BD, Tome II, Mortier d’apothicaire provenant de Saint-Germain-Laval, pages 94 à 96, La Diana, 1882.

 

Mortier d’apothicaire provenant de Saint-Germain-Laval.

M. Brassart présente h la Société un mortier d’apothicaire, en bronze, orné de reliefs d’un bon style, et lit à l’appui de cette communication la note suivante :

Un ami m’a prêté un mortier en bronze, d’une fonte médiocre, mais fort intéressant par les reliefs qui composent son ornementation. Il est muni de deux poignées latérales en forme de scions revêtus de leur écorce et de huit saillies ou côtes verticales. Sur sa pause se lisent en belles capitales gothiques ces mots, MATE OF, de l’officine de Maté. Ce mortier provient de Saint-Germain-Laval. Il n’a jamais dû quitter le pays : on trouve en effet dans cette ville, depuis fort longtemps, une famille Mathé qui, anoblie au XVIIIe siècle, forma les Mathé de Beaurevoir et de Balichard.

Le bord supérieur est décoré d’une suite d’ornements courants, d’un lion de saint Marc et de deux banderolles inscrites. En dessous de chaque lettre de l’inscription et de chaque anse, se voient soit une fleur de lys, soit un lion de saint Marc et sous l’A, à la place d’un lion, une sirène tenant un miroir, d’un fort joli dessin.

Un des ornements courants du bord, les deux banderolles, les fleurs de lys et les lions de saint Marc se retrouvent sur la cloche Sauveterre de Notre-Dame de Montbrison et sont indubitablement les produits des mêmes matrices.

En partant de ce fait, et m’aidant de notes publiées par M. Vincent Durand dans la Revue Forézienne et dans les Mémoires de notre Société (1),

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(1) Revue Forézienne, T. I, p. 281. – Mémoires de la Société de la Diana, T. V, p. 307.

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J’ai cru pouvoir dater de 1500 à 1530 cet ustensile d’apothicaire et l’attribuer à un artiste de la famille Mosnier, de Viverols.

Ici toutefois surgissait une difficulté. En examinant de plus près les deux banderolles inscrites de la bordure supérieure, on lit facilement sur l’une d’elles les premiers mots de la Salutation angélique. Quant à l’autre, formée d’un ruban enroulé plusieurs fois autour d’une tige, elle est presque impossible à déchiffrer sur notre mortier, mais par sa disposition en spirale, elle rappelle d’une manière frappante une signature de fondeur relevée par M. Révérend du Mesnil sur la cloche de Sury appelée Sauveterre, où, dit-il : « on voit plusieurs fois écrit sur une banderolle enroulée autour d’une tige: Denys Gierta fecit (1) ».

Etait-ce donc la même marque ?

J’ai voulu en avoir le coeur net et, dans ce but, j’ai moulé l’ornement dont il s’agit sur les cloches de Sury et de Montbrison. De la comparaison de ces moulages, que j’ai l’honneur de mettre sous les yeux de la Société, résulte avec évidence l’identité de la matrice employée. Mais je crois avoir acquis la preuve que l’inscription qui court sur la banderolle n’est pas la signature d’un fondeur, et voici la lecture à laquelle je me suis arrêté :

De tint cler jité je fus. C’est-à-dire, je fus fondu avec un son clair (2).

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(1) Bulletin de la Diana, T. I, p. 450.
(2) A la seconde ligne. L’E et l’R sont en petites capitales romaines ; l’E dépourvu de barre inférieure ressemble à un F ; l’i et le t sont liés. A la 3e ligne, l’s finale est retournée

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Le mot tint employé pour son, tintement de cloches, s’est conservé dans le langage de notre pays jusqu’au XVIIIe siècle : dans son Mémoire sur Feurs (3), l’abbé Duguet l’a employé. Jité pour jeté est du patois forézien. Dans notre texte, le t final sert à exprimer en même temps la voyelle qui le suit ; on peut citer d’autres exemples d’inscriptions de la même époque, où les consonnes sont employées pour leur assonance propre, une, entre autres, à Chandieu, où le nom de la Perrière, ainsi déchiffré par M. Révérend du Mesnil, est écrit PRIR (1).

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(3) Mémoires de la Diana, t. VI, p. 101.
(1) Bulletin de la Diana, T. I, p. 225.

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Enfin jeter en bronze, jeter en moule, pour couler, est une expression qui n’a pas cessé d’être en usage.

Ce n’est pas pour le plaisir de critiquer notre honorable collègue que j’indique cette rectification. Il est utile, je crois, de ne pas laisser une erreur prendre racine dans la science, surtout quand cette erreur est de nature à engager dans une fausse voie les chercheurs qui s’occupent de nos anciens artistes. Comme conclusion, je proposerai d’attribuer à des membres de la famille Mosnier trois cloches du nom de Sauveterre du commencement du XVIe siècle, celles de Montbrison, Champoly et Sury. Cette attribution nie paraît justifiée par la présence, sur ces cloches anonymes, d’ornements identiques à ceux qu’on observe sur diverses cloches de la fin du même siècle et du commencement du siècle suivant (Pérignieu (2), Saint-Romain d’Urfé (3), Rosiers, Saint-Martin la Sauveté), qui sont incontestablement l’oeuvre d’artistes de cette famille. Si ce genre d’étude intéresse les membres de la Société, nous pourrons en faire le sujet de communications ultérieures.

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(2) Bulletin de la Diana, T. I, p. 125.
(3) Bulletin de la Diana, T. Il, p. 47.
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