonnerie.

Restait à explorer l’intérieur du massif, dans lequel une petite ouverture latérale, au dessous de la table supérieure, du côté de l’épître, laissait soupçonner un vide. On déplace donc cette table, simplement posée sur cales de bois et non scellée au mortier, et l’intérieur d’un sarcophage de granit apparait à nos yeux. Hélas ! il est vide, ou plutôt nous y trouvons des charbons, des papiers ayant servi à envelopper des cierges et jusqu’à un paquet d’allumettes chimiques, le tout introduit évidemment par l’ouverture latérale déjà signalée. Nous constatons alors que la pierre sur laquelle est peinte l’inscription n’est point, comme on pouvait le croire, un bloc allongé de faible épaisseur superposé à une construction en maçonnerie, mais qu’elle fait partie de la face antérieure d’une cuve monolithe, face qui a été impitoyablement repiquée sur les trois quarts de sa hauteur, puis recrépie tellement quellement en mortier de chaux mêlé de menues pierres et de briques. De plus, les deux bouts du sarcophage ont été rognés, opération dans laquelle l’inscription a perdu ses lettres extrêmes, et refermés ensuite avec de la maçonnerie. Il est à présumer que ces déplorables mutilations ont eu pour but de ramener le sarcophage aux dimensions de l’autel moderne et de faire place aux surfaces rentrantes, en forme de talon, qui limitent les trois côtés de celui-ci. Bien en a pris à l’inscription d’avoir été disposée sur une seule ligne au bord supérieur de la cuve ! Placée plus bas, elle courait grand risque d’être anéantie à tout jamais.

La longueur actuelle du tombeau est de 2m 13 à sa partie supérieure : il est probable qu’elle était primitivement d’environ 2m 50. Sa largeur est de 0m 97, sa hauteur de 0m 65 au moins, à en juger par la face postérieure, restée visible sur le derrière de l’autel.Le tombeau paraît avoir été rectangulaire, à la manière des sarcphages antiques, sans diminution de largeur du côté des pieds.

La cavité intérieure, dont le fond est légèrement creusé en gouttière, a 0m 43 de profondeur, Sa largeur est de 0m 57 dans le milieu et de 0m 51 seulement aux extrémités. Cette diminution de largeur ne s’opère pas insensiblement, mais bien par un ressaut assez brusque. La partie médiane, où la largeur est plus considérable, a 1m 23 de longeur. Les parois offrent un léger talus qui réduit la largeur maximum du fond à 0m 50.

L’élargissement partiel de l’intérieur du tombeau est-il une disposition primitive, ou faut-il y voir un remaniement postérieur, destiné à faciliter l’introduction d’un coffre ou châsse dans laquelle les ossements de la Sainte auraient été rassemblés à l’occasion, soit d’une reconnaissance de ses reliques, soit d’un péril public qui aurait engagé à les retirer momentanément de l’autel pour les mettre à l’abri d’une profanation ? C’est ce que je ne saurais dire.

L’inscription en lettres d’or, bordées et ombrées de brun, ne me paraît pas d’une haute époque. Si la présence de certaines abréviations et le style du feston qui court au dessus indiquent un temps encore voisin du moyen-âge, d’autre part la forme des lettres, qui sont de belles capitales romaines, sans mélange de caractères onciaux, l’emploi de la lettre double AE, le point qui surmonte un I, l’abréviation insolite, STAE au lieu de SCAE, sont autant de détails qui semblent accuser le milieu du XVIe siècle. Je me permettrai même un doute timide au sujet du nom Preva. Ne serait-ce point un de ces noms latinisés, formés de seconde main sur un dérivé populaire du thème primitif ? Je me demande si celui-ci n’aurait pas été Proba. Du moins, je n’ai pas souvenir d’avoir rencontré ailleurs Preva.

Une dernière question se présente : que sont devenues les reliques ?

On peut supposer que lors de la suppression du monastère et de la cessation du culte dans l’église conventuelle, elles ont été retirées de l’autel majeur pour être transportées dans l’église paroissiale de Saint-Julien. Il se pourrait aussi qu’à une époque donnée, elles aient été placées dans un autre coffre, de pierre ou de bois, au dessous de l’ancien sarcophage. La démolition complète de l’autel serait nécessaire pour savoir si cette dernière hypothèse est la bonne. Mais dès à présent, il y a lieu d’ouvrir une enquête pour tâcher d’apprendre quel était l’état des reliques au moment de la Révolution, si elles ont reparu à cette époque et quel a été leur sort.

Les constatations dont je viens de vous rendre compte étant terminées, l’autel de bois doré a été remis à sa place.

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