BD, Tome II, Rapport de M. Jeannez sur les travaux exécutés ou projetés pour la conservation des monuments historiques du Roannais, pages 67 à 71, La Diana, 1881.
Rapport de M. Jeannez sur les travaux exécutés ou projetés pour la conservation des monuments historiques du Roannais
M. Jeannez présente le rapport suivant sur les travaux exécutés en 1877 – 1878 dans l’ancienne église bénédictine de Charlieu, aux frais de l’Etat, sur la demande de la Diana et sous la direction de M. Selmersheim, architecte du Gouvernement
Lors de sa visite du 26 septembre 1874 à l’abbaye de Charlieu, notre Société avait été frappée tout à la fois de la haute valeur archéologique et de l’état d’abandon des parties restées debout de la primitive église construite au XIe siècle. Deux travées, dont les voûtes étaient encore solides, quoique privées de toitures, servaient de logement à de pauvres gens qui y avaient installé une cheminée, et des remblais successifs avaient exhaussé le sol de plus de 1m 50 au-dessus du niveau primitif. Les rédacteurs du Questionnaire de l’excursion avaient spécialement attiré l’attention de leurs collègues sur de très remarquables chapiteaux encore intacts, mais exposés à toutes les intempéries et rendus presqu’invisibles par une épaisse couche de plantes parasites…. La destruction totale de ces ruines précieuses était imminente et certaine !
Deux ans après cette visite, la toiture du porche contigu à ces deux travées s’effondra. Sa charpente avait été pourrie par les infiltrations résultant de l’emploi de mauvaises tuiles fait par l’architecte lyonnais auquel l’administration des Beaux-Arts avait confié, en l’année 1853, la restauration complète de cette splendide relique du XlIe siècle. Grâce à la sollicitude de notre regretté collègue M. de Sevelinges, le ministre fut informé de cet accident et prescrivit immédiatement les réparations nécessaires, dont l’exécution commença en 1877 sous la direction de M. Selmersheim, architecte du Gouvernernent, élève et gendre du savant Millet. Le moment sembla propice pour attirer sur les ruines de l’église bénédictine l’attention du délégué des Beaux-Arts, et la Diana me chargea des négociations à suivre pour assurer leur conservation. Ce rôle me fut rendu facile par l’empressement de M. Selmersheim, qui, le 22 mai 1878, avait rédigé et déposé le devis des réparations nécessaires et m’annonçait ainsi cette bonne nouvelle : « Je viens d’adresser à M. le ministre des Beaux« Arts un rapport relatif aux travaux supplémentaires réclamés par la Société Archéologique, la Diana, sur votre pro« position, et pour améliorer l’état des restes de l’église abbatiale de Charlieu. Vous pouvez être assuré, monsieur, qu’aussitôt approbation, je ferai le nécessaire pour préserver ces très précieux débris qui, s’ils sont entretenus à l’avenir, pourront subsister indéfiniment « Les travaux, commencés peu de temps après cette communication, ont été achevés à la fin de l’année 1878, Ils ont coûté à l’Etat la somme totale de 11283 fr. 55 cent., en y comprenant la reconstruction partielle de la charpente du porche, et ils ont été exécutés avec les soins et la haute intelligence technique qu’on pouvait attendre de M. Selmersheim, auquel notre Compagnie votera sans doute de justes remerciements.
Voici en quoi ont consisté ces travaux :
Le portail de l’église établissant la communication avec le porche avait été complètement muré il y a environ 80 ans et ses richesses sculpturales étaient invisibles. Cette cloison a disparu, en même temps que le sol intérieur de l’église était déblayé et abaissé de plus de 1m 50 pour le mettre au niveau de celui du porche. De solides toitures ont été posées sur les voûtes des travées, et l’architecte les a dissimulées derrière des parapets en pierre taillée qui descendent par ressauts jusqu’aux parois extérieures de l’église. Deux chapiteaux qui débordent l’aplomb des toitures ont été mis à l’abri des intempéries par l’installation de larges dalles monolithes qui les recouvrent et dont l’extrême saillie est garnie d’un fort larmier avec goutte pendante. Tout l’édifice enfin a été entouré d’un solide mur de clôture continuant la grille du porche, pour le séparer d’un jardin dont la jouissance appartient à la veuve de M. Pointurier, donateur de l’abbaye. Rappelons à ce propos que, par le décès de cette dame, l’Etat rentrera en jouissance non-seulement de ce jardin, mais aussi du grand cloître du XVe siècle et des bâtiments adjacents. La Diana devra sans aucun doute, à ce moment, provoquer par de nouvelles démarches l’exécution des réparations nécessaires pour assurer la conservation de cette autre partie de l’antique abbaye.
Grâce à ces différents travaux, on peut se rendre compte aujourd’hui du style, de la richesse ornementale et par suite de l’âge de l’église bénédictine. Le savant historien de Charlieu en attribue la construction à saint Odilon, le Ve abbé de Cluny, la datant ainsi de la première moitié du XIe siècle ; et jusqu’aux révélations architectoniques récentes, dues aux restaurations exécutées en 1878, cette opinion pouvait faire autorité, bien que les textes ne fussent pas eux-mêmes autrement explicites. Mais l’étude attentive des morceaux de sculpture aujourd’hui mis en lumière et que M. de Sevelinges n’a pu connaître, démontrera, nous le croyons, qu’on ne peut faire remonter au-delà des dernières années du XIe siècle, l’époque de cette construction. En attendant cette esquisse monographique, nous sommes heureux de pouvoir mettre sous les yeux des membres de la Diana une excellente eau forte, gravée par notre collègue et ami M. Thiollier, avec le talent que nous lui connaissons tous, d’après un des curieux chapiteaux historiés qui sont dorénavant préservés.
II
Avant de quitter Charlieu, nous devons signaler à la reconnaissance de notre Compagnie, les efforts intelligents de M. Dolliat, le propriétaire du beau cloître des Cordeliers, qui saisit toutes les occasions, malheureusement trop nombreuses, de recueillir les épaves artistiques provenant des démolitions des anciennes construction civiles de la cité. C’est ainsi que tout récemment, il a pu sauver d’une destruction flagrante de riches tympans en pierre sculptée qui surmontaient deux fenêtres de la maison d’Armagnac, à moitié détruite durant l’été dernier. Nous avons vu ces beaux débris sous les arcades de cloître des Cordeliers, où ils continuent une collection qui formera bientôt un véritable musée lapidaire ; heureuse pensée qui fait grand honneur à M. Dolliat, et dont lui sauront gré tous les amis des arts et de l’histoire dans notre chère province.
Nous ne saurions enfin passer sous silence la sollicitude éclairée de notre savant collègue M. A. Coste, qui, réalisant un des voeux émis par la Diana en 1874, vient d’enrichir le musée de Roanne, dont il est conservateur, d’un moulage des élégantes sculptures de la porte intérieure de la maison du Pont, à Charlieu. Si comme le bruit en a couru, ce morceau de la meilleure époque du XVIe siècle vient à disparaître prochainement, le souvenir précis en sera conservé par ce moulage aussi bien que par les photographies de notre ancien collègue M. Geoffray, et celle dont M. Thiollier vient d’enrichir tout récemment sa merveilleuse collection forézienne. Que n’en pouvons-nous dire autant de la belle porte de Saint-Galmier !
J’en viens à la Bénisson-Dieu. La question des réparations de l’église a subi, depuis six mois environ, un temps, d’arrêt dont voici l’explication.
On se souvient que par suite de nos instances auprès de quelques membres éminents de la commission des monuments historiques, et surtout grâce au zèle et aux démarches multipliées de M. Audiffred, député de Roanne, notre si intéressante église cistercienne fut au printemps dernier officiellement réintégrée sur la liste des monuments historiques de France, après avoir été déclassée en octobre 1880. Ce résultat était des plus considérables. Quelque temps après, le dossier de la restauration, dont le dépôt avait été fait aux Beaux-Arts en janvier 1880, fut retourné par l’administration à M. le Maire de la Bénisson-Dieu à qui l’on demanda de faire réduire le chiffre de la dépense projetée. Sur nos indications, M. le Maire transmit cette réclamation à M. l’architecte du Gouvernement, et le 23 novembre dernier, M. Selmersheim renvoyait à M. le Maire un projet réduit s’élevant à 21,029 francs, au lieu de 26.950, montant du devis primitif.
Il s’agit maintenant d’obtenir un secours du Ministère des Cultes, et pour y parvenir nous comptons sur l’appui et la haute influence de M. le député de Roanne, qui certainement n’abandonnera pas l’oeuvre à laquelle il a déjà si puissament concouru.
Le moment n’est pas venu d’entrer dans les détails concernant la restauration des peintures d’Ambierle, restauration qui est en cours d’exécution et demande encore une année pour son complet achèvement. Durant l’automne dernier, désireux de soumettre au jugement de nos amis les plus compétents la valeur et l’état des travaux déjà exécutés, nous avons décidé quelques-uns d’entre eux à faire le voyage d’Ambierle, et nous sommes heureux de venir vous dire que M. E. Gautier, notre nouveau collègue, dont chacun connaît le beau talent et l’érudition technique, n’a eu que la plus entière approbation à donner à l’oeuvre déjà accomplie et aux conditions dans lesquelles elle est poursuivie, tant au point de vue de la dépense que des procédés employés. La première subvention de 400 fr. votée en 1879 par la Diana a été absorbée ; nous avons commencé à recueillir les souscriptions volontaires, et nous nous proposons de solliciter ultérieurement quelques secours des Cultes ou des Beaux-Arts.
L’Assemblée s’associe aux sentiments exprimés par M. Jeannez, et le remercie de son intéressante communication.