BD, Tome II, Station préhistorique du bas Vizézy, pages 184 à 192, La Diana, 1882-1883.

 

Station préhistorique du bas Vizézy.

Communication de M. Brassart.

M. Eleuthère Brassart fait passer sous les yeux des membres présents des silex taillés trouvés au lieu de Précivet, commune de Poncins, et à l’appui de cette communication donne les explications suivantes :

Dans le courant du mois de septembre, un archéologue de beaucoup d’avenir (c’est un écolier de dix ans), Noël Thiollier, fils de notre collègue et ami Félix Thiollier et petit-fils de M. Testenoire-Lafayette, trouvait à Précivet, commune de Poncins, des silex taillés entre les mains du garde Lafond. Il s’enquit du lieu de leur provenance, invita le garde à rechercher avec soin ces objets et de concert avec lui, en ramassa une vingtaine qu’il voulut bien me communiquer. Au nombre des premiers silex qui me furent remis figurait une hache de grandes dimensions. Cette trouvaille empruntait au gisement des objets découverts un intérêt extrême. J’engageai les inventeurs à faire de nouvelles recherches, auxquelles je pris part, et c’est des investigations poursuivies jusqu’à ce jour que j’ai 1’lionneur de vous présenter le résultat.

Le territoire exploré, partie sur la commune de Poncins, partie sur celle de Mornant, a une superficie d’environ 400 hectares. Un certain nombre de pièces ont été trouvées disséminées, mais le plus grand noinhre formaient des agglomérations dont voici la nomenclature:

Dix-sept silex de toutes dimensions et parmi eux une belle pointe de lance (fig. 1) proviennent du lieu coté V sur le plan ci-joint. Ce lieu, un peu plus élevé que les terres environnantes, est placé au confluent du petit ruisseau de Félines, venant de Pralong, et du Vizézy ;

Onze ont été recueillis à l’endroit coté I, entre autres une flèche barbelée, brisée malheureusement, et une hache fort belle pour nos contrées et d’une taille peu ordinaire (fig. 2); quatre sur la petite éminence de la Roche cotée XIII ; sept au point marqué IV, et neuf à celui marqué XI.

Le groupe le plus important a été trouvé dans un bois de petits pins, d’une contenance d’environ un demi-hectare, appartenant à notre sympathique collègue M. Hector des Périchons et coté XII sur le plan. Cent dix-neuf silex y ont été ramassés, ainsi que plusieurs morceaux de poteries. Ce bois est situé sur un léger renflement du sol, à une faible distance du village du Vizézy, placé lui-même au confluent de la rivière de ce nom et du Lignon.

Je ferai remarquer tout particulièrement, parmi les pièces provenant de cette station, une flèche barbelée, avec soie, taillée à petits coups des deux côtés et d’une délicatesse de travail inouïe, une vraie œuvre d’art (fïg. 3), et une oreille d’un vase d’argile de grande dimension, pétri à la main sans l’emploi du tour, mais cuit au feu.

Des poteries analogues se sont rencontrées dans deux stations foréziennes signalées par M. Vincent Durand, au pic de la Violette, commune de Pérignieu, et à Saint-Martin-des-Côtes, commune de Saint-Georges-en-Cousan (1).

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(1) Congrès scientifique d’Autun, 1876. Tome II, page 543. – Bulletin de la Diana. Tome I, page 57.

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Dans l’une et l’autre, on a trouvé plusieurs oreilles de vases mamelonées, presque semblables à la nôtre. La différence est dans le nombre de trous servant à passer une lanière de suspension ; les oreilles provenant de la Violette et de Saint-Martin sont percées d’un seul trou ; celle de Précivet en a trois. Le poids plus considérable du vase aurait-il nécessité une triple lanière ?

Enfin, des silex isolés ou peu nombreux ont été rencontrés aux lieux désignés par les numéros II, III, VI, VII, VIII, IX et X.

Complétons cette description en notant la présence, dans plusieurs des gisements précités, de silex pourvus sur un bord d’une brèche ou entaille semi-circulaire pratiquée intentionnellement. Des outils de cette forme ont été signalés ailleurs en France (1), mais pas jusqu’à présent, que je sache, en Forez. Ces silex servaient, dit-on, à arrondir et polir des aiguilles ou épingles en os.

Maintenant, quel âge approximatif peut-on attribuer aux objets découverts ?

Il y a souvent impossibilité, comme je vous l’ai déjà dit dans une autre occasion (2), de dater des silex seuls. Je vous en donne un exemple. Voici une boite où j’ai réuni des silex provenant de la grotte des Fées (Xe siècle avant notre ère) (3), d’autres provenant de la station qui nous occupe, et, d’autres enfin provenant d’un cimetière par ustion du IIe siècle après Jésus-Christ, cimetière dont vous parlera un jour M. Vincent Durand. Eh bien ! si chaque objet n’avait pas été numéroté au moment de la trouvaille, il me serait très difficile aujourd’hui de dire à quelle station il appartient.

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(1) Francis Pérot : Les Ages préhistoriques, Moulins, 1881, p. 84.
(2) Mémoires de la Société de la Diana, Tome VII, page 213.
(3) Mémoires de la Société de la Diana, Tome VII, pages 207 à 215.

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Nous n’avons donc d’objets caractéristiques que les flèches barbelées des stations I et XII et le fragment de vase précédemment décrit. Cette poterie nous semble indiquer une civilisation à laquelle les métaux, sans être d’un usage commun, n’étaient pas inconnus. La période où ceci nous reporte commence vers l’an 700 avant Jésus-Christ, époque où les premières tribus celtiques apportèrent aux hommes de la pierre polie, le bronze et le fer, et prend fin vers le IIe siècle avant Jésus-Christ, après l’invasion complète de nos régions par les Gaulois.

Je ne serai pas plus affirmatif ; humble pionnier, je ne me hasarderai pas à trancher une question sur laquelle les savants les plus autorisés sont en désaccord.

J’essaierai seulement d’élucider, au moyen de cette trouvaille faite dans une des parties basses du Forez (le château des Périchons voisin de notre station est coté à 346 mètres d’altitude), un point obscur de notre histoire locale.

Une tradition populaire fait de notre plaine un lac immense que les Romains desséchèrent en détruisant le barrage naturel qui s’opposait à l’écoulement des eaux de la Loire. Cette tradition place sur les monticules basaltiques d’Usore, Saint-Romain-le-Puy, Montverdun, des boucles de fer pour attacher les bateaux.

Le premier auteur qui ait imprimé ces fables, rééditées souvent depuis, est Honoré d’Urfé dans son roman de l’Astrée (1).

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(I) Astrée, 1re partie, livre II.

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Cette légende des boucles de fer ne se trouve pas uniquement dans la plaine: elle s’applique dans la commune de Saint-Laurent-en-Solore, au lieu dit de Château-Vieux, à une altitude de 600 mètres, et M. l’abbé Peyron, archiprêtre de Boën, notre collègue, m’a assuré qu’à Chalmazelle, où il a été vicaire, une tradition toute pareille s’attache au rocher appelé le Ché de l’Olme, à plus de 1200 mètres d’altitude. Il est à remarquer que le narrateur, si âgé soit-il, n’a jamais vu ces boucles ; mais il a connu quelqu’un qui les avait vu détruire. Ce mythe se rencontre, dit-on, hors de France : il sera peut-être possible de l’expliquer un jour.

Revenons au lac. Notre plaine est certainement de formation lacustre. Un savant géologue, M. Grüner, qui s’est spécialement occupé de notre province, assure que dès la fin de l’époque tertiaire, avant la formation des cônes basaltiques de notre plaine, le sol avait complètement émergé (1). D’ailleurs, si ce lac avait existé jusqu’aux temps historiques, il eût laissé une ceinture encore à peu près intacte et parfaitement apparente de berges formées par l’action des vagues. En Ecosse, la vallée de Glen-Roy, dépendant du bassin de la Spean, rivière qui se jette dans le canal Calédonien, a été jadis remplie par les eaux, que retenait un barrage éventré depuis longtemps. On y voit plusieurs étages de berges marquant les divers niveaux de ce lac desséché. En amont du village de Chamounix, en Savoie, où fut aussi un lac, on observe plusieurs terrasses superposées et produites par les mêmes causes (2). Or dans la partie du Forez qui nous intéresse, les faits sont loin de se présenter avec cette netteté, tandis que M. Grüner a pu reconnaître aux ressauts de terrain qui les limitaient jadis, et tracer sur sa carte les lits successifs que la Loire s’est creusés, à partir de l’époque quaternaire, aux dépens des assises lacustres.

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(1) Description géologique et minéralogique du département de la Loire, 1857, page 694.
(2) Magasin Pittoresque, 14e année, pages 249 à 250.

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Que croire donc de la tradition qui fait détruire le lac par les Romains ? Voulut-on, contre toute vraisemblance et contre l’autorité si grave de M. Grüner, soutenir qu’une partie du bassin forézien était encore sous l’eau à l’époque de la conquête, qu’il faudrait en restreindre singulièrement l’étendue.

J’ai eu le plaisir cette année de visiter les gorges de la Loire, depuis Saint-Jodard jusqu’à SaintMaurice. Je n’ai vu qu’un seul point où avec de la bonne volonté, on puisse supposer qu’il ait existé, à l’époque géologique actuelle, un barrage naturel : c’est au château de la Roche.

En cet endroit, la Loire se rétrécit tout-à-coup; elle est contrainte de passer entre une balme à pic d’environ 25 mètres d’élévation et un rocher haut d’une quinzaine de mètres, relié à la rire droite par une digue de même hauteur.

Le fleuve est en ce point à 303 mètres d’altitude. Ajoutons les quinze mètres du barrage, en admettant qu’il se soit étendu d’une rive à l’autre, nous n’aurons que 318 mètres. On peut en conclure que le lac aurait à peine occupé tous les terrains envahis par la terrible inondation de 1846 : car à cette époque, les eaux dépassaient la digue de 3 mètres. De là à une submersion complète de la plaine, il y a loin.

A ces considérations d’ordre purement naturel vient s’ajouter la découverte d’une station préhistorique dans une région basse de notre plaine. L’archéologie confirme donc l’opinion des géologues qui fixent à la plus haute antiquité le desséchement de notre lac forézien.

Dons.

M. Octave de la Bastie offre à la Société un énorme rouleau de parchemin contenant une sentence de la Chambre des Comptes de Montbrison, en date du 4 décembre 1417, qui maintient les religieux de Montverdun en possession de divers droits à eux concédés par les comtes de Forez aux mas de Maissimieu, les Iries et la Bolène.

M. Félix Thiollier fait don de plusieurs photographies exécutées pendant l’excursion de cette année en Bourbonnais, ainsi que d’une remarquable eau-forte où il a groupé un certain nombre des célèbres momies de Saint-Bonnet-le-Château.

Des remerciements sont votés à MM. de la Bastie et Thiollier.

La séance est levée.

Le Président,

Cte DE PONCINS.

Le membre faisant fonction de secrétaire,

E. BRASSART.